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Articles avec #thriller tag

Mulholland Drive

Publié le par Rosalie210

David Lynch (2001)

Mulholland Drive

En revoyant "Mulholland Drive" je me suis dit qu'il faudrait un jour parler du "bleu Lynch" exactement de la même façon dont on parle du "bleu Klein". Comme nombre d'autres cinéastes, David LYNCH est aussi peintre et coloriste et la couleur occupe une place déterminante dans ses récits, spécifiquement les couleurs primaires, bleu, jaune et rouge. Si un film comme "Blue Velvet" (1985) annonçait la couleur si j'ose dire en tapissant littéralement le décor, dans "Mulholland Drive", le bleu n'apparaît que par touches mais la symbolique est la même, sauf que le terrier du lapin d'Alice n'est plus le conduit d'une oreille nécrosée mais une boîte bleue ne s'ouvrant qu'avec une clé de même couleur et aspirant la caméra dans les ténèbres. De l'autre côté du miroir, une autre clé, d'un modèle différent mais de la même couleur apparaît. Clé, serrure, rideau, velours, boîte (dont l'intérieur ressemble à une scène miniature), tunnel et même la perruque bleue du dernier plan, tout cela renvoie à la fois à l'inconscient, à la sexualité féminine et au monde du spectacle, les trois thèmes inextricablement entrelacés de "Mulholland Drive".

"Mulholland Drive" pousse cependant plus loin que nombre de films de David LYNCH sa logique de dédoublement tout en rendant quasiment impossible de distinguer ce qui relève du rêve, du jeu ou de la réalité, sauf lorsque le jeu est mis en abyme sur une scène, qu'elle soit matérialisée par un plateau de cinéma, une scène de théâtre ou le bureau d'un producteur. David LYNCH va même jusqu'à révéler au cours d'une séquence que ce que le spectateur prend pour la réalité n'est qu'une répétition en vue d'une audition. Il n'a besoin pour cela que d'élargir le cadre afin que l'on puisse apercevoir le texte entre les mains des actrices, révélant ainsi au spectateur les ficelles de cet art d'illusionniste qu'est le cinéma. Mais par-delà son caractère assumé de méta-film qui explique en partie son aura auprès de la critique cinéphile professionnelle qui adore le cinéma quand il se prend lui-même pour sujet (il suffit de voir la place privilégiée dans les classements qu'occupent "Le Mépris" (1963) ou "Vertigo") (1958), le film opère un brouillage des identités tel entre Betty (Naomi WATTS révélée par le rôle) et Rita (Laura Elena HARRING) qui de l'autre côté du miroir se nomment respectivement Diane et Camilla qu'il suggère dans le fond qu'elles sont parfaitement interchangeables. L'amnésie est une belle métaphore pour suggérer l'absence d'identité propre des actrices hollywoodiennes, contraintes si elles veulent réussir de se laisser modeler par tout un monde de décideurs uniformément masculin qui s'agite en arrière-plan du film (réalisateur, producteur hommes de main mafieux etc.) La référence à l'actrice Rita HAYWORTH rousse dans "Gilda" (1946) qui devint ensuite blonde aux cheveux courts pour son mari réalisateur dans "La Dame de Shanghai" (1947) est explicite, de même que la brune qui se change en blonde se réfère sans le dire à "Vertigo" (1958) lui aussi fondé sur le mythe de Pygmalion. Cette inégalité entre les hommes qui tirent les ficelles dans l'ombre et des femmes starifiées au premier plan mais instrumentalisées rejaillit sur les relations qu'elles ont entre elles. Relation que l'on croit longtemps complice voire fusionnelle alors que le jeu de pouvoir inhérent à leur féroce mise en concurrence par les hommes transforme cet amour narcissique en haine meurtrière. L'envers du rêve hollywoodien symbolisé par une Betty au sourire béat et aux yeux émerveillés devient alors le cauchemar d'une Diane dépressive, alcoolique et rongée par la souffrance jusqu'aux portes de la folie et du suicide.

