"La Fureur de vivre", film culte et film maudit est aussi un témoignage d'une incroyable puissance sur la fracture générationnelle des années cinquante. Cette époque fut marquée aux USA par le triomphe de l'American way of life, un modèle de société fondé sur une classe moyenne consumériste et matérialiste aux valeurs très conservatrices. C'est dans cette société qu'une nouvelle classe d'âge est apparue, celle des adolescents, se caractérisant à la fois par un pouvoir d'achat lui permettant d'affirmer une culture spécifique et un allongement de la durée des études. Une jeunesse trop à l'étroit dans les cadres normatifs des parents ce qui a expliqué son rôle essentiel dans l'avènement de la contre-culture.
C'est à cette jeunesse et à son mal-être que s'intéresse Nicholas Ray au travers des trois personnages principaux du film. Jim Stark (James Dean devenu le symbole de l'éternel ado rebelle autant par son charisme et son jeu que par sa mort prématurée peu de temps avant la sortie du film), Judy (Natalie Wood) et Platon (Sal Mineo) sont trois adolescents mal dans leur peau qui font connaissance dans un commissariat. Chacun d'eux réclame désespérément des repères que leurs parents semblent incapables de leur donner. Le père de Jim est une carpette écrasée par sa femme, celui de Judy ne sait que la rabrouer et la frapper, ceux de Platon ont démissionné et se contentent d'envoyer de l'argent à leur fils, confié aux soins d'une gouvernante.
Freud avait écrit au début des années trente "Le malaise dans la civilisation". Ce titre apparaît parfaitement approprié à une société qui n'offre que le néant à ceux qui représentent son avenir. Chaque scène culte est une représentation de ce grand désert affectif et existentiel: celle du planétarium souligne la solitude de ces jeunes et annonce la fin du monde, la course de voitures se termine dans un gouffre, la maison abandonnée est une sinistre caricature du foyer que cherchent Jim, Judy et Platon. Les figures d'adulte sont systématiquement discréditées. Soit elles sont faibles et ridicules soit elles sont brutales et répressives et souvent les deux
Pendant des années, je n'ai eu envie de revoir ce film que pour une seule séquence: celle des souvenirs de Rogue qu'Harry consulte dans la pensine. Il faut dire que lorsque j'avais lu le livre, je m'étais directement jetée sur le chapitre correspondant, Rogue étant mon personnage préféré. Et si l'adaptation cinématographique sabre des éléments essentiels comme la cause de la rupture entre Lily et Rogue, il s'agit d'un moment poignant où Alan Rickman déploie plus que jamais son talent et son charisme. En dehors de cette séquence, il y a peu de choses à sauver dans le dernier opus de la saga qui est particulièrement maladroit voire par moments, grotesque. Je pense en particulier aux tirades ridicules du pauvre Neville qui balance un prêchi-prêcha pénible à Voldemort et se déclare fou de Luna (où ont-ils été chercher cela? Pas dans le livre en tout cas) et aux interminables scènes où Daniel Radcliffe se démène en tous sens avec l'expressivité d'un bout de bois et une crédibilité proche du niveau 0. J'adore en particulier les articles qui ont qualifié son baiser avec Ginny de "frigide" car c'est exactement le mot qui qualifie son jeu. Si l'on ajoute que Ralph Fiennes n'a jamais réussi à incarner Voldemort de façon convaincante, il n'est guère étonnant que leur combat final tombe complètement à plat. Sur le plan visuel il y a quelques bonnes idées comme celle des chevaliers de pierre (et l'idée de faire de Maggie Smith leur commandante en chef est plus que plaisante) mais la bataille de Poudlard est sans relief, traitée comme un passage obligé, de même que d'autres morceaux de bravoure de la saga. Preuve quand même qu'un bon acteur peut changer la donne, la prestation des Malefoy pourtant peu présents à l'écran est marquante. Il suffit de quelques plans bien sentis pour que l'on comprenne la déchéance du père rejeté par son propre fils. Jason Isaacs et Tom Felton font passer bien plus de choses en quelques secondes que Daniel Radcliffe durant tout le reste du film. Ce qui laisse entrevoir la tragédie shakespearienne qu'il aurait pu être si tout le casting avait pu être à ce niveau.
