Cette variation comique autour du célèbre roman de Robert Louis Stevenson rend hommage aux adaptations cinématographiques qui l'ont précédée (avec notamment un clin d'œil à la version de Victor Fleming lors de la scène de la transformation) pour mieux s'en distinguer par la suite en explorant de nouvelles facettes du mythe, celui-ci étant plastique par essence. Le génie comique étant fondé sur la subversion, l'originalité apportée par Jerry Lewis consiste à dissocier la monstruosité physique de la monstruosité morale. Le docteur Kelp, gentil mais timide, maladroit et complexé souffre d'une apparence disgracieuse et se fait humilier par tout le monde alors que son double maléfique, Buddy Love est un crooner gominé arrogant et macho (Dean Martin, sort de ce corps!*) qui a le dessus sur tous ses interlocuteurs et les humilie à son tour. Le beau et le bien ne se confondent plus et le discours final de Kelp (à teneur autobiographique*) a valeur de manifeste sur l'acceptation de soi quel que soit ce "soi". En effet -et c'est cela qui est très juste et échappe au discours convenu sur la question- il est précisé dans le scénario qu'il est finalement plus épanouissant d'investir le soi que l'on est au quotidien plutôt que de se dédoubler ce qui revient à parler des bienfaits de l'intégrité. La performance de Jerry Lewis dans le double rôle est digne des plus grands transformistes et le travelling génial révélant Buddy Love produit un effet de sidération qui provoque immanquablement le rire. L'autre singularité du film est son utilisation brillante de la couleur qui en fait une œuvre de pop art que l'on peut aussi bien rattacher à l'art de la BD qu'à celui du cartoon, genre auquel le film se réfère explicitement par exemple lorsque Kelp s'essaie à la musculation et que ses bras s'allongent démesurément. Enfin Stella Purdy, l'étudiante dont le professeur Kelp est amoureux est joué par Stella Stevens qui offre une prestation certes plus légère que dans "Too Late Blues" de John Cassavetes mais tout aussi magnétique sur un air de "viens petite fille dans mon comic strip, viens faire des bulles, viens faire des wip, des clic crap, des bang, des vlop et des zip ^^^^". Car il existe un point commun entre les deux films: la quête d'une authenticité par-delà les apparences. La dernière séquence du film rend d'ailleurs hommage à Charles Chaplin.
*Pour mieux comprendre le film, il faut rappeler que Jerry Lewis connut aux Etats-Unis dans les années 1955-1960 un grand succès en compagnie de Dean Martin au travers de nombreux films comiques. Ceux-ci proposaient un schéma identique. Au sein de leur duo, il jouait le rôle ingrat de l'ahuri (abruti) de service servant de faire-valoir à Dean Martin qui était le chanteur de charme à la voix de velours, irrésistible tombeur de ces dames. Il est naturel que Jerry Lewis en ait conçu quelque amertume. D'ailleurs le duo finit par se séparer. "Docteur Jerry et Mister Love" a donc un parfum de revanche pour lui.
"Les Créatures" est l'un des films les plus expérimentaux et les plus méconnus de Agnès Varda, proche par certains aspects (l'utilisation d'écrans de couleur, la critique sous-jacente des effets délétères du patriarcat) de son précédent opus "Le Bonheur". Il fait beaucoup penser à deux films alors encore à venir de Alain Resnais "Je T'aime, je T'aime" pour l'utilisation (ici fantasmée par le biais de l'écriture) d'une technologie intrusive sur les cerveaux humains et pour un montage fantasque épousant la psyché humaine et "L'Amour à mort" pour l'utilisation de la musique contemporaine et l'alternance de plans côté pile et de plans côté face. Agnès Varda s'est beaucoup inspiré du docteur Mabuse de Fritz Lang et de la partie d'échecs du "Septième Sceau" de Ingmar Bergman tout en taclant ses petits camarades (tous masculins) de la Nouvelle vague.
