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Articles avec #thriller tag

Oppenheimer

Publié le par Rosalie210

Christopher Nolan (2023)

Oppenheimer

"Oppenheimer" est l'adaptation du livre de Kai Bird et Martin J. Sherwin "Robert Oppenheimer: Triomphe et tragédie d'un génie". En VO, le titre compare Oppenheimer au mythe de Prométhée ce qui est repris dans le film dès la citation qui accompagne les premières images. Ce qui est intéressant dans ce mythe, c'est la versatilité de son interprétation au fil du temps lié au fait que dans la réalité comme dans le mythe (qui est justement une manière d'expliquer le monde), le bien et le mal sont indissociables. Vu d'abord comme un héros positif associé aux progrès de la civilisation occidentale, Prométhée est aujourd'hui associé aux dangers de la "science sans conscience" et Robert Oppenheimer illustre bien cette double facette du Titan: le savant qui vole le feu/l'arme ultime de destruction massive aux Dieux afin de donner un avantage décisif à son camp qu'il pense être celui du bien pour voir ensuite sa création lui échapper, devenir le bouc-émissaire d'une Amérique en pleine paranoïa anti-communiste et être torturé par sa conscience face aux terribles conséquences de l'usage de cette arme entre les mains des grandes puissances.

"Oppenheimer" repose donc sur un matériau solide et une excellente interprétation, Cillian Murphy en tête qui est un habitué des films de Christopher Nolan mais accède enfin à un grand rôle. Son Oppenheimer particulièrement complexe est à la fois proche d'Einstein par son approche scientifique et radicalement opposé à lui sur tout le reste. Aussi les rencontres entre les deux hommes, le vieux sage retiré du monde et le carriériste hanté par les conséquences de son pacte faustien et notamment le final, superbe, en dit très peu et en suggère beaucoup. Des scènes de cette puissance, il y en a d'autres comme l'essai nucléaire qui précède le largage des bombes sur le japon ou la conférence durant laquelle Oppenheimer prend conscience de l'horreur qu'il a rendu possible. Dans les deux cas le décalage entre l'image et le son amplifie la sensation d'apocalypse. Le parallèle entre la basse vengeance de Lewis Strauss, le président de la commission à l'énergie atomique des USA (AEC) sur Oppenheimer puis la revanche des scientifiques au Sénat sur celui-ci vaut aussi son pesant d'or d'autant que si Strauss (Robert Downey Junior) est un personnage simple (un aigri bouffi d'ego), la façon dont Oppenheimer utilise ses démêlés extra-judiciaires pour échapper à sa culpabilité en se posant en victime du maccarthysme est troublante.

Hélas avant cela, il faut subir ce qui s'apparente à une interminable purge de paroles creuses émises par des personnages qui le sont tout autant. Les détracteurs de "Oppenheimer" ont raison au moins sur un point. Le film est "trop": trop long, trop bavard, trop rempli d'effets de style et de personnages secondaires inutiles (tous ces scientifiques au nom et au visage interchangeable auraient pu être réduits de moitié, on aurait pu se passer des scènes de sexe avec l'amante communiste etc). Mais un film plus épuré, plus posé, moins grandiloquent aurait sans doute été moins grand public, aurait moins fait le buzz et Christopher Nolan n'aurait pas pu y greffer ses marottes formalistes. Dommage, il n'en aurait été que plus fort.