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A l'image des critiques assez contrastées, cet avant-dernier opus de la saga d'Harry Potter toujours réalisé par David Yates est assez inégal. Si certaines séquences sont réussies, le réalisateur a bien du mal à relier harmonieusement l'ensemble et à lui donner du rythme sans parler du sens, pas toujours très clair pour ceux qui n'ont pas lu les livres (Bill Weasley qui jaillit de nulle part comme fiancé de Fleur on ne sait pas pourquoi, Lupin qu'on retrouve marié à Tonks également sans explications etc.). Il n'est pas aidé par une adaptation qui en scindant le tome 7 en deux films étire inutilement l'intrigue principale c'est à dire la quête des horcruxes. Certes, il est méritoire d'avoir voulu restituer les aspects erratiques et contemplatifs du livre. Contrairement à ce que j'ai lu ici et là, il ne s'agit pas d'une faiblesse, bien au contraire. Rowling veut s'ancrer dans un certain réalisme anti-héroïque en montrant que la quête des héros (qui s'inspire de celle des résistants prenant le maquis pendant la seconde guerre mondiale) est faite de doutes, de tensions, d'ennui, de découragement. Elle montre aussi que paradoxalement, c'est le manque de contrôle de Harry sur les événements et son acceptation qui est un facteur essentiel de sa victoire finale. Seulement Rowling mêle à cette errance des aspects qui sont évacués par l'adaptation cinématographique, en premier lieu les doutes de Harry sur Dumbledore dont la biographie fait voler en éclats l'aura de sainteté. Cette simplification abusive des enjeux jointe à la prestation toujours aussi faible des jeunes acteurs désormais seuls à l'écran explique en partie l'ennui profond que l'on ressent devant les séquences de cavale en dépit de la beauté des paysages traversés.
Reste tout de même quelques séquences très réussies, en premier lieu celle du conte des trois frères réalisée en animation d'ombres chinoises. Ensuite celles qui tournent autour du manoir Malefoy en raison de l'atmosphère terrifiante qui y règne et de l'excellence de l'interprétation y compris de Tom Felton qui est le seul des acteurs adolescents à parvenir à nous faire ressentir qu'une tragédie pèse sur ses épaules. Enfin l'infiltration du ministère si elle traîne trop en longueur a le mérite d'offrir des séquences à la Brazil et de nous débarrasser de Rupert Grint, Emma WATSON et surtout de Daniel Radcliffe, véritable boulet de la franchise. En effet grâce au polynectar ce sont d'autres acteurs qui jouent les rôles d'Harry, Ron et Hermione et cela fait très bizarre de voir Harry exprimer enfin des émotions au lieu de nous fixer avec ses yeux de veau et sa raideur de bûche.
"Harry Potter et le Prince de sang-mêlé" est le film de la saga que je préfère (si j'excepte le Cuaron qui reste indétronable à mes yeux). Il est très supérieur au cinquième film "Harry Potter et l'ordre du phénix" et ce pour plusieurs raisons:
- Le travail sur la lumière de Bruno Delbonnel, le directeur de la photographie "d'Amélie Poulain" donne à l'image un relief et une élégance qui lui manquait. Souvenirs coulants comme de l'encre de Chine, tableaux vivants travaillés en contre-jour, jeu sur les couleurs et le noir et blanc, le résultat final est somptueux. Pour ne prendre qu'un exemple, les scènes de Pensine de cet opus écrasent toutes les autres sur le plan de l'esthétique de l'image.
-Autre gros atout de cet opus, son scénario et son montage qui alternent avec réussite des moments de comédie légère et des moments extrêmement sombres, les uns succédant aux autres dans une même séquence ce qui assure un rythme soutenu à l'ensemble. Les exemples abondent: Ron ensorcelé par le philtre d'amour de Romilda Vane se comportant de façon hilarante juste avant d'être empoisonné, la boutique de farces des frères Weasley jouxtant des boutiques saccagées par la guerre, l'enterrement cocasse et arrosé d'Aragog précédent l'évocation de souvenirs douloureux ou le flirt insouciant des uns cohabitant avec le spleen des autres.