Sur le plan de l'histoire, "Les Créatures" ne montre pas une société progressiste, bien au contraire, la manière dont il dépeint les relations humaines (hommes-femmes notamment) est la plus inquiétante qui soit. Agnès Varda adopte le point de vue de l'écrivain Edgard Piccoli (alias Michel Piccoli) qui a une vision paranoïaque du monde. Il vit retranché dans un fort comme s'il était assiégé et prête aux gens qu'il croise durant son séjour sur l'île de Noirmoutier des vies et des intentions (couchées ensuite sur papier) qui sont systématiquement négatives. Comme le dit Le Monde " Les amoureux se querellent, presque tous les couples se défont, les petites filles sont sournoises, les mœurs bizarres et les gens vulgaires, frivoles, vindicatifs, aigris, menteurs, violents, méchants." La seule personne qui échappe à cette misanthropie est sa femme Mylène (Catherine Deneuve) qui par contraste est un ange de pureté et pour cause! Elle vit cloîtrée dans leur forteresse, elle est muette (voire invalide au vu du nombre de fois où son mari la porte) et passe l'essentiel de son temps à attendre la naissance de leur enfant, habillée et coiffée comme une poupée. Bref la femme-objet idéale sur laquelle l'homme peut projeter ses fantasmes de domination totalitaire (fantasmes qui s'incarnent dans le personnage du savant fou qui contrôle à l'aide d'une machine ses "créatures", mot qui donne son titre au film). D'ailleurs le seul moment où Mylène manifeste une quelconque volonté propre, c'est au début, quand elle a encore sa voix. Elle demande à Edgar de rouler moins vite. Evidemment il ne l'écoute pas (cela constituerait une limite à sa liberté, le pauvre chéri) et c'est l'accident. C'est pourquoi j'ai pensé durant tout le film que Mylène était en fait morte et qu'elle n'existait que dans l'imagination de son mari qui pouvait ainsi la plier à tous ses désirs. Comme dans "Le Bonheur", il faut donc un certain travail de réflexion pour percevoir ce qu'il y a de profondément féminicide dans leur couple. Le gigantesque crabe qui se dresse plusieurs fois entre eux le laisse parfaitement deviner.
Inspiré d'un roman de Curt Siodmak, "Donovan's Brain", "The Lady and the Monster" est un film Republic, studio spécialisé dans la production de séries B pour lequel Erich von Stroheim avait déjà joué 10 ans auparavant dans "Le Crime du docteur Crespi". Il enfile donc encore une fois ses habits de savant fou obsédé par les trépanations sauf que cette fois le professeur Mueller n'est qu'un second rôle rapidement dépassé par sa créature, le cerveau d'un milliardaire qu'il a extrait de sa boîte crânienne après son décès pour lui permettre de continuer à vivre dans un bocal de laboratoire. Le premier rôle est en effet tenu par son assistant, le Dr Patrick Cory (Richard Arlen) qui se fait posséder par le fameux cerveau au travers du lien télépathique qu'il a établi avec ce dernier. Manipulé par ce nouveau Dr Mabuse (l'atmosphère et le contexte rappellent le film de Fritz Lang de 1932), Patrick se met à contrefaire la signature du milliardaire pour lui soutirer ses billets de banque afin de faire rouvrir par des moyens peu avouables le procès d'un condamné à mort, M. Collins qu'il veut faire innocenter (on ne saura le comment du pourquoi qu'à la fin du film). Quant à ceux qui l'en empêcheraient, il est prêt à leur régler leur compte ^^. L'avantage de cette intrigue policière, c'est qu'elle permet au film de monter en puissance, les 10 dernières minutes faisant même l'objet d'un suspense insoutenable (le Dr Cory va-t-il tuer Janice, sa fiancée jouée par Vera Ralston avant qu'elle ne parvienne à le libérer de cette emprise maléfique?) Ainsi en dépit de ses moyens limités et de son âge, "The Lady and the Monster" est un film de genre très habilement construit et mené sans temps mort jusqu'aux toutes dernières secondes grâce à l'expérience de son metteur en scène George Sherman (qui faisait alors une entorse à son genre de prédilection, le western).
