Il est très difficile d'évaluer ce film muet de Maurice Tourneur réalisé en 1917 tant il est tronqué et abîmé. Il manque des images dans chaque plan ce qui souvent entraîne des "jump-cuts" involontaires et des coupures son. Il manque le début, la fin et des séquences entières entre deux scènes. De plus la qualité de l'image est mauvaise.
Dans ces conditions, le film paraît assez incohérent et les personnages sont difficiles à suivre. Heureusement on arrive à saisir le fil directeur. Grosso modo il s'agit d'une succession de machinations ourdies par un couple d'intrigants manipulé par un bookmaker véreux pour nuire au propriétaire du cheval Whip et à sa fille Diana qui le monte. Leurs plans qui incluent les pires méthodes (corruption, production de faux documents, sabotages, chantage) sont assez outranciers mais personne ne semble deviner leur jeu ce qui rend l'intrigue assez peu crédible. La mise en scène est en revanche éblouissante passée les premières scènes assez statiques. La séquence de course-poursuite à suspense entre un train et une voiture qui cherche à le doubler pour sauver le wagon du cheval bloqué sur les voies fait penser à du D.W. Griffith avec une utilisation remarquable du montage alterné. Maurice Tourneur qui travaillait alors aux USA était d'ailleurs considéré comme son égal, à juste titre.
Maurice Maeterlinck est une figure de proue du mouvement symboliste de la fin du XIXeme siècle et du début du XXeme siècle. Outre le livret de sa célèbre pièce "Pelléas et Mélisande" mise en musique par Debussy, il est internationalement connu pour "L'Oiseau bleu", une pièce de théâtre pour enfants qui fut transposée à l'écran dès 1910. Le film de Maurice Tourneur date de 1918. C'est sans doute la version la plus réussie de cette œuvre onirique et animiste que l'on compare souvent à "Alice au pays des merveilles" ou au "Magicien d'Oz" avec une touche de Dickens et de Grimm en plus.
Il n'y a pas vraiment d'intrigue dans "L'Oiseau bleu". Il s'agit d'un voyage imaginaire effectué par deux enfants de bûcheron, Tyltyl et Mytyl à la recherche d'un oiseau bleu capable de rendre la santé à la fille de leur voisine. Après avoir traversé le miroir (sous forme d'un diamant qu'il faut tourner), ils découvrent l'âme qui se cache dans les objets et animaux familiers de leur maison. Un passage qui fait penser aux gluons de la géniale série des années 80 "Téléchat". Avec eux, ils se rendent au pays du souvenir où ils retrouvent leurs grands-parents et leurs frères et sœurs, au palais de la nuit où se cachent les pires tourments, au jardin des bonheurs simples de la vie, dans la forêt et au pays de l'avenir des enfants pas encore nés où ils découvrent leur futur petit frère.
Pour traduire l'atmosphère de cet univers, Tourneur et son équipe utilisent tous les moyens que leur offre le cinéma en matière de lumières, de trucages, de montages pour un résultat visuellement splendide. Certaines séquences s'inspirent du théâtre d'ombres chinoises, d'autres des ballets russes, d'autres encore ressemblent à des tableaux avec l'usage du cadre dans le cadre. Hélas la pellicule est abîmée par endroits, altérant certaines images.
Ce n'est certainement pas par son scénario que ce film vaut encore aujourd'hui le coup d'œil. Il est obsolète, niais, rempli de clichés. Les personnages sont peu attachants à commencer par l'héroïne, la jeune Gwendolyn. Elle manque peut-être d'amour (la pauvre) mais elle fait tourner ses serviteurs en bourrique, vandalise la maison, jette par la fenêtre ses beaux vêtements ou les macule de boue (ce n'est bien entendu pas elle qui va nettoyer!) Quant aux cadeaux qu'elle reçoit pour son anniversaire, elle les snobe, ils font trop bébé. Devant de tels problèmes la compassion que l'on peut éprouver pour elle ne peut être que limitée.
L'intérêt du film est donc ailleurs. Tout d'abord dans la prestation de Mary Pickford qui parvient à nous faire croire qu'elle a 11 ans alors qu'elle en a 25. Sa (relative) petite taille est accentuée par le choix d'acteurs très grands, la mise en scène ainsi que les angles de vue de la caméra. Le résultat suscite le trouble d'autant que son jeu plein de vivacité et d'espièglerie sonne juste. Ensuite, la mise en scène met bien en valeur la solitude et l'enfermement de Gwendolyn par un jeu sur les reflets dans les miroirs et les vitres des fenêtres par lesquelles elle observe le monde extérieur dont elle est privée avec envie. Enfin la séquence finale onirique où droguée elle évolue dans un monde imaginaire (où l'on reconnaît sous une forme symbolique les personnes qui l'entourent) préfigure la veine psychédélique du cinéma de "Alice au pays des merveilles" au "Magicien d'Oz".
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.