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Un si doux visage (Angel Face)

Publié le par Rosalie210

Otto Preminger (1953)

Un si doux visage (Angel Face)

"Un si doux visage" (pour de si noirs desseins) est un film dérangeant qui épouse les codes du film noir pour mieux s'en démarquer. D'une part on a donc un film ancré dans un genre dont on reconnaît certains archétypes tels que la femme fatale et le "pauvre type". Mais dans "Un si doux visage", la tragédie antique se nourrit d'une vision particulièrement sombre du film de procès. Tragédie antique oui car Diane Tremayne (Jean SIMMONS) est une sorte d'Electre moderne extrêmement jalouse et possessive. Elle ne supporte pas que son père ait refait sa vie et échafaude une sombre machination pour éliminer sa belle-mère avec l'aide involontaire de l'homme qu'elle manipule, Frank Jessup (Robert MITCHUM). La relation entre les deux membres du couple maudit est un classique du film noir (et nourrie de la misogynie propre à l'époque) avec d'un côté une riche héritière dominatrice qui se compare (et ce n'est pas anodin) à une sorcière et de l'autre, un type ordinaire issu d'une classe sociale inférieure qui se laisse manipuler par ses pulsions sexuelles. Bien que conscient d'être un pion dans un plan qui le dépasse, Frank Jessup montre une certaine passivité (ou faiblesse de caractère ou manque de volonté), se laissant porter par les événements sans vraiment s'y impliquer (comme le montre sa relation à Mary Wilson, sa précédente petite amie avec qui il ne veut pas s'engager mais qu'il ne cherche pas non plus à quitter si bien que c'est elle qui doit prendre la décision à sa place). Mais là où le film se démarque le plus, c'est dans la manière dont est traité le procès et plus largement le monde judiciaire. En effet et de façon très habile, Otto PREMINGER en fait un élément majeur de la tragédie. Comme son compatriote Billy WILDER, Otto PREMINGER critique la société américaine en faisant le portrait d'un avocat de la défense prêt à toutes les manipulations pour gagner le procès. Cet aspect du film est d'ailleurs très moderne car en jouant sur le prétendu amour entre Diane et Frank qu'il pousse à se marier sous les flashs pour influencer le jury, il préfigure les candidats de télé-réalité faisant semblant d'être amoureux pour influencer les votes du public ou les people utilisant les paparazzi (et vice-versa) pour accroître leurs ventes ou leur popularité. L'ironie de l'histoire c'est qu'en réussissant son coup, l'avocat écrit une histoire qui ne peut plus être changée au grand désespoir de Diane qui cherche depuis le début et en vain à endosser seule le crime pour tenter de sauver sa relation avec Frank Jessup qui s'est dégoûté d'elle. Celle-ci qui semblait tirer les ficelles devient alors la victime impuissante d'un système cynique qui la dépasse et au final l'entraîne vers le précipice à l'égal de ceux dont elle aura fait le malheur.

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Furie (The Fury)

Publié le par Rosalie210

Brian de Palma (1978)

Furie (The Fury)

"The Fury" n'est pas le film le plus connu de Brian de Palma encore que sa fin explosive soit devenue culte et ait vraisemblablement inspiré Cronenberg pour "Scanners". Si le scénario de "Furie" manque de rigueur et parfois de crédibilité, la réalisation remarquable relève le niveau sans parler de la qualité de la musique signée par John Williams qui nous plonge d'emblée dans une atmosphère ténébreuse. Pourtant le film commence de façon détendue, au soleil, sur une plage que l'on devine être située dans l'Etat d'Israël. Mais quelques minutes plus tard, l'atmosphère change du tout au tout et on entre dans le vif du sujet qui croise deux genres en vogue à cette période: le thriller d'espionnage paranoïaque et le fantastique horrifique avec pouvoirs paranormaux et jaillissements sanguinolents dans la continuité de "Carrie au bal du diable". Mais contrairement à Carrie, le sujet du film ne réside pas dans un personnage mais bien dans la soif de contrôle des débordements de fureur (et d'hémoglobine ^^) de deux jeunes gens liés entre eux par des pouvoirs parapsychiques. Ces deux jeunes en quête d'identité, Robin (Andrew Stevens) et Gillian (Amy Irving) passent peu à peu de la lumière à l'ombre au fur et à mesure qu'ils perdent le contrôle de leur vie et deviennent des rats de laboratoire au service de l'Etat. Une trame qui fait penser à celle de "Orange Mécanique" ou des enfants-cobaye de "Akira" d'autant que logiquement, les manipulations dont Robin et Gillian font l'objet détraquent leur psychisme et finissent par les rendre dangereux pour eux-mêmes et pour les autres. A ce duo de jumeaux maléfiques malgré eux correspond un duo d'agents secrets antinomiques. Peter, joué par Kirk Douglas qui se retourne contre l'Etat pour sauver son fils Robin ainsi que Gillian devient un fugitif traqué qui connaît une trajectoire tragique dans laquelle ses actes se retournent contre lui. Son âme damnée, est jouée par John Cassavetes qui reprend quasiment à l'identique le rôle du diable qu'il incarnait dix ans plus tôt dans "Rosemary's Baby". Enfin comme je le disais plus haut, la réalisation virtuose compense l'aspect parfois boiteux du scénario et certains effets kitsch. La fuite de Gillian, l'emballement du manège contrôlé par la pensée de Robin ou la fin constituent autant de séquences marquantes alors que l'accumulation de ces vies broyées finit par prendre à la gorge.