Film défouloir kitschissime entre glam rock et movida tout entier polarisé sur Frank, sa star transgenre charismatique et l’hallucinante performance de celui qui l’incarne, Tim (MER)CURRY ^^. Bien que bourré de références de toutes sortes, notamment aux films hollywoodiens de monstres souvent détournés ou parodiés (J’aime particulièrement la créature de Frankenstein new look bodybuildée et bronzée sortant d’un cercueil arc en ciel et puis tel King-Kong, faisant l’ascension de la tour RKO avec Frank évanoui), le film est profondément ancré dans les seventies (dimension contestataire et libertaire, paranoïa). Face au couple aseptisé joué par Susan SARANDON et Barry BOSTWICK, Frank apparaît par antithèse comme un vampire sexuel affamé de chair fraîche. Les chansons et même certaines chorégraphies ont encore de la gueule aujourd’hui. Mais il manque à ce film une vraie mise en scène (on est davantage dans un enchaînement de numéros dans des décors statiques) et un vrai scénario. Voir tous ces pantins sans consistance s’agiter frénétiquement sans but véritable finit par lasser. Quant à l’hédonisme débridé du film, il n’est que l’envers de la médaille du puritanisme du début, une autre forme d’aliénation phallocrate symbolisée par l’emprise que Frank a sur ses créatures déshabillées et utilisées comme des poupées gonflables à usage unique, puis transformées en statues puis en pantins transformistes décalquées sur leur modèle. L’affichage transgenre dissimule en réalité un sexisme tout ce qu’il y a de plus traditionnel. Janet passe ainsi du statut de sainte-nitouche à celui de salope (comme un air de déjà vu). Quant à Frank, une fois ses méfaits accomplis, il repart dans l’espace et n’aura constitué qu’une parenthèse de carnaval servant au final à conforter l’ordre établi.
Voilà un film qui m'a fait l'effet d'un véritable pétard mouillé. Tout d'abord parce que son scénario est non seulement hyper convenu mais en plus traité au premier degré. Ensuite parce que le rôle de sidekick de Pikachu est tout aussi bâclé. Il ne suffit pas de lui mettre une casquette de Sherlock Holmes et la voix de Deadpool (Ryan REYNOLDS) pour que par miracle, celui-ci adopte leur personnalité. De même une image subliminale de film noir à la TV ne suffit pas pour recréer "Qui veut la peau de Roger Rabbit" ? (1988) qui lui bénéficiait d'une véritable vision de réalisateur en plus d'être une prouesse technique ce que "Pokémon détective Pikachu" n'est pas. Les interactions entre le monde virtuel et le monde réel n'ont pas en effet été plus travaillées que le reste du film. "Pokémon detective Pikachu" est donc au final juste un pur produit commercial formaté pour caresser dans le sens du poil les fans de l'univers Pokémon et plus généralement les adeptes de la pop culture.
George MILLER est décidément un cinéaste très intelligent. Et cette intelligence transparaît dans "Mad Max: Fury Road" qui est à la fois une mise à jour à l'aune des enjeux contemporains et un retour aux sources ayant abreuvé la saga.
Le retour en arrière va bien plus loin que l'époque de saga elle-même. L'introduction du film m'a fait penser à une version 2.0 de "Cops" (1922) le court-métrage de Buster KEATON car la course-poursuite à pied s'y termine exactement de la même façon: Max finit avalé par ceux qui le poursuivent. Il en tire d'ailleurs un enseignement qu'il transmet à la fin d'une autre course-poursuite du film: la fuite en avant n'a pas d'issue, il faut affronter l'ici et le maintenant. En version écologiste cela donne un message du type "Cessez de rêver à une hypothétique terre promise, elle n'existe pas. La destruction de la terre est globale et nous n'avons pas de planète de rechange. Mieux vaut faire demi-tour et tenter de se battre pour reconstruire sur des bases plus saines à partir de ce qui existe encore". Il y a aussi dans "Mad Max: Fury Road" un hommage appuyé de George MILLER au premier film de son compatriote Peter WEIR, "Les Voitures qui ont mangé Paris" (1974) qui préfigurait le premier "Mad Max" (1979). La voiture customisée iconique du film de Peter WEIR, la Volkswagen de type 1 hérissées de dards fait en effet une apparition spectaculaire en horde dans l'une des courses-poursuites du film de George MILLER.
