Ce passionnant documentaire diffusé en 2018 sur ARTE et disponible en DVD brise l'idée reçue sexiste selon laquelle "L'homme créé, la femme procréé" et analyse les mécanismes sociaux et culturels qui ont entraîné la raréfaction et l'invisibilisation des femmes dans le deuxième art. La sculpture occidentale est le fruit d'une société patriarcale qui a donc défini dès l'antiquité le rôle passif de la femme dans l'art. Celle-ci devait se cantonner à un rôle de muse ou de modèle c'est à dire d'inspiratrice, le créateur étant forcément masculin. Le judéo-christianisme en identifiant le divin au père a encore davantage ancré dans les mentalités cette répartition des rôles au point que des œuvres parfois très connues créées par des femmes ont été attribuées à des hommes ou bien sont longtemps restées dénuées de "paternité" et pour cause puisque le patriarcat est également inscrit dans le langage et que celui-ci structure la pensée. Enfin les préjugés liés aux différences biologiques ont décrété que la sculpture était une technique artistique trop "physique" pour les femmes ce qui s'est avéré être une absurdité.
A ce conditionnement mental, il faut ajouter une discrimination sociale qui s'est doublée au XIX° d'une discrimination juridique avec le code Napoléon à la suite duquel les femmes ont été interdites aux Beaux-Arts. Le poids des moeurs catholiques a joué un rôle important dans cette interdiction. Même lorsque les femmes ont été admises aux Beaux-Arts en 1897 à la suite de l'action d'une sculptrice, Hélène Bertaux, il est resté compliqué pour une femme artiste (non mariée la plupart du temps ou veuve) de croquer des nus masculins ou de gagner le prix de Rome qui impliquait d'aller séjourner à la villa Médicis au milieu des hommes. Enfin un préjugé tenace tendait à ne pas prendre les femmes au sérieux, leur activité artistique étant considérée comme un simple passe-temps.
Enfin, le film analyse également comment l'histoire écrite par les hommes a effacé les femmes artistes, leurs œuvres sombrant dans l'oubli ou étant attribuées à des artistes masculins. Il fait donc un travail considérable de réécriture historique pour redonner aux femmes leur juste place dans la création artistique. Il ne se contente pas de sortir des noms de l'oubli mais il les resitue dans leur contexte historique par ordre chronologique et analyse en détail plusieurs œuvres fascinantes dont voici quelques exemples:
- Le bas relief de Joseph et la femme de Putiphar de Properzia de' Rossi conservé dans la basilique de San Petronio à Bologne est une œuvre du XVI° de la plus ancienne sculptrice dont le nom ait été conservé grâce à Giorgio Vasari. On y voit une femme qui tente de retenir l'homme qu'elle désire pour l'entraîner dans son lit: une expression particulièrement directe du désir féminin libéré de toute entrave!
- La Pythie qui se niche dans le foyer de l'opéra Garnier est une œuvre de Adèle d'Affry qui pour échapper aux préjugés liés au genre a tout comme George Sand signé ses œuvres d'un nom masculin, Marcello.
- La gracieuse et androgyne Psyché sous l'empire du mystère de Hélène Bertaux bouleverse la représentation du corps féminin longtemps accaparée par les hommes tout comme l'expression du désir.
- Camille Claudel est l'une des rares sculptrices aujourd'hui célèbre mais ses œuvres n'ont pas atteint le degré de notoriété de celles de Rodin. Elles se caractérisent par leur déséquilibre qui exprime bien son tourment intérieur, notamment la poignante sculpture de l'âge mur où elle voit partir pour toujours l'homme qu'elle aime.
- Enfin les monumentales nanas colorées de Niki de Saint Phalle ont valeur de manifeste histoire de donner aux femmes la visibilité dont elles ont été privées dans l'espace public.
