Lola
Jacques Demy (1961)
Lola est le premier long-métrage de Jacques Demy. Celui-ci rêvait (déjà) d'une comédie musicale en Technicolor mais il a dû se contenter pour des raisons budgétaires d'un film noir et blanc tourné en décors naturels dans sa ville natale de Nantes. Néanmoins il pose toutes les bases de son univers:
- Une héroïne hybride à la fois danseuse-entraîneuse-allumeuse et religieusement fidèle au souvenir de Michel, son premier amour dont elle attend le retour. Demy oscille lui-même clairement entre puritanisme et attraction irrésistible pour les lieux de "débauche" (maisons closes, tripots, peep-show, boîtes glauques...) héritage à la fois de son éducation catholique et de son désir pour la vie de bohème.
- Un entrelacement de plusieurs destins à un carrefour de leur existence qui se (re)trouvent et/ou se ratent. La rencontre entre la jeune Cécile et le marin Frankie fait écho à celle de Lola jeune (dont le vrai prénom est Cécile) et de Michel déguisé en marin américain. La petite Cécile veut d'ailleurs devenir danseuse alors que sa mère qui l'élève seule est elle-même une ancienne danseuse. Cécile, Lola et Mme Desnoyers sont trois versions de la même femme, au passé, au présent et au futur. Jacques Demy s'attache dès ce premier film à un type de femme rejeté par la bonne société de l'époque: la mère célibataire (il venait alors de se mettre en couple avec Agnès Varda qui avait un enfant en bas âge, Rosalie qu'elle élevait seule).
- Un ancrage dans une ville portuaire de province qui permet à Demy de dresser un portrait de la francité tout en ouvrant sur l'ailleurs via les oiseaux de passage, marins et forains. Cet ailleurs est l'Amérique présente par Michel devenu un self made man roulant en Cadillac, par Frankie et son accent, par la musique jazz et par les intrusions de genres tels que le film noir et la comédie musicale même réduite à l'état de résidu.
- Une atmosphère de conte de fée avec Michel en prince charmant. Le film offre un cadre réaliste mais on décèle déjà le goût de Jacques Demy pour le déguisement voire le travestissement (hyperféminité en guêpière et boa que l'on retrouve avec Jeanne Moreau dans la Baie des anges, costume de cow-boy et de marin...)
- Une forte influence d'Ophüls à qui le film est dédicacé et à qui Lola doit son pseudo en référence à Lola Montes. Le film doit beaucoup à La Ronde et au Plaisir. De même, Demy rend hommage à Bresson en reprenant son actrice des Dames du bois de Boulogne, Elina Labourdette pour lui faire jouer le même personnage vieilli.
Lola contient donc en germe les films ultérieurs de Demy. Celui-ci voulait d'ailleurs à l'origine créer une oeuvre de 50 films aux personnages récurrents. Il a dû renoncer à son ambition mais a réussi à donner deux suites à Lola. Les parapluies de Cherbourg tout d'abord où revient le personnage de Roland Cassard joué par Marc Michel. Et Model Shop tourné en 1968 à Los Angeles avec le retour de Lola joué par Anouk Aimé dans un contexte assombri.
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