Réactualisation formelle et thématique d'autre part car plus d'une génération s'est écoulée depuis le dernier film "Mad Max 3 : Au-delà du Dôme du Tonnerre" (1985).
Sur le plan technologique, les images de synthèse sont devenues incontournables pour ce type de cinéma mais c'est dans leur utilisation que George MILLER marque vraiment sa différence avec la production mainstream. Une des raisons de la valeur intrinsèque de la saga réside dans ses scènes d'action en prise avec la réalité. Dans les années 70 et 80, il n'y avait pas le choix. Mais aujourd'hui, tourner avec de véritables véhicules et des cascadeurs relève non seulement d'un choix mais d'un manifeste, comme Tom CRUISE dans saga "Mission Impossible" que l'on a également souvent comparé au plus grand casse-cou de l'histoire du cinéma, Buster KEATON (qui n'est pas seulement un incontournable du cinéma burlesque mais aussi du cinéma d'action et surtout de la philosophie du cinéma d'action!) Les effets spéciaux sont donc utilisés pour amplifier l'action humaine et non pour la remplacer. Beaucoup d'articles ont d'ailleurs souligné que "Mad Max: Fury Road" sans retouches numériques restait très impressionnant à voir (alors que les films 100% images de synthèse sont totalement ridicules une fois ceux-ci enlevés).
Sur le plan thématique, dans une saga post-apocalyptique où l'avenir paraît bouché, Miller fait sienne la devise selon laquelle "la femme est l'avenir de l'homme" et règle ainsi la délicate question de la succession de Mel GIBSON. En effet dans les précédents Mad Max, on pouvait entonner à la suite de Patrick Juvet la question "Où sont les femmes?" Bon il y en avait quand même quelques unes mais plutôt dans la position classique de la victime du prédateur masculin, si l'on excepte le rôle d'Entité joué (avec peu de réussite, il faut bien l'avouer) par Tina TURNER. Dans "Mad Max: Fury Road", il faut près de 40 minutes pour que l'on voit enfin le visage jusque là emprisonné dans une muselière de Tom HARDY si bien qu'on a eu largement le temps de le mettre de côté au profit de l'imperator Furiosa servie par une incroyable prestation de Charlize THERON. D'ailleurs celle-ci apparaît de plus en plus au cours du film comme un double féminin de Max, (même basculement du "côté obscur de la force", même quête de rédemption, même corps amoché et estropié), Imperator Furiosa étant par ailleurs une référence aux déesses de la vengeance romaines (les Furies). Max finit d'ailleurs par complètement s'effacer du paysage non sans avoir auparavant approfondi le lien gemellaire avec Furiosa par une transfusion sanguine qui lui permet au passage de retrouver son nom, lui qui avait perdu son identité à la fin du premier film.
Ce qui est tout aussi important pour le sens du film, c'est qu'en dépit de son apparence de camionneuse, Furiosa agit au nom de valeurs féministes. Il s'agit de libérer des jeunes femmes asservies par un tyran en état de décomposition avancé mais rêvant d'immortalité au point qu'il se fait nommer Immortan Joe (toute ressemblance avec des rockers sexa/septuagénaires en quête de jeunes mannequins à la chair fraîche n'est qu'une coïncidence purement fortuite ^^). Une fois de plus, il s'agit d'en finir avec le patriarcat et ses effets délétères (du capitalisme au jdihadisme). Splendid (l'une des jeunes esclaves sexuelles et mère porteuse d'Immortan Joe qui est joué, cela n'a échappé à personne par Hugh KEAYS-BYRNE, la terreur du premier "Mad Max") (1979) a tout à fait raison de lier la question féministe et la question écologiste, c'est bien l'homme -ou plutôt une certaine conception de ce que doit être un homme, dominant, conquérant, agressif- qui a tué le monde. Max aide ainsi Furiosa à prendre conscience qu'on ne pourra pas libérer les femmes (ni les hommes d'ailleurs comme le montre l'exemple de Nux joué par Nicholas HOULT qui redevient humain par la grâce d'un un simple regard compatissant posé sur lui) sans libérer la terre nourricière du joug de tous les Immortan Joe du monde.
