Le seul volet de la trilogie Austin Powers que je n'avais pas encore vu est à l'image des autres: un délicieux bonbon pop, régressif juste ce qu'il faut, bourré d'énergie, d'idées et de références judicieusement placées. Cette parodie des films d'espionnage biberonnée au swinging London et animée de l'esprit potache du Saturday Night Live d'où est issu Mike MYERS est plus réjouissante que jamais, frisant souvent le mauvais goût mais parvenant à l'éviter la plupart du temps grâce à sa tonalité bon enfant. Le titre se passe de commentaire, d'autant que même l'original "Goldfinger" (1964) avait déjà donné lieu à des détournements douteux. L'ouverture est un pastiche de "Mission : Impossible 2" (2000) renommé "Austinpussy" (allusion à "Octopussy") (1983)" avec l'apparition clin d'oeil de Tom CRUISE déguisé en Austin Powers, les autres personnages étant incarnés par Gwyneth PALTROW, Kevin SPACEY et Danny DeVITO, le tout sous la houlette de Steven SPIELBERG et Quincy JONES (il n'y a pas à dire, Mike MYERS fait fort en terme de casting). Quant à l'anti-James Bond des années 60, alias Harry Palmer alias Michael CAINE, il devient rien de moins que le père de Austin Powers ce qui rend explicite le fait que Mike MYERS s'est inspiré de lui pour créer son personnage. Autre très bonne idée, rendre hommage à la blaxploitation au travers du personnage joué par Beyonce KNOWLES qui ressemble furieusement à Pam GRIER. Alors il est vrai que le film ressemble plus à une suite de sketches qu'à un vrai film mais c'était après tout également le cas des Monty Python à qui Mike MYERS rend un hommage appuyé. Et plusieurs scènes sont vraiment très drôles comme celle du cameo de Britney SPEARS (qui devient "canon" au sens propre!), du clip de rap, du sous-marin ou celles qui jouent sur les illusions d'optique (il y en a deux fois plus que dans l'opus précédent). Tout n'est cependant pas aussi drôle, à commencer par Goldmember lui-même (joué également par Mike MYERS) qui exploite maladroitement le concept de "bijoux de famille" que l'on retrouve jusque dans "Pulp Fiction" (1994). Et si le répugnant personnage de Gras-Double (autre personnage joué par Mike MYERS) en fait déjà trop (pour moi), cela aurait pu être pire. Heureusement que Beyonce KNOWLES a mis des limites à l'imagination débordante du réalisateur. Il n'en reste pas moins que cet opus est un festival dont on sort le sourire aux lèvres.
Esthétiquement superbe, le film d'animation néo-noir et cyberpunk de Jeremie PERIN m'a tout de même déçue de par son manque d'originalité et de profondeur. Ce que développe le film -la relation entre l'homme et les robots- a été déjà traité de nombreuses fois depuis que Isaac Asimov a formulé en 1942 les lois qui fondent l'éthique des robots, l'avatar high-tech d'un mythe remontant à Prométhée et à Frankenstein pour ne citer que ses figures les plus connues. La plupart des oeuvres de SF qui en ont dérivé questionnent l'âme des robots (comme la série "Real Humans : 100 % humain" (2012) ou "Ghost in the Shell" (1995)) leurs émotions et leur degré de libre-arbitre. Par conséquent, tôt ou tard ils échappent à leurs créateurs et peuvent même se retourner contre lui (comme par exemple dans "2001 : l'odyssee de l'espace" (1968) ou "Blade Runner") (1982). On le voit, "Marx express" croule tellement sous les références qu'il peine à proposer une vision personnelle et surtout incarnée. On reste en surface, tant en ce qui concerne les personnages dont la diversité de nature est sous-exploitée (humain, humain augmenté, robot sauvegardant la mémoire d'un être humain décédé, robot "déplombé" c'est à dire débridé par des hackeurs ou bien au contraire instrument servile) qu'en ce qui concerne l'univers, magnifique, pensé dans les moindres détails, cohérent mais cruellement privé de contexte et de vie. C'est ce qui à mon avis explique qu'il s'oublie très vite et comporte contrairement à ses modèles (en plus de la SF il y a tous les films noirs et néo-noirs américains autour de la figure du privé) bien peu de mélancolie (seul le fantôme de Carlos dans son corps de robot apporte un peu d'émotion à ce film par ailleurs aussi froid qu'une machine).
