Suspense
Lois Weber et Phillips Smalley (1913)
En 1913, Lois WEBER (la première réalisatrice américaine de l'histoire) et son mari Phillips SMALLEY réalisent le thriller parfait, modèle de tous ceux qui viendront par la suite. Ils se sont inspirés de films antérieurs (D.W. GRIFFITH a largement défriché le terrain) mais leur degré de maîtrise de la mise en scène et des effets techniques est impressionnante. Ceux-ci sont aussi sophistiqués que l'histoire est simple voire même primaire: une jeune femme seule avec son bébé dans une maison isolée (Lois WEBER elle-même) est confrontée à un visiteur indésirable (Sam KAUFMAN) qui cherche à s'introduire dans la maison. L'un des premiers plans vus depuis le trou de la serrure annonce bien le thème principal du film. La montée de la tension est admirablement orchestrée:
- D'abord par la mise en scène. Il y a par exemple une séquence où la jeune mère qui sent monter en elle une sourde inquiétude ferme les fenêtres du salon qui étaient ouvertes. Deux secondes plus tard, le rôdeur apparaît derrière les vitres, cherchant un moyen pour entrer. Autre moment remarquable, un plan fixe (type "Lumière") qui joue avec nos nerfs à partir du relief et de la profondeur de champ. Le mari (Val PAUL) qui est en effet parti secourir sa femme a "emprunté" une automobile et est pourchassé par son propriétaire (Douglas GERRARD) et la police. Il manque renverser un piéton et met un certain temps pour repartir. Evidemment le spectateur ne manque rien du spectacle qui se joue au premier plan mais aussi à l'arrière plan où les poursuivants se rapprochent dangereusement.
- Mais le film est surtout célèbre pour l'efficacité de son montage alterné et ses points de vue originaux (mais aucunement gratuits), certains obtenus par l'angle de prise de vue, d'autres par des trucages. Il y a d'abord un célèbre gros plan du visage du rôdeur vu en plongée depuis le premier étage de la maison. C'est le point de vue de la jeune femme qui le regarde avec terreur mais aussi du spectateur qui se demande s'il va trouver la clé sous le paillasson (le spectateur en connaît l'existence pour avoir vu la domestique l'y déposer au début du film avant de quitter la maison). Il y a à la fin du film un autre plan de ce type où on voit le rôdeur monter l'escalier puis se rapprocher de plus en plus de la caméra pour entrer dans la chambre où se terre la jeune femme ce qui le rend très menaçant. La façon dont il démolit la porte fait d'ailleurs penser à "Shining" (1980). Le split screen, utilisé à deux reprises permet de montrer simultanément trois événements: le coup de fil de la jeune femme à son mari, la réaction d'abord rassurée puis effarée de celui-ci et enfin le rôdeur en train de trouver la clé ou d'entrer dans la maison histoire de faire monter le mayonnaise. Le montage alterné en forme de course contre la montre se met ainsi en place tout naturellement. Et pour augmenter la dose d'adrénaline, on nous met deux petits plans sur le rétroviseur afin de montrer les poursuivants qui tentent d'arrêter la voiture conduite par le mari. C'est d'une efficacité diabolique.