Les films de Satoshi Kon inspirent les cinéastes américains. Son premier long métrage "Perfect Blue" a fourni à Darren Aronofsky la trame de "Black Swan". Son quatrième "Paprika" a inspiré à Christopher Nolan son film "Inception". Dans l'un comme dans l'autre, on navigue (chez Kon on peut même dire qu'on flotte) entre plusieurs niveaux de rêves et de réalité comme dans un millefeuille. Le film de Kon nous présente une galerie de personnages mal dans leur peau. Tokita, un scientifique obèse et boulimique, sa collègue thérapeute Atsuko Chiba stricte et cérébrale et son patient, le détective Konakawa qui est traumatisé par une scène de meurtre. Tokita a mis au point la DC Mini, un appareil qui permet d'entrer dans l'esprit d'un patient malade pour sonder son inconscient et enregistrer ses rêves. Atsuko y évolue sous la forme d'un avatar aux antipodes de sa personnalité, Paprika. Mais un jour plusieurs de ces appareils sont dérobés permettant de pirater le psychisme d'un nombre croissant de personnes comme un virus informatique.
Le monde des rêves et celui, virtuel du numérique se confondent. Il en est de même entre les rêves et le cinéma. Le détective est un cinéaste raté qui voyage dans ses rêves comme dans les genres cinématographiques. La scène de l'ascenseur (reprise par Nolan) le montre en Tarzan, en héros romantique, en victime d'un meurtrier dans un polar... La DC Mini est une caméra qui enregistre l'activité onirique comme si celle-ci était un film projetable sur un écran.
La débauche visuelle autour des séquences oniriques est impressionnante. Et ce sans que le spectateur ne se perde car chaque personnage a un rêve récurrent et interfère dans celui des autres. Celui du voleur est central, il s'agit d'un défilé de symboles culturels et d'objets de consommation hétéroclites dans lequel ses victimes sont embarquées. Cette parade délirante et cauchemardesque symbolise le "viol des foules" contemporain lié au matraquage publicitaire (et plus largement médiatique). Le détective rêve qu'il se tue lui-même à cause de ses ambitions artistiques avortées. Morio Osanai, un scientifique corrompu rêve que son corps est absorbé par celui du président de la société qui est le cerveau du vol des appareils (et à qui il a vendu son âme). Il éprouve également du désir pour Atsuko ce qui débouche sur une séquence suggérant un viol assez éprouvante. Quant à Atsuko, elle se rêve délurée et libre de ses désirs. Ceux-ci la portent vers son énorme collègue prisonnier de son corps qu'elle veut sortir de sa cage.
Bref, tant visuellement que scénaristiquement, "Paprika" est une oeuvre complexe et nuancée. Plusieurs visionnages sont nécessaires pour en apprécier toute la richesse.
Cela été dit un peu partout, cette suite de "Blade Runner" pèche par son scénario brouillon et inabouti. La première heure se tient à peu près puis plus on avance, plus le film révèle ses failles. Sous prétexte de surprendre le spectateur, le scénario brouille les pistes et se perd dans les sables. L'erreur fatale est de saborder en cours de route le personnage principal, K (Ryan Gosling) pour disperser les enjeux de l'histoire sur toute une série de personnages secondaires bâclés qui font de la figuration: Deckard bien sûr qui n'apparaît qu'au bout d'une heure trente (et que Harrison Ford qui semble au bout du rouleau n'arrive pas à faire exister), des réplicants rebelles que l'on voit trois secondes et puis au-revoir, la supérieure de K (jouée par Robin Wright) dont la bienveillance vis à vis de K n'est pas expliquée ni exploitée, le directeur Wallace (joué par Jared Leto) totalement transparent et son androïde tueuse (Sylvia Hoeks) dont on ne saura jamais pourquoi elle s'appelle Luv et est très spéciale. Quant au docteur Ana Stelline (Carla Juri) c'est un personnage parfaitement incohérent: il n'y a pas de raccord possible entre son enfance d'orpheline maltraitée et exploitée dans une déchetterie et son personnage adulte de grande scientifique obligée de vivre dans une chambre stérile!
