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Articles avec #thriller tag

Serpico

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1973)

Serpico

Bien que "Serpico" soit un cran en dessous du chef-d'oeuvre qu'est "Un après-midi de chien" (1975) en ce qui concerne la tension dramatique il a en commun avec lui une histoire tirée de faits réels, un regard critique sur la société américaine, un style documentaire percutant et une figure centrale d'inadapté social porté par un Al PACINO intense. Dire que Serpico est un flic intègre qui part en croisade, tel un Don Quichotte des temps modernes contre la corruption qui gangrène à tous les étages l'institution pour laquelle il travaille est un résumé superficiel du film. Le réduire à cet aspect, c'est en effet passer à côté du personnage. Ce que Sidney LUMET filme avant tout, c'est le parcours d'un homme qui ne s'intègre pas au nom de son intégrité et qui donc de ce fait est profondément seul. Dans le film, il n'existe véritablement qu'un personnage qui est proche de lui, celui du commissaire: il symbolise le juif errant qui reconnaît en Serpico une figure christique et le pousse à assumer jusqu'au bout les conséquences de sa quête de justice et de vérité: "si nous obtenons des inculpations, il faudra que vous soyez témoin" (sous-entendu, quitte à en payer le prix). Les autres attendent de lui qu'ils se fondent dans un rôle: celui du flic ripoux qui présente bien afin de ne pas ternir l'image de la police, celui de l'époux et du père pour ses petites amies successives qui ne semblent pas imaginer pouvoir vivre par elles-mêmes. Or Serpico fait exactement l'inverse car il est incapable d'être autre chose que lui-même. Par conséquent il n'entre pas dans les cases. Son look hippie de plus en plus affirmé au fur et à mesure que les années passent (très semblable à celui de John LENNON) et son style de vie bohème détonent dans le milieu. Une des meilleures scènes du film le montre dans sa prime jeunesse participant à une soirée étudiante avec sa petite amie Leslie dont un des amis lui dit qu'elle n'est excitée que par les intellectuels et les génies. Pas étonnant qu'il ait bien du mal à croire que Serpico soit flic. A l'inverse, les ragots sur son homosexualité supposée circulent chez ses collègues de travail autant par son refus d'utiliser la violence sur les détenus que par sa culture qu'il ne cherche pas à dissimuler, y compris lorsqu'elle a des connotations efféminées. Une fois de plus, on constate que l'image est le cadet de ses soucis et que son parcours dans la police est une succession de faux pas qui l'amènent à s'aliéner à peu près tout le monde. D'autant qu'en découvrant qu'il ne peut obtenir aucun secours d'une hiérarchie qui couvre les agissements véreux de ses employés, il les balance à la justice et aux médias devenant ainsi un traître. Le film de Sidney LUMET par-delà le contexte de sa réalisation en pleine contre-culture contestataire a ainsi toujours un caractère actuel, Serpico étant un lanceur d'alerte d'avant l'ère numérique.

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Invasion Los Angeles (They Live)

Publié le par Rosalie210

John Carpenter (1988)

Invasion Los Angeles (They Live)