-Enfin au niveau des personnages, le film -tout comme le livre- introduit des changements. Il étoffe considérablement le rôle de Drago en révélant une facette de lui fragile, sombre et tourmentée. Comme Dudley dans le tome précédent, Drago est confronté à la mort ce qui entraîne une évolution de son caractère jusqu'ici immuable. Il est en effet autant marqué par l'arrogance de son père que par l'amour de sa mère. Laquelle privilégie le sauvetage de son fils à l'idéologie et à Voldemort. Rogue et Dumbledore qui deviennent des personnages de tragédie sont particulièrement magnifiés dans un film qui leur offre des scènes à l'ambiance shakespearienne dans lesquelles Michael Gambon et Alan Rickman peuvent déployer un peu plus leur talent. C'est aussi le livre où Dumbledore apparaît vulnérable et affaibli, en proie à des tourments personnels qui ne seront révélés que dans le livre suivant. Enfin si le piètre jeu de Daniel Radcliffe ne rend pas crédible une seconde sa haine pour Rogue ou son attirance pour Ginny (d'autant que Bonnie Wright n'est pas très convaincante non plus), il est mieux dirigé que d'habitude. Et le nouveau venu, Jim Broadbent est excellent dans le rôle d'Horace Slughorn, le premier serpentard que l'histoire présente comme positif.
Avec l'adaptation du tome 5 de la saga Harry Potter commence le règne sans partage de David Yates. Il réalisera en effet tous les films ultérieurs et a récemment remis le couvert pour le premier opus du spin-off des "Animaux fantastiques".
On comprend pourquoi ce réalisateur donne toute satisfaction aux producteurs et aux fans. Comme Christopher Colombus, c'est un élève appliqué qui produit des films parfaitement impersonnels calibrés pour ne pas faire de vagues. Une impression renforcée par les effets numériques qui gomment toutes les aspérités de l'image. Par conséquent l'adaptation du tome 5 est non seulement fade et décevante mais elle caricature tellement le livre qu'elle finit par le trahir.
Il faut dire que le tome 5 est beaucoup plus difficile à adapter que les précédents en raison de sa longueur et de sa complexité. S'il est plutôt mal-aimé c'est en raison de sa richesse, de ses subtilités et du comportement désagréable de Harry, en pleine crise d'adolescence. Tous aspects qui n'existaient pas dans le tome 4, plus axé sur l'action que sur la réflexion. Le tome 5 qui dresse le portrait saisissant d'un ado révolté rejeté de partout accentue la foncière ambivalence qui caractérise chacun de nous. Des membres de l'Ordre du Phénix poursuivant le même objectif (Sirius et Rogue) peuvent se haïr au point de chercher à s'entretuer, les êtres bafoués (Rogue et Kreattur) par le mépris de ceux qui se réclament du bien (James et Sirius) peuvent basculer dans les ténèbres. Parallèlement le livre dresse un panorama approfondi des mécanismes du totalitarisme au travers de la paranoïa du ministre de la magie, Cornelius Fudge (inspiré par Chamberlain célèbre pour s'être couché devant Hitler) ainsi qu'au travers de la figure fascistoïde de Dolorès Ombrage, nouvelle dame de fer en collants roses dont les méthodes coercitives et le sadisme n'ont rien à envier au 1984 de George Orwell.
Tout cela étant jugé trop complexe et mature pour le grand public, le film choisit de simplifier au maximum le livre. En rendant seulement comique le personnage d'Ombrage on ne prend plus au sérieux les aspects politiques du livre. D'autre part, le public étant jugé trop bête pour saisir l'implicite, on souligne lourdement les sentiments. Par exemple dans le livre, lorsque Harry est possédé par Voldemort il pense qu'il va mourir et qu'ainsi il retrouvera Sirius. Le lecteur doit alors comprendre par lui même que l'élan d'affection d'Harry pour son parrain brûle Voldemort au point de l'obliger à lâcher prise. Dans le film, Harry dit qu'il possède l'amour et l'amitié ce que Voldemort n'aura jamais. Or JK Rowling déteste tant les paroles creuses que dans le livre lorsque Dumbledore veut consoler maladroitement Harry, il augmente sa fureur. Harry finit par tout casser dans son bureau et se retient de lui sauter à la gorge. Un aspect trop dérangeant savamment gommé. Daniel Radcliffe, plus raide et inexpressif que jamais contribue à rendre le film insipide et inoffensif.