Il n'y a pas que les personnages qui sont mal écrits (et mal pensés), le film soulève des questions auxquelles il n'apporte aucune réponse. La nature de Deckard (ambiguë dans le film d'origine) est évacuée on ne sait pas pourquoi. Il en est de même pour Rachel (réplicante évoluée ignorante de sa propre nature ce qui en fait peut-être le miroir de Deckard). C'est quand même dommage puisque ce couple est le seul non humain (du moins à 100%) à avoir réussi à enfanter. Un "miracle" à la façon des "Fils de l'homme" de Cuaron. Par quel mystère, on ne le saura pas plus, pas plus que le pourquoi de la nature de l'enfant (que l'on pense logiquement au moins hybride et qui s'avère 100% humain!)
La conséquence malheureuse de tous ces choix, c'est que le personnage principal, K ne s'avère être qu'une machine ce qui rend le film vain et froid. Et la prestation toujours aussi inexpressive de Gosling n'arrange rien. Il y a bien sa douce et compréhensive compagne Joi joué par Ana De Armas mais elle est aussi virtuelle que Samantha, l'ordinateur auquel Scarlett Johansonn prête sa voix dans "Her". Dans "Blade Runner 2049" il n'y a même pas de Ghost dans le Shell. On est dans la vacuité totale. Alors oui il reste l'emballage hyper soigné mais qui n'est que la copie conforme (progrès technologique en plus) de l'original, musique comprise. Quel en est l'intérêt? Aucun.
Orgie rétro-futuriste, "Ready Player One" nous en met plein la vue mais il n'est certainement pas qu'un catalogue de références. Celles-ci débordent d'ailleurs le seul domaine de la pop culture. Même si celle-ci est centrale, le film met sur le même plan une sous-culture longtemps méprisée (le jeu vidéo, la japanimation, la musique pop, les séries TV, le cinéma populaire) et des références cinéphiliques plus pointues ("Excalibur" de John Boorman, "Citizen Kane" d'Orson Welles, "Sacré Graal" des Monty Pythons, "2001, l'odyssée de l'espace" et "Shining" de Kubrick). Le point commun de toutes ces références étant leur statut d'œuvre culte ayant marqué une ou plusieurs générations y compris d'artistes. Je pense en particulier au graffeur et mosaïste Invader, dont l'atelier ressemble comme deux gouttes d'eau à celui de James Halliday avec des Game boy, jeux d'Arcade et autres masques de Tortue Ninja.
Avec Spielberg aux manettes, il n'y avait aucun risque que cet empilement de références ne tourne à la bouillie indigeste comme dans "Lego Batman". Outre son savoir-faire, il injecte une âme au film qui n'est autre que la sienne. James Halliday, le créateur du monde virtuel Oasis est en effet la clé de la réussite de "Ready Player One". On retrouve en lui un mélange d'homme d'affaires, de créateur visionnaire et de geek-otaku éternellement enfant qui peut s'appliquer à Spielberg, même si la référence dans le film est plutôt Steve Jobs. C'est la compréhension de sa psyché qui permet au jeune Wade de résoudre les énigmes du jeu qu'il a instauré au sein d'Oasis pour désigner son successeur. Or ces énigmes prennent la forme d'un voyage dans des moments clés du passé (il s'agit de trouver des clés justement), ceux où Halliday a raté sa vie et s'est réfugié dans le virtuel. Evidemment celui qui en triomphera ne devra pas faire les mêmes erreurs que lui. Ce va et vient entre futur et passé explique d'ailleurs en partie la place prépondérante qu'occupent "Retour vers le futur" et "Shining" dans le film. En partie seulement car leur présence est aussi un hommage aux liens que Spielberg a avec Zemeckis et Kubrick. Il a mis le pied à l'étrier du premier et réalisé un projet du second ("A.I., Intelligence Artificielle").
Film extrêmement ludique titillant la fibre nostalgique du spectateur, il n'en reste pas moins que "Ready Player One" est aussi un film d'anticipation qui s'interroge sur la place du virtuel dans nos vies et la capacité de l'homme à répondre aux défis que lui pose la réalité d'une société hyper-technologique (et très peu développement durable en dépit des intentions affichées). Comme l'ont fait avant lui "Matrix", "Summer Wars" ou encore "Wall-E".
René Laloux, Philippe Caza (auteur de la BD dont est inspiré le court-métrage) et Gabriel Yared avaient été déçus par l'animation et la mise en scène de la "Prisonnière" réalisé en 1985 alors que le projet de leur long métrage "Gandahar" était en suspens. A juste titre car ce n'est effectivement pas par son animation très sommaire que ce court-métrage brille mais par son atmosphère surréaliste, le mélange de mythologie, de SF et d'érotisme propre à Caza ainsi que la limpidité de sa fable aussi poétique que politique.