L'un des premiers numéros de "Blow Up" que j'ai regardé sur Arte en 2014 avait pour thème "les lunettes au cinéma" et citait largement "Invasion Los Angeles", plus précisément la scène assez géniale où John Nada (Roddy PIPER que j'ai longtemps confondu avec l'acteur fétiche de John CARPENTER, Kurt RUSSELL) découvre grâce à elles la véritable nature du monde dans lequel il vit, que l'on peut comparer, en bien plus artisanal (série B oblige) à "Matrix" (1998). Dans ce monde, la grande majorité des hommes sont asservis à leur insu par des extra-terrestres qui ont colonisé la planète en prenant leur apparence, aidés par une élite humaine qui prospère sur le dos des masses laborieuses. Celles-ci sont exploitées et manipulées à coups de messages de propagande subliminaux que la plupart ne veulent pas voir: les lunettes sont alors une métaphore de la prise de conscience comme les pilules de "Matrix". A ceci près que "Matrix" en dépit de ses prétentions intellectuelles initiales a été rapidement récupéré par l'industrie hollywoodienne et est devenu du pur divertissement alors que le film indépendant de Carpenter utilise le cerveau reptilien (au lieu du "Néo"-cortex ^^) pour livrer une satire féroce du libéralisme reaganien qui gangrène les cerveaux à la manière des aliens de "L Invasion des profanateurs de sépultures" (1956). On peut même remonter plus loin dans l'histoire des USA. Le chômage de masse et les bidonvilles ressemblent aux Hooverville de la crise de 1929 (renommés ironiquement "Justiceville" dans le film) et l'arrivée de John Nada à Los Angeles au début du film s'inscrit dans la plus pure tradition du western ("I'm a poor lonesome cowboy"). Cet homme venu de nulle part et n'ayant aucune attache est un énième avatar de "L Homme des vallées perdues" (1953) et de "Pale Rider - Le cavalier solitaire" (1985) en attendant "Drive" (2011), une figure de justicier. Il n'est pas "sans nom" mais c'est tout comme puisque "Nada" son patronyme signifie "rien du tout". Il est donc destiné à disparaître comme il est venu après avoir accompli sa mission (cathartique).

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Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Publié le par Rosalie210

Sidney Lumet (1975)

Un après-midi de chien (Dog day afternoon)

Je n'avais jamais vu ce film et je n'avais aucune idée de ce qu'il contenait. L'effet n'en a été que plus fort. Dès les premières minutes, ce qui m'a frappé, c'est qu'alors que les trois hommes n'ont encore rien fait de concret, il y a déjà écrit "loser" sur leur front: leur air hagard, leurs hésitations, la décision de l'un d'entre eux de rebrousser chemin juste avant de dépasser le point de non-retour, tout cela donne d'emblée l'impression d'un coup improvisé par des amateurs un peu paumés. Ce que la suite vient confirmer. A contre-emploi par rapport à "Le Parrain" (1972) avec son regard mouillé et embrumé, sa pâleur et ses cheveux ébouriffés Al PACINO se retrouve dans la peau d'un personnage qui a certainement inspiré Francis VEBER pour la séquence du hold-up commis par Pierre RICHARD jouant un chômeur désespéré dans "Les Fugitifs" (1986) où il accumule tant de gaffes que la police a tout le temps de se rendre sur les lieux, l'obligeant à prendre un otage en toute hâte. C'est exactement ce qu'il se passe dans "Un après-midi de chien": le braquage tourne court tant les malfaiteurs rivalisent de malchance et de maladresse et ils se retrouvent assiégés à l'intérieur de la banque par la police, le FBI, les journalistes et les badauds avec leurs otages. Le spectacle peut commencer.

C'est seulement à ce moment-là en effet que le film prend sa véritable dimension, celle qui l'ancre profondément dans son époque tout en lui donnant une portée visionnaire. "Un après-midi de chien", c'est le huis-clos caniculaire de "Douze hommes en colère" (1957) dans le bouillon de la contre-culture et sous les projecteurs du tribunal médiatique. Comme si Sidney LUMET-Henry FONDA tendait la main cette fois au Ratso de "Macadam cowboy" (1968) en lui donnant une tribune pour s'exprimer. Et pour cause! Dans cette histoire tirée de faits réels, la presse décrivait l'homme ayant inspiré le personnage de Sonny comme étant très proche du physique de Al PACINO et de Dustin HOFFMAN. Et c'est la crainte qu'il ne lui échappe au profit de son rival qui fit que Al PACINO (qui avait déjà joué pour Lumet dans "Serpico") (1973) accepta le rôle de cet homme dépassé par les événements et qui est amené à devenir le porte-voix des sans voix, ceux-ci étant admirablement symbolisés par la figure mutique et indéchiffrable de Sal (John CAZALE) qui semble emmuré en lui-même. Pourtant on apprend aussi que Sonny et lui-même sont des vétérans du Vietnam et l'on devine entre les lignes que comme Travis Bickle, ils n'ont jamais réussi à se réinsérer. Enfin la sexualité de Sonny, faite d'errance entre une normalité opprimante et une marginalité jetée en pâture aux médias est ce qui est à l'origine de son "coup de folie".