Le premier "Mad Max" (1979) était fauché mais il fourmillait tellement de talents et d'idées qu'il réussissait l'exploit d'échapper à l'attraction du cinéma bis. Le deuxième, "Mad Max 2 : le Défi" (1981) gagnait en ambition et en maîtrise (scénaristique notamment) ce qu'il perdait en fraîcheur et en spontanéité. Le troisième hélas n'est qu'une pâle copie du second où l'ADN de la saga s'est perdue en chemin. Le manque d'originalité est flagrant avec l'apparition-disparition d'un Max vagabond plus hirsute que jamais qui fait figure une fois de plus de guide-messie pour une communauté en souffrance. Mais surtout, les aspects sombres de la saga ont été édulcorés sans doute pour élargir le public. Il s'agit en effet du volet le plus ouvertement commercial avec la mise en avant de Tina TURNER dont le hit "We Don't need another hero" cartonnait au même moment dans les charts, la disparition quasi-totale de la violence (alors que l'on est toujours censé se trouver dans un monde post-apocalyptique) au profit d'une histoire un peu niaise où Max devient le messie d'un groupe d'enfants qui font furieusement penser aux gentils Ewoks de "Star Wars Le Retour du Jedi" (1983) ou aux enfants perdus de "Hook ou la revanche du capitaine Crochet" (1991) plutôt qu'à l'enfant sauvage du deuxième volet. Si l'on rajoute la ringardise des costumes et des coiffures (présente déjà dans le 2 mais dans le 3, c'est encore pire entre les cheveux longs très Christophe LAMBERT de Mel GIBSON et la cote de mailles à épaulettes de Tina TURNER) ainsi que quelques passages un peu lourds autour de l'odeur de la fiente de porc qui alimente en énergie la ville de Trocpolis, on ne voit pas trop quel est le rapport de ce film avec le reste de la saga. En fait il faut attendre le dénouement qui comme les autres films s'effectue sous forme de course-poursuite pour retrouver un peu de l'état d'esprit originel. Déjà parce que les engins motorisés délirants absents des 2/3 du film y font (mais un peu tard) leur apparition et ensuite parce qu'ils entourent une locomotive qui rappelle que "Mad Max" était à l'origine au hommage au western, locomotive surmontée d'une roulotte dans la plus pure tradition de "Freaks/La Monstrueuse parade" (1932) d'autant que l'enjeu de la course est l'appropriation d'un nain qui n'est autre que Angelo ROSSITTO qui jouait dans le film de Tod BROWNING. C'est un beau passage mais qui ne suffit pas à sauver le film dans son ensemble. On peut se demander si une telle disparité de styles n'est pas due au fait que George MILLER a partagé son travail de réalisateur avec George OGILVIE tant on à du mal à le reconnaître sur la plus grande partie du film.
Le premier volet ancré dans la crise des seventies imaginait l'effondrement d'une civilisation confrontée à la montée de la violence en même temps que le basculement de l'un de ses membres dans la barbarie après le massacre de sa famille. Le deuxième réalisé deux ans plus tard au début des années 80 radicalise encore plus les effets du second choc pétrolier en faisant de l'essence le nerf d'une guerre sans merci entre factions rivales dans un monde post-apocalyptique désormais livré à l'anarchie. Quand à Max (Mel GIBSON), il a perdu son apparence proprette de père de famille sans histoire pour revêtir l'allure hirsute et dépenaillée d'un survivor de la route. La jambe estropiée et le regard vide, il s'est transformé en bad boy aussi taciturne, solitaire et taiseux que "l'homme sans nom" auquel il fait désormais penser. Il s'est tellement deshumanisé qu'il en arrive même à manger de la nourriture pour chien. C'est donc en mercenaire (au Japon, on le qualifie d'ailleurs de rônin) qu'il vient proposer ses services à une petite communauté retranchée dans une ancienne raffinerie assaillie par des apaches punks au look SM. Le cadre est posé, place à l'action.