Deux enfants fuient la guerre et la mort sur une mer de cendres. Pas besoin de faire un dessin (il n'y en a pas d'ailleurs à ce sujet). Ils arrivent dans une cité monastique qui leur impose le silence. Une cité totalitaire d'hommes repliés sur eux-mêmes qui refusent le bruit créateur de chaos et de tumulte mais également l'altérité. La seule femme visible est prisonnière dans la plus haute tour de la cité. Jusqu'à ce que la vie déferle sous la forme d'une baleine dans laquelle se cachent des femmes nues aux formes opulentes typiques de Caza. Un épisode visiblement inspiré du cheval de Troie. Elles laissent la mer (l'élément féminin) pénétrer dans la cité et la prisonnière embarque avec les enfants pour continuer le voyage. "L'ordre et le bâillon ne gagnent pas toujours."
Au milieu des années 80, j'ai été très marquée par le tout premier récit du magazine "Je Bouquine" (qui a reçu le Grand Prix de l'Imaginaire en 1985, une récompense justifiée au vu de la qualité de l'histoire). Ecrit par Robert Escarpit, il s'intitulait "L'enfant qui venait de l'espace" et mettait en scène la rencontre entre Isaac Asimov et son personnage, Suzan Calvin qui lui raconte une histoire sur elle qu'il ignorait. La créature qui échappe à son créateur est un thème archi-rebattu mais cette variante est particulièrement réjouissante. Dans les récits d'Asimov, Suzan est une vieille fille coincée et froide qui éprouve plus de sentiments pour les robots que pour les hommes. Dans ce récit, non seulement Asimov découvre qu'elle a une sexualité et une famille mais les dessins qui accompagnent le récit créés par Philippe Caza sont d'une très grande sensualité. Suzan amoureuse y apparaît très peu habillée et dotée de formes plantureuses.
C'est à ce niveau que ce situe le lien avec le troisième (et dernier) long-métrage de René Laloux, "Gandahar" réalisé à la même époque. Lorsque je l'ai vu, j'ai tout de suite su que les graphismes du film étaient de Philippe Caza: prédominance des couleurs froides bleues-roses-violettes y compris pour les teintes de la peau, hypersexualisation des personnages, formes généreuses, beaucoup de nudité ou de quasi-nudité (une mode à l'époque dans l'univers de la SF graphique car on pense également à "Cobra", le manga de Buichi Terasawa adapté en animé par Osamu Dezaki et où les femmes sont sexy et très peu vêtues.)
Le tout est associé à un brillant récit poétique, politique et philosophique (tiré d'un roman de Jean-Pierre Andrevon) dans lequel on reconnaît les thèmes fétiches de René Laloux: boucle spatio-temporelle, embrigadement totalitaire (hommes-oiseaux des "Maîtres du temps", hommes-machines de "Gandahar"), dangers de la technologie, droit à la différence (les transformés issus de mutations génétiques ratées sont des parias qui cependant vont jouer un rôle fondamental dans le sauvetage de "Gandahar" de ses propres dérives).
A noter que pour des questions d'argent, la production s'est effectuée en... Corée du nord! L'animation n'en a pas souffert, elle est sans doute la plus réussie des trois films de René Laloux. Mais en avance sur son temps, son génie n'a pas été reconnu à sa juste mesure. A l'époque, les esprits étaient particulièrement bornés en France en ce qui concernait l'animation. Les décideurs avaient décidé qu'elle devait être réservée aux enfants. Comme l'œuvre de Laloux n'entrait pas dans la case, ils lui ont coupé les vivres, nous privant sans doute de bien d'autres films magnifiques.
"Contact" est un chef d'oeuvre de la hard science-fiction. Comme "2001, l'Odyssée de l'espace" de Kubrick et "Interstellar" de Nolan, autres must du genre, il s'appuie sur des bases scientifiques solides. Il s'agit de l'adaptation du roman éponyme de l'astronome américain Carl Sagan qui a collaboré à l'élaboration du programme SETI (recherche d'émissions intelligentes avec un réseau de radio-télescopes) dont il est question dans le film.
