Hirokazu KORE-EDA ne manque pas d'ambition, ni d'audace. Il a voulu changer de son registre habituel (le film intimiste sur la famille) pour un thriller judiciaire dans lequel il interroge néanmoins toujours autant les institutions de son pays. Jamais autant que dans ce film, celles-ci ne semblent avoir été plus construites sur du sable, pour ne pas dire sur du vent. L'accusé de "The Third Murder" est en effet proprement insaisissable. Une vraie "coquille vide" comme il le dit qui n'arrête pas de changer sa version des faits et qui tel un miroir, renvoie les images, les projections que chacun se fait de lui ou plutôt de ce qu'il représente. Car le film fonctionne comme une mise en abîme en nous mettant en garde contre la véracité de ce qui est donné à voir: si les premières images indiquent qu'il est le tueur, d'autres images plus tardives mettent en doute ce postulat à peu près au moment où lui-même finit par prétendre qu'il n'a pas tué. On n'arrive plus alors à démêler le vrai du faux, ce qui est l'objectif du réalisateur: nous faire douter voire nous perdre dans un grand labyrinthe d'images trompeuses.
Ceci étant, je n'ai pas été pleinement convaincue par ce procédé aux ramifications si absconses et complexes qu'il finit par noyer tous les enjeux dans un océan d'illisibilité et d'abstraction que ce soit la dénonciation de la peine de mort, la démonstration du machiavélisme des procédures judiciaires, l'exploration de la part de mystère et d'ombre en chacun de nous, la mise en évidence des injustices sociales, de l'exploitation de l'homme par l'homme, de la corruption, du sexisme, de l'inceste, bref de tout ce qui peut mener à l'homicide. A force d'emprunter des pistes comme autant d'images et de les brouiller entre elles, aucune n'est creusée ce qui laisse un sentiment de frustration et de vide. Mieux aurait valu en rabattre sur l'ambition et rester à hauteur d'homme. Et non d'ectoplasme servant de support à une démonstration brillante certes mais un peu vaine parce que manquant d'incarnation en dépit d'acteurs émotionnellement impliqués.
" Depuis des siècles, nous torturons et pendons. En quoi cela nous a-t-il avancés? Qu'avons-nous appris?" Un film qui se pose de telles questions ne peut que susciter mon approbation. Se débarrasser des criminels n'a jamais fait progresser l'humanité, c'est juste un moyen de se défausser du problème sans rien faire pour le résoudre (ça me fait penser à l'insupportable phrase de Manuel Valls sur le fait qu'il ne fallait pas chercher à expliquer les attentats djihadistes, expliquer c'était déjà excuser, ah ah ah, elle est bien bonne celle là!) En effet, outre que la peine de mort n'est qu'un commode exutoire servant à masquer les questionnements que chacun peut se poser sur la part d'ombre qui est en lui, le risque d'erreur judiciaire (les institutions créés par l'homme étant aussi imparfaites que lui) devrait à lui seul empêcher cet acte indigne de toute société dite "civilisée".
C'est justement le sujet du "Temps sans pitié" de Joseph LOSEY: une course contre la montre pour sauver la tête du jeune Alec, accusé à tort du meurtre de sa petite amie (pour impliquer au maximum le spectateur, on connaît l'identité du meurtrier dès la première séquence) et condamné à la pendaison dans les 24h. Une condamnation du même type que celle de l'Affaire Dreyfus, c'est à dire basée sur des préjugés: un alcoolique fils d'alcoolique ne peut faire qu'un coupable idéal. Mais le père d'Alec refuse cette fatalité. Bien qu'atteint au dernier niveau par son addiction, il va se battre pour faire innocenter son fils.