Le film, proche par son dispositif du documentaire offre une critique sociale et sociétale saisissante de l'Amérique au travers notamment de sa police, de sa justice, de ses médias et de ses valeurs morales puritaines. La disproportion flagrante du rapport de forces entre l'énorme cavalerie déployée autour de la banque et l'allure minable des deux braqueurs fait que, à l'image des otages, l'on prend fait et cause pour eux. Cette disproportion n'est que le reflet des inégalités sociales dont Sonny et Sal sont les victimes. C'est ce que met en évidence le moment où Sonny sort avec un mouchoir blanc à la main et se retrouve aussitôt braqué par des dizaines d'hommes. Lorsqu'il hurle "Attica!"* prenant la foule à témoin, il devient le porte-parole des "damnés de la terre" et il en va de même lorsque la raison de son geste désespéré est dévoilée sur la place publique. D'un côté, il est jugé, humilié, conspué, violé dans son intimité (un thème qui fait écho à l'époque paranoïaque du film et notamment à "Conversation secrète" (1974) où jouait aussi John CAZALE), de l'autre, l'homosexualité, le mariage gay et la transexualité (thème encore jamais abordé dans le cinéma en dehors des films underground) peuvent enfin s'exprimer au grand jour comme un abcès que l'on crève, Sonny devenant à son corps défendant aussi le porte-parole de cette humanité en souffrance à qui il clame son amour et qui le lui rend bien. La dimension christique de Sonny rejoint celle de Pacino qui s'est abîmé pour le rôle au point d'avoir réellement fini à l'hôpital (et d'avoir compris qu'il fallait laisser de côté quelque temps le cinéma pour sauver sa peau) alors que la fiction se nourrissant du réel et vice versa, c'est l'argent du film qui a permis au véritable Sonny de financer l'opération de sa femme trans, de même que sa lutte existentielle lui a sans doute sauvé la vie.

* Allusion à une mutinerie dans la prison d'Attica en 1971 en raison de l'assassinat d'un militant des Black Panthers par des gardiens lors d'une tentative d'évasion, le tout sur fond de racisme et de conditions de détention indignes. Le mouvement se termina dans un bain de sang (39 morts).

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La Terre a tremblé (The Shock)

Publié le par Rosalie210

Lambert Hillyer (1923)

La Terre a tremblé (The Shock)