Mais livre et film se distinguent des autres œuvres du genre par le fait de reposer entièrement sur les épaules d'une héroïne dont l'histoire personnelle se confond avec son obsession: capter un message venu du fin fond de l'espace. Brillante astrophysicienne, Ellie Arroway (Jodie Foster) est aussi une femme seule au monde. Pas seulement parce qu'elle est orpheline (elle a perdu sa mère à la naissance et son père à l'âge de 9 ans), mais aussi parce qu'elle est une femme dans un monde d'hommes et une idéaliste se débattant au sein d'un milieu corrompu par l'argent et le pouvoir. Son supérieur, Dave Drumlin (Tom Skerritt) machiste bouffi, "conseiller de deux présidents" et "membre honoraire à vie de l'académie nationale des sciences" incarne l'un et l'autre et n'a de cesse que de lui couper l'herbe sous le pied ou de s'accaparer ses découvertes. C'est lui que l'on voit dans les médias, lui qui apparaît au côté du président, lui qui est désigné pour effectuer le voyage vers Vega.
Mais Ellie a "dieu" (John Hurt, milliardaire excentrique et omniscient qui vit dans l'espace) avec elle. La confrontation entre la religion et la science est l'autre grand thème du film. Les découvertes d'Ellie suscitent l'hostilité des créationnistes qui tentent de saboter la mission. Elle-même en est écartée parce qu'elle n'a pas la foi, or selon le comité chargé de la sélection de l'astronaute chargé d'aller sur Vega, l'élu doit être croyant pour représenter 95% de l'humanité (j'ai du mal à croire qu'il n'y ait que 5% d'athées dans le monde mais bon...) Enfin son histoire d'amour compliquée et contrariée avec le fervent chrétien Palmer Joss (Matthew McCONAUGHEY) symbolise ce qui sépare foi et science mais aussi ce qui les réunit: la recherche d'un sens à l'existence.
Ellie Arroway est une héroïne profondément zemeckienne: indépendante, passionnée, intègre, perfectionniste, obstinée. Comme Doc dans la saga "Retour vers le futur", c'est une scientifique géniale mais en marge du système. Elle est le prolongement à l'ère contemporaine de Clara Clayton dans "Retour vers le futur III": le père de la hard science-fiction n'est autre que Jules Verne, figure tutélaire de Doc et de Clara.
Mais "Contact" n'est pas seulement passionnant sur le fond, il l'est aussi dans sa forme. Zemeckis multiplie des morceaux de bravoure technique qui ont fait date. L'introduction de 3 minutes, magistral travelling arrière partant de la terre jusqu'aux confins de l'univers est accompagné d'une bande-son qui suggère la remontée du temps: les années 90,80,70,60,50,40 et enfin 30 ou plus exactement 36, date de la première retransmission d'un événement (les Jeux Olympiques de Berlin) dans l'espace et qui 60 ans après a été capté sur Vega. On ne peut mieux suggérer la distorsion de l'espace-temps qui est centrale dans tout film sur les voyages spatiaux. Zemeckis nous fait également le coup des images d'archives falsifiées comme dans "Forrest Gump", la Warner a d'ailleurs reçu par la suite un avertissement de la Maison Blanche pour avoir utilisé sans autorisation des images de Bill Clinton, insérées de manière bluffante dans le film. Depuis 20 ans, les cinéphiles sont fascinés par l'incroyable trucage du plan séquence du miroir où Ellie enfant (Jena Malone) découvre son père décédé au bas des escaliers. Lorsqu'elle repart au premier étage chercher son médicament, la caméra "traverse" le miroir de la salle de bain et tout est vu en reflet inversé. Enfin lorsque Ellie découvre Vega, son ravissement est si total et si profond que Zemeckis utilise la technique du morphing pour nous montrer brièvement le visage de l'enfant qu'elle était se superposer à son visage adulte
A titre personnel, "Les Maîtres du temps", deuxième réalisation de René Laloux 10 ans après "La planète sauvage" (toujours d'après un roman SF de Stephan Wul) me fait penser à un mélange de "Nausicaa de la vallée du vent" d'Hayao Miyazaki et de la série de Nina Wolmark "Les Mondes engloutis". "Nausicaa de la vallée du vent" est l'exact contemporain des "Maîtres du temps" et la similitude des décors est frappante. On sait qu'Hayao Miyazaki s'est beaucoup inspiré des œuvres de Jean Giraud (alias Moebius) pour réaliser son film. Or c'est Moebius qui a co-écrit le scénario et réalisé les dessins du film de René Laloux. En revanche question fluidité de l'animation, on est plus proche des standards d'une série TV que d'un film long-métrage pour le cinéma. La parenté avec "Les Mondes engloutis" se retrouve également dans les graphismes, certaines créatures (les ornithorynques), certains plans (celui de l'affiche notamment).