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Minority Report

Publié le par Rosalie210

Steven Spielberg (2002)

Minority Report

La dernière chose qui reste en possession d'un être humain après qu'on lui ait tout enlevé, c'est son libre-arbitre, c'est à dire sa capacité de décision quelles que soient les circonstances. Mais cela présuppose d'accepter que l'avenir ne soit pas écrit d'avance. Or la prédestination, le déterminisme (ou la fatalité) est une croyance qui a la vie dure tant il s'avère tentant de remettre son destin entre les mains d'une entité autre que soi-même (qu'elle se nomme dieu, hasard, destin ou bien plus prosaïquement chef d'Etat, gourou, mentor ou même ses propres émotions et pulsions non contrôlées par la volonté) ce qui permet de se débarrasser de la responsabilité de sa propre vie et des choix que toute personne est amenée à faire ("j'ai obéi aux ordres", "j'étais en colère", "c'est le destin", "c'était écrit", "c'est la conséquence de mes malheurs" etc. comme autant d'excuses pour refuser d'endosser la responsabilité de ses actes). Sur un plan politique, de telles croyances ont des effets redoutables sur les droits fondamentaux lorsqu'il s'agit de substituer des intentions supposées aux faits avérés. 

Le film de Steven Spielberg, adaptation de la nouvelle de Philip K. Dick écrite en 1956 s'inscrit dans un contexte post-11 septembre 2001 qui est explicitement affirmé par le numéro affecté à John Anderton (Tom Cruise), le 1109 et ce bien que l'action soit censée se dérouler en 2054. En effet le spectre du terrorisme islamiste international a donné corps à une volonté politique de prévenir les attentats en bafouant le droit international et celui des individus. Aux USA cela a donné la guerre "préventive" contre l'Irak en 2003 fondée sur un mensonge d'Etat et dont les effets ont été l'inverse de ceux qui étaient attendus puisqu'elle a instauré un chaos dont le terrorisme a profité pour prospérer ainsi que l'enfermement et les maltraitances sur les "combattants illégaux" sans statut légal, notamment à Guantanamo. Le "Patriot Act" signé dans la foulée des attentats a donné à l'Etat américain le moyen de surveiller la population en perquisitionnant leur domicile ou en obtenant des informations confidentielles. Dans le film, une séquence montre comment la recherche d'un suspect dans un immeuble conduit à violer l'intimité des gens. En France, il a été question dans le débat public d'arrêter les "fichés S" (suspects) à titre préventif là encore et l'Etat d'urgence a conduit à des dérives liberticides, là encore au nom de la sécurité. 

Le film de Steven Spielberg bien que s'inscrivant dans le genre de la science-fiction est donc avant tout un film politique d'anticipation recherchant le plus grand réalisme possible grâce aux pronostics d'experts dans divers domaines. Alors certes, on ne peut pas encore faire changer ses yeux ou enregistrer des films produits directement par le cerveau mais les systèmes de télésurveillance, d'appareils numériques haptiques, tactiles (ou vocaux) ou la reconnaissance faciale, rétinienne ou via les empreintes digitales sont devenus des réalités plus ou moins généralisées. Cette volonté de crédibilité permet donc de démontrer une fois de plus les dégâts de la science sans conscience et le fait qu'aucun système, aussi perfectionné soit-il n'est infaillible puisqu'il reste dirigé par l'humain et que "errare humanum est". De plus, toute cette science s'appuie sur les prémonitions des "précogs", des humains possédant des dons médiumniques ce qui renvoie bien sûr aux bons vieux oracles de l'Antiquité, indissociables du "fatum". Il s'avère que ce n'est pas la vision elle-même qui est déterminante mais son interprétation. Prises au pied de la lettre, elles amènent à emprisonner des innocents puisqu'ils n'ont pas commis de crime au moment où ils sont arrêtés. Or on découvre que ces visions ne disent pas ce qui va arriver mais ce qui pourrait arriver puisque jusqu'au dernier moment le potentiel tueur a le choix de commettre ou non son crime. Et pire encore, ces visions peuvent être manipulées par de véritables tueurs qui s'en servent pour dissimuler leurs crimes bien réels. Bref, de quoi alimenter un abîme de réflexion.

La très grande richesse et la profondeur de ce film ne doit pas pour autant faire oublier les autres qualités de Steven Spielberg, notamment son travail d'orfèvre en ce qui concerne les scènes d'action. La séquence de combat entre Tom Cruise et ses anciens collègues dans une usine automatisée de fabrication d'automobiles à la chaîne est d'une précision virtuose étourdissante qui fait penser à "Le Mécano de la Générale" de Buster Keaton d'autant que la chute de cette séquence est hautement comique "de la mécanique plaquée sur du vivant". L'influence de Stanley Kubrick est également très présente. Ainsi l'homme qui opère les yeux de Tom Cruise utilise le même appareil que l'écarteur de "Orange mécanique", autre grand film sur la criminalité et le libre-arbitre. Les références ne sont pas saupoudrées, elles sont au coeur du film et font sens.