Ce qui m'a frappé dans ce film, c'est sa façon très osée (même aujourd'hui) de mettre en pièces l'institution familiale patriarcale. Il fallait oser faire du personnage principal, David Graham, le père d'Alec (Michael REDGRAVE) une épave humaine à peine capable de tenir sur ses deux jambes et aussi jusqu'au-boutiste dans l'autodestruction que le héros de "The Wrestler" (2008) de Darren ARONOFSKY (même s'il ne se fait pas au final rejeter de la même manière). Il fallait oser faire de la respectable Honor Stanford, épouse typique de l'American way of life (Ann TODD) une femme tyrannisée par son mari et attirée par un homme qui pourrait être son fils (certes, leur relation reste platonique mais elle affirme tout de même son désir et l'embrasse: c'est beaucoup déjà). Il fallait aussi oser faire du mari, Robert Stanford (Leo McKERN) un tyran infidèle et un criminel incapable de contrôler ses nerfs, aussi misérable que David Graham. Il fallait oser enfin faire de leur fils adopté Brian (Paul DANEMAN) le "traître" de ses parents.
L'histoire de Joseph LOSEY, obligé de s'exiler hors des USA à cause de ses sympathies communistes explique sans doute beaucoup l'aspect subversif et engagé de son film (le premier tourné en Europe qu'il signe sous son vrai nom). Mais en plus de toutes ces qualités, c'est un thriller haletant dans lequel un homme au bout du rouleau consume ce qui lui reste d'existence pour faire en sorte que son fils ne le suive pas dans la tombe. Soit exactement l'inverse des familles toxiques dans lesquels les enfants sont tués par leurs parents (et tout particulièrement par celui qui a le plus de pouvoir, le père). Là ce sont les pères coupables qui meurent pour leurs enfants, soit un monde enfin remis à l'endroit.
En dépit du changement d'époque, du changement de lieu, du changement de contexte par rapport à "M le Maudit" (1931) réalisé vingt ans plus tôt, "M", son remake réalisé par Joseph LOSEY, montre que l'histoire se répète. On assiste en effet dans les deux cas à la montée en puissance du fascisme dans une société démocratique, avec un intense climat de paranoïa propice à la délation, à la chasse à l'homme et au lynchage avec une persécution des artistes trop libres, n'ayant bien souvent que le choix de l'exil. Peu de temps après avoir tourné "M", Joseph LOSEY est en effet contraint de quitter les Etats-Unis pour l'Europe afin d'échapper à la chasse aux sorcières du maccarthysme qui l'avait blacklisté en raison de ses sympathies communistes. Il est d'ailleurs étrange que Fritz LANG qui n'appréciait pas l'idée que son chef d'oeuvre fasse l'objet d'un remake n'ait pas vu le parallélisme entre sa situation au début des années 30 et celle de Joseph LOSEY au début des années 50. Dommage pour lui.
Toujours est-il qu'après avoir été longtemps éclipsé par son illustre aîné, "M" a aujourd'hui refait surface et c'est tant mieux. En effet la version de Losey, tout aussi sinon même plus contrainte par la censure que celle de Lang parvient néanmoins à l'égaler en puissance tout en s'inscrivant dans un cadre plus réaliste et plus moderne dans la lignée des films noirs américains et non plus dans celle de l'expressionnisme allemand. Les personnages évoluent en effet avec la fluidité des plans-séquence dans les décors naturels de la ville de Los Angeles qui sont remarquablement utilisés pour isoler le tueur du reste de la ville ou au contraire lui permettre de s'y fondre. L'influence de la psychanalyse a aussi un impact sur le portrait qui est fait du tueur qui apparaît moins comme un dément incapable de comprendre l'origine de ses pulsions que comme une victime passe-partout de ses parents dans son enfance et d'une société normative qui cautionne les violences infra-familiales tant qu'elles servent à maintenir l'ordre. Car oui, "M" a beau dater des années cinquante, son aspect le plus intimiste est lui d'une brûlante actualité lorsqu'on écoute la confession finale d'un tueur qui est ramené au niveau de ses victimes. En effet en ces temps de libération de la parole, il est plus que jamais nécessaire de comprendre que c'est le déni des violences subies dans l'enfance qui fait le lit des violences de l'âge adulte.