Le principal défaut des "Maîtres du temps" provient de sa production hasardeuse en Hongrie. Le film semble être un patchwork de scènes mal raccordées entre elles où l'animation (pauvre) est inégale et le comportement des personnages pas toujours cohérent. Mais peu importe car ce n'est pas essentiel. Ce qui est essentiel, ce sont les fulgurances visuelles (par exemple l'image de synthèse finale) et l'histoire, étrange, fascinante, complexe avec toute la réflexion philosophique qui l'accompagne. A travers la relation par micro interposé d'un enfant perdu (la planète "Perdide" est proche phonétiquement de la Perdita de "Un conte d'hiver" de Shakespeare) et de l'équipage d'un vaisseau issu d'un autre espace-temps (dont un vieux "loup de mer", Silbad proche phonétiquement de "Simbad"), le film évoque le cycle de la vie à ses deux extrémités: l'enfance et la vieillesse. Le film s'adresse de façon particulièrement mature aux enfants car il confronte son petit Robinson à la mort, à la solitude et à la fuite du temps. Et en même temps il s'adresse à l'enfant qui sommeille en chaque adulte et qui n'attend que d'être réveillé. Il y a également une réflexion sur le totalitarisme et le libre-arbitre propre à un film engagé réalisé pendant la guerre froide.
"La planète sauvage" est le fruit de trois créateurs visionnaires, Stephen Wul (auteur du roman dont est tiré le film), René Laloux (réalisateur) et Roland Topor (scénariste et animateur). A l'époque, il faisait figure d'OVNI cinématographique car il bousculait les catégories préétablies. Il s'agissait en effet de l'un des premiers films d'animation pour adulte (bien que Laloux ait toujours dit que c'étaient les enfants qui avaient le mieux compris son film). Il était également précurseur en tant que film d'animation de science-fiction alors que l'alliance des deux genres était jugée jusque là trop space pour le public.
"La planète sauvage" est un conte philosophique qui renverse le rapport qu'entretient l'homme à son environnement et suscite ainsi la réflexion. Le voilà réduit à la taille d'un insecte, traqué et exterminé comme un nuisible ou bien instrumentalisé comme un objet ou un animal de compagnie par des êtres qui se pensent supérieurs. Une supériorité fondée sur la taille et sur la technologie mais à qui il manque un élément fondamental: l'empathie. Autrement dit, les Draags sont des colosses aux pieds d'argile ce que confirmera la fin du film lorsque les Oms se seront appropriés leur savoir. Ce scénario est d'une telle intelligence et d'une telle pertinence que l'on peut y projeter aussi bien le colonialisme, l'esclavagisme, la shoah, la guerre froide (contexte de la réalisation du film) ou encore la question écologique.
Le film est également marquant par la richesse de son esthétique. L'animation se compose de dessins découpés en phases ce qui donne à la palette graphique une richesse de nuances impossible à rendre avec des cellulos. Et puis il y a l'imaginaire surréaliste de Roland Topor dont le style psychédélique fait penser à celui de Terry Gilliam à l'époque des Monty Pythons.
En 1948, George Orwell avait fusionné le nazisme et le stalinisme pour nous dépeindre un terrifiant monde totalitaire. En 1997, Paul Verhoeven tourne un film mi sitcom/mi blockbuster de SF qui reprend tous les codes du nazisme (uniformes, emblèmes...) pour mieux tourner en dérision la société américaine. Tout y est:
- L'impérialisme avec le mythe de la frontière. L'attaque du fort et le contexte spatial se réfèrent clairement au western et au space opera. Dans les deux cas les "cafards" et "arachnides" remplacent les indiens, aliens et autres communistes. Si Verhoeven avait tourné le film 20 ans plus tard il aurait également fait allusion aux attentats islamistes. Le point commun étant que tous ces ennemis de la nation américaine sont montrés tels que les va-t-en-guerre se les représentent: des nuisible à exterminer. Et qu'aussi répugnants et dangereux soient-ils, les insectes ne font que défendre leur territoire alors que les humains eux ne supportent pas leur simple existence et cherchent à les éradiquer de l'univers.