Les deux romans de science-fiction de Richard MATHESON que j'ai lu sont restés gravés en moi tant il excelle à mettre en scène les plus grandes peurs de l'humanité (la solitude, la mort, la perte) mais également à les relativiser, donnant à ses livres une dimension philosophique. Dans "Je suis une légende" comme dans "L'homme qui rétrécit", le personnage commence par lutter pour survivre dans un monde hostile avant de basculer dans une attitude d'acceptation face à son propre anéantissement. Le contexte était également propice à ce genre de réflexions avec la guerre froide, la course aux armes de destruction massive, les pollutions chimiques des secteurs agricoles et industriels le tout masqué par l'idéologie du progrès et de la modernité des Trente Glorieuses.
Le film est très fidèle au livre et pour cause, c'est Richard MATHESON qui a écrit le scénario. Mais il faut également saluer le travail de Jack ARNOLD pour donner vie au cauchemar du rétrécissement sans fin du héros. Comme dans le livre, celui-ci se fait par étapes, comment autant d'épreuves le faisant passer d'être intégré socialement à phénomène de foire brutalement renvoyé aux marges du monde avant d'en être totalement exclu. Dans cette dernière phase, le personnage est comme Robinson sur son île, un être seul, primitif, devant lutter contre les éléments les plus banals devenus infranchissables (des caisses, l'escalier) ou mortels (le chat, l'araignée). Les effets spéciaux, bluffants pour l'époque, sont essentiels à la réussite du film. Ils jouent beaucoup sur l'illusionnisme, les rapports de taille et d'échelle entre personnages et environnement ainsi que divers trucages comme les transparences. Grâce à tout ce travail et à l'interprétation habitée de Grant WILLIAMS, on s'identifie à ce personnage victime de son environnement, à son impuissance et à l'énergie du désespoir qu'il met à survivre.
"Astéroid city", le dernier film de Wes ANDERSON comblera les afficionados du cinéaste. Ceux qui détestent son cinéma ne risquent pas de changer d'avis. Pour moi qui suis entre les deux, l'orientation prise depuis "The French Dispatch" (2018) me désole. Si son style, reconnaissable entre mille n'a quasiment pas évolué depuis ses débuts, ses premiers films assez inégaux comportaient cependant leurs moments réussis de fantaisie ou de poésie et une intrigue lisible. A partir de "A bord du Darjeeling Limited" (2007) et surtout de "Moonrise Kingdom" (2012), les mécaniques huilées de ses films déraillaient à un moment ou à un autre du récit pour laisser entrer l'imprévu que ce soit les débordements naturels ou ceux de l'émotion. Il parvenait même à partir de "The Grand Budapest Hotel" (2013) à donner une portée politique à ses films et offrait en prime un grand rôle à Ralph FIENNES qui comme Gene HACKMAN s'émancipait du cadre dans lequel il était construit. Mais depuis "The French Dispatch", non seulement on en revient aux belles mécaniques des débuts où rien ne dépasse mais en plus, Wes ANDERSON multiplie à l'intérieur de chacune d'elle les ramifications et imbrications scénaristiques qui les rendent illisibles en plus d'une inflation de stars de plus en plus indigeste. Ainsi "Astéroïd City" est construit sur une mise en abyme sans intérêt. La partie méta en noir et blanc qui dévoile les dessous de la pièce en train de se dérouler sous nos yeux est parfaitement inutile. Wes ANDERSON n'a pas inventé les relations entre théâtre et cinéma et cela a été fait tellement mieux ailleurs! Quant à la pièce elle-même, on ne sait pas très bien ce qu'elle veut nous dire tant elle est décousue. Plusieurs intrigues sont amorcées, aucune n'est véritablement explorée. Il y aurait eu en fait de quoi faire plusieurs films mais pour cela il aurait fallu choisir et c'est ce que semble ne pas avoir su ou voulu faire Wes ANDERSON. Le résultat est un défilement ininterrompu de personnages et de situations qui submerge le spectateur. Revenir à plus de simplicité et épurer le propos me semble être devenu une urgence sinon Wes Anderson va finir écrasé sous le poids non d'un astéroïde mais de ses propres films. Et perdre définitivement une partie de ses spectateurs, lassé de ces manifestations d'ego surdimensionné.