En 1925 Vive le sport! obtint plus de succès que La Ruée vers l'or. Sans doute parce qu'à la différence de Chaplin, Harold Lloyd jouait un personnage intégré au jeu social. En effet ses films reflètent parfaitement la culture de l'américain moyen.
Vive le sport! peut être considéré comme le premier teenage movie de l'histoire. Il se situe en effet dans le milieu universitaire où le nec plus ultra n'est pas d'être le meilleur (on ne verra jamais Harold étudier ou suivre des cours) mais d'être le plus populaire. C'est à ça qu'Harold travaille en prenant pour modèle le champion de l'école mais comme c'est un "bleu" ("The Freshman" en VO) naïf et tendre (d'où son nom "Lamb" qui signifie "agneau") il s'y prend très mal et multiplie les gaffes. Le comique naît du décalage entre l'image qu'Harold se fait de lui-même (il se prend pour un héros et croit être la coqueluche de l'école) et la réalité dans laquelle il est celui dont tout le monde se moque et que l'on n'hésite pas à exploiter. La scène du bal avec sa métaphore du costume sur mesure qui part en morceaux en dépit des efforts d'Harold et de son couturier pour le maintenir en une seule pièce montre que sa situation est intenable. De fait Harold devra surmonter la perte de ses illusions pour prouver sa valeur au terme d'un match de football américain d'anthologie démontrant qu'il est possible de faire gagner une équipe même lorsqu'on en est le mouton noir.
"When the night has come And the land is dark And the moon is the only light we'll see
No, I won't be afraid No, I won't be afraid Just as long as you stand, stand by me
So darlin', darlin' Stand by me Oho, stand by me Oh, stand, stand by me Stand by me"
La puissance d'évocation de "Stand by me", c'est d'abord ce classique de 1961 interprété par Ben E. King repris plus de 400 fois et que l'on entend au début et à la fin du film lorsque Gordie, le héros adulte des années 80 se remémore avec nostalgie le moment où il a quitté le monde de l'enfance. Mais toute la bande-son du film est magique (de Every Day de Buddy Holly à Great balls of fire de Jerry Lee Lewis en passant par Lollipop des Chordettes) et nous plonge dans l'ambiance retro des années 50.
"Stand by me" est l'adaptation d'une nouvelle de Stephen King "The body". On retrouve un thème commun à plusieurs de ses œuvres: une attention particulière aux zones d'ombre de l'enfance, sans l'aspect paranormal. Le cadavre du garçon que recherchent les quatre jeunes héros peut ainsi symboliser leur mue car "grandir c'est mourir un peu". Comme pour tout rite de passage qui se respecte, les garçons doivent affronter de multiples épreuves: traverser une étendue d'eau pleine de sangsues, un casse-auto gardé par un soi-disant terrifiant cerbère (qui s'avère être un toutou inoffensif, première expérience de la différence entre mythe et réalité), un viaduc perché à une hauteur de 30 mètres alors qu'un train surgit juste derrière eux etc. A chaque fois, on les voit mettre en péril leur virilité, jouer à se faire peur voire pour certains, jouer à la roulette russe.
Car ces gamins ont un point commun, leur profond mal-être qui rend cette opération périlleuse. A un titre ou à un autre, ils se sentent rejetés de leur famille ou de leur communauté: le chef de la bande Chris (joué par River Phoenix alors tout jeune et déjà brillant) est poursuivi par la mauvaise réputation de sa famille, Teddy le binoclard un peu déjanté (Corey Feldman) est maltraité par son père, Vern (Jerry O'connell) est l'enrobé de service et enfin Gordie (Wil Wheaton) frêle et mélancolique vit dans l'ombre de son frère Denny (joué par John Cusack) dont il doit en plus porter le deuil. Vern et Teddy jouant des rôles de faire-valoir, on se focalise sur le destin de Gordie et de Chris qui sont très proches (et le restent spirituellement à l'âge adulte même s'ils ne se voient plus). Le premier a une sensibilité littéraire et le second, révolté par l'injustice cherche à s'extraire de l'atavisme familial symbolisé par son grand frère surnommé "Eyeball" et sa bande de voyous.