Je continue mon exploration de la filmographie de Joseph LOSEY avec ce méconnu et brillant "Deux hommes en fuite" qui montre que celui-ci est aussi à l'aise pour filmer des affrontements physiques et psychologiques dans des lieux clos et étroits que dans les grands espaces tout en conservant à ceux-ci l'allure d'une prison (mais à ciel ouvert). Le caractère volontairement abstrait du film qui voit deux fugitifs lutter contre un hélicoptère qui les traque sans répit m'a fait penser autant à "Duel" (1971) qu'à "La Mort aux trousses" (1959) (pas seulement à cause de la scène de l'avion mais aussi par le caractère géométrique des paysages filmés d'en haut). Si "Deux hommes en fuite" est antérieur au film de Steven SPIELBERG, nul doute que le contexte de guerre froide dans lequel se situe celui de Alfred HITCHCOCK l'a inspiré. Car bien que n'étant jamais contextualisé (on ne connaît ni l'époque, ni les lieux de l'action, ni les raisons qui ont conduit les protagonistes a être privés de liberté, ni comment ils se sont évadés), l'imaginaire collectif ne peut absolument pas manquer le fait que les paysages traversés et les scènes d'action spectaculaires se réfèrent à l'histoire des guerres menées par les USA telles qu'elles ont été illustrées par le cinéma. C'est particulièrement frappant dans les premières scènes qui se réfèrent au western crépusculaire que dans celle où les deux hommes rampent au sol au beau milieu d'une végétation enflammée par leur ennemi, scène qui nous immerge en pleine guerre du Vietnam. La fin, glaciale, fait penser aux échanges d'espions de la guerre froide avec cette frontière au milieu d'un versant de montagne enneigé derrière laquelle se déploient des soldats armés qu'on est en droit d'identifier à l'URSS.
Par ailleurs, le paradoxe du film de Joseph LOSEY c'est que tout en confinant à l'abstraction, il met en scène plus que jamais l'instinct animal de l'homme. Les deux fugitifs (joués par Robert SHAW et Malcolm McDOWELL), tels des bêtes traquées sont engagées dans une lutte à mort qui semble sans issue pour leur survie immédiate mais aussi pour leur avenir. Leurs dissensions liés à l'âge, au milieu social, à leurs différences de valeurs (on apprend quand même quelques éléments de leur vie à travers leurs conversations) ne sont tout de même pas assez fortes pour les séparer et alors qu'au début ils étaient dans une vulnérabilité totale par rapport à leur poursuivant et ses sbires, ils acquièrent peu à peu des armes qui leur permettent de donner le change à ce monstre qui les surplombe et les écrase.
Ce qui me frappe après avoir revisionné "Black Swan" que j'avais vu à sa sortie au cinéma c'est le problème de la distance au sujet. Lorsqu'il en est trop éloigné, le film est souvent froid voire clinique et parfois ennuyeux à force de détachement. Trop proche, on est au contraire aspiré par un maelstrom d'émotions mais on est pas davantage en empathie avec le personnage car on est projeté en lui (je devrais dire même dévoré par lui) ce qui rend toute altérité impossible. Là on est dans la seconde catégorie. Je n'en peux plus de cette Nina qui envahit l'espace à tel point qu'elle ne laisse exister personne d'autre dans le cadre. D'un bout à l'autre, il n'y a qu'elle, vue sous toutes les coutures, reflétée à l'infini par une ribambelle de miroirs et de portraits ou projetée sur les autres danseuses. Sans parler du fait que Nina (Natalie PORTMAN) est elle-même une projection de sa mère (Barbara HERSHEY), ancienne danseuse restée dans l'ombre qui la maintient dans une emprise glaçante. Quoique Thomas Leroy (Vincent CASSEL), le prof qui tel dieu le père fait et défait les carrières d'un geste de la main et abuse ou brise ses jolies poupées n'est pas mal non plus dans le genre. Ce narcissisme est terrifiant. Comment pourrait-on être touchée par quelqu'un qui se regarde à ce point le nombril et ne voit en autrui que d'autres moi. C'est à proprement parler monstrueux. Mais c'est justement cela qu'est Nina: un monstre. Comme son cousin de "Whiplash" (2014), autre film symptomatique (d'une culture et d'une époque) qui confond l'art et le sado-masochisme, elle est prête à se faire saigner ou bien à saigner à mort pour être seule dans la lumière à la recherche d'une perfection inaccessible autrement que dans la folie et la mort. Nina n'est en fait même pas une image, c'est un mirage.