Je n'avais jamais eu envie de voir le quatrième épisode des aventures d'Indiana Jones bien qu'il ait fait couler beaucoup d'encre, plutôt négativement. Au final, sans atteindre la dimension mythique du premier ou l'intensité du troisième, c'est un film qui se regarde avec plaisir, même s'il est trop bavard et un peu longuet. Le poids des ans se fait ressentir et il est difficile d'anticiper le vieillissement des effets spéciaux numériques qui sont très présents dans le film. Mais la scène d'ouverture est tout aussi brillante que celle des opus précédents et nous plonge en immersion dans les années cinquante ou plutôt dans l'immense cinémathèque consacrée à cette période. Steven SPIELBERG et George LUCAS voulaient conserver l'aspect "série B" de leur saga en mixant l'aventure dans la jungle à la manière des aventures de Bob Morane avec les histoires de science-fiction souvent à connotation paranoïaque dans un contexte de guerre froide. Alors ils s'en donnent à coeur joie, parfois en s'auto-citant, de "American Graffiti" (1973) à "E.T. L'extra-terrestre" (1982) en passant par "Rencontres du troisième type" (1977) ou en citant les amis avec l'allusion à la première version du scénario de "Retour vers le futur" (1985) dans lequel la machine à voyager dans le temps fonctionnant à l'énergie nucléaire était un réfrigérateur. D'ailleurs le film de Robert ZEMECKIS transportait le héros dans les années cinquante et citait "L'Invasion des profanateurs de sépultures" (1956) également mentionné dans le film de Steven SPIELBERG. Quant à la cité maya construite par des aliens, elle aussi constitue un thème important de l'ufologie des années cinquante, soixante et soixante-dix dont on trouve l'héritage dans ce qui est un de mes souvenirs d'enfance "Les Mystérieuses cités d'or" (1983). Donc, respect vis à vis de tout ce travail d'assimilation et de restitution qui est d'une grande cohérence tout comme d'ailleurs l'autre aspect majeur du film, la saga familiale, amorcée dans le deuxième, affirmée dans le troisième et pleinement exploitée dans le quatrième. Steven SPIELBERG et George LUCAS sont tout autant mythologues que cinéastes et Harrison FORD est loin d'avoir rendu son dernier soupir. Même s'il doit faire équipe avec un petit jeune aux faux airs de James DEAN et de Marlon BRANDO joué par Shia LaBEOUF, aucun ancien, vivant ou non n'est oublié que ce soit Karen ALLEN (Marion Ravenwood), Sean CONNERY (Henry Jones senior) ou Denholm ELLIOTT (Marcus Brody) remplacé par Jim BROADBENT dans le rôle du doyen de l'institut où enseigne encore Indiana Jones qui lui aussi a vu sa retraite repoussée puisqu'il doit reprendre du service cette année pour un cinquième volet.
Oh non! Avais je pensé, consternée en voyant la bande-annonce. Ils n'avaient pas osé. Et bien si. Et sans la manière en plus, ne cherchant même pas à cacher le cynisme de l'entreprise d'exhumation d'une saga vieille de presque 20 ans. Ce n'était ni fait, ni à faire. Voilà ce que j'ai pensé en me décidant finalement à regarder cette consternante... quoi au juste? Suite? Reboot? Remake? Peu importe au fond. S'il y a quelque chose à retenir de ce film, c'est que les studios hollywoodiens pressent tellement leurs franchises comme des citrons qu'ils en arrivent à des summums d'absurdité. C'est d'ailleurs un cauchemar pour les auteurs de ces univers qui se retrouvent enfermés pour le reste de leur vie avec ces personnages à succès dont ils ne peuvent plus se débarrasser. C'est d'ailleurs je pense ce qu'a voulu maladroitement exprimer Lana WACHOWSKI (sa soeur ayant préféré jeter l'éponge) sous couvert de donner une vision méta au film. Ce qui créé une sensation de malaise, la réalisatrice ne cherchant nullement à cacher son mépris vis à vis de la Warner et de la soupe qu'elle se sent obligé de concocter pour eux et "les spectateurs-moutons" qui veulent toujours qu'on leur serve les mêmes recettes. De fait "Matrix: Résurrection" sent fort le cadavre réanimé à la manière des Inferi de Harry Potter (autre franchise Warner), notamment avec un Keanu REEVES qui semble se demander ce qu'il fait là. On se demande d'ailleurs ce que son personnage a fichu depuis 18 ans ainsi que celui de Carrie-Anne MOSS qui n'est guère mieux en point (et je ne parle même pas du passage-éclair de Lambert WILSON qui s'avère totalement ridicule). Mais eux aussi, ont-ils le choix? Le scénario de "Matrix Revolutions" (2003) les faisait mourir, la nouvelle les ressuscite. Si les acteurs refusent de revenir, on les remplace par d'autres et peu importe que ce ne soient que de pâles copies de Laurence FISHBURNE et de Hugo WEAVING. Ou bien, autre possibilité, on les recréé à l'aide