- La propagande médiatique et la pornographie de la société du spectacle. Verhoeven reprend délibérément les codes du "Triomphe de la volonté", le film nazi de Léni Riefenstahl qu'il mélange à des slogans publicitaires, des reportages en caméra embarquée voire des fake news. La novlangue de la guerre du Golfe est très présente: "vitrifier", "passer la serpillière" remplacent les "dommages collatéraux" et autres "pacifications". Verhoeven filme délibérément la violence de façon obscène ("vous voulez en voir plus"? remplace "vous voulez en savoir plus"?) ce qui fait d'autant plus ressortir l'hypocrisie des cartons de censure dans les films de propagande.
- Le "décérébrage" de la jeunesse américaine, montrée comme une armée formatée de Ken et de Barbie (sourire éclatant, machoire carrée) docile, superficielle, parfaitement manipulable et qui au final ressemble aux insectes qu'ils combattent: de la matière cervicale et de la chair à canon. Les acteurs ont été volontairement choisis dans des casting de séries B et de soap opera et ils en ont le profil. Ils représentent parfaitement l'homme nouveau rêvé par les régimes totalitaires. C'est cette fusion qui fait réfléchir si l'on décode correctement le film.
"Nausicaa de la vallée du vent" est le deuxième long-métrage de Miyazaki mais c'est sa première œuvre totalement personnelle. C'est aussi sa première collaboration avec Joe Hisaishi (alors peu connu). Pour obtenir le financement nécessaire à sa réalisation, il dû créer une version manga qui rencontra un important succès. Le film est basé sur les deux premiers tomes de ce manga dont la publication s'étala sur 12 ans. Quant au succès du film, il lui permis de fonder les studios Ghibli.
Nausicaa est une œuvre-clé magnifique, d'une brûlante actualité, qui contient tous les thèmes et obsessions de son auteur. Il s'agit également d'une œuvre universelle qui s'inspire aussi bien de la culture occidentale qu'orientale. Ainsi le prénom de l'héroïne est une référence à la princesse phéacienne qui recueillit Ulysse dans "l'Odyssée" d'Homère en dépit de son aspect repoussant mais son caractère s'inspire aussi d'un conte japonais du XII° siècle intitulé "La princesse qui aimait les insectes" (plutôt que les apparences). On discerne également l'influence de l'un des plus grands auteurs de BD français, Jean Giraud alias Moebius. Miyazaki connaissait "Arzach" et aussi le film d'animation de René Laloux "Les Maîtres du temps" dont Moebius avait co-signé le scénario et conçu l'univers visuel. En retour, Moebius qui a découvert par hasard le film de Miyazaki en 1986 a prénommé sa fille Nausicaa.
On a tendance à réduire le film à un récit de science-fiction écologique. Mais il s'agit surtout d'une grande œuvre philosophique et spirituelle. L'héroïne est un personnage messianique, une sorte d'ange de la paix qui du haut de son planeur survole la terre ravagée par les conflits entre l'homme et la nature et entre les communautés humaines avec l'objectif de ramener la paix et l'harmonie sur terre. Ce rôle de messagère et de médiatrice préfigure Ashitaka le héros de "Princesse Mononoké" (les deux films sont en effet très proches.) De plus Nausicaa est un personnage christique prêt à se sacrifier pour sauver tous les êtres vivants. Car Nausicaa contrairement aux autres personnages ne fait aucune différence entre les formes de vie. Sa compassion est universelle. Elle touche aussi bien les ennemis de son peuple que les insectes géants qui peuplent la forêt toxique dont l'extension menace d'empoisonner les humains survivants (la manière dont elle leur tend la main et communique avec eux fait penser aux "Rencontres du troisième type" de Spielberg ou l'Alien est perçu comme un frère). Plutôt que de chercher à détruire la forêt, elle tente de comprendre son fonctionnement. Et découvre qu'au contraire, elle absorbe le poison que les hommes ont répandu dans le sol, l'eau et l'air 1000 ans auparavant quand ils ont détruit la planète (une métaphore de l'apocalypse nucléaire capable de polluer l'environnement sur des centaines de milliers d'années). Miyazaki enfonce un peu plus le clou de l'homme stupide et aveugle, incapable d'apprendre de ses erreurs et qui (se) détruit faute de (s') accepter tel qu'il est.
"Nausicaa de la vallée du vent" est donc un récit qui nous élève à tous les sens que peut recouvrir ce terme.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.