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Looper

Publié le par Rosalie210

Rian Johnson (2012)

Looper

"Looper", troisième film de Rian JOHNSON a finalement la même qualité que son film le plus connu, le huitième épisode de la saga Star Wars: il se démarque dans un genre très balisé en offrant une proposition réellement originale (voire dans le cas de Star Wars, iconoclaste ce qui a fait grincer quelques dents). Même si ce n'est jamais avoué explicitement, il est évident que le choix de Bruce WILLIS pour jouer le rôle d'un voyageur temporel qui se rencontre lui-même plus jeune (d'où le titre, en référence à l'idée de boucle temporelle) est un hommage à "L Armée des douze singes" (1995) de Terry GILLIAM, lui-même inspiré par "La Jetée" (1963) de Chris MARKER lui-même inspiré par " Vertigo" (1958) de Alfred HITCHCOCK. Il s'inscrit donc dans une filiation. Et en même temps, il s'en démarque de par la confrontation qui s'ensuit entre les deux versions du même individu qui n'ont pas du tout les mêmes motivations et donc, pas la même influence sur le futur, y compris le leur.

Le point de départ de toute l'histoire se situe en 2044. Joe, âgé d'une trentaine d'années (et joué par Joseph GORDON-LEVITT dont le visage a subi quelques modifications hasardeuses pour tenter de le faire ressembler à Bruce WILLIS) est un tueur à gages dont les seules motivations semblent être la drogue et le fric qu'il souhaite accumuler pour refaire sa vie en France. L'herbe y semble plus verte que la société dystopique de 2044 dans laquelle il vit où la violence est endémique et dans laquelle la mafia a remplacé l'Etat voire les parents (et qui ressemble à s'y méprendre à celle de "Les Fils de l homme") (2006). Sa particularité est d'être un looper c'est à dire qu'il est chargé d'éliminer aussitôt arrivées en 2044 des personnes envoyées depuis 2074 (trente ans dans le futur) dans une machine à voyager dans le temps. Celle-ci n'existe pas en 2044 alors qu'en 2074, la mafia s'est emparée de cette technologie (déclarée illégale) pour nettoyer son linge sale car il est devenu impossible de tuer sans être repéré. Elle en particulier décidé sous la direction d'un mystérieux tyran de faire éliminer tous ses loopers par la version jeune d'eux-mêmes.

Sauf que d'être confronté à sa propre mort grippe évidemment toute la machine et fait ressurgir les sentiments humains, à l'origine par essence de comportements imprévisibles. L'introduction avec le terrible sort réservé à Seth (Paul DANO), le collègue de Joe qui parvient à se reconnaître malgré les précautions prises par la mafia pour camoufler l'identité de la victime à tuer le démontre d'emblée. Le film devient alors l'illustration de la maxime selon laquelle son pire ennemi, c'est soi-même. Alors que le Joe sexagénaire, aveuglé par sa soif de vengeance ne se rend pas compte qu'en voulant massacrer les innocents de 2044 pour empêcher son funeste futur d'advenir il va contribuer à le réaliser, le Joe trentenaire lui se penche sur les raisons qui l'ont transformé en tueur et décide de protéger la mère et l'enfant qui dans le futur est censé devenir le tyran (et dont on sait qu'il a vu sa mère mourir sous ses yeux) car il s'identifie à lui. Son objectif: arrêter l'infernale spirale de violence pour changer l'avenir. On voit donc comment un même individu avec le même objectif (empêcher les drames humains du futur) obtient des résultats diamétralement opposés selon les choix qu'il fait. Le fait qu'un même personnage puisse se rencontrer (ou bien être évoqué pour le spectateur) à différents âges de sa vie permet aussi de comprendre qu'un bourreau peut aussi être ou avoir été une victime et vice-versa. De quoi amplement nourrir la réflexion et ce n'est pas la moindre des qualités de ce film que l'on a souvent comparé à "Inception" (2009).

