Bamako
Abderrahmane Sissako (2006)
L'introduction du film qui se situe avant le générique a valeur de déclaration d'intention. Un témoin qui n'a pas été appelé à la barre souhaite s'exprimer "La parole c'est quelque chose. Quand tu l'as sur le cœur, ça te saisit. Si tu ne la sors pas, ça ne va pas (…) Ma parole ne restera pas en moi". Le juge lui signifie alors que ce qu'il a sur le coeur, il pourra le dire le moment venu. Ce témoin symbolise la société civile africaine à qui Abderrahmane Sissako offre une tribune sous forme d'un procès fictif l'opposant aux institutions internationales dominées par les pays du Nord (et en premier lieu les Etats-Unis) pour qu'elle puisse exprimer ses doléances.
"Bamako" est donc un film engagé contre une mondialisation qui ressemble à une néo-colonisation de l'Afrique par une association de malfaiteurs déguisés en bon samaritains de la finance qui après avoir laissés leurs débiteurs s'endetter n'ont plus qu'à les prendre à la gorge pour s'enrichir à leurs dépends. Il dénonce en effet particulièrement les désastreux effets des politiques libérales d'ajustement structurel du FMI et de la BM qui ont mis sous tutelle la politique budgétaire des Etats africains pour en affecter jusqu'à 60% au remboursement de la dette au détriment des services publics, à commencer par la santé et l'éducation. La privatisation de ces services ainsi que l'obligation qui leur a été faite de s'ouvrir au commerce international et aux investissements des firmes transnationales a permis à ces dernières de faire main-basse sur les ressources en profitant de la faiblesse des Etats. Il montre ainsi comment la dette prive ces pays de tout espoir de développement, les faisant même régresser jusqu'au désastre social et écologique.
L'originalité du film provient d'un jeu permanent entre la fiction et le documentaire, le vrai et le faux. De vrais professionnels de la justice (occidentaux comme africains) mènent le procès et les témoins apparaissent le plus souvent sous leur véritable identité. Mais Sissako s'amuse à brouiller les frontières. Tout d'abord en ayant lieu dans un lieu improbable (la cour de la maison d'enfance du réalisateur à Bamako habitée par plusieurs familles), le procès se déroule au beau milieu des événements de la vie quotidienne (un mariage, des travaux ménagers et artisanaux, un infirmier qui vient soigner un malade, des prières, un vendeur de lunettes contrefaites, des enfants en bas âge qui circulent au milieu de l'assemblée). Ensuite il laisse son film de procès se laisser traverser par d'autres genres qui illustrent le même problème. Tout d'abord le drame conjugal d'un couple qui se défait, celui de Mélé une chanteuse de bar (Aïssa Maïga) et de Chaka (Tiécoura Traoré), un homme brisé par le chômage et la pauvreté. Ensuite une séquence parodiant le western spaghetti, "Death in Timbuktu" où les représentants des banques internationales sont des cow-boys qui "nettoient" les villages de leurs trop-plein d'instituteurs, malades, femmes enceintes etc. Enfin le crime pour lequel les institutions internationales sont jugées n'existant pas (encore) dans le droit international, Sissako fait en quelque sorte un film d'anticipation où il prophétise une Afrique demandant des comptes aux pays du Nord dans un contexte où les effets négatifs de la mondialisation (terrorisme, catastrophes écologiques et émigration massive) se font de plus en plus sentir, leurs premières victimes étant issues des pays pauvres.