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Infernal Affairs 3 (Mou gaan dou 3 : Jung gik mou gaan)

Publié le par Rosalie210

Andrew Lau, Alan Mak (2003)

Infernal Affairs 3 (Mou gaan dou 3 : Jung gik mou gaan)

La saga "Infernal Affairs" aurait dû en rester au premier film, un petit bijou qui se suffisait à lui-même. Les suites s'avèrent inutiles et laborieuses. "Infernal Affairs 3" est un patchwork mal ficelé de scènes se déroulant pour certaines avant et pour d'autres après la mort de Yan mais qui n'apportent rien de neuf à l'histoire. Ce qui est mis en avant (la solitude, la confusion mentale, le brouillage des frontières entre la police et la pègre) veut apporter un éclairage plus intimiste mais le résultat est confus et maladroit d'autant que de nouveaux personnages dont on se fiche viennent se rajouter. Au moins retrouve-t-on les acteurs du premier volet, Tony Leung et Andy Lau, mais seul ce dernier sort son épingle du jeu, le premier étant cantonné à des flashbacks sans intérêt sur sa relation compliquée avec Sam ou avec sa psy. Je pense même que cette volonté (non dénuée d'arrière-pensées financières, comme quoi il n'y a pas que les américains qui exploitent leurs succès jusqu'à la lie) d'essayer de tout dire est contre-productive. Ce qui fait l'aura de ces personnages réside aussi dans leur part de mystère. Imagine-t-on un traitement pareil pour Jeff, le personnage de tueur mutique et inexpressif joué par Alain Delon dans "Le Samouraï" de Jean-Pierre Melville? Entendre Ming répéter qu'il veut être quelqu'un de bien surligne à gros traits ce que le spectateur avait compris dès le premier volet comme s'il était un idiot incapable de comprendre la suggestion!

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Le Parfum vert

Publié le par Rosalie210

Nicolas Parisel (2022)

Le Parfum vert

"Le Parfum vert", louable tentative de proposer un film français sortant des sentiers battus est hélas une déception. Le film souffre d'un défaut de rythme et de problèmes d'écriture. Ainsi la façon dont le personnage de Sandrine Kiberlain est intégré au scénario ne m’a pas paru crédible et les références à Hitchcock, parsemées à la truelle alourdissent le film au lieu de le servir (comme dans « Le grand saut » des frères Coen). Il n’y a d’ailleurs pas que « La mort aux trousses » qui est abondamment pillé mais aussi « L’Homme qui en savait trop » (les mots du mourant assassiné et la fin à suspense dans une salle de spectacle). J’ai trouvé que cela s’articulait mal avec les questions identitaires et mémorielles de personnages d'origine juive, tiraillés entre Europe et Israël, thème traité trop sérieusement alors que le reste s'apparente à une BD d'aventure (référence également récurrente dans le film qui cite "Tintin" et "Chlorophylle"). Le réalisateur a en réalité bien du mal à jongler entre le drame et la comédie. Par exemple Rudiger Vogler reprend le même rôle de nazi que celui de « 0SS 117 Rio ne répond plus » qui était lui aussi bourré de références à Hitchcock mais Hazanavicius en tirait une comédie d’espionnage autrement plus délicieuse et futée! Vincent Lacoste et Sandrine Kiberlain font ce qu'ils peuvent mais ils ne peuvent faire de miracles avec des personnages aussi mal définis dans un film qui a lui-même le cul entre deux chaises.