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Les trois jours du Condor (Three days of the Condor)

Publié le par Rosalie210

Sydney Pollack (1975)

Les trois jours du Condor (Three days of the Condor)

 "Les gens de ma génération se sont battus pour des idéaux auxquels ils croyaient dur comme fer. Quand John Kennedy a été élu, nous étions sûrs que le monde allait changer. Et nous nous sommes retrouvés à devoir digérer nos désillusions." (James Grady, ex-journaliste d'investigation et auteur du roman "Les six jours du Condor" paru en 1974 dont le film de Sydney Pollack est l'adaptation). "Les trois jours du Condor' (pourquoi a-t-il perdu trois plumes au passage de l'écrit à l'écran, mystère) fait partie de ces grands thrillers américains contestataires, paranoïaques et désenchantés emblématiques des années 70 marqués par l'assassinat de Kennedy, la guerre du Vietnam et le scandale du Watergate. Sa force est d'adopter le point de vue d'un citoyen (presque) lambda à la dégaine d'étudiant attardé façon "40 ans, toujours puceau" qui est le rouage d'une vaste machine kafkaïenne qui le dépasse, du moins au début et l'amène à devenir un fugitif traqué. Vous avez reconnu l'intrigue de "La mort aux trousses" de Hitchcock? Et bien "Les Trois jours du Condor" s'en rapproche. Sauf que Turner (Robert Redford, l'acteur engagé incontournable de ce genre et de cette époque) est tout de même un agent de la C.I.A et même s'il appartient à une antenne "intello idéaliste" qui se croit à l'abri du danger* et qui de ce fait va perdre son innocence au contact des remugles fétides d'une institution corrompue, il ne manque pas de ressources. En plus de son intégrité, de sa culture livresque en matière d'intrigues d'espionnage et de ses compétences techniques dans les télécommunications qui vont lui être très utiles, il a un oeil acéré et un esprit clairvoyant (je soupçonne d'ailleurs son surnom d'être lié à ces qualités: le condor est cet oiseau essentiel à la santé de l'écosystème chargé d'assainir l'atmosphère en faisant le ménage). Face à l'opacité d'un organisme gouvernemental tentaculaire qui n'hésite pas à utiliser des méthodes mafieuses et à sacrifier ses employés au nom d'une vision discutable de la "raison d'Etat", il ne peut s'en remettre qu'au quatrième pouvoir pour dénoncer les abus et sauver sa peau, celui-là même qui avait dénoncé le scandale du Watergate (James Grady a évidemment prêté certaines de ses compétences au héros). Et ces qualités, on les retrouve évidemment dans sa relation avec Kathy (Faye Dunaway) qui n'a rien d'anecdotique. Au contraire, les parenthèses intimistes permettent de mesurer le talent de Turner pour lire entre les lignes et comprendre donc le non-dit: telles les photos exposées de Kathy qui expriment son désert effectif, son sentiment de vide existentiel. Voir cet homme d'un romantisme absolu (en danger de mort et beau comme un dieu) débarquer chez elle pour la prendre en otage et l'embarquer dans sa quête ne peut que la faire chavirer dans une dimension parallèle certes exaltante mais éphémère car trouble et mortifère à base de violence, de danger et de mort. Et puis il y a un troisième personnage intéressant, c'est le tueur à gages Joubert (Max von Sydow) qui ressemble beaucoup au personnage de Sentenza dans "Le Bon, la Brute et le Truand" de par son flegmatisme, son caractère impitoyable, froid et méthodique mais aussi une certaine "philosophie" de vie (celle du travail bien fait) qu'il explique à Turner et qui est à l'opposé de ses valeurs.

* A juste titre, la ressortie récente du film en copie restaurée a permis de mesurer à quel point en dépit de son contexte daté, cette oeuvre n'a pas vieilli et s'avère "plastique". Elle peut tout à fait d'adapter en effet à la géopolitique actuelle. Ainsi le massacre des collègues de Turner qui a force de sonder la littérature mondiale à la recherche de fuites a fini par trouver sans le savoir un plan secret d'une unité de la C.I.A fait penser de façon troublante à celui des dessinateurs de Charlie Hebdo.

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Memento

Publié le par Rosalie210

Christopher Nolan (2000)