"The Shock" ("La Terre a tremblé" en VF) est un mélodrame christique dans la plus pure tradition des évangiles. Plus exactement il s'agit d'une version contemporaine de la guérison à la piscine de Béthesda telle qu'elle est racontée dans l'Evangile selon Saint-Jean. "Lève-toi et marche!" aurait dit Jésus à un paralytique. Bien entendu, en échange du miracle, Jésus sauve/achète l'âme de l'infirme en lui faisant jurer de ne plus jamais pécher. La culture religieuse américaine fondée sur la Bible transpose cette histoire à l'époque du film, c'est à dire au début des années 20. Le péché est symbolisé par le quartier de Chinatown de San Francisco (celui-là même dans lequel sera tourné le film de Roman POLANSKI au titre éponyme), plus précisément par le "Mandarin café" tenu par une certaine "Queen Ann" (Christine MAYO, diabolique à souhait). Son homme de main est le fameux paralytique de la parabole des Evangiles. Et l'acteur prédisposé à ce type de rôles est bien évidemment Lon CHANEY qui avait déjà impressionné la pellicule avec le cul-de-jatte de "Satan" (1920) qui lui avait causé d'immenses souffrances (faute d'effets spéciaux, il jouait avec les membres inférieurs repliés ce qui les a traumatisés). Même si dans "The Shock", il a "seulement" un pied tordu et marche avec des béquilles ou est sur un fauteuil roulant, il est toujours d'une troublante crédibilité. Et il en va de même sur le plan psychologique. Car si l'on suit la parabole biblique, ses péchés sont rachetés en échange de sa guérison. Dans le film, Jésus s'incarne dans la figure d'une jeune fille pieuse, Gertrude (Virginia VALLI) dont il tombe amoureux. Cependant, non seulement la belle n'est pas libre mais elle est menacée par Queen Ann (qui a un vieux compte à régler avec son père) ce qui pousse logiquement Wilse (le personnage joué par Lon Chaney) jusqu'au sacrifice. En matière d'intensité émotionnelle se reflétant sur les expressions du visage, Lon Chaney "envoie du bois" mais il n'aurait pas pu soulever les montagnes s'il n'avait pas été aidé par un deus ex machina spectaculaire qui donne son titre au film en VF. Et comme entretemps Gertrude a goûté temporairement à la condition d'infirme et a découvert la lâcheté de son prétendant, disons qu'au final Wilse, transfiguré par sa rencontre avec le Christ rédempteur a toutes ses chances.

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Novembre

Publié le par Rosalie210

Cédric Jimenez (2022)

Novembre

"Novembre" de Cédric JIMENEZ est l'autre film à voir en ce moment au cinéma sur le sujet des attentats du 13 novembre 2015. Là où "Revoir Paris" (2021) portait un regard intimiste sur les victimes et leur reconstruction, Cédric Jimenez réalise un film d'action sobre et efficace qui s'intéresse à l'enquête et à la traque des terroristes durant les cinq jours qui ont suivi l'attentat. Son approche fait penser à "Zero Dark Thirty" (2012) de Kathryn BIGELOW notamment sur la fin qui culmine avec la spectaculaire intervention du RAID et du BRI dans la planque des derniers membres du commando à Saint-Denis. Si le spectateur est plongé en immersion durant 1h40 dans les opérations de filature, d'écoute, d'arrestations et d'interrogatoires musclés, le film a tendance à se répéter et surtout à survoler ses très nombreux personnages comme une machine bien huilée mais quelque peu désincarnée. Heureusement, il y a tout de même un aspect déterminant de cette enquête qui est creusé et qui va complètement à l'encontre de cette approche ultra "testostéronée". Il s'agit du choix de l'une des enquêtrices (jouée par Anaïs DEMOUSTIER) de s'écarter de la procédure pour se fier à son intuition, en s'appuyant notamment sur le témoignage d'une lanceuse d'alerte, Samia (Lyna KHOUDRI) qui au départ ne recueille quasiment que du scepticisme voire de la défiance au sein des enquêteurs alors qu'il va s'avérer déterminant pour parvenir à localiser Abdelhamid Abaaoud, le chef du commando terroriste. On peut déplorer de l'avoir représentée avec un foulard comme s'il était impossible que des maghrébins puissent être athées (ou juifs ou chrétiens ou bouddhistes!) ce que la principale intéressée a fait rectifier par une mention à la fin du film mais il est intéressant de voir comment cette jeune femme qui n'entrait décidément pas dans les cases a obligé la législation à s'adapter en mettant en place pour elle le statut de témoin protégé en principe réservé jusque-là aux repentis (du jihadisme).

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Le Daim

Publié le par Rosalie210

Quentin Dupieux (2019)

Le Daim

Le premier film que je vois de Quentin DUPIEUX m'a paru tout simplement brillant! Et loin de le trouver "absurde", j'y ai vu au contraire une mise en abyme de l'art cinématographique et la mise en relief de la mécanique implacable du serial killer:

1. Il est dénué d'affects comme de personnalité, d'ailleurs le film s'ouvre sur la chanson de Joe Dassin "Et si tu n'existais pas, dis-moi pourquoi j'existerais?" Comme un écho un peu plus tard sa femme lui dit au téléphone "qu'il n'existe plus".