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Infernal Affairs 2 (Mou gaan dou 2)

Publié le par Rosalie210

Alan Mak, Andrew Lau (2003)

Infernal Affairs 2 (Mou gaan dou 2)

Si certains considèrent que la préquelle de "Infernal Affairs" lui est supérieure, ce n'est pas mon cas. Tout d'abord elle n'était pas nécessaire, le premier film se suffit parfaitement à lui-même. Ensuite l'absence de Tony LEUNG Chiu Wai et de Andy LAU se fait cruellement ressentir. Les acteurs qui les incarnent jeunes n'ont pas leur charisme et sont renvoyés à la périphérie de l'histoire. Surtout si la pilule du changement d'acteurs passait dans le premier film dont la datation restait vague et les renvois au passé, limités, le deuxième fait jouer les deux jeunes acteurs de 20-25 ans jusqu'en 1997, soit l'année de la rétrocession de Hong-Kong à la Chine, cinq années seulement avant les événements du premier film où tous deux sont quadragénaires. Mais ce n'est qu'une incohérence parmi d'autres. Cet opus souffre de façon générale d'une inflation de personnages que l'on a d'autant plus de mal à retenir qu'ils ne sont pas développés, que leur comportement est erratique et que l'on connaît par avance leur destin puisqu'on sait qui va mourir et qui va vivre. Et là où "Infernal Affairs" apportait une intrigue originale, sa préquelle fait penser à une variation de "Le Parrain" (1972) et des films de gangsters de Martin SCORSESE. Bref, il y a trop de tout dans ce film plein comme un oeuf (sa durée est d'ailleurs très supérieure au premier volet) qui ouvre des pistes sans véritablement les creuser ni se soucier de leur cohérence. C'est dommage car au vu de l'effacement de l'histoire des deux taupes, leurs patrons respectifs à savoir l'inspecteur Wong (Anthony WONG Chau-Sang) et Sam le mafieux (Eric TSANG) sont beaucoup plus mis en avant et l'intrigue joue beaucoup sur un "effet miroir" qui brouille les frontières entre la pègre et la police. Et ce d'autant plus que Yan, le flic infiltré aux allures de rocker rebelle a fait de multiples séjours en prison et est le demi-frère d'un caïd de la pègre tout ce qu'il y a de plus "bureaucrate" alors que Ming le truand est au contraire un bureaucrate qui présente bien en surface.

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Infernal Affairs (Wu jian dao)

Publié le par Rosalie210

Alan Mak, Andrew Lau (2002)

Infernal Affairs (Wu jian dao)

A l'occasion de la sortie en salles de la trilogie "Infernal Affairs" en mars 2022 (sortie et non ressortie car les deuxième et troisième volets étaient inédits en France), j'avais été invitée à voir les trois films à la suite mais une grève de métro m'en avait empêchée. C'est à cette occasion que j'avais appris que Martin SCORSESE s'en était inspiré pour en faire sa propre version avec "Les Infiltres" (2006). Moins connu, les co réalisateurs de la trilogie, Andrew LAU et Alan MAK ont eux-mêmes puisé leur source d'inspiration dans un film hollywoodien réalisé par un cinéaste Hongkongais, John WOO "Volte/Face" (1997). La boucle est bouclée!

