Plus je vois de versions de "Dune", plus je me dis qu'il faut que je lise le roman de Frank Herbert tant ce que j'en perçois est dense, intelligent et pertinent, y compris de nos jours. Je ne pense pas seulement à la géopolitique du pétrole dont j'ai parlé dans mon avis sur le film de David LYNCH mais aussi à la répartition des pouvoirs masculin/féminin et occidentaux/colonisés avec aux côtés des figures de pouvoir patriarcales blanches traditionnelles des femmes puissantes qui agissent dans l'ombre et la résistance souterraine d'un peuple du désert basané au regard bleu dont l'allure dans le film de Denis VILLENEUVE fait penser aux touareg (surnommés "les hommes bleus").
Si je n'ai pas retrouvé dans la version de Denis VILLENEUVE ce qui m'avait agacé dans "Blade Runner 2049" (2017) à savoir le côté prétentieux du "film qui s'écoute penser" et si le récit est dans l'ensemble bien mené, j'ai tout de même constaté qu'il lissait toutes les aspérités qui donnait sa personnalité au film de David LYNCH avec ses monstres et ses délires kitsch et trash. Résultat: un film beau, très beau, stylé même (beau travail de design sur l'allure des vaisseaux-libellules par exemple ou sur l'écosystème du désert) mais complètement aseptisé. Je rejoins de ce point de vue l'avis de Céleste BRUNNQUELL qui comparait esthétiquement le film à une pub Cartier. "Dune" version 2020 est symptomatique d'un cinéma grand public qui se fond dans une imagerie impersonnelle de papier glacé sur laquelle posent des acteurs-mannequins interchangeables. Je préfère de loin une oeuvre imparfaite mais qui exprime l'âme d'un artiste que celle qui est techniquement parfaite mais stérile.
Cela été dit un peu partout, cette suite de "Blade Runner" pèche par son scénario brouillon et inabouti. La première heure se tient à peu près puis plus on avance, plus le film révèle ses failles. Sous prétexte de surprendre le spectateur, le scénario brouille les pistes et se perd dans les sables. L'erreur fatale est de saborder en cours de route le personnage principal, K (Ryan Gosling) pour disperser les enjeux de l'histoire sur toute une série de personnages secondaires bâclés qui font de la figuration: Deckard bien sûr qui n'apparaît qu'au bout d'une heure trente (et que Harrison Ford qui semble au bout du rouleau n'arrive pas à faire exister), des réplicants rebelles que l'on voit trois secondes et puis au-revoir, la supérieure de K (jouée par Robin Wright) dont la bienveillance vis à vis de K n'est pas expliquée ni exploitée, le directeur Wallace (joué par Jared Leto) totalement transparent et son androïde tueuse (Sylvia Hoeks) dont on ne saura jamais pourquoi elle s'appelle Luv et est très spéciale. Quant au docteur Ana Stelline (Carla Juri) c'est un personnage parfaitement incohérent: il n'y a pas de raccord possible entre son enfance d'orpheline maltraitée et exploitée dans une déchetterie et son personnage adulte de grande scientifique obligée de vivre dans une chambre stérile!
Il n'y a pas que les personnages qui sont mal écrits (et mal pensés), le film soulève des questions auxquelles il n'apporte aucune réponse. La nature de Deckard (ambiguë dans le film d'origine) est évacuée on ne sait pas pourquoi. Il en est de même pour Rachel (réplicante évoluée ignorante de sa propre nature ce qui en fait peut-être le miroir de Deckard). C'est quand même dommage puisque ce couple est le seul non humain (du moins à 100%) à avoir réussi à enfanter. Un "miracle" à la façon des "Fils de l'homme" de Cuaron. Par quel mystère, on ne le saura pas plus, pas plus que le pourquoi de la nature de l'enfant (que l'on pense logiquement au moins hybride et qui s'avère 100% humain!)
La conséquence malheureuse de tous ces choix, c'est que le personnage principal, K ne s'avère être qu'une machine ce qui rend le film vain et froid. Et la prestation toujours aussi inexpressive de Gosling n'arrange rien. Il y a bien sa douce et compréhensive compagne Joi joué par Ana De Armas mais elle est aussi virtuelle que Samantha, l'ordinateur auquel Scarlett Johansonn prête sa voix dans "Her". Dans "Blade Runner 2049" il n'y a même pas de Ghost dans le Shell. On est dans la vacuité totale. Alors oui il reste l'emballage hyper soigné mais qui n'est que la copie conforme (progrès technologique en plus) de l'original, musique comprise. Quel en est l'intérêt? Aucun.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.