2. Comme il est une coquille vide, son apparence devient une obsession car c'est elle qui définit sa personnalité. Le daim est une seconde peau exactement comme la veste en peau de serpent que porte Nicolas CAGE dans "Sailor & Lula" (1990) (inspirée de celle que porte Marlon BRANDO dans le titre au titre éponyme). J'ai pensé aussi au personnage de "Le Silence des agneaux" (1989) qui se fabrique un vêtement avec des morceaux de peau prélevé sur ses victimes. Comme il est immature, c'est le vêtement qui mue à sa place. Celui de Georges (Jean DUJARDIN) renvoie autant à l'aspect infantile du personnage* qu'à la sauvagerie. Ses propos sur "son style de malade" qui "bute" (on pourrait ajouter "qui flingue") prennent un double sens tout à fait savoureux.

3. Plus on avance dans le film, plus le personnage s'enfonce dans sa folie obsessionnelle et par conséquent "s'ensauvage": le daim recouvre progressivement toutes les parties de son corps alors même qu'il bascule progressivement dans la folie meurtrière (dans la sauvagerie, terme plus approprié que l'animalité proprement dite).

4. Pour pleinement "jouir" de sa toute-puissance (être le seul être au monde à porter un blouson), il a besoin d'un miroir. Comme Robert De NIRO dans "Taxi Driver" (1976) autre être solitaire en pleine dérive meurtrière, il se parle à lui-même dans le miroir (ou bien il donne une anima à sa veste lorsqu'elle est pendue en face de lui). Mais la suite ressemble davantage à "Le Voyeur" (1960) sauf que celui qui se rince l'oeil devant les images de ses crimes n'est pas celui qui tue. "Le Daim" est un monstre à deux têtes. Georges qui est mythomane se prétend cinéaste mais il est en réalité un acteur en costume, dirigé (manipulé) par sa serveuse-monteuse, Denise (Adèle HAENEL) qui l'encourage a aller toujours plus loin (ou plus près, c'est selon ^^) dans sa mise en scène sanglante et l'aide également à compléter sa peau de bête.

5. Et pour en finir avec les références cinématographiques, j'ai beaucoup pensé à un autre film avec Robert De NIRO, "Voyage au bout de l Enfer" (1978) alias "The Deer Hunter" (1978) d'autant que l'histoire se déroule dans un décor de montagnes et que des plans d'authentiques daims scandent l'intrigue. Georges avec sa panoplie de cow-boy d'opérette finit par y prendre la place du daim, c'est à dire de la cible chassée comme les héros du film de Michael CIMINO qui de chasseurs se muent en soldats avant de revenir (ou pas) dans la peau (dans le rôle) de la victime.

* Comment ne pas songer aux personnages des films de Wes ANDERSON, notamment celui joué par Owen WILSON dans "La Famille Tenenbaum"? (2002)

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Les 8 Salopards (The Hateful Height)

Publié le par Rosalie210

Quentin Tarantino (2015)

Les 8 Salopards (The Hateful Height)