Car "Infernal affairs" aurait tout à fait pu s'ouvrir sur la citation attribuée à Bouddha qui est mentionnée dans "Le Cercle rouge" (1970) de Jean-Pierre MELVILLE, l'autre cinéaste occidental aux influences asiatiques qui a d'ailleurs tout comme Martin SCORSESE été une source d'inspiration pour John WOO. " Quand les hommes, même s'ils s'ignorent, doivent se retrouver un jour, tout peut arriver à chacun d'entre eux, et ils peuvent suivre des chemins divergents ; au jour dit, inexorablement, ils seront réunis dans le cercle rouge." C'est en effet sous le signe du bouddhisme que s'ouvre un film à la structure de mandala qui évoque un "enfer continu de souffrance éternelle". Le cercle renvoie également à la folie liée à la perte d'identité de deux hommes qui ont échangé leurs places et se neutralisent constamment comme si chercher à découvrir l'autre renvoyait à soi-même dans un jeu de vases communicants permanent. Car pour que le film fonctionne, il doit reposer sur un équilibre empêchant l'une des polarités de prendre l'avantage sur l'autre, que l'antagonisme bien/mal s'incarne dans deux corps ou bien qu'ils fusionnent en chacun d'eux, plaçant l'âme qui l'occupe au bord de la schizophrénie.

Ajoutons qu'à la figure omniprésente du cercle infernal vient s'ajouter celle, complémentaire de la chute et donc de la verticalité. Les flics aiment se percher sur les toits tandis que la pègre a une prédilection pour les parkings souterrains mais la figure centrale de l'ascenseur les relie et l'un des moments clés du film voit une figure tutélaire de ce grand double jeu de dupes s'écraser sur le toit d'une voiture ce qui scelle le sort de l'autre, leurs poulains évoluant désormais en roue libre c'est le cas de le dire.

En dépit de toute cette géométrie, d'un dépouillement certain pouvant confiner parfois presque à l'abstraction, l'aspect humain n'est pas évacué du film. Yan, le flic infiltré dans la mafia est joué par Tony LEUNG Chiu Wai dont on reconnaît la profonde mélancolie qui a fait merveille chez WONG Kar-Wai. Yan dont la véritable identité n'est connue que de son supérieur, le commissaire Wong (Anthony WONG Chau-Sang) ne supporte plus sa condition faite de mensonge, de solitude, de renoncement (la femme qu'il a aimé a refait sa vie) et de tension permanente. Ses seuls moments de réconfort sont ceux qu'il passe chez sa psychologue pour qui il nourrit des sentiments (ce qui est logique étant donné le désert de sa vie affective). Ming (Andy LAU) le truand infiltré chez les flics voit dans son identité d'emprunt le moyen de gagner indépendance et respectabilité, brouillant peu à peu les repères.

A cet aspect humain, on peut même ajouter un contexte géopolitique, celui de Hong-Kong au début des années 2000, rétrocédée à la Chine par le Royaume-Uni mais pas encore absorbée par elle. Cette période de transition ("Un pays, deux systèmes") se ressent évidemment dans un film qui traite d'une identité duale réalisé dans un pays alors écartelé entre sa culture anglo-saxonne et ses origines chinoises.

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La Nuit nous appartient (We Own the Night)

Publié le par Rosalie210

James Gray (2006)

La Nuit nous appartient (We Own the Night)

"La Nuit nous appartient" est le premier film de James GRAY que je vois auquel j'adhère pleinement. Peut-être parce que la tragédie shakespearienne sied bien à sa vision du monde faite d'appartenances étanches les unes aux autres et auxquelles il est impossible d'échapper (alors que dans la vie quotidienne, cette vision fataliste de l'existence m'exaspère). D'ailleurs son dernier film "Armageddon Time" (2021) met en pièces le mythe du melting pot new-yorkais à travers notamment la ségrégation scolaire révélant des fractures sociales et ethnico-religieuses que l'on retrouve également dans le pays ayant inspiré aux USA une partie de ses valeurs: le nôtre.

