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Articles avec #winocour (alice) tag

Revoir Paris

Publié le par Rosalie210

Alice Winocour (2022)

Revoir Paris

"Revoir Paris" c'est le "diamant dans le trauma" pour reprendre l'expression du film. Pour comprendre cette expression et la philosophie qu'elle véhicule, on peut se replonger dans "Un merveilleux malheur", le livre de Boris Cyrulnik sorti en 2002 qui popularisa la notion de résilience en soulignant que le malheur n'est jamais pur, pas plus que le bonheur*. Et pour cause, comment saurions-nous que nous sommes heureux si nous n'avons jamais souffert et vice-versa. Or avant de devenir une rescapée, une survivante, jamais Mia (Virginie EFIRA) ne s'était posé cette question du bonheur. Mais son stress post-traumatique qui se traduit par une amnésie partielle et des fragments de souvenirs récurrents qui s'invitent dans son présent dès qu'un stimulus vient les déclencher (un couloir, un gâteau d'anniversaire, une averse) l'empêche de reprendre une vie normale. Mia ne peut plus faire semblant tant elle ne cesse d'être ramenée à la soirée qui a fait basculer sa vie. Ne peut plus faire semblant par exemple de vivre avec un compagnon qui l'a planté en plein dîner au restaurant peu avant le drame sous prétexte d'une urgence alors qu'en revanche, un autre homme, Thomas (Benoît MAGIMEL) en décalage lui aussi avec le bonheur auquel il est sensé participer ce soir-là (sa fête d'anniversaire) lui a lancé un regard pénétrant -presque entendu- dans la brasserie où elle s'était abritée de la pluie juste avant l'attaque. Nul doute qu'il avait noté sa solitude, sa tristesse voire sa détresse (l'encre de son stylo qui coule sur ses doigts alors qu'elle essayait d'écrire dans son carnet de travail). Thomas comme Mia a survécu, lui aussi bien amoché physiquement et psychiquement mais leur duo aux tempéraments complémentaires fonctionne parfaitement. Mia, telle la Mariée dans "Kill Bill : Volume 1" (2003) enfile son armure de guerrière avant de chevaucher sa moto en quête de ses souvenirs perdus que Alice WINOCOUR fait revenir par fragments alors que Thomas dont la mémoire est excellente mais dont la mobilité est réduite se soigne par l'humour. En dépit de leurs évidentes affinités, leur rencontre ne pouvait se faire que sur le mode de la gueule cassée c'est à dire dans des chambres d'hôpital et au sein d'un groupe de victimes se réunissant régulièrement sur les lieux du drame, inspiré des attentats du Bataclan**. Parmi elles, la jeune Félicia (Nastya GOLUBEVA CARAX, la fille de Leos CARAX) symbolise la philosophie du film: une simple carte postale "léguée" par ses parents à laquelle elle n'aurait pas prêté attention dans d'autres circonstances l'amène à se plonger dans la contemplation des "Nymphéas" de Monet au musée de l'Orangerie. L'art, l'humour, le combat, autant de moyens de retrouver le chemin du monde des vivants auquel il faut rajouter un quatrième élément, le plus important, le lien fraternel qui circule désormais entre tous ceux qui ont vécu la même expérience. Un lien qui dans le cas de Mia prend valeur de quête initiatique. A la recherche d'un homme qui l'a aidé à survivre le soir du drame, elle s'aventure dans les bas-fonds de la société, au milieu des immigrés clandestins dont la survie est le quotidien et qui font aussi partie du paysage parisien, au pied même de la tour Eiffel mais qu'on ne remarque même pas. Jusqu'à ce qu'au seuil de la mort, on en découvre la valeur, celle du "diamant dans le trauma".


J'ajoute que dans ce beau film qui a la puissance de son évidence (au sens de sa justesse), un autre personnage joue un rôle clé: la ville de Paris, de sa vitrine huppée et touristique à ses arrière-cuisines les plus sordides.


* Boris Cyrulnik et Alice Winocour sont des survivants ou descendants de survivants de la Shoah.