Truffaut nous fait ressentir dans son premier long-métrage (qui à mon avis est son meilleur film, le plus juste, le plus universel et intemporel) toute l'étendue de la violence des adultes qui s'abat sur un gamin coupable d'être né hors des clous.
En 1959, c'est un crime.
Antoine Doinel n'a pas de foyer. "Chez lui" n'est pas chez lui. Il n'a nulle place où dormir par conséquent son lit se trouve dans l'entrée et gêne l'ouverture de la porte histoire de nous faire comprendre à quel point le gosse est encombrant pour ceux qui lui tiennent lieu de parents. Il n'a pas davantage de place pour travailler. A peine commence-t-il ses devoirs que sa mère lui ordonne de les ranger pour qu'ils puissent se mettre à table. L'exiguïté et la vétusté de l'appartement (les années 50 sont marquées par une grave crise du logement) n'est que le symptôme d'un mal plus profond.
"Ma mère est morte". Par ce cri du cœur, Antoine Doinel exprime pour la première fois toute l'étendue de sa souffrance liée à la privation d'amour maternel. Cette souffrance s'exprime également à d'autres moments du film. Lorsque Antoine vole une bouteille de lait ou encore lorsqu'il se place en position fœtale dans le Rotor, un manège pouvant faire penser au ventre maternel (et aussi aux débuts de l'art cinématographique). La mère d'Antoine apparaît comme une femme qui se désintéresse de son enfant et de son foyer qu'elle déserte à la première occasion pour retrouver son amant. On voit à de petits détails (sa chemise de nuit déchirée, l'absence de draps dans son lit, des vêtements toujours identiques) a quel point Antoine est négligé. Néanmoins elle sait très bien jouer la comédie de la bonne mère lorsqu'il faut donner le change en public. Seul Antoine n'est pas dupe. Il éclate de rire quand son père lui dit que sa mère l'aime.
Le foyer d'Antoine n'est que faux-semblant. Son père lui aussi joue la comédie du père attentif mais dans le fond il est complètement indifférent. Et pour cause, il n'est pas son père, juste un paravent de respectabilité à une époque où il fallait sauver les apparences. Truffaut comme Demy (qui apparaît brièvement dans le film dans le rôle d'un des flics du commissariat) en cinéastes de la nouvelle vague rejetant le "cinéma de papa" se sont faits documentaristes pour dénoncer la mise au ban des filles-mères, les grossesses non désirées se terminant par de désastreux mariages de convenance alors que l'avortement est interdit (la mère d'Antoine a cherché à avorter clandestinement mais a dû y renoncer sous la pression familiale).
Les autres institutions chargées de prendre en charge la jeunesse s'avèrent à l'image du pseudo foyer-familial. L'école est le reflet de la maison. Antoine n'y trouve jamais sa place, il est puni et mis au coin ou convoqué ou exclu. Il ne peut jamais finir un travail, on ne lui donne pas la parole et lorsqu'il s'applique à faire un bon devoir on le dénigre en disant qu'il n'est pas de lui. Le commissariat et la maison de redressement s'emploient à l'enfermer toujours davantage, à le maltraiter et à l'exclure.
La seule solution, c'est la fuite. Antoine Doinel fugue de chez lui, fait l'école buissonnière, accomplit de petits larcins et s'évade de la maison de redressement. Symptomatiques de sa colère et de sa révolte, ces fuites semblent néanmoins sans issue à l'image de la fin aussi belle qu'énigmatique. Semblent car il y a des indices disséminés dans le film qui laissent entrevoir des solutions. Le passage le plus important est la séance chez la psychologue où la parole d'Antoine peut enfin se libérer. Mais le spectacle et l'art sont tous aussi importants: le théâtre de Guignol et les cinémas de quartier. Truffaut a mis beaucoup de sa propre histoire dans le personnage d'Antoine même si celui-ci est incarné avec une présence stupéfiante par Jean-Pierre Léaud qui deviendra en quelque sorte le double du cinéaste. Truffaut a été sauvé de la délinquance par l'art et la main tendue de celui qui est devenu son père spirituel, André Bazin, le fondateur des Cahiers du Cinéma (où Truffaut a commencé comme critique). Le film lui est dédié.