Le seul film de Quentin TARANTINO que je n'avais pas vu était "Les 8 Salopards". La raison? "Il y a des têtes qui explosent" m'avait-on dit et cela avait suffi à me bloquer. En réalité, la violence est tellement exagérée qu'elle en perd tout son côté horrifique (le terme "grand-guignol" convient parfaitement au film qui est en réalité très supportable) et "Les 8 Salopards" n'est au final pas plus violent que "Pulp Fiction" (1994). Mais celui auquel il ressemble le plus est sans conteste "Reservoir Dogs" (1992), le premier film de Tarantino, comme si celui-ci avait voulu revenir aux sources*, l'habillage western en plus (d'ailleurs Michael Madsen est présent dans les deux films). Car "Les 8 Salopards" a beau être un huis-clos façon panier de crabes dans lequel tout le monde finit par s'entretuer à la manière des polars d'Agatha Christie, l'habillage est quant à lui super classe. Il y a d'abord une atmosphère très particulière: le film commence dans les grands espaces mais ceux-ci sont brouillés par le blizzard qui oblige les hommes à se confiner d'abord dans une diligence puis dans la mercerie de Minnie où se déroule la majeure partie de l'intrigue. A cette photographie (bi)polaire vient s'ajouter la bande originale composée par Ennio MORRICONE qui lui valut sur le tard l'Oscar de la meilleure musique de film et qui donna enfin à Quentin TARANTINO l'occasion de travailler avec son compositeur de prédilection. Ensuite, si le film comporte des longueurs et est un poil trop bavard, il reste néanmoins assez jouissif grâce à une mise en scène maîtrisée qui lorgne ouvertement du côté de Alfred HITCHCOCK. Ainsi lorsque le Major Warren (Samuel L. JACKSON) pénètre dans la mercerie, il se focalise (et la caméra également) sur des indices (un bonbon orange coincé entre deux planches de parquet et un bocal de bonbons manquant sur l'étagère) qui permettront plus tard au spectateur d'anticiper les événements. Il en va de même avec une diligence garée près de la mercerie que l'on retrouvera plus tard, preuve que chaque détail a son importance et que le film des événements se reconstitue comme un puzzle dans lequel chaque pièce s'emboîte parfaitement avec les autres. Par delà l'aspect ouvertement ludique du film, c'est (une nouvelle fois) la question du racisme qui est au coeur de l'histoire et le film pourrait tout à fait s'appeler "la revanche du major Warren", sa principale antagoniste étant la tueuse manipulatrice Daisy Domergue (Jennifer JASON LEIGH de plus en plus tuméfiée et peinturlurée au cours du film, certains pensent que c'est un hommage à "Carrie au bal du diable" (1976), moi je pense que c'est surtout un moyen -très efficace au demeurant- de dissimuler son visage lifté).

* "Réservoir Dogs" et "Les 8 Salopards" ont tous deux pour modèle avoué par Quentin Tarantino le désormais classique film d'horreur de John CARPENTER, "The Thing" (1982) et pour mieux enfoncer le clou, son acteur fétiche, Kurt RUSSELL joue l'un des principaux rôles dans "Les 8 Salopards" sans parler du trait d'union effectué par Ennio MORRICONE compositeur de BO inoubliables pour les westerns de Sergio LEONE mais aussi du film de John CARPENTER.

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L. 627

Publié le par Rosalie210

Bertrand Tavernier (1992)