Oublions l'emballage de série B, les invraisemblances, l'identité secrète de Joseph LOSEY qui chassé des USA par le maccarthysme réalise son premier film britannique sous le nom de Victor HANBURY, "La Bête s'éveille" est un film puissant qui m'a pris aux tripes comme peu de films l'ont fait depuis bien longtemps, je ne peux que souscrire à la critique qui qualifie ce drame "d'incandescent". Et au titre en VO bien sûr, encore plus parlant qu'en VF qui est résumé ainsi dans le film "En chacun d'entre nous sommeille un tigre qui ne demande qu'à s'éveiller" (une variante bien connue est la devise de la saga Harry Potter "Ne jamais chatouiller un dragon qui dort"). En effet de quoi parle "La Bête s éveille" (1954)? De pulsions refoulées rugissant derrière les barreaux des cages sociales et morales qui ne demandent qu'à être libérées. Et quand elles le sont... et bien on oublie que le film date de 1954. Il pourrait dater de 2021, cela serait pareil. Car celui qui décide d'ouvrir la cage aux tigres est un psychiatre avant-gardiste (Alexander KNOX) qui se prend un peu pour Dieu le père ou le docteur Frankenstein. Autrement dit il pense pouvoir jouer avec le feu (la loi, l'ordre mais aussi les désirs) en gardant le contrôle de la situation, sans s'y brûler les ailes. En fait il ne se les brûle pas tant que ça (les ailes) et apparaît plus manipulateur que père bienveillant (il occupe toujours une position de supériorité agaçante genre donneur de leçons, affiche un masque de froideur distancié en toutes circonstances et observe son (ses?) sujet(s?) comme un entomologiste observerait des insectes). En revanche ce qui se passe entre le petit voyou qu'il accueille chez lui et son épouse dont la façade bourgeoise bien-pensante cache des tourments inavouables est assez dévastateur. Une scène résume bien l'ambiance, celle où Glenda (Alexis SMITH) embarque Frank (Dirk BOGARDE dont c'est la première collaboration avec le cinéaste) dont elle est passionnément éprise dans des courses-poursuites effrénées avec les forces de la loi et de l'ordre dans lesquelles elle joue non avec le feu mais avec la mort. On pense à "La Fureur de vivre" (1955) d'autant que bien qu'ayant une personnalité bien différente de James DEAN et étant plus âgé, Dirk BOGARDE donne beaucoup d'intensité à son personnage.