Une jeune fille, Mitsuha. Elle s'ennuie dans ses montagnes, au coeur du Japon rural marqué par des traditions ancestrales. Elle rêve de vivre à Tokyo dans la peau d'un jeune garçon "branché". Un jeune garçon, Taki. Il vit à Tokyo et se sent à l'étroit dans sa vie partagée entre le lycée et son petit boulot de serveur de restaurant. Il rêve de grands espaces. Les rêves complémentaires de ces deux adolescents qui ne se connaissent pas vont entrer en résonance deux à trois fois par semaine, permettant à chacun d'investir temporairement la peau de l'autre de façon imprévisible. Mitsuha devient Taki et Taki devient Mitsuha ce qui donne lieu à toutes sortes de quiproquos amusants et à des interrogations sur l'identité de genre (ou quand la transmigrations des âmes permet d'aborder la thématique transgenre). Puis chacun retrouve son identité habituelle sans conserver la mémoire de ce qui lui est arrivé. Cependant les interrogations de l'entourage et les traces laissées par les épisodes de "possession" vont finir par mettre en contact les deux jeunes gens via leur portable. Ils commencent alors à correspondre pour ajuster au mieux leurs comportements dans les moments où ils échangent leurs identités.
Puis un jour, tout contact est rompu, la mémoire du portable est effacée et les échanges d'âme s'arrêtent brutalement. Taki qui se souvient du paysage où vit Mitsuha décide d'enquêter pour la retrouver ainsi que son village. C'est là que les choses se corsent: il découvre qu'elle ne vit pas dans la même temporalité que lui mais dans un passé récent. Le jour où le contact a été rompu, le fragment d'une comète s'est écrasé sur son village, anéantissant une grande partie de ses habitants (allusion à peine voilée à la catastrophe de Fukushima.) A la manière de Retour vers le futur, Taki décide alors de remonter le temps pour prévenir Mitsuha et la sauver à temps ainsi que les habitants du village. Cet élément n'est pas seulement fantastique, il relève des croyances shinto traditionnelles. Le "musubi" (noeud, lien) est la divinité protectrice de la région où vit Mitsuha. Mitsuha et Taki sont liés l'un à l'autre malgré l'espace et le temps qui les séparent comme les deux branches d'une comète qui ne cessent de fusionner et de se scinder, comme une tresse (l'art pratiqué par la grand-mère de Mitsuha) qui se fait et se défait. Un lien spiritualo-charnel qui se renforce encore quand Taki boit l'offrande que Mitsuha a faite au Musubi (du saké fabriqué à partir du riz mâché par sa salive) lui permettant de retourner dans le passé alors que Mitsuha est partie le chercher à Tokyo. La tâche est d'autant plus compliquée que ces moments de fusion/croisements restent intermittents (crépuscule, rames de métro qui se croisent...) Lorsque les deux branches se séparent, leur mémoire s'efface à nouveau au point qu'ils ne se souviennent plus du nom de l'autre (ils se souviennent juste qu'ils cherchent quelqu'un/quelque chose qui leur est cher). D'où le titre: Your Name.
Derrière la romance compliquée par les problématiques transgenre et les paradoxes spatio-temporels, on comprend ce qui a pu faire de ce film sur le temps et la mémoire un méga-hit au Japon au point de dépasser en nombre d'entrées de nombreux films Ghibli. Les dichotomies du film (masculin/féminin, passé/présent, urbain/rural, tradition/modernité, souvenir/amnésie etc.) dessinent l'image de deux facettes du Japon. D'un côté la nostalgie de la culture ancestrale immémoriale s'appuyant sur un rapport puissant à la nature et aux forces cosmiques. De l'autre, la civilisation urbaine high-tech contemporaine avec les menaces qu'elle fait courir sur "l'autre Japon." Seule la mémoire du lien entre ces deux Japon peut permettre au deuxième de sauver le premier au lieu d'être englouti avec lui.