d'effets spéciaux comme dans "Rogue One: A Star Wars Story" (2016). D'ailleurs, la dernière mouture de Matrix s'inspire du VIIe épisode avec une jeune génération de fans de Neo qui cherchent à lui prouver qu'il a changé le monde. Sauf que ces nouveaux personnages sont inconsistants tout comme le nouveau grand méchant, ennuyeux à mourir. L'histoire reprend en fait la trame du premier volet quasiment à l'identique sous une couche de complexification nébuleuse (l'échec à créer une intrigue qui se tient explique les abondantes images d'archives histoire de ne pas totalement perdre le spectateur) et les rares aspects qui auraient pu apporter une plus-value ne sont pas creusés (comme la nouvelle relation de coopération entre humains et certaines machines qui prennent des formes animales). Cette profonde médiocrité se ressent jusque dans les scènes d'action, brouillonnes et paresseuses sans plus rien de ce qui faisait la patte caractéristique de cet univers (car il n'y a pas qu'une partie du casting et l'une des réalisatrices qui a déclaré forfait, c'est le cas aussi du chorégraphe Woo-Ping YUEN, du chef-opérateur Bill POPE, du compositeur Don DAVIS ou du superviseur des effets spéciaux John Gaeta, bref les rats ont quitté le navire avant qu'il ne coule). Lana WACHOWSKI et Lilly WACHOWSKI avaient à l'origine des ambitions mais leur pacte avec le diable a finit par avoir leur peau (créatrice). Ceci étant, l'acte suicidaire de Lana WACHOWSKI a eu au moins une vertu: les spectateurs ont boudé un film qui les méprisait ouvertement ce qui semble être la seule manière aujourd'hui d'arrêter le massacre de l'art populaire (comme d'ailleurs pour les animaux fantastiques, autre saga à rallonge de la Warner mal fichue qui a contribué à ternir l'aura de J.W Rowling).
Bien que "Fumer fait tousser" aurait eu besoin d'avoir un rythme plus soutenu pour libérer toute sa puissance de frappe, le film, à l'image de "Le Daim" (2019) m'a renvoyé à toute une série de références. Le fait d'appartenir à la même génération, celle des "enfants de la TV" des années 80 aide certainement à mieux l'apprécier. En effet j'ai grandi avec les Sentai ("Bioman") (1984) et autres metal heroes japonais ("X-Or") (1982). Je me suis bidonnée devant l'excellente parodie des Inconnus même si elle était mâtinée de la xénophobie antijaponaise propre à l'époque ("toi tu t'appelles Nathalie avec tes yeux bridés et ta face de citron? Tais-toi c'est pour l'exportation en France"). Et je n'ai raté aucun des épisodes de la version amateur franchouillarde des sentai "Les France five" (très appréciée d'ailleurs au Japon), beaucoup plus fun que la déclinaison américaine, pro mais très premier degré alias les "Power Rangers" (2015). Néanmoins le film de Quentin DUPIEUX s'abreuve à d'autres sources. La bande reçoit ses missions à la manière de les "Drôles de dames" (1976) d'un personnage qui ressemble à une version dégoûtante de "Alf" (1986) (qui a la voix de Alain CHABAT donc l'esprit des Nuls) et se déplace à bord d'un véhicule qui n'est pas sans rappeler "Scoubidou" (1969) (sans le flower power mais avec la crétinerie des personnages joués par Gilles LELLOUCHE et Anaïs DEMOUSTIER qui m'ont fait penser à Fred et Daphné). Mais en voyant le film, je me suis dit qu'il était bien dommage que Quentin Dupieux n'ait pas pu collaborer avec Roland TOPOR tant "Fumer fait tousser" m'a rappelé l'esprit absurde, surréaliste, critique et mélancolique de "Téléchat". Ou encore celui des Monty Python (Anthony SONIGO qui se fait broyer par Blanche GARDIN sans moufter c'est un peu Graham CHAPMAN commentant d'un air détaché sa jambe arrachée dans "Monty Python : Le Sens de la vie") (1982). Car "Fumer fait tousser" n'est pas si absurde qu'il en a l'air (comme tous les Dupieux). Il s'agit en réalité d'un film catastrophe mais qui prend le contrepied du blockbuster spectaculaire façon "Le Jour d après" (2004). Le méchant, Lézardin (Benoît POELVOORDE) veut anéantir la "petite planète malade" qu'est devenue la Terre mais en fait elle s'empoisonne très bien toute seule. Chaque membre de la "Tabac force" libère la substance toxique qui lui donne son nom. Le lac autour duquel ils font leur retraite est tellement pollué qu'on y pêche un barracuda qui parle (comment ne pas penser à "The Host" (2006) de BONG Joon-ho?) Les histoires que chacun raconte au coin du feu pour faire peur aux autres évoquent la dissolution prochaine du corps humain dans un monde privé de sens. Et la fin est sans ambiguïté: nulle technologie ne viendra nous sauver. "Le changement de l'époque en cours" s'avère être un vieux disque rayé. Sous le rire perce une angoisse proprement métaphysique.