Memento

La mémoire qui flanche est le support de belles expériences cinématographiques. "Memento" ("Souviens-toi" en latin), deuxième long-métrage de Christopher Nolan est le film qui l'a révélé et qui contient en germe toutes ses oeuvres futures: distorsion du temps, structure cyclique et fragmentée façon puzzle, effacement de la frontière entre le réel et l'imaginaire, le vrai et le faux. Le début contient même un passage de rembobinage qui fait beaucoup penser au principe de "Tenet" lorsque la balle sort du crâne pour retourner dans le chargeur. Cependant, "Memento" tout en étant un thriller énigmatique fait surtout partager au spectateur la perception du monde du héros, Leonard Shelby (Guy Pearce) qui à la suite d'un traumatisme crânien causé par une agression souffre de troubles de la mémoire immédiate. Autrement dit, ses souvenirs postérieurs à l'agression dont il a été victime s'effacent à peine quelques minutes après qu'ils aient été vécus au présent comme le montre le générique qui utilise la métaphore de la photographie qui disparaît à peine imprimée sur la pellicule (et qui peut d'ailleurs faire penser à la durée d'exposition très brève d'un post sur les réseaux sociaux). Pourtant, Leonard n'est pas un homme sans passé puisqu'il se souvient (ou croit se souvenir) de tout ce qui s'est passé avant son agression. Et il n'est pas complètement perdu puisqu'il s'est donné une mission extrêmement simple: se venger de l'agresseur qui a tué sa femme et l'a handicapé à vie. Pour être sûr de ne pas perdre de vue son but et les faits saillants de son enquête, il les a fait tatouer à même la peau. Un moyen bien connu de se donner une identité quand celle-ci est incertaine. Et pour avoir un minimum de repères dans le présent, Shelby prend des polaroïds de sa voiture ainsi que des lieux et des gens qu'il fréquente (principalement "Teddy" et "Natalie" alias Joe Pantoliano et Carrie-Anne Moss tous deux également acteurs à la même époque dans "Matrix" qui présente certaines similitudes avec "Memento") et les annote. Néanmoins ces traces très fragmentaires s'avèrent de plus en plus sujettes à caution au fur et à mesure que le spectateur remonte le temps. Car le grand principe de "Memento"  est son montage à l'envers, chaque scène en couleur étant suivie de celle qui la précède immédiatement dans le temps. Un raccord sur quelques images identiques permet de faire le lien entre les scènes pour le spectateur. Entre chaque scène en couleur fonctionnant sur le principe d'une chronologie inversée, Christopher Nolan a inséré d'autres scènes, en noir et blanc cette fois, plus courtes et surtout qui défilent, elles, dans le sens de la marche du temps. Cette narration non linéaire est compensée par l'unité de lieu et d'action. Elle permet au spectateur de reconstituer le puzzle à la place du héros à la mémoire défaillante pour découvrir non seulement comment il est manipulé par les autres qui profitent de son handicap pour servir leurs intérêts mais aussi comment il se manipule lui-même pour répéter en boucle la mission qu'il s'est fixée, "rebootée" à peine terminée de façon à ne jamais plus pouvoir en sortir (un peu comme dans "Un jour sans fin" de Harold Ramis mais dans le registre du drame et non de la comédie). En cela, il préfigure les héros d'"Inception" et de "Interstellar" tellement pris dans la toile de leurs mondes parallèles qu'ils ont bien du mal ensuite à atterrir et à retrouver le sens des réalités.

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Gilda

Publié le par Rosalie210

Charles Vidor (1946)

Gilda

Ariane, Sabrina, Laura, Eve, Rebecca... et Gilda. Les titres de grands classiques hollywoodiens portant des prénoms de femmes (en VO ou en VF) se divisent en deux catégories: ceux qui sont axés sur la métamorphose (Ariane, Sabrina et Eve) et ceux qui tournent au contraire autour d'une icône figée pour l'éternité. Certes, contrairement à Laura et Rebecca, Gilda n'est pas un portrait qui prend vie et s'émancipe (ou continue de hanter et vampiriser son entourage). Mais elle est bien une image de cinéma, une construction fantasmatique tant elle est fétichisée à l'extrême. Gilda ce n'est pas Rita Hayworth comme elle le disait d'ailleurs elle-même amèrement. Gilda c'est une chevelure de feu (perceptible même en noir et blanc) rejetée en arrière de façon provocante, une robe fourreau de soie noire faisant ressortir la blancheur laiteuse de la peau et la silhouette sculpturale et sensuelle de la dame en train de danser et de chanter "Put the blame on mame" et enfin et surtout un long bras ganté de noir que l'autre main dénude voluptueusement, faisant passer dans l'assistance (devant et derrière la caméra) un frisson érotique dont les réalisateurs actuels feraient bien de s'inspirer tant notre époque actuelle manque d'imagination à ce niveau là. La stupidité crasse du code Hays avait un avantage: sa stupidité justement. Et comme l'érotisme est basé sur la suggestion, le sous-entendu, la subtilité, ses gardiens se faisaient souvent berner sans même sans apercevoir.