Comme son labyrinthe de miroirs, "La Dame de Shanghai" est un film déroutant dans lequel Orson WELLES s'amuse à brouiller les pistes. C'est une aventure pleine de chausse-trappes dans laquelle les éléments d'exotisme foisonnent (croisière aux caraïbes, quartier chinois de San-Francisco) et sont pourtant démentis par des gros plans sur des bestioles vénéneuses renvoyant à l'atmosphère trouble qui règne à bord du huis-clos du bateau avec ces gros plans sur des visages parfois grimaçants et en sueur. Michael O'Hara (joué par Orson WELLES) définit très bien les relations entre les personnages: ce sont celles de requins sur le point de s'entretuer. Même si l'on reconnaît les ingrédients du film noir, les motivations des personnages sont si nébuleuses que l'on s'y perd. Et c'est volontaire comme le souligne le célébrissime dénouement du film dans la salle des miroirs qui démultiplie l'image de la femme fatale aux cheveux coupés courts, de son mari infirme et du pseudo amant sauveur. A moins qu'il ne fasse éclater ces archétypes justement, de la même façon qu'il sacrifie la longue chevelure flamboyante de Rita HAYWORTH. Car au-delà de la mise en scène éblouissante et de l'atmosphère malsaine (mais vraiment très malsaine) que distille le film, celui-ci tourne en dérision les illusions tournant autour de la princesse en détresse et de son chevalier servant. La première scène fonctionne presque comme une parodie de sauvetage tant le chevalier est mou et sa princesse peu effrayée par la situation dans laquelle elle se trouve. Mais lui y croit, il est même complètement aveuglé. La suite montre comment ce chevalier se retrouve pris au piège dans un ménage à quatre particulièrement glauque puis accusé de meurtre sans parvenir à se dépêtrer de la fascination qu'exerce sur lui la belle Elsa. Laquelle passe son temps à lui demander de "l'emmener" quelque part, continuant à jouer le rôle de la pauvre fille impuissante alors que tout dans son regard et son attitude trahit qu'elle est le véritable cerveau d'une vaste mascarade dans laquelle elle se joue des hommes avant de les manger.
On pourrait longtemps méditer avec un tel film sur le fait que l'on échappe pas à ses démons où que l'on aille, que la prétendue rationalité de l'homme moderne n'est qu'une pellicule qui dissimule les instincts les plus barbares ou bien que la vieille Europe et ses croyances les plus archaïques se sont exportées jusqu'au coeur du Manhattan le plus futuriste. Bref "Rosemary's Baby" qui appartient à la trilogie des appartements maléfiques de Roman POLANSKI (entre "Répulsion" (1965) et "Le Locataire") (1976) est tout simplement une allégorie de l'enfer. Son succès se situe au croisement des tourments personnels et récurrents du réalisateur et de ceux de l'Amérique qui connaît à partir de la fin des années 60 une vague de désenchantement et de paranoïa dont le cinéma se fait l'écho. On y voit une jeune femme d'apparence tout à fait équilibrée, Rosemary (Mia FARROW) basculer dans un monde parallèle cauchemardesque à partir de ce qui semble être la prise d'une drogue administrée par ses voisins dont les attentions se transforment rapidement en intrusion puis en possession, le tout avec la complicité d'un mari dont tout indique qu'il a vendu son âme au diable (John CASSAVETES). Bien entendu, l'ambiguïté sur la nature du mal qui ronge Rosemary reste entière tout au long du film: est-elle victime d'un complot organisé par une obscure secte sataniste qui veut s'emparer de son enfant pour ses rituels sanglants ou bien rejette-elle tout simplement son bébé à naître? Quelle que soit la réponse, il est frappant de constater combien la mise en scène distille l'angoisse et suggère un paranormal ancestral tout en établissant un parallèle éclairant avec les démons contemporains des USA. Les potions de sorciers du Moyen-Age renvoient aux drogues hallucinogènes qui faisaient alors fureur, l'attitude de Guy qui se dit athée (alors que Rosemary fait figure de madone catholique) renvoie au démon de la réussite (ou comment devenir un winner en signant un pacte méphistophélique), les satanistes peuvent renvoyer aux communistes mais ils font surtout penser aux nazis qui ont été généreusement accueillis sur le sol américain dans l'après-guerre et se sont joint à leurs copains du Ku Klux Klan, eux aussi amateurs de paganisme identitaire et de rituels sanglants aux relents parfois occultes.
