L'inconnu (The Unknown)
Tod Browning (1927)
Lon Chaney a tourné 10 films avec Tod Browning. Les deux hommes étaient passés par le cirque et Chaney, "l'homme aux mille visages" et au corps tout aussi métamorphe répondait à la fascination que Browning éprouvait pour la monstruosité humaine. Chez Browning nul artifice, nul trucage mais de vrais corps dans tous leurs états. Chaney pouvait jouer toutes les difformités, accomplir toutes les métamorphoses, du bossu au ventriloque en passant comme ici par le bandit manchot.
L'inconnu peut être lu d'une manière psychanalytique tant il déborde de symboles sexuels. Une sexualité traumatique, mutilée, mortifère. Alonzo (Lon Chaney) est un lanceur de couteaux privé de bras. La métaphore de la virilité et de sa négation. Conflit en vue. Une tension sexuelle s'installe dès la première scène avec sa partenaire, la belle Nanon (Joan Crawford). Les couteaux viennent se planter tout autour d'elle, la déshabillant au passage. Mais cet érotisme se mâtine d'un certain malaise car Alonzo utilise ses pieds ce qui déforme son apparence. Et il est le seul homme que Nanon peut approcher car elle ne supporte pas le contact des mains masculines. Autrement dit, elle l'aime parce qu'il est impuissant. Les mains masculines sont une métaphore du viol incestueux. En effet le directeur du cirque, Antonio Zanzi (Nick de Ruiz) qui est le père de Nanon s'avère être intrusif et castrateur.
Ce que Nanon ignore, c'est la véritable identité d'Alonzo. Celui-ci s'est composé un personnage d'impotent pour tromper la police autant que pour lui plaire. En réalité il est exactement l'inverse de ce qu'il paraît. Un dangereux criminel en pleine possession de ses moyens. Non seulement il a des bras et des mains mais il en a même trop puisqu'il a deux pouces. Il rêve de posséder Nanon en éliminant ses rivaux. Sa folle passion se mue en rage meurtrière et autodestructrice. Il étrangle son père et tente de tuer son fiancé Malabar (Norman Kerry) lors d'une scène d'écartèlement vraiment terrifiante où l'homme fort manque se faire symboliquement castrer. Mais Alonzo ne réussit pas car il a cédé à une fatale contradiction. Pour que Nanon ne découvre pas son imposture, il s'est réellement fait couper les bras, tuant au passage tous les témoins de l'opération (une scène du film disparue à jamais qui accentuait encore sa folie meurtrière). Mais en se faisant amputer il se prive aussi de toute possibilité réelle de se rapprocher de celle qu'il aime. Ce qu'il découvre lors d'une scène saisissante où il passe de l'éclat de rire au rictus de haine en un éclair. Dès lors, il est condamné.
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