Plus que jamais dans ce film au budget multiplié par 10 par rapport au précédent George MILLER a pu se permettre de réécrire le western à l'aune d'un genre qu'il a aidé à sortir de terre, celui du film post-apocalyptique. Les morceaux de bravoure sont dignes dans leur mise en scène du " Massacre de Fort Apache" (1948) et de la " Chevauchée fantastique" (1939) pour la grande poursuite finale, parfaitement chorégraphiée et exécutée. La sensation d'immersion est remarquable aussi bien lorsque l'on est au ras du sol que lorsqu'on plane dans les airs avec le gyro captain interprété par Bruce SPENCE). A un canevas mythologique d'inspiration universelle (un héros, une quête, des épreuves) inspiré du livre de Joseph Campbell "Le héros aux 1001 visages", George MILLER ajoute une bonne dose de nihilisme issue du premier volet et quelques effets de couleur locale: le passage d'un kangourou qui confirme la géographie australienne du film et le personnage de l'enfant sauvage (Emil MINTY) inséparable de son boomerang tranchant. On peut tout au plus reprocher au film quelques effets visuels qui ont mal vieilli notamment dans l'introduction (tout comme certains costumes trop connotés eighties pour ne pas être devenus kitsch aujourd'hui).
C'est le film qui a révélé au monde entier que les routes australiennes ressemblaient plus aux "Règlements de comptes à O.K. Corral" (1957) qu'à des moyens de déplacement bucoliques ^^. La genèse de "Mad Max" est en effet liée aux visions d'horreur d'un médecin urgentiste de l'hôpital de Sydney témoin de nombreux carambolages dans sa région natale et chargé de constater les décès ou de réparer les blessures des corps fracassés par la violence routière, les "accidents de la route" en Australie étant en réalité le plus souvent des meurtres plus ou moins déguisés. Ce médecin urgentiste n'était en effet autre que George MILLER qui a donc eu l'idée de traduire cette réalité extrême (visible dans le film au travers des plans des corps suppliciés des proches de Max qui servent de moteurs à sa vengeance) en univers de fiction futuriste post-apocalyptique.
Mais entre autre en raison de son tout petit budget, le genre prédominant dans ce premier volet est le western (avec le road movie). Un western dopé au carburant que l'on s'arrache à prix d'or (bien que situé dans le futur, c'est le choc pétrolier de 1973 qui a servi de cadre de référence) et à diverses autres substances (voir le moment où en arrière-plan les motards décrochent un ballon en forme d'éléphant rose ^^) mais où l'on retrouve tous les poncifs du genre: courses-poursuites entre hors la loi et shérifs, scène de la gare où les bandits viennent chercher l'un des leurs (référence notamment au "Le Train sifflera trois fois" (1952) dont s'est ensuite inspiré Sergio LEONE pour l'ouverture de "Il était une fois dans l'Ouest") (1968), scène d'arrivée de la horde de motards dans un bled paumé où ils terrorisent la population après avoir garé leurs engins à la manière des cow-boys se rendant au saloon. Et puis surtout et je dirais même avant tout, il y a cette course-poursuite filmée sous acide servant d'introduction au film montrant en montage alterné la naissance d'un héros de manière aussi puissante que le surgissement de John WAYNE dans "La Chevauchée fantastique" (1939). "Mad Max" s'avère être également de ce point de vue un film d'anticipation en présentant un petit jeune d'une vingtaine d'années alors inconnu comme une méga star rock and roll en total look cuir (la plupart des autres ont dû se contenter de combinaisons synthétiques, budget oblige) et lunettes noires: Mel GIBSON a ainsi eu droit à une entrée fracassante dans l'histoire du cinéma. Cependant il incarne un John WAYNE plus proche de "La Prisonnière du désert" (1956) que du film marquant sa première collaboration avec John FORD, c'est à dire un personnage pratiquant une justice privée aussi barbare que la violence déployée par ceux qu'il poursuit. La frontière entre justice et vengeance est d'ailleurs d'autant plus ténue que l'Etat dans "Mad Max" est en déliquescence complète (et non embryonnaire comme dans les western classiques).