Car "Gilda" est moins un grand film noir (l'intrigue, élaborée au jour le jour n'est pas ce qu'il y a de plus réussi avec ses répétitions et ses incohérences) qu'un grand film tout en non-dits sur la complexité du désir et des pulsions sexuelles circulant entre trois personnages: Johnny Farrel (Glenn Ford) le voyou-gorille de service, Ballin Mundson (George Macready) son patron aux manières aristocratiques et Gilda (Rita Hayworth), incendiaire femme du deuxième et ex du premier. Une ambiance trouble s'instaure entre ces trois personnages. Ballin joue les voyeurs en s'amusant à observer derrière les fenêtres de son bureau la relation tendue et pleine de fiel (et de désir) qui s'installe entre Gilda et Johnny. Gilda passe son temps à séduire le premier venu pour que Ballin et Johnny s'intéressent à elle. Comme avec Ballin c'est visiblement peine perdue (il prétend l'adorer... mais à distance, comme un fan avec son idole), elle se donne en spectacle pour susciter de la haine et de la jalousie chez Johnny. Celui-ci l'a en effet laissée tomber et semble plus motivé par le fait de protéger les biens de son patron que par son ex-fiancée. Quant le patron disparaît, il va jusqu'à prendre sa place (comme il le lui avait demandé) en gérant ses biens et épousant sa femme pour mieux la délaisser à nouveau tout en la faisant surveiller d'une façon maladive. Une bien étrange attitude pleine de paradoxes, tel cet amour-haine qu'il voue à Gilda et cette dévotion trouble vis vis de Ballin, lui-même pas très net. La scène de rencontre entre les deux hommes dans laquelle Ballin tire Johnny d'un mauvais pas à l'aide d'une canne-épée est d'un symbolisme aussi évident que le gant retiré à la manière d'un bas de soie sur une jambe parfaitement galbée.

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Astrid et Raphaëlle (saison 2)

Publié le par Rosalie210

Laurent Burtin, Alexandre de Seguins (2020)

Astrid et Raphaëlle (saison 2)

Alors, quel bilan tirer de la saison 2 de "Astrid et Raphaëlle" diffusée à raison de deux épisodes hebdomadaires entre mi mai et mi juin 2021? Qu'elle se situe dans la continuité de la saison 1 avant tout. Les intrigues policières font la part belle au mystère et à l'occulte, ça fonctionne plus ou moins bien selon les épisodes et les guest stars (l'exhumation de Gérard MAJAX créé un certain choc près de cinquante ans après "Le Grand blond avec une chaussure noire" (1972), on voit également apparaître Pierre PALMADE, Louisy JOSEPH, Emilie DEQUENNE etc.) mais ce n'est franchement pas ça qui fait l'intérêt de cette série. Celle-ci repose avant tout sur la relation de son duo complémentaire d'enquêtrices, la très rentre-dedans Raphaëlle (Lola DEWAERE) aux méthodes peu orthodoxes et la décalée Astrid (Sara MORTENSEN) qui est autiste asperger. Par rapport à la première saison, Astrid apparaît beaucoup plus intégrée et impliquée dans les enquêtes de la brigade criminelle ce qui met en lumière le principal problème qui en résulte: l'épuisement psychique, symbolisé par une jauge mesurée avec des haricots. Quand celle-ci est épuisée, Astrid est en situation de burn-out, la quantité d'énergie dépensée pour supporter l'univers neurotypique s'avérant colossale (très bien soulignée avec le bruit et l'agitation du commissariat qui s'oppose aux sous-sol des archives de la documentation criminelle dans lequel se trouve le QG d'Astrid). La relation entre les deux femmes paraît également plus équilibrée sur le plan affectif, la saison 2 insistant plus sur ce que Astrid apporte à Raphaëlle alors que cette dernière connaît des turbulences sur le plan familial et sentimental. Astrid elle-même montre davantage ses émotions et s'adapte mieux aux situations sociales y compris stressantes sous l'effet d'une meilleure estime/connaissance d'elle-même, de la perte de son tuteur qui l'a rendue indépendante, de l'amitié de Raphaëlle et des sentiments qu'elle éprouve pour le neveu du commerçant japonais chez qui elle fait ses courses, Tetsuo Tanaka. Le rapprochement avec cette culture très pudique, codifiée à l'extrême et peu tactile est très bien vu. Mais la série n'est pas angélique pour autant, le nouveau statut d'Astrid ne repose sur rien de légal et se retrouve donc menacé, posant un défi pour la prochaine saison.

