L'Extravagant Mr Ruggles (Ruggles of Red Gap)
Léo McCarey (1935)
Tourné en 1934, L'extravagant Mr Ruggles appartient aux premiers films Paramount de Léo McCarey. Il est également considéré comme son premier chef-d'oeuvre. Mais de même que Duck Soup réalisé l'année précédente est considéré comme le chef d'oeuvre des Marx Brothers (et non de McCarey), Ruggles doit beaucoup à Charles Laughton. En effet au départ L'extravagant Mr Ruggles était un film de commande, la troisième adaptation tirée du roman éponyme et un film de studio. C'est l'alliance McCarey-Laughton qui lui donne sa personnalité.
McCarey aime le choc des cultures. Avec cette histoire de majordome anglais gagné au poker par un redneck de Red Gap (un trou perdu des USA) et sa femme issue de la bourgeoisie de Boston on est servi en la matière ce qui donne lieu à de savoureux moments de comédie. Vie parisienne contre Amérique profonde, culture aristocratique british contre culture US (caricaturée à gros traits: chemise à carreaux, moustache en guidon de vélo, grands cris et free hugs, biêre à volonté etc.) on passe de l'un à l'autre avec beaucoup d'amusement. Mais si on creuse un peu la vraie confrontation du film c'est Laughton contre Laughton. Laughton compassé jamais très loin du Laughton comique et du Laughton monstrueux " J'ai laissé parler la bête en moi." "Je me suis battu contre moi-même" etc. Ce majordome qui découvre le rêve américain, l'individualisme et l'égalité est amené à laisser entrevoir à la fois un côté Jeckyl et un côté Hyde. Son côté Jeckyl c'est bien sûr son émancipation " Mon père était valet, le père de mon père était valet. Moi je suis un homme insignifiant mais un homme. Je suis mon propre maître." Et de réciter le discours de Lincoln à Gettysburg. Le grand-père de Laughton était valet ce qui donne à ce discours une résonance autobiographique. Le côté Hyde c'est un personnage qui trouve normal d'avoir été joué au poker comme s'il était une marchandise mais qui trouve anormal de s'assoir à la même table que son nouveau maître (qui ne supportant pas les hiérarchies l'appelle colonel et le considère comme son pote.) L'éloge du rêve américain prend la forme d'une humanisation et d'une réalisation personnelle autant qu'une abolition des distinctions sociales (le personnage snob de l'histoire finit expulsé du restaurant de Ruggles par ce dernier.) Cet éloge n'est pas dénué d'ironie concernant un pays ayant connu l'esclavage et connaissant au moment de l'action du film et du tournage la ségrégation raciale.
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