Furie (Fury)
Fritz Lang (1936)
Furie est le premier film américain de Fritz Lang réalisé en 1936. Il est à la société américaine ce que M Le Maudit est à la société allemande: la radiographie d'une dérive de la démocratie sous l'effet du populisme attisé par la crise économique et la faiblesse des États. Aux USA où le droit de porter des armes est inscrit dans la constitution, où l'individualisme est roi et où la méfiance vis à vis des interventions de l'Etat est de mise, on compte 6000 lynchages dans la première moitié du XXe siècle sans parler des chasses à l'homme et autres débordements de la justice privée (les films qui en parlent sont nombreux du Silence et des ombres à Truman show en passant par À Vif, Le droit de tuer, Justice sauvage etc.)
Lang utilise avec talent deux styles de mise en scène. Celle du classicisme américain pour filmer ce qui est rationnel et notamment le procès des lyncheurs (moment incontournable de tout film US sur la justice). Et celle de l'expressionnisme allemand avec ses éclairages contrastés pour illustrer la sauvagerie tapie en chaque homme. Plusieurs gros plans montrent les visages grimaçants des lyncheurs qui filmés à leur insu sont bien obligés de regarder cette réalité en face lorsque le film est projeté durant le procès (formidable mise en abyme du rôle ambigu du cinéma.) Mais leur victime n'est pas épargnée. Joe Wilson (Spencer Tracy) n'échappe à la mort que pour mieux se venger tout à fait à la façon de Monte-Cristo auquel on pense. Les deux hommes sont dépeints comme de naïfs et innocents jeunes hommes arrêtés juste au moment où ils allaient se marier, pris au piège d'une erreur judiciaire qui les brise de l'intérieur et où ils manquent y laisser la peau. Ils changent alors de personnalité, laissant le monstre s'emparer d'eux. La mort de la petite chienne de Joe qui venait de mettre bas dans l'incendie de la prison symbolise ce basculement. Le visage de Spencer Tracy déformé par un rictus, sa voix devenue rauque, son chapeau couvrant à demi son visage et les éclairages en clair-obscur le rendent terrifiant. Seule la femme aimée peut le ramener à la raison. "Ne m'abandonne pas" s'écrie d'ailleurs Joe au terme d'une nuit d'errance et de lutte intérieure solitaire semblable à celle de M. Enfin le film dissèque de façon impitoyable les phénomènes de violence collective où la responsabilité de chacun se dissout dans le groupe, où les rumeurs déformées et colportées de bouche à oreille font des ravages et où l'omerta est systématique. Chacun étant impliqué dans le crime, chacun couvre les autres par solidarité. Un phénomène bien connu des nazis qui l'utilisèrent de façon systématique pour souder leurs groupes de combattants, SS notamment.
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