Elephant est le deuxième film de ce que Gus Van Sant a appelé sa trilogie de la mort (ou tétralogie si on ajoute "Paranoïd Park (2007)". Un cinéma expérimental, sensoriel, consacré à l'errance d'une jeunesse déboussolée et qui s'inspire de faits réels. Elephant est ainsi une relecture élégiaque, mythologique, anthropologique et chorégraphique de la tuerie du lycée de Columbine à Littletown (Colorado) qui avait défrayé la chronique en 1999.
"Qui fait l'ange fait la bête." C'est l'expression qui vient tout de suite à l'esprit quand la caméra filme de face, de profil et encore plus de dos cet étrange bestiaire adolescent, somme d'êtres hybrides enfermés dans un aquarium géant. L'ange-taureau, c'est John, jeune garçon androgyne qui fait figure de minotaure serpentant dans les interminables couloirs labyrinthiques de son lycée. Mais sa présence n'est qu'un trompe-l'oeil, les véritables tueurs se prénommant Eric et Alex. Ce dernier joue du Beethoven, une référence appuyée à Kubrick et au héros d'Orange Mécanique (les déambulations dans les couloirs d'un lieu clos faisant penser elles à Shining). Fidèle au mythe des 7 jeunes gens et 7 jeunes filles livrées en pâture au monstre, Gus Van Sant dresse une série de portraits funéraires des derniers moments sur terre des principales victimes des tueurs. Chacun nous est présenté isolément comme enfermé dans sa bulle (y compris sonore) ou sa caverne même si les trajectoires de tous ces jeunes n'arrêtent pas de se croiser, d'autant que la distorsion du temps permise par le cinéma nous fait retourner en arrière pour filmer la même scène d'un autre point de vue. Cette mise en scène savante suggère que ces jeunes ont en commun un profond mal-être mais qu'ils ne parviennent pas à communiquer pour autant. C'est le regard d'une jeune fille qui fuit obstinément l'objectif, c'est la résistance d'une seconde à mettre un short, c'est le rituel boulimique-anorexique de trois autres qui s'enferment parallèlement mais séparément dans les toilettes pour se faire vomir après la cantine, c'est le harcèlement que subissent les plus faibles dans le silence le plus complet. Une violence qui appelle en retour la violence. Michelle, la jeune fille timide au physique ingrat moquée par les autres porte sur son sweat-shirt un tigre qui ne demande qu'à sauter à la gorge des autres. Alex qui est également un souffre-douleur souffre de surdité et comme son partenaire Eric, est un homosexuel refoulé dans une ambiance teinté d'homophobie.
A force de transparence, de géométrie rectiligne, de dimensions disproportionnées, de silence, le lycée où évoluent ces adolescents finit par incarner le tombeau mais aussi un vide abyssal: celui des adultes, les grands absents du film. Certains traversent de temps à autre le champ de la caméra mais ils ne sont que des figures fantomatiques d'arrière-plan. Les parents sont défaillants et/ou insignifiants, les professeurs indifférents... Et par conséquent on est guère surpris de voir ces jeunes sans repères confondre les jeux vidéos de tueries et la réalité, s'acheter des armes sur internet sans contrôle (l'une des significations du titre se rattache à l'Eléphant, mascotte du parti Républicain qui défend l'accès libre aux armes) et tuer sans état d'âme.
Le lycée filmé par Gus Van Sant a tout d'une arche de Noé (dysfonctionnelle) juste avant le déluge. La dimension sinon divine du moins cosmique du film est très forte. Le huis-clos du lycée est interrompu par des plans de verdure automnale (civilisation moribonde?) alors que les pulsions et souffrances refoulées s'accumulent dans le ciel sous forme de gros nuages noirs menaçants. L'orage qui éclate quand la violence se déchaîne est une autre interprétation possible du titre car l'Eléphant est la monture du dieu de la foudre indien Indra. Une fois purgé, le ciel retrouve sa sérénité habituelle.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.