L'effet miroir du "Plombier", téléfilm réalisé par Peter WEIR en 1979 est implacable. Une expérience d'ethnologie décentrée très instructive. L'ethnologie n'est en effet en aucune façon une science neutre. Elle s'est constituée au XIX° dans le contexte de la colonisation européenne de l'Afrique, de l'Asie et de l'Océanie quand l'homme blanc s'est mis à vouloir étudier les populations étrangères "primitives" avec lesquelles il était entré en contact, lui-même se concevant comme "évolué". Poursuivant sa passionnante réflexion sur l'histoire de son pays, Peter WEIR déconstruit cet ethnocentrisme en déplaçant le clivage racial sur le terrain de la lutte des classes et en inversant les rôles. C'est la jeune intellectuelle occidentale arrogante qui devient l'objet d'étude du frustre plombier. Le résultat est éloquent:
- L'ethnologie est insidieusement intrusive. Tout en prétendant se faire discrète, elle s'impose chez ceux qui n'ont rien demandé, prend ses aises et finit par envahir leur espace vital, préparant ainsi le terrain aux colonisateurs à qui elle sert de justificatif. De fait Jill supporte de moins en moins la présence de Max dans sa maison, celui-ci s'avérant extrêmement bruyant et ne cessant de sortir de son rôle pour lui demander des services ou tout simplement pour discuter. De plus, loin de réparer la tuyauterie de la salle de bains, il la déglingue un peu plus à chaque nouvelle intervention ce qui préfigure les méfaits des central Services dans "Brazil" (1985). A plusieurs reprises dans le film, Jill et Max s'affrontent sur la notion de propriété privée. Jill accuse Max d'envahir son territoire mais il lui rétorque que l'immeuble qui l'emploie est autant à lui qu'à elle. La salle de bains devient un terrain symbolique d'affrontement puisqu'en la rendant invivable et ouverte à tous les vents, il prend le dessus sur elle.
- La maison, déjà traitée par Peter WEIR comme une métaphore de l'identité de celui qui l'habite dans "La Dernière vague" (1977) permet à Max de se faire une idée de Jill à partir de ses propres préjugés de classe ce qu'elle ne supporte évidemment pas. L'ethnologue prétendument ouverte aux autres vit quasiment recluse chez elle et quand elle en sort, c'est pour se limiter à un étroit périmètre. Délaissée par son mari, Brian qui ne pense qu'à sa carrière, elle néglige son apparence et est complètement dévitalisée sexuellement, ce que ne manque pas de remarquer Max avec la lotion pour cheveux qu'utilise Brian ou encore la statuette indigène dotée d'un énorme membre viril en érection qui traîne chez elle. Celui-ci, plutôt bien pourvu en cheveux et en testostérone se pose en ouvrier viril face à des intellos forcément dépourvus du moindre sex-appeal. A l'inverse, le préjugé de classe de Jill se manifeste d'abord lorsque Max la provoque en lui disant avoir fait de la prison pour viol avant de se rétracter. Puis lorsqu'il la pousse à bout, elle l'humilie en corrigeant devant son amie une faute de langage puis en le traitant "d'ouvrier", trahissant ainsi son complexe de supériorité. Enfin elle le chasse en le faisant accuser de vol, un réflexe classique de la bourgeoisie qui pour tester son "petit" personnel laisse traîner des objets de valeur ou des bijoux à sa portée, voire même les dissimule dans ses affaires. Le plus malhonnête des deux n'est en effet pas celui que l'on pense.