** Le frère de Alice Winocour était au Bataclan le soir des attentats et a survécu.

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Proxima

Publié le par Rosalie210

Alice Winocour (2019)

Proxima

Non, les hommes ne viennent pas de Mars et les femmes de Vénus. Ils viennent tous de la Terre et le rêve d'aller dans l'espace comme tous les rêves n'est pas l'apanage d'un genre. Mais la société assigne des rôles distincts à chacun dès la naissance et les maintient ensuite avec le formatage éducatif, la propagande (matraquage publicitaire par exemple pour des jouets ou des activités genrés) et la censure (pression sociale normative, autocensure).

C'est ainsi qu'avec un réalisme minutieux conjugué à des convictions féministes fortes que j'avais déjà beaucoup apprécié dans "Augustine" (2012), Alice WINOCOUR réalise un portrait remarquable de femme en quête de réalisation de soi porté par une actrice (Eva GREEN) enfin débarrassée de tout artifice. Bien que le film narre la trajectoire d'une femme astronaute donc exceptionnelle, il peut parler à beaucoup de femmes en prise avec la difficulté de concilier travail et/ou aspirations personnelles et enfants. Il met en effet en évidence les inégalités entre hommes et femmes à compétences égales, exacerbées par le fait que la conquête spatiale comme jadis le western est un domaine très masculin et très machiste. Le plafond de verre que doit briser Sarah pour s'accomplir est constitué des remarques méprisantes de certains de ses collègues, de la charge mentale qui pèse sur ses épaules consistant à jongler entre les besoins de sa fille et l'exigente préparation au départ dans l'espace (dont on découvre au passage les différentes étapes dignes d'un entraînement à une compétition sportive de haut niveau) et de la culpabilité qui en résulte. Comment pleinement se concentrer lors d'une réunion alors que votre enfant (à peine toléré dans la salle) ne cesse de vous perturber? Comment répondre à la fois à ses besoins affectifs et aux pressions de l'équipe de préparateurs qui menace de vous remplacer si vous n'êtes pas à la hauteur? A ces questions, le film apporte des réponses basées sur les témoignages de véritables femmes astronautes qui étaient aussi des mères et dont on voit des photos à la fin du film. Un aspect documentaire qui se retrouve aussi dans la description des entraînements des spationautes (Thomas Pesquet fait d'ailleurs une brève apparition dans le film) mais qui n'occulte pas l'aspect intimiste de cette expérience spatiale du point de vue féminin qui est aussi un apprivoisement de la séparation voire de la mort puisque littéralement Sarah "va au ciel".

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Augustine

Publié le par Rosalie210

Alice Winocour (2012)

Augustine

« À l’origine du film, il y a une image. Le tableau d’André Brouillet Le Docteur Charcot à la Salpêtrière qui représente des hommes habillés en costume trois pièces regardant une femme comme un animal traqué. Je trouvais qu’il y avait quelque chose de très violent dans cette situation ; des hommes habillés et une femme presque livrée en pâture. Cette atmosphère sulfureuse de la Salpêtrière, ce mélange du côté médical et l’érotisme latent derrière l’alibi médical m’a fascinée. » (Alice Winocour)

Pour son premier film, Alice Winocour a frappé fort. Echappant au risque de la reconstitution empesée, elle filme une sorte de zoo humain: La Pitié Salpêtrière à la fin du XIX° siècle (qui n'a de pitié que le nom). Dans le rôle des cobayes que l'on exhibe comme des bêtes de foire et que l'on étudie comme des quartiers de viande, des femmes issues des classes populaires atteintes pour la plupart de troubles hystériques. Dans celui des manipulateurs et spectateurs-voyeurs, des hommes issus de la bourgeoisie, médecins pour la plupart. Toute la froide cruauté des rapports de domination sociale et sexuelle se joue là. D'autant que certaines situations n'ont pas changé de nos jours. Toutes les scènes où Charcot et/ou ses assistants examinent Augustine sans la regarder et sans répondre à ses questions comme si elle n'existait pas sont toujours d'actualité.