L. 627

Après l'avoir vu, j'ai compris pourquoi "L.627" faisait partie des films les plus importants tournés par Bertrand TAVERNIER et était devenu une référence. En effet celui-ci accomplit avec l'aide précieuse de Michel ALEXANDRE, ancien policier spécialisé dans le trafic de drogue un film qui colle à la réalité du terrain sans que pour autant cette démythification du boulot de flic, inhabituelle dans le cinéma français ne provoque l'ennui. En fait je pense que beaucoup de fonctionnaires peuvent y reconnaître leurs propres conditions de travail façonnées par les coupes budgétaires: locaux inadaptés ou vétustes, système D pour se procurer les fournitures essentielles (et encore, le film ne parle pas des pénurie de savon et de PQ dans les WC), manque de véhicules fonctionnels (la scène de la fuite d'essence que les policiers ont bien du mal à faire reconnaître pour ce qu'elle est est un cas d'école) et salaires visiblement insuffisants (puisque l'un d'eux complète ses revenus en filmant des mariages). A ce manque flagrant de moyens financiers viennent s'ajouter la passion française pour la paperasserie administrative inutile (des rapports que personne ne lira jamais), pour les stages totalement déconnectés du réel (l'un des flics est un bleu qui, dépassé par les situations qu'il est amené à vivre et par les réactions de ses collègues passe son temps à dire "qu'on ne lui a pas appris ça") et pour "la culture du chiffre" qui confine à l'absurde. Le boulot de ces flics est en effet un travail de Sisyphe, condamné à la répétition pour un butin dérisoire. Mais comme il faut néanmoins afficher des résultats, chacun se débrouille comme il le peut, bien souvent en dehors de la loi (elle aussi déconnectée des réalités du terrain). Le film met particulièrement en évidence le rôle des indicateurs et les relations forcément complexes qui se nouent entre eux et les flics. En échange de renseignements sans lesquels il leur serait impossible d'agir, ceux-ci deviennent leurs protecteurs voire leurs fournisseurs, n'hésitant pas à prélever une partie de la marchandise confisquée pour ceux qu'ils appellent les "cousins". On voit même se nouer une relation trouble faite de séduction et de tendresse filiale entre Lulu (Didier BEZACE) qui est investi à 100% dans son métier au point d'en négliger ses proches et une prostituée toxicomane, Cécile (Lara GUIRAO). Eux aussi sont dépeints avec un grand réalisme (social et médical), parfois éprouvant. Mais si Lulu est le personnage principal, les membres de son équipe sont également importants, chacun ayant sa personnalité propre sans lequel le film n'aurait pas le même relief. J'ai particulièrement apprécié les touches d'humour qui constituent des respirations salutaires pour les flics comme pour le spectateur.
 

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Astrid et Raphaëlle (saison 3)

Publié le par Rosalie210

Laurent Burtin et Alexandre de Seguins (2022)

Astrid et Raphaëlle (saison 3)

"Astrid et Raphaëlle" qui en est à sa troisième saison se bonifie d'année en année et je me réjouis de son succès qui est tel d'ailleurs que France 2 a décidé de ne plus diffuser qu'un seul épisode au lieu de deux à partir du 16 septembre 2022, histoire de faire durer le plaisir... et l'audience. Succès qui n'allait pas de soi. Les "buddy cop movies" déclinés en films de cinéma ou en séries télévisées sont été longtemps une affaires d'hommes avec bastons et explosions à la clé (qui ne se souvient pas de "Starsky et Hutch, les chevaliers au grand coeur mais qui n'ont jamais peur de rien"?). "Astrid et Raphaëlle" a beau évoluer dans le milieu très balisé de l'enquête policière à boucler en moins d'une heure chrono par épisode (multiplié par 8), il n'en reste pas moins que son principe relève du domaine du "rendez-vous en terre inconnue". Mettre sur le devant de la scène deux femmes possédant une véritable personnalité (c'est à dire qui ne sont pas réduites à leur genre, auxquelles on peut donc s'attacher et s'identifier de façon universelle) s'avère extrêmement vivifiant. Entre Raphaëlle, l'impulsive rebelle et garçon manqué qui se cache encore pour fumer comme une adolescente attardée prise en faute et Astrid, la jeune femme autiste asperger qui combat à ses côtés autant pour l'aider à résoudre les enquêtes que pour se faire une place au soleil au milieu des neurotypiques, on ne s'ennuie jamais. La finesse avec laquelle ces deux personnages sont dépeintes et interprétées (par Lola DEWAERE et Sara MORTENSEN) ainsi que la dynamique de leur relation est sans aucun doute la clé du succès de la série. Celle-ci bénéficie également lors de cette troisième saison d'intrigues souvent à double détente que je trouve mieux ficelées et également mieux reliées à l'histoire personnelle des enquêtrices, en particulier d'Astrid. Des images mentales telles que le labyrinthe au plafond (comme l'échiquier dans "Le Jeu de la dame") (2019) ou les photos de baisers nous font entrer visuellement (comme le fait un autiste) dans ses pensées pour y découvrir par quel chemin sinueux elle parvient à conjuguer son atypie avec un concours d'entrée dans la police ou avec un amour naissant. Sa passion pour les énigmes prend alors un sens plus profond qu'un simple intérêt restreint. On appréciera d'autant plus le clin d'oeil appuyé à "Le Silence des agneaux" (1989) dans l'épisode 4 ("la Chambre ouverte") où celle-ci est aidée par un criminel auteur de polars et passe-muraille (joué par Stéphane GUILLON), leurs face-à face et leurs propos faisant irrésistiblement penser à ceux des personnages de Jodie FOSTER et Anthony HOPKINS (qui a d'ailleurs été officiellement diagnostiqué autiste asperger en 2014). Mention très bien également pour Valérie KAPRISKY qui a un véritable personnage à défendre, personnage qui au fil des épisodes, ne cesse de gagner en épaisseur.