L'ouverture de "La Nuit nous appartient" est magistrale car programmatique. Elle est en effet fondée sur un hiatus cinématographique (fixité contre mouvement, noir et blanc contre couleurs, travail contre fête etc.) présentant deux camps que tout oppose entre lesquels le héros va devoir choisir. Le titre est d'ailleurs en soi signifiant. En étant la devise cousue sur les uniformes des policiers de la brigade anti-criminelle de New-York alors que l'on sait parfaitement que la nuit est le royaume des hors-la-loi, celle-ci devient l'enjeu d'une guerre de territoire, "eux" contre "nous". Tout est dit en quelques images avec une efficacité imparable. Mais bien que l'histoire s'inscrive dans un contexte historique (la guerre contre la drogue), c'est son volet intime qui intéresse James GRAY. A savoir le parcours de Bobby (Joaquin PHOENIX) prétendu roi de la nuit mais en réalité roi du "passing". En sociologie, le passing désigne la capacité d'une personne à être considérée comme membre d'un groupe social autre que celui auquel elle appartient réellement. Bobby s'est désaffilié au point de prendre le nom de sa mère et de se choisir un père de substitution en la personne du patron de la boîte dont il est le gérant. Evidemment pour que l'imposture fonctionne, le secret doit être bien gardé. En dehors de sa petite amie, Amada (Eva MENDES), personne ne sait qu'il est issu d'une famille de policiers et lui-même ne veut pas savoir ce qui se trame derrière les paillettes de sa vie d'hédoniste immature (en cela, son personnage préfigure celui de "Two Lovers") (2007). Sauf que lorsque l'heure de vérité sonne, c'est à dire lorsque les liens du sang sont mis en péril, la vie de Bobby bascule en un clin d'oeil exactement comme celle de Michael dans "Le Parrain" (1972) (modèle évident du film de James GRAY). Comme dans le film de Francis Ford COPPOLA, une scène initiatique scelle le destin du héros qui mue de "fils rebelle" à "héritier" qui doit prendre la tête d'une famille dont le père (Robert DUVALL) a disparu et dont le frère (Mark WAHLBERG) a été mis hors-jeu par sa blessure. Une mue douloureuse et payée au prix fort puisque les pertes jalonnent son parcours de plus en plus tumultueux (le point de vue subjectif de la séquence de course-poursuite sous la pluie est un must) et qu'il se retrouve seul à l'arrivée, emprisonné dans un destin qu'il avait fui et qui l'a rattrapé. James GRAY redonne ainsi au mot "lien" tout son sens, remettant en cause la réalité du libre-arbitre du héros au profit de forces qui le dépassent (ce qui est le sens de la tragédie). Et si la mafia russe qui se cache derrière les paillettes des night-clubs est montrée sans aucune complaisance, la police apparaît comme un monde dévitalisé, normatif et intolérant (la façon dont ils renvoient sa petite amie à son origine en la surnommant "la portoricaine" fait comprendre d'emblée qu'elle n'aura pas sa place dans ce monde-là).

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Matador

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (1986)