Mais le film ne s'en tient pas là, il est plus complexe. Il montre que dominants et dominés sont victimes du même carcan social et moral ultra-répressif vis à vis du corps et de ses émotions. Les bourgeois le sont même encore plus que les ouvrières. Les premiers sont dans un tel contrôle permanent qu'ils ressemblent tous à des croque-morts. Les secondes en revanche voient leur corps leur échapper et violemment protester. On peut interpréter ainsi la première crise d'Augustine qui éclate alors qu'elle sert à table, mettant sans dessus dessous un grand dîner bourgeois. Le déclencheur est la vue de crabes en train de se faire ébouillanter vivants puis dépecer. Plus tard ce sera une poule décapitée mais continuant à battre des ailes. Une autre scène clé utilisant un animal pour métaphore est celle où Charcot et Augustine se rapprochent en jouant avec le singe de ce dernier. Mais très vite celui-ci se raidit, remet la laisse au singe et chasse Augustine de peur de perdre le contrôle. Néanmoins il s'est passé quelque chose puisqu'on voit un peu plus tard Charcot nu devant son miroir en train de faire couler de l'eau sur sa main comme s'il avait enfin pris conscience qu'il avait un corps, des sens etc. Cela préfigure les scènes où Augustine prend le dessus sur lui et se libère. En guérissant quasiment malgré lui (car tout en affirmant travailler à sa guérison il a besoin qu'elle reste malade parce qu'elle sert son ambition et qu'il peut ainsi la contrôler et se contrôler) et en lui offrant son corps et son désir. Dans ce rôle hyper-sensuel derrière son apparence corsetée, Soko est une révélation. Chacune de ses crises hystérico-érotique est une vraie performance scénique. Face à elle, Vincent Lindon fidèle à lui-même porte une lourde carapace d'émotions contenues.

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Mustang

Publié le par Rosalie210

Deniz Gamze Ergüven (2015)

Mustang

Je n'étais pas enthousiaste au début à l'idée de voir ce film. Je pensais l'avoir déjà vu et même plutôt 2 fois qu'une. En 1991 avec Cinq filles et une corde, un film chinois de Hung-Wei Yeh où 5 sœurs ne trouvaient d'issue à leur situation que dans la mort puis en 1999 avec le beaucoup plus connu Virgin Suicides de Sofia Coppola où 5 sœurs ne trouvaient d'issue à leur situation que dans la mort. Jamais deux sans trois, un cinéphile a réussi à me convaincre de retourner voir les 5 sœurs, non plus en Chine ou aux USA mais en Turquie. Non plus pour subir passivement leur destin mais pour ruer dans les brancards. Une révolte viscérale, physique comme dans Augustine où Alice Winocour la co-scénariste de Mustang filmait en 2012 une jeune femme hystérique hyper-sensuelle (jouée par Soko) dans une société hyper-corsetée, celle de la France du XIXeme siècle.

Mustang est en effet très supérieur aux deux titres précités parce qu'il ne se contente pas de filmer mollement les ravages du système patriarcal. Il a la rage, la fièvre de sa jeune héroïne, Lale dont le regard farouche, indompté ne nous quittera plus. Si elle fait corps avec ses sœurs, le film adopte son point de vue et c'est la seule des 5 qui du début à la fin ose dire non et cherche sans relâche une issue (autre que la mort s'entend). Il faut dire que le sort réservé à ses aînées ne lui laisse aucun doute sur ce qui l'attend, chaque tentative d'escapade se soldant par un tour de vis supplémentaire. Mais en dépit de sa réclusion, elle se fait de précieux alliés comme sa professeur (alors qu'elle n'a plus le droit d'aller à l'école) ou le jeune chauffeur-livreur Yasin (alors qu'elle n'a pas le droit de côtoyer un garçon). Mais l'ironie de l'histoire est que son plus grand allié devient (à son corps défendant) son plus grand oppresseur, l'oncle Erol lui-même dont la maison cadenassée et la voiture vont être des instruments essentiels de sa grande évasion (Eastwood étant un autre allié implicite).

En nous plongeant ainsi au cœur de ce système d'oppression, le film fait l'état des lieux d'une société schizophrène où un pas en avant est suivi de trois pas en arrière. L'éducation en particulier est montré comme la clé de l'émancipation des filles mais le poids du qu'en dira-t-on pèse si lourd dans les villages que leurs habitants n'hésitent pas à les en priver, se mettant ainsi hors la loi. Seules les villes semblent en mesure de résister à cette pression des forces les plus réactionnaires et obscurantistes. Istanbul pour Lale c'est le pays d'Oz. Et pour y aller, elle fait comme Dorothy, elle chausse ses plus beaux souliers rouges et part sur la route.

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