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Les Passagers de la nuit (Dark Passage)

Publié le par Rosalie210

Delmer Daves (1947)

Les Passagers de la nuit (Dark Passage)

"Les Passagers de la nuit" est le troisième (et avant-dernier) des quatre films dans lesquels le couple formé par Humphrey BOGART et Lauren BACALL a joué. Bien que Delmer DAVES soit moins connu que Howard HAWKS et John HUSTON, sa filmographie comporte plusieurs pépites dans le domaine du film noir (comme ici) ou celui du western (j'aime particulièrement "La Flèche brisée" (1949) et "La Colline des potences") (1958).

"Les Passagers de la nuit" est une assez mauvaise traduction du titre en VO, bien plus proche du sens du film. Celui-ci raconte en effet un voyage au bout de la nuit à travers l'itinéraire d'un faux coupable (thème cher à Alfred HITCHCOCK) qui doit changer de peau et d'identité, bref se réinventer pour espérer avoir un avenir. Film non-réaliste, "Les Passagers de la nuit" fonctionne comme un éprouvant cauchemar dans lequel le sol ne cesse de se dérober sous les pas du héros, Vincent Parry qui après avoir été injustement condamné et s'être évadé semble attirer sur lui la poisse sous toutes ses formes, chacun de ses mouvements lui valant d'avoir un fâcheux à ses trousses ou un nouveau mort sur les bras (dont il est accusé évidemment puisqu'on ne retrouve à chaque fois que ses seules empreintes près du corps). Quelques personnes en revanche agissent comme des anges gardiens, la plupart faisant office de deus ex machina. Ils apparaissent et disparaissent comme par enchantement tels le taxi qui lit l'histoire de la personne sur les visages et le chirurgien esthétique chargé de lui refaire le portrait. S'y ajoute Irène, autre genre de portraitiste (Lauren BACALL qui abrite le fugitif pendant sa métamorphose et la parachève en lui donnant un nouveau nom. Vincent Parry doit donc accepter (et le spectateur aussi) pendant la moitié du film d'être un fantôme privé de visage puis de voix. Le film est connu pour être un des premiers à avoir utilisé le procédé de la caméra subjective qui fait que le spectateur est mis à la place du héros dont il ne voit que les mains. Lorsque sa tête est recouverte de bandages et qu'il ne peut plus parler, on est carrément dans un mix de "L Homme invisible" (1933) et du "Le Fantôme de l opéra" (1925) en version muette. Le fait que la reconstruction du personnage ne puisse se faire que dans la clandestinité puis dans l'exil est un thème récurrent des films de Delmer DAVES qui dépeint souvent des hommes marginaux et vulnérables.

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Tenet

Publié le par Rosalie210

Christopher Nolan (2019)

Tenet

J'ai longtemps hésité avant de me décider à regarder "Tenet", j'avais eu de mauvais échos mais l'envie de me faire ma propre idée du film l'a emporté. Hélas, je n'ai pas été emballée et j'ai même fini par ne plus du tout m'intéresser à ce qui se passait à l'écran. Il m'a fait penser à une version ratée de "Inception" (2009). Dans les deux cas il s'agit de films basés sur un concept de distorsion du temps dont le déploiement permet de montrer des scènes d'action spectaculaires se déroulant à un rythme soutenu avec un effet labyrinthique donné par un montage complexe. Mais "Inception" était charpenté par une véritable histoire avec des enjeux à hauteur d'homme et le casting était de haut niveau. "Tenet" repose lui sur un scénario simpliste et archi-rebattu: sauver le monde de l'apocalypse et son casting est franchement médiocre (même si pour l'anecdote, c'est amusant de retrouver une partie des acteurs de "Harry Potter et la coupe de feu" (2005) quinze ans plus tard, Clémence POÉSY et Robert PATTINSON). Le "héros" tout comme "le méchant" (rien que ces mentions soulignent là aussi le manque d'ambition quant à la caractérisation des personnages) manque cruellement de consistance, il n'est que le rouage d'une machine qui semble être la seule raison d'être du film. Sauf que plus celui-ci avance, plus il devient confus à force de vouloir faire cohabiter dans un même plan deux temporalités antagonistes (un temps présent s'écoulant à l'endroit et un temps présent s'écoulant à l'envers). Confus et répétitif de surcroît puisque la deuxième partie du film revient sur les scènes déjà vues, partiellement remontées à l'envers. Pour humaniser un peu son film, Christopher NOLAN a ajouté l'histoire de la femme du méchant, Kat (Elizabeth DEBICKI) qui cherche à sauver son fils, Max de l'apocalypse programmé par son père. Cette intrigue souligne l'incohérence foncière du personnage de Andrei Sator (Kenneth BRANAGH) condamné par un cancer lié à ce qui s'apparente aux conséquences de la catastrophe de Tchernobyl et qui a de ce fait sombré dans le nihilisme mais qui a quand même fait un enfant. Il me semble que lorsqu'on veut détruire l'humanité en anéantissant le temps, on ne se perpétue pas. Le "paradoxe du grand-père" évoqué dans le film consistant à se détruire soi-même en détruisant le passé ne trouve d'ailleurs pas davantage de réponse satisfaisante. Sinon que Sator est russe et que pour nombre de blockbusters américains ratés*, être russe est une explication en soi. Comme le disait Sting dans les années 80 à propos de la menace nucléaire liée à la guerre froide "J'espère que les russes aiment aussi leurs enfants". Visiblement Christopher NOLAN nous a pondu un film avec les fantasmes américains de cette époque -les années 80- vis à vis des soviétiques "relooké" en film des années 2010. C'est ce qui s'appelle un retour en arrière. Mais pas au bon sens du terme.