"La Confusion des sentiments" est une adaptation télévisuelle datant de la fin des années 70 de la célèbre nouvelle (que l'on qualifie aussi de court roman) de Stefan Zweig. Celle-ci dépeint avec une rare justesse les tourments d'une passion interdite alimentée par des désirs aussi violents que refoulés qui entretiennent une atmosphère d'érotisme électrique. Si l'image a beaucoup vieilli et aurait eu besoin d'une restauration lors de son transfert en DVD, force est de constater que Etienne PÉRIER a rendu justice à l'écriture d'orfèvre de Stefan Zweig tout en modernisant quelque peu son oeuvre. Il est amusant que certains aient cru bon de préciser dans leur critique qu'il ne s'agissait pas d'un film gay. Pourtant en dépit du personnage frustré et provocant de la femme du professeur c'est bien le désir homosexuel qui est au coeur du film aussi bien au niveau des dialogues que des images. La caméra devient l'œil et l'âme du professeur qui se pâme devant la musculature supposée d'Hamlet qu'il ne peut imaginer "gras" ou les statues de jeunes éphèbes grecs semblables au corps de l'élève qu'il désire, qu'il ne peut s'empêcher d'entrevoir ou d'imaginer nu ou demi-nu et dont il n'est séparé que par une fragile porte qu'il espère de toutes ses forces voir s'ouvrir. Il en va de même avec des lignes de dialogues dont le contenu est sans ambiguïté ("Je n'ai rien contre les mauvais sujets, au contraire"; "Quand l'amitié atteint ce degré d'exaltation, est-ce encore de l'amitié?"; "Je vais vous faire apporter un lit où le professeur viendra vous border"). Comme dans le livre, chaque élan est suivi d'un retour de bâton plongeant l'élève un peu plus dans la confusion, le professeur soufflant le chaud et le froid, non parce qu'il joue avec lui mais parce qu'il est déchiré entre ce qu'il voudrait désirer (une communion d'esprit avec Roland, une amitié qui serait socialement acceptable) et ce qu'il désire réellement (une fusion charnelle). Et que dire de l'interprétation! Michel PICCOLI comme Stefan Zweig épouse les moindres frémissements de son personnage dévoré par les tourments de sa passion impossible « Il faut revenir à des sentiments de chair, de passion, de vie ! Il n’y a plus de belles histoires que l’on raconte. Et, La Confusion des sentiments en est une justement. Avec trois personnages, d’une intégrité, d’une pureté, d’une rigueur, d’une intensité de vie exceptionnelle (…) c’est la beauté des sentiments.» (Michel PICCOLI à propos de "la Confusion des sentiments".)
"La colline aux mille enfants" est un téléfilm remarquable qui a reçu une dizaine de prix dont un Emmy Award aux USA en 1996. Il faut dire qu'il n'est pas signé par n'importe qui. Jean-Louis Lorenzi n'est autre que le fils de Stellio Lorenzi, scénariste et réalisateur de télévision dont les œuvres souvent historiques se sont inscrites dans une certaine conception du service public, humaniste et engagée. C'est dans cette tradition que s'inscrit également l'œuvre de Jean-Louis Lorenzi.
L'histoire est basée sur des faits réels. Durant l'occupation, un village protestant des Cévennes, le Chambon-sur-Lignon s'est mobilisé sous la houlette de son pasteur André Trocmé (renommé dans le film Jean Fontaine et interprété par Patrick RAYNAL) pour sauver des persécutés, principalement des enfants juifs. Avec l'aide d'autres associations religieuses, notamment américaines, ils les ont entre autre cachés, aidés à fuir en Suisse et leur ont fournis de faux-papiers. Il faut dire que le village avait une solide expérience de la résistance à l'oppression. Ses habitants étaient les descendants des Camisards, ces protestants des Cévennes qui, après la révocation de l'édit de Nantes en 1685, avaient résisté aux exactions des dragons de Louis XIV et à la conversion forcée en cachant leurs pasteurs et en continuant à célébrer des cultes dans des endroits isolés. Par la suite le village se fit un point d'honneur à accueillir des réfugiés de guerre comme les alsaciens en 1914 ou les républicains espagnols à partir de 1936. En 1971, le village et d'autres communes voisines ont été honoré collectivement par le titre de "Juste parmi les nations" décerné par le mémorial de Yad Vashem ainsi que nombre de leurs habitants à titre individuel.