De façon plus générale, le brio de la mise en scène est tel qu'il permet d'oublier les faiblesses du scénario (surtout perceptibles dans la seconde partie) et l'aspect cheap du tournage. George MILLER gère également de manière intelligente la violence inhérente à l'histoire. Celle-ci est davantage suggérée que montrée et se ressent plus par un climat de tension et d'angoisse que par une surenchère de gore à l'écran.
Le cinquième film de Alain RESNAIS se situe quelque part entre le puzzle mental de "L'Année dernière à Marienbad" (1961), les incursions de l'inconscient de "Muriel ou le temps d'un retour" (1962) et le voyage dans le temps science-fictionnel de la "La Jetée" (1963). Il avait d'ailleurs entrepris un projet commun avec Chris MARKER qui échoua mais qui aboutit à deux films ayant d'indiscutables points communs. Notamment un aspect froid, clinique lié au fait qu'il s'agit dans les deux cas d'expériences de voyage dans le passé menées par des scientifiques sur des cobayes humains à l'aide d'une prise de drogue et d'un enfermement dans un lieu clos (souterrain dans "La Jetée" (1963), capsule organique digérant lentement sa proie dans "Je t'aime je t'aime"). Le scénariste du film, Jacques STERNBERG lui a été conseillé par Chris MARKER et s'inspire de sa véritable histoire.
"Je t'aime je t'aime" est cependant moins un film sur le temps que sur la mémoire. Il ne s'agit pas à proprement parler de revivre le passé mais de le reconstituer au travers des souvenirs forcément altérés par le temps mais aussi l'interprétation que le sujet en a fait. On l'a donc beaucoup comparé à l'œuvre de Marcel Proust. Mais "A la recherche du temps perdu" est d'une bien plus grande envergure que "Je t'aime je t'aime" qui se focalise sur l'échec de la vie adulte du héros marquée par l'ennui et le mal-être. Claude (Claude RICH dans ce qui est sans doute son plus grand rôle) passe son temps à essayer de "tuer le temps" dans les différents emplois de bureaux qu'il occupe plus ternes les uns que les autres. D'autre part il voit également le temps détruire sa relation de couple avec Catherine (Olga GEORGES-PICOT), jeune femme dépressive qu'il s'accuse d'avoir tué. Lui-même a perdu le goût de vivre et ne pense plus qu'à se suicider. On le voit, la dépression et la mort sont omniprésentes dans le film qui a également une parenté avec "Le Feu follet" (1963) au point que Alain RESNAIS a refusé Maurice RONET pour le rôle principal de crainte qu'on ne confonde les deux films. De fait si la première partie du film est prometteuse, Alain RESNAIS mettant encore une fois tout son talent de monteur au service de cette histoire éclatée, le dispositif expérimental à du mal à tenir la distance d'un long-métrage. Comme le titre l'indique, au bout d'un moment les séquences deviennent répétitives avec certes de subtiles variations pour chacune d'elles (positionnement des éléments de décor, angles de caméra, changement de personne dans une même situation etc.) Mais le problème réside dans la médiocrité affligeante du héros, un petit-bourgeois névrosé dont on a bien du mal à compatir aux malheurs existentiels alors qu'il se prend des vacances en Provence et en Ecosse et qu'il ne se prive pas de tromper Madame avec tous les jupons qui passent. Bref un stéréotype bien rance de la France des années 60. On est bien loin des enjeux forts de "La Jetée" (1963) qui se déroule sur fond d'apocalypse nucléaire ou de "Muriel ou le temps d'un retour" (1962) qui trouve son sens dans le contexte de la guerre d'Algérie. Heureusement que Claude RICH impose sa présence sensible et mélancolique car son rôle est tout de même assez ingrat. Michel GONDRY réalisera quelques décennies plus tard une version plus pêchue et pop sur cette trame avec "Eternal sunshine of the spotless mind" (2004).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.