L'heure suprême (Seventh Heaven)
Frank Borzage (1927)
D'une pièce de théâtre à succès d'Austin Strong (le petit neveu de Robert Louis Stevenson) misérabiliste et bondieusarde très XIX° siècle Borzage parvient à tirer un film personnel rempli de moments de grâce tout en donnant une leçon de cinéma.
Borzage, cinéaste de l'expressivité sublime aime les contrastes seuls à même de la mettre en valeur. L'heure suprême est structuré par les contrastes. Pour qu'il y ait élévation il faut partir de très bas: le film commence dans les égouts où travaille Chico et où pataugent moralement Nana, alcoolique et violente et sa soeur martyre Diane, trop faible pour lui résister. Lorsque Chico prend Diane sous sa protection et l'emmène chez lui on assiste à un travelling vertical ascensionnel d'étage en étage magnifique "je travaille dans les égouts mais je vis près des étoiles." La mansarde de Chico devient le nid paradisiaque (seventh heaven, le paradis du septième ou le septième ciel en VO) où pourra éclore leur amour, un amour que les éreuves ne feront que renforcer jusqu'à atteindre une dimension mystique et miraculeuse. Nouveau contraste: c'est l'éclatement de la guerre de 14, l'imminence de la séparation et l'ombre de la mort qui pousse Chico à déclarer son amour. En utilisant le montage alterné, Borzage oppose l'immonde liesse patriotique de la foule (vue le plus souvent depuis la mansarde en plongée d'où l'impression de vermine grouillante) et l'union divine des deux amants qui viennent juste de découvrir la force de leur amour (opposition entre une mauvaise et une bonne passion.) La haine de la guerre de Borzage était d'ailleurs si forte que les scène de bataille du film furent tournées par John Ford qui était comme lui sous contrat à la Fox. Elles tranchent par leur réalisme documentaire (taxis de la Marne, évolution des uniformes) avec un film par ailleurs très stylisé. Une esthétique expressionniste très influencée par le cinéaste star de la Fox, Murnau qui tournait en même temps L'Aurore. Borzage a d'ailleurs prêté à Murnau sa vedette féminine Janet Gaynor, une inconnue qu'il avait réussi à imposer au studio tout comme Charles Farrell. Pendant 15 jours elle a tourné pour lui en blonde durant la journée pendant qu'elle devenait brune la nuit pour Borzage. Et ce n'est que l'un des nombreux échos entre les deux films.
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