"Spring Breakers" est un film qui m'a beaucoup marqué lorsque je l'ai vu l'année de sa sortie. J'ai d'ailleurs eu grand plaisir à le revoir sur Netflix en constatant qu'il était toujours aussi bien fichu. Pour résumer, "Spring Breakers" est un trip halluciné aux couleurs clinquantes et fluorescentes, un film hypnotique scandé par des rimes visuelles (les séquences clippées façon MTV ou rap bling-bling, le retour à la réalité dans le bus) et sonores (les flingues qu'on recharge, le bruit des détonations, le mantra "Spring Breakers pour la vie") qui raconte la virée de quatre filles prêtes à tout pour rompre avec la monotonie de leur quotidien et faire durer le plaisir. Plaisir consistant surtout à transgresser les limites et à se défoncer de toutes les manières possibles. Le film nous abreuve donc dans un premier temps d'images d'orgies de drogue, d'alcool et de sexe jusqu'à ce que qu'après avoir été arrêtées pour le braquage qui a payé leurs vacances, les filles tombent sous la coupe d'un caïd de la drogue (joué par James FRANCO) armé jusqu'aux dents ^^ mais paradoxalement tendre qui paye leur caution et les prend sous son aile, les menant de plus en plus loin dans sa vie de gangster, du moins celles qui sont prêtes à aller jusqu'au bout de la nuit avec lui. Les autres font demi-tour et connaissent une redescente douloureuse qui s'apparente à un sevrage. Film toxicomaniaque, "Spring Breakers" souligne d'une manière troublante une jeunesse américaine schizophrène. Côté pile, l'univers Disney dont les actrices sont issues, côté face, ces mêmes actrices se dévergondant en mode bimbo dans ce qui s'apparente à un carnaval trash. le spring break est en effet aux USA ce moment de relâche après les examens du printemps où les étudiants partent s'éclater au soleil de Floride avant de retourner au monde réel.
Chef d'oeuvre du film noir hollywoodien des années quarante, "Les Tueurs" se distingue tout d'abord par sa construction en flash-backs. Ceux-ci permettent de reconstituer peu à peu le puzzle du parcours tragique de Ole Anderson surnommé "le suédois" (Burt LANCASTER dont c'était le premier rôle au cinéma), ex-boxeur à la main brisée qui pour les beaux yeux d'une femme fatale manipulatrice (Ava GARDNER) connaît une vertigineuse déchéance teintée de masochisme. En effet il repousse systématiquement les perches qui lui sont tendues ce qui accentue le caractère fataliste de sa destinée. "Les Tueurs" se distingue aussi par ses contrastes d'atmosphère. D'un côté le monde de la vie, lumineux et réaliste incarné par l'agent d'assurances Jim Reardon (Edmond O BRIEN) et l'inspecteur Sam Lubinsky (Sam LEVENE) qui a épousé l'ex petite amie de Ole Anderson au temps où il était boxeur, Lilly (Virginia CHRISTINE). Dans une scène-clé du film, celle-ci tente de se soustraire à la soirée du milieu louche dans lequel Ole veut l'introduire, soirée au cours de laquelle il rencontre Kitty. Celle-ci est aussi brune que Lilly est blonde et la similitude des consonances de leurs prénoms souligne paradoxalement leur caractère antinomique: la première représente le ciel (d'ailleurs le logement qu'elle partage avec Sam donne sur un toit-terrasse) alors que la seconde est en revanche un aller direct pour l'enfer. Le monde des truands sur lequel elle règne est filmé la plupart du temps en intérieur et/ou de nuit avec des éclairages expressionnistes directement issus de l'ère du muet qui soulignent à quel point ce monde de vices représente les pulsions refoulées de l'être humain. Enfin "Les Tueurs" se distingue par l'excellence de son interprétation avec là encore deux trajets opposés. Le personnage de Burt LANCASTER dont on ne devine pas tout de suite les traits, son visage étant noyé dans la pénombre au début du film pour signifier à quel point il est anéanti s'éclaire peu à peu alors qu'à l'inverse celui de Ava GARDNER commence sous les sunlights et finit par s'effacer dans la nuit noire.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.