Matador

"Matador" est le cinquième film de Pedro ALMODÓVAR que je considère comme un brouillon de son futur chef-d'oeuvre, "Parle avec elle" (2002). La tauromachie évidemment est au programme des deux films mais surtout les pulsions, passions et névroses qui tournent autour de cet "art de la mise à mort". Angel (Antonio BANDERAS), l'apprenti torero est le prototype de l'infirmier Benigno Martin dont les appétits sexuels sont muselés par l'emprise de leur mère toute-puissante (vivante ou non). Une relation fusionnelle qui n'est pas sans faire penser à celle de "Psychose" (1960). L'avocate Maria Cardenal est une version psychopathologique de Lydia Gonzales, une femme masculine qui met à mort ses amants comme s'il s'agissait de taureaux afin d'éprouver l'orgasme sur leur cadavre. Une sexualité nécrophile que l'on retrouve chez Diego, mentor d'Angel et ancien torero sorti de l'arène pour blessure. Lui aussi commet des crimes pour éprouver la jouissance sexuelle et lorsqu'il ne le fait pas, il demande à Eva son amante de feindre la mort. Le fait que Angel sous l'influence de son mentor tente en vain de violer Eva fait là encore penser à "Parle avec elle" (2002) où Marco tombait amoureux d'Alicia qui lorsqu'elle était en état de mort cérébrale avait été violée par Benigno (dont tout laisse à penser qu'il aurait été impuissant face à une jeune femme consciente et active). Dans les deux cas également, la femme sert de médiatrice entre deux hommes à la relation ambigüe. Si la sublimation par l'art total n'est pas encore au programme de "Matador" dont on sent la modestie du budget également dans les scènes évoquant la tauromachie, la mise en scène est déjà très esthétique avec des costumes flamboyants et des décors souvent circulaires qui évoquent bien évidemment l'arène. Par ailleurs comme dans "Femmes au bord de la crise de nerfs" (1988), Pedro ALMODÓVAR établit des parallèles entre ses héros et ceux des films hollywoodiens avec une citation du final de "Duel au soleil" (1946). Et si "Psychose" (1960) n'est pas cité, la première scène montre un Diego se masturbant devant d'horribles scènes de meurtre tirées notamment d'un film de Mario BAVA, "Six femmes pour l'assassin" (1964) qui a contribué à fixer les codes du giallo. L'épingle à cheveux de Maria fait par ailleurs penser à celle de l'héroïne de "Titane" (2020) qui s'inscrit ainsi dans une filiation sur la transidentité et les genres qui l'accompagnent.

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Médecin de nuit

Publié le par Rosalie210

Elie Wajeman (2020)

Médecin de nuit

"Médecin de nuit" concentre tout ce qui fait l'efficacité d'un récit: la règle des trois unités (le lieu, le temps et l'action) permettant de dénouer une crise ou bien de faire basculer un destin. S'y ajoute une ambiance à la Bruno NUYTTEN et des acteurs à contre-emploi comme dans le Paris nocturne cafardeux qu'il avait éclairé dans "Tchao Pantin" (1983). Le résultat oscille entre un aspect vériste assez âpre qu'on aurait aimé voir plus développé (un homme seul face à une humanité en souffrance) et un enjeu dramatique plus artificiel. En effet en une seule nuit, Mikaël doit résoudre le chaos qui règne dans sa vie privée comme dans sa vie professionnelle et pour cela, trancher le lien toxique qui le relie à son cousin, Dimitri (Pio MARMAÏ). Belle idée en soi de relier l'aspect documentaire et l'aspect romanesque par le biais de la toxicomanie mais le réalisateur a du mal à doser, finissant par transformer son humble médecin en "vigilante" armé d'un flingue à la manière de Travis Bickle dans "Taxi Driver" (1976). Impossible de ne pas penser au film de Martin SCORSESE, à l'ambiance nocturne et poisseuse, à son anti-héros solitaire, à la rencontre avec une jeune prostituée qu'il souhaite aider, au pétage de plombs final. Mais bien évidemment la comparaison s'arrête là, le film de Elie WAJEMAN s'en tient à une trajectoire individualiste au lieu d'interroger la société dans son ensemble et les "monstres" qu'elle fabrique et transforme en héros ce qui en limite la portée. Mais l'aspect que j'ai trouvé le plus maladroit, ce sont les dialogues sentimentaux ultra clichés que Mikaël débite à sa femme et à sa maîtresse. Je ne pensais pas entendre dans un film français d'auteur du XXI° siècle des "paroles paroles" telles que "tout va s'arranger tu vas voir, je vais revenir et être là pour toi" ou bien "je n'ai jamais arrêté de t'aimer" ou bien "on va partir ensemble". Il y a donc du bon voire du très bon dans le film mais également des choses à sérieusement affiner.

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