Le film, tourné partiellement sur les lieux des événements (le reste a été tourné dans le Gard) est bien plus qu'une simple reconstitution historique. Il donne vie aux personnages, tous remarquablement brossés et interprétés. L'affrontement idéologique, spirituel et psychologique entre le pasteur Fontaine et le commissaire Vitrac (Jean-François GARREAUD) est particulièrement intense car les deux personnages sont complexes. Le pasteur est un homme entier et impulsif, une faiblesse dont compte bien se servir le commissaire qui le harcèle sans relâche pour le faire tomber de son piédestal. Celui-ci est au contraire un animal à sang-froid aussi courtois que machiavélique. Son comportement aussi obsessionnel qu'ambigu envers le pasteur fait penser à celui de Javert envers Jean Valjean. De même, les habitants ne sont pas tout d'une pièce, pas plus que les juifs recueillis (dont on rappelle au passage la diversité des origines: polonaise, allemande, hollandaise mais aussi française). Le choc culturel est illustré par la cohabitation entre Frédéric le lycéen parisien de bonne famille un peu snob (joué par un tout jeune Guillaume CANET) et le jeune paysan qui l'héberge avec sa petite sœur. Autre confrontation électrique, celle entre la redoutable Emilienne (Dora DOLL) et Paulo, un jeune hollandais irréfléchi et irresponsable. D'autant que la terre de celle-ci appartient à un maréchaliste convaincu (Fred PERSONNE) dont le fils René (joué par un également très jeune Benoît MAGIMEL) est milicien.
Voici ce qu'écrivait Alice Miller à propos du processus de répression des émotions de l'enfance: 1. L'enfant subit des offenses qui ne sont pas considérées comme telles 2. La colère lui est interdite 3. On lui impose le devoir de gratitude ("c'est pour ton bien") 4. Il doit tout oublier 5. Les affects refoulés cherchent une issue. La violence éclate sur autrui ou se retourne contre soi.
Bien avant qu'elle ait retrouvé la mémoire et publié son livre, j'avais compris qu'il y avait quelque chose qui rongeait Flavie Flament de l'intérieur, parce que cela se voyait sur son visage. A l'époque où elle était présentatrice, j'avais été frappée par le fait qu'en dépit du maquillage, du sourire et des lumières, elle semblait toujours fatiguée et angoissée, pâle et les traits tirés. Aussi je n'ai pas été étonnée lorsqu'après le suicide de David Hamilton, elle a déclaré qu'il ne lui rendrait jamais toutes "ses nuits blanches".
Le processus décrit par Alice Miller est celui qu'a vécu Flavie Flament lorsqu'elle était mineure et des millions d'autres enfants abusés par les adultes à travers le monde. Il est même exemplaire. Et il a le mérite de nous plonger le nez dans les rapports de force qui régissent nos soi-disant sociétés évoluées et libérées. Le téléfilm glaçant réalisé par Magaly Richard-Serrano en est l'illustration. On y voit une gamine qui est d'abord victime de sa mère puis d'hommes pédophiles, la première fournissant les seconds en chair fraîche.
La mère (remarquablement jouée par Léa Drucker) est au cœur du drame vécu par sa fille. C'est une femme frustrée qui fuit le vide de son existence en voulant diriger l'avenir de sa fille sur laquelle elle reporte tous ses espoirs de réussite dans le show-business. De ce fait, elle nie son individualité et manipule ses sentiments filiaux pour obtenir d'elle ce qu'elle désire par toutes sortes de pressions et chantages. A force d'insultes et de dévalorisations, elle obtient de sa fille qu'elle maigrisse, adopte une apparence aguicheuse, "racole" sur les trottoirs des Champs-Elysées ou du Cap d'Agde et pour finir, elle la jette dans les griffes d'hommes puissants sans pouvoir ignorer leurs intentions. Le dernier quart d'heure, terrifiant, dissèque les fantasmes et la méthode de David Hamilton pour parvenir à ses fins. Tel un serial killer on le voit choisir sa proie, l'attirer dans son antre, installer son emprise sur elle puis commettre son crime. Lorsqu'il se présente à poil devant la mère et la fille (méthode utilisée par nombre de photographes si on en croit le témoignage récent de Diane Kruger pour signifier "tu vas coucher contre les photos"), on voit bien celles-ci vaciller un instant. Mais l'obsession de la mère et la soumission de la fille sont trop fortes conduisant la première à trahir la seconde et à laisser commettre l'irréparable.
Cette histoire inspirée de faits réels survenus en 1974, on se pince pour y croire. Non seulement on se dit que c'était hier mais que par bien des aspects c'est encore aujourd'hui. Et pour cause, la culture du viol se défend encore très bien dans notre société marquée par le patriarcat et le machisme. Seulement 10% des femmes violées portent plainte. Les 90% restant se taisent, en 2017. Par ignorance, par peur, par honte.
