Les Vestiges du jour (The Remains of the Day)
James Ivory (1993)
Les vestiges du jour est l'adaptation d'un roman de Kazuo Ishiguro qui pose un regard critique sur les moeurs de l'aristocratie britannique des années 30, sa rigidité, son obsession de la hiérarchie et du rituel, son rejet de l'altérité et du changement, en un mot son inhumanité. Ishiguro est japonais et Ivory américain ce qui leur donne la distance nécessaire pour traiter le sujet de façon pertinente.
Le livre comme le film d'Ivory est centré sur le majordome de Darlington Hall, Stevens et sa vision complètement faussée de la vie. Celui-ci considère que la valeur suprême est la "dignité" de sa fonction qui consiste à ne jamais se laisser perturber par les événements extérieurs. Les émotions et sentiments humains ne sont que des parasites dont il faut triompher pour bien accomplir son travail. Il a d'ailleurs pour modèle le flegme d'un majordome qui continue à servir son maître alors qu 'un tigre est caché sous la table. C'est au nom de cette dignité (ou plutôt idéologie) qu'on va le voir agir dans plusieurs circonstances de façon inhumaine, faire du mal aux autres et à lui-même. Il refuse de désapprouver son maître quand celui-ci se rallie au nazisme et renvoie deux servantes juives. Il continue à le servir quand son père agonise juste à côté. Il repousse les avances de la gouvernante Sally Kenton vive et spirituelle (comme son interprète Emma Thompson) alors qu'il est amoureux d'elle. Plus il est épris, plus il se montre cruel afin de broyer ces sentiments indésirables dans son coeur.
Malgré cela, tout l'art d'Ishiguro, Ivory et Anthony Hopkins (extraordinaire) est de nous faire ressentir de la compassion plutôt que de l'antipathie pour Stevens. Celui-ci paye cher ses erreurs et nous apparaît plus pathétique que monstrueux. Ivory excelle à montrer la fêlure des êtres qui renient leur nature. Dans Les Vestiges du jour c'est l'acte manqué de la bouteille qui se brise contre les marches de la cave qui suggère le coeur brisé de Stevens ainsi que l'éclair de détresse qui passe dans ses yeux. On peut citer également la scène où Miss Kenton veut lui arracher son livre des mains et l'accule dans un coin. Scène torride en dépit (ou à cause) de sa retenue dont Stevens "triomphe" en expliquant froidement qu' il lit des romans sentimentaux (et non licencieux comme le pensait Miss Kenton) pour parfaire son usage de la langue anglaise.
Tout au plus une fois son monde balayé par la guerre et ayant atteint le seuil de la vieillesse éprouve-t-il des remords et un sentiment de gâchis.
Commenter cet article