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Garde à vue

Publié le par Rosalie210

Claude Miller (1981)

Garde à vue

Il y a deux films en un dans "Garde à vue" et même peut-être trois:

- Un polar (des crimes, une enquête, des flics, un commissariat, un suspect).
- Un film noir. Tellement noir d'ailleurs qu'avant d'être exposé à la lumière, les visages de Martinaud (Michel SERRAULT) et de sa femme Chantal (Romy SCHNEIDER dans son avant-dernier rôle) restent dans l'ombre lorsqu'ils apparaissent pour la première fois. Une grande partie de l'enjeu du film consiste à éclairer leurs zones d'ombre. Film noir également par le fait que les deux membres de ce couple s'apparentent aux stéréotypes du genre: l'homme faible et la femme fatale (et vénale).
- Une étude de moeurs, celle d'une bourgeoisie de province que l'on pourrait qualifier de décadente. Cet aspect est fondamental dans le film. Le personnage de Martinaud se définit d'abord par son statut social. Il est notaire et se faire donc appeler "maître Martinaud", il a un beau smoking (on est le soir de la Saint-Sylvestre), de l'argent, des biens, une belle femme. Mais tout cela est à double tranchant. Si dans un premier temps, cela en impose d'autant que l'homme a l'arrogance de sa caste et de l'éloquence au point qu'il donnerait presque l'impression à certains moments de renverser les rôles et de prendre le contrôle du commissariat, on s'aperçoit au fur et à mesure que le film avance que cette apparence respectable cache des secrets inavouables qui pourtant finiront par être mis sur la table. C'est d'ailleurs davantage comme des métaphores du secret que comme des images réalistes que je perçois les flashs mentaux qui ponctuent le film (un bunker, un bois, un couloir, une porte qui se ferme, un phare). Ce renversement de situation donne aux policiers une occasion en or de prendre une revanche qui est aussi sociale. Le huis-clos du commissariat se transforme alors en ring de boxe dans lequel Martinaud se retrouve pris en étau entre les mains du rusé inspecteur Gallien (Lino VENTURA) qui le malmène psychologiquement et du rustre inspecteur Belmont (Guy MARCHAND) qui le rudoie physiquement. C'est à ce moment-là qu'on se souvient du premier film de Claude MILLER, "La Meilleure façon de marcher" (1975) dans lequel deux moniteurs développaient une relation trouble et cruelle placée sous le sceau du tabou. Il règne la même ambiance trouble et cruelle dans un "Garde à vue" qui aurait pu aussi s'appeler "Une exécution ordinaire" à une époque où la peine de mort était juste en train d'être abolie en France. Outre l'excellence de la mise en scène, du scénario et de l'interprétation (le mano à mano intense de Lino Ventura et de Michel Serrault est resté dans les annales, valant au second le César du meilleur acteur), la qualité des dialogues signés de Michel AUDIARD (percutants mais au service des personnages et non pour faire mousser leur auteur) est également à souligner.

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