* Ce n'est pas la première fois que je remarque qu'un film de Christopher NOLAN véhicule des idées conservatrices voire réactionnaires. Ca m'avait déjà frappé dans "Batman - The Dark Knight Rises" (2012).

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La Chasse (La Caza)

Publié le par Rosalie210

Carlos Saura (1965)

La Chasse (La Caza)

Troisième film de Carlos SAURA, "La Chasse" est fondé sur un effet cocotte-minute d'une redoutable efficacité. Comme plusieurs de ses films ultérieurs, il s'agit d'un huis-clos à ciel ouvert, sorte de fosse aux lions dans laquelle sont jetés en pâture quelques anciens combattants franquistes reconvertis dans le civil en chasseurs de lapins. Sauf que l'histoire du lieu ressurgit au travers du squelette d'un ancien soldat républicain découvert au fond d'une grotte (dont le site est parsemé) et que la métaphore de la chasse aux lapins (accusés comme les rats de se reproduire en masse) devient alors limpide. Si on ajoute la chaleur écrasante, les nombreux motifs de dispute entre les chasseurs soi-disant amis mais en réalité pleins de frustrations voire de haine les uns vis à vis des autres (il y a notamment Paco, celui qui a réussi qui attise les rancoeurs de la plupart des autres), le nombre d'armes au mètre carré et l'abus d'alcool, toutes les conditions sont réunies pour un cocktail explosif. "La Chasse" fonctionne comme une piqûre de rappel pour les jeunes générations nées après la guerre (représentées par le jeune Enrique, beau-frère de Paco et Carmen, fille de Juan). Même si pour des raisons évidentes, la guerre civile espagnole n'est évoquée que de façon cryptée, le résultat est très éloquent. D'une part la métaphore animale tourne à plein régime avec le principe de la proie (le lapin) et du prédateur (chasseurs/chien/furets) montré de façon très concrète, très organique. Aucun détail ne nous est épargné dans la façon pas toujours très propre dont ces bêtes sont mises à mort puis sont cuisinées sans parler d'une scène de découpage d'un agneau façon boucherie qui n'est pas innocente non plus. De l'autre, Carlos SAURA établit habilement des ponts entre la chasse à l'animal et la chasse à l'homme en montrant que Luis, José et Paco ne sont finalement que des mâles dominants en rivalité les uns avec les autres pour les femmes et l'argent. Le quatrième larron, Juan, un ouvrier agricole taiseux dont le patron est José est mis à l'écart de la compétition virile à cause de sa pauvreté et de son handicap (il boîte ce qui pour cet amateur du darwinisme social qu'est le super winner Paco relève de l'insupportable). Le jeu de massacre de "La Chasse" préfigure évidemment celui de "Anna et les loups" (1972) qui fonctionne sur les mêmes principes. D'ailleurs il y a même un piège à loups dans "La Chasse". On peut ajouter que plusieurs acteurs du films seront dans les suivants comme Alfredo MAYO (Paco) dans "Peppermint frappé" (1967) ou José María PRADA (Luis) dans "Anna et les loups" (1972).

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