Si on en est encore là aujourd'hui, on imagine ce que cela devait être en 1974. Pourtant mai 1968 était censé avoir libéré les mœurs. Mais visiblement il y avait deux poids, deux mesures selon que l'on était un homme ou une femme. Un couple de lesbiennes naturistes l'a appris à ses dépends. Parce que bien sûr le naturisme est un appel au viol (il y aurait tant à dire sur les pressions exercées sur les femmes en matière vestimentaire) et le lesbianisme, une offense à la sainte virilité, justifiant l'injustifiable avec l'aide d'une société complice de la violence masculine. Une société aveugle à la souffrance des deux femmes mais qui s'apitoie sur le sort de ces "pauvres types" niant leur responsabilité, leur violence, leur sadisme et essayant de les faire passer pour des victimes. On est sidéré par le nombre de scènes dans le film qui démontrent que tous les secteurs de la société sont gangrenés par cette culture du viol. L'examen gynécologique mené par des hommes de façon humiliante et inhumaine, la juge qui déforme les propos des victimes pour les faire passer pour consentantes, les familles des violeurs qui essayent de les corrompre, l'entourage qui fait pression pour qu'elles oublient, le milieu professionnel qui les rejette, tout n'est que violence.
Face à cette culture du viol qui est aussi une culture du déni, le réalisateur visiblement engagé opte pour la crudité des faits et montre sans détour les conséquences physiques (à court terme avec les traces de coup et le début de grossesse d'une des deux jeunes femmes) et psychologiques (à plus long terme avec la dépression, la paranoïa, l'isolement). Il montre aussi de façon glaçante le décalage entre l'imaginaire des violeurs et la réalité des faits. Et il s'appuie sur le courage des deux jeunes femmes qui ont osé braver la loi du silence et porter leur combat jusqu'en cour d'assises avec l'aide des féministes de l'époque dont l'incontournable Gisèle Halimi (jouée ici par Clotilde Courau). Avec pour conséquence un durcissement de la loi condamnant le viol, requalifié pour ce qu'il est: un crime.
Rien de tel que ce téléfilm (disponible en DVD) inspiré de faits réels pour mieux comprendre ce qu'a pu changer la loi légalisant l'IVG défendue par Simone Veil en 1974-75. Simone Veil alors ministre de la santé de Giscard était une des neuf femmes élues à l'assemblée nationale et a dû défendre sa loi devant un parterre de 481 hommes. De même dans le téléfilm, on voit une avocate célèbre, Gisèle Halimi (Anouk Grinberg, habitée par le rôle) plaider devant un parterre de juges exclusivement masculins.
Le procès de Bobigny en 1972 a été en effet une étape majeure vers la légalisation de l'avortement car il s'est transformé en procès de l'archaïque loi nataliste de 1920 adoptée dans un contexte de France malthusienne (les français faisaient alors moins d'enfants qu'aujourd'hui). Pour mémoire cette loi interdisait la contraception et criminalisait l'avortement. En 1967 la loi Neuwirth avait bien légalisé le recours à la pilule mais elle n'était pas remboursée rendant son accès difficile. De plus sa publicité était interdite et l'éducation sexuelle était inexistante. Par conséquent en 1972 comme le rappelle Gisèle Halimi seules 8% des femmes y avaient recours dont 1% seulement dans les classes populaires.
Lorsque l'on regarde ce téléfilm, on découvre une France où l'héritage de mai 68 n'a pas encore infusé dans l'ensemble de la société et où les inégalités sociales sont criantes. Le poids du catholicisme est toujours aussi oppressant, désignant de sa vindicte toujours les mêmes cibles: les "filles-mères" des classes populaires. Sandrine Bonnaire joue le rôle de l'une de ces mères célibataires ayant les plus grandes difficultés à joindre les deux bouts, vivant en HLM avec ses trois filles dont l'aînée tombe enceinte à la suite d'un viol. On découvre à cette occasion l'hypocrisie et l'injustice de la loi de 1920 qui fonctionne à deux vitesses: "l'angleterre pour les riches, la prison pour les pauvres", non sans avoir auparavant risqué sa vie ou son intégrité physique entre les mains d'avorteuses clandestines.
C'est contre la barbarie de cet ordre moral et social que se battent les féministes Gisèle Halimi et Simone de Beauvoir avec leur association "Choisir". Le téléfilm rappelle à l'aide d'images d'archives les manifestations du MLF, le manifeste des 343 "salopes" (qui déclarent avoir avorté sans avoir été inquiétées car célèbres ou riches) et la forte résistance de l'ordre patriarcal masculin même si le téléfilm n'est pas manichéen. Il montre certes des hommes brutaux (du petit violeur voyou au commissaire) mais aussi des médecins et scientifiques capables de faire passer l'humain avant leurs croyances idéologiques.
Ce téléfilm didactique et remarquablement interprété nous rappelle aussi que le combat contre les inégalités sexistes et sociales est loin d'être fini et que ses acquis restent fragiles face aux coups de boutoir de ceux qui veulent les remettre en cause.
Biopic du début des années 80 sur la vie de Golda Meir dont le destin se confond avec l'histoire de l'Etat d'Israël et du sionisme. Ce téléfilm en deux parties d'une durée totale de plus de trois heures offre deux intérêts principaux.
Tout d'abord ce fut le dernier rôle d'une actrice de légende: Ingrid Bergman. Celle-ci était déjà malade au moment du tournage et disparut quatre mois après à l'âge de 67 ans. Néanmoins elle offre une interprétation marquante de ce personnage dont elle nous fait ressentir la force de caractère inébranlable. Golda Meir a en effet été une femme d'une envergure politique exceptionnelle qui avant Margaret Thatcher a été surnommée "la dame de fer". Dans le reste du casting on peut souligner la présence de Judy Davis âgée de seulement 27 ans dans le rôle de Golda jeune et de Léonard Nimoy (M. Spock) dans le rôle du mari de Golda, Morris.
Le deuxième intérêt du téléfilm est son aspect didactique. Il retrace en effet toute l'histoire contemporaine du peuple juif en Palestine de la déclaration Balfour de 1917 jusqu'à l'assassinat d'Anouar El Sadate au début des années 80. Il rappelle que l'origine du sionisme réside dans les pogroms subis par les juifs d'Europe centrale et orientale (Golda Meir née en 1898 est d'origine russe et a émigré avec sa famille aux USA). Après la disparition de l'Empire ottoman en 1918, il montre les tensions entre juifs et arabes dans l'entre-deux-guerres dans la Palestine sous mandat britannique. Golda et son mari vivent alors dans un kibboutz et celle-ci fait déjà figure de frondeuse. Puis après la seconde guerre mondiale alors qu'ils ont déménagé à Jérusalem, Golda se lance dans des négociations pour permettre aux enfants d'immigrants juifs d'entrer en Palestine alors que les britanniques, craignant une guerre civile ne les laissaient entrer qu'au compte-goutte. Elle rencontre ensuite dans des conditions rocambolesques le roi de Jordanie pour le convaincre de ne pas prêter main-forte à la ligue arabe qui veut attaquer Israël dès le jour de sa création. En vain, mais elle réussit à faire lever des fonds pour l'achat d'armes auprès de la communauté juive américaine. Par la suite alors que son mariage se défait et qu'elle s'éloigne de ses enfants on voit Golda gravir les échelons, devenir ministre du travail, des affaires étrangères puis premier ministre sans renoncer pour autant à son idéal de paix avec les pays arabes voisins. Mais la question palestinienne est à peine abordée dans le téléfilm alors que c'est le principal problème qui empêche la pacification de la région. Lorsque Golda meurt en 1978, rien n'est en réalité réglé.
Inspiré de témoignages réels de soldats revenus traumatisés de l'enfer bosniaque, Warriors réalisé en 1999 pour la BBC est un téléfilm en 2 parties d'une force exceptionnelle, sorti depuis en DVD (et disponible également sur Youtube). C'est LA référence absolue sur la guerre ethnique qui déchira l'ex-Yougoslavie au début des années 90, l'équivalent d'un Voyage au bout de l'enfer dans les Balkans construit selon le triptyque avant/pendant/après. Le film suit le parcours de quatre jeunes britanniques dont la vie semble des plus ordinaires: ils vont en boîte, supportent leur équipe de foot favorite, s'apprêtent à convoler pour l'un d'entre eux. Mais en réalité, ces hommes ne sont pas si ordinaires. Tous sont des casques bleus de l'ONU en permission brusquement arrachés à leur vie quotidienne pour aller remplir une mission de "maintien de la paix" en Bosnie. Ils se retrouvent au coeur d'une guerre civile barbare entre serbes orthodoxes, croates catholiques et bosniaques musulmans (tous identiques sur le plan anthropologique, seule la religion liée à des facteurs historiques les différencie), une guerre à laquelle ils ne comprennent rien. Plus le film avance, plus il gagne en horreur et en complexité. On passe des expulsions et déportations aux massacres et aux charniers. Chaque village subit une épuration ethnique dont les principales victimes sont les bosniaques musulmans. Mais le plus grand traumatisme des soldats est lié à la nature de leur mandat: ils n'ont pas le droit d'intervenir dans le conflit (car ils ont un devoir de neutralité) et doivent donc assister aux tueries de civils sans pouvoir bouger le petit doigt pour pouvoir les sauver. Cette contradiction entre leurs élans humains (sans parler des liens affectifs qui se créent avec des habitants) et leur mission qui les contraint à l'impuissance les rend fous. Ce sont des hommes brisés, hantés qui rentrent chez eux. La deuxième partie explore longuement leur impossibilité à se réadapter à une vie normale, à reprendre leur vie d'avant comme si de rien n'était (d'autant qu'ils ne sont pas tous revenus vivants). Certains sont sidérés, d'autres font des cauchemars, d'autres se défoulent dans la violence ou ont des envies de suicide. Tous ont un profond sentiment de culpabilité. L'exploration des dégâts post-traumatiques montre que la guerre continue ses ravages bien après l'arrêt des combats. L'ONU semble être un rempart bien fragile face à la barbarie humaine et aux calculs politiques même si le constat est nuancé. La présence des soldats a attiré les médias, leurs témoignages recueillis auprès du tribunal pénal international a pu contribuer à l'arrestation des criminels et ils ont pu parfois adoucir le sort des populations déplacées, blessées...sans parler du fait que certains n'ont pas hésité à déplacer des civils pour leur sauver la vie en désobéissant à leur hiérarchie.
Un téléfilm centré sur un trio: le fils Erwin, un vieux garçon introverti, sa mère envahissante qui a un contrôle absolu sur lui et la jeune Irina qui a bien du mal à briser ce couple et à trouver sa place.
La transformation d'Erwin est au coeur du film. Une fois libéré de l'emprise de sa mère, il se prend en main et en quelques jours, quelques semaines, il accomplit le parcours que d'autres mettent des années à effectuer. La scène la plus symbolique à cet égard est celle où il retourne en Roumanie à la fin du film pour ramener Irina en Allemagne. Cette fois, il s'y rend de son propre chef et non sous l'injonction de sa mère, il est au volant de son véhicule au lieu d'être dans la position du passager et surtout, il gagne son bras de fer avec la directrice de l'agence matrimoniale qui refuse de lui donner l'adresse d'Irina.
Ce dernier obstacle "maternel" surmonté, il peut enfin fonder une nouvelle famille avec Irina.
Irina est l'héroïne type de ce genre de film. Elle représente en apparence l'antithèse d'Erwin: elle est jeune, belle, moderne, émancipée, urbaine, délurée etc. Son couple avec Erwin ressemble à celui de la carpe et du lapin ou de la belle et de la bête. Ses failles se révèlent progressivement. Elle est soupçonnée de vouloir profiter d'Erwin ce qui est caractéristique du regard que les européens de l'ouest posent sur les immigré(e)s. Surtout elle cache son statut de mère célibataire qui la fragilise dans son entreprise. Tiraillée entre le désir de dire la vérité et la peur d'être rejetée, elle finit par s'enfuir mais Erwin la retrouve et l'oblige à se dévoiler ce qui rétablit l'équilibre entre eux.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.