L'un des premiers numéros de "Blow Up" que j'ai regardé sur Arte en 2014 avait pour thème "les lunettes au cinéma" et citait largement "Invasion Los Angeles", plus précisément la scène assez géniale où John Nada (Roddy PIPER que j'ai longtemps confondu avec l'acteur fétiche de John CARPENTER, Kurt RUSSELL) découvre grâce à elles la véritable nature du monde dans lequel il vit, que l'on peut comparer, en bien plus artisanal (série B oblige) à "Matrix" (1998). Dans ce monde, la grande majorité des hommes sont asservis à leur insu par des extra-terrestres qui ont colonisé la planète en prenant leur apparence, aidés par une élite humaine qui prospère sur le dos des masses laborieuses. Celles-ci sont exploitées et manipulées à coups de messages de propagande subliminaux que la plupart ne veulent pas voir: les lunettes sont alors une métaphore de la prise de conscience comme les pilules de "Matrix". A ceci près que "Matrix" en dépit de ses prétentions intellectuelles initiales a été rapidement récupéré par l'industrie hollywoodienne et est devenu du pur divertissement alors que le film indépendant de Carpenter utilise le cerveau reptilien (au lieu du "Néo"-cortex ^^) pour livrer une satire féroce du libéralisme reaganien qui gangrène les cerveaux à la manière des aliens de "L Invasion des profanateurs de sépultures" (1956). On peut même remonter plus loin dans l'histoire des USA. Le chômage de masse et les bidonvilles ressemblent aux Hooverville de la crise de 1929 (renommés ironiquement "Justiceville" dans le film) et l'arrivée de John Nada à Los Angeles au début du film s'inscrit dans la plus pure tradition du western ("I'm a poor lonesome cowboy"). Cet homme venu de nulle part et n'ayant aucune attache est un énième avatar de "L Homme des vallées perdues" (1953) et de "Pale Rider - Le cavalier solitaire" (1985) en attendant "Drive" (2011), une figure de justicier. Il n'est pas "sans nom" mais c'est tout comme puisque "Nada" son patronyme signifie "rien du tout". Il est donc destiné à disparaître comme il est venu après avoir accompli sa mission (cathartique).
"Paris qui dort" est le premier film réalisé par René CLAIR même s'il n'est sorti faute de distributeur qu'après la diffusion de "Entr acte" (1924) au Théâtre des Champs-Elysées. Les deux films sont de toutes façons aujourd'hui réunis sur un même DVD ce qui est logique car ils ont de profondes affinités. Par ailleurs, les copies originales de "Paris qui dort" (il y aurait eu deux versions du film circulant conjointement, l'une française et l'autre anglaise) ayant été perdues, le DVD propose deux restitutions différentes. La plus réussie selon moi est la plus récente, celle de 2018 réalisée par la fondation Jérôme Seydoux-Pathé à partir de la copie anglaise du film conservée au British Film Institute. Il s'agit d'une version teintée qui offre des images d'une précision incomparable par rapport à l'autre version (dans laquelle les monuments semblent réduits à des silhouettes prises à contre-jour) et surtout qui ajoute des plans inédits (dont je vais reparler) sur la fin insufflant une puissance fantastique, poétique et cinématographique au métrage bien moins présente dans l'autre version.
"Paris qui dort" comme "Entr'acte" témoigne des deux sources d'inspiration majeures du cinéaste à ses débuts: l'avant-garde expérimentale et surréaliste (dans la lignée d'un Jean EPSTEIN par exemple) et le cinéma primitif, celui de Georges MÉLIÈS en particulier, les deux courants ayant l'onirisme pour trait commun. Un oeil dans le rétroviseur et l'autre tourné vers l'avenir en quelque sorte (ce qui s'accorde bien avec son pseudonyme "clairvoyant", son véritable nom étant René Chomette). S'y ajoute dans "Paris qui dort" une fascination pour la tour Eiffel et sa dentelle de métal aux formes géométriques que l'on retrouve dans son court-métrage ultérieur "La Tour" (1928) (que l'on peut voir en bonus sur le DVD ou gratuitement sur la plateforme de streaming de la Cinémathèque HENRI).
"Paris qui dort" n'est pas un film parfait (il y a quelques longueurs au milieu du film en dépit de sa courte durée), néanmoins c'est un film incontournable pour tous les amoureux du cinéma. Le début et la fin (grâce aux plans rajoutés dans la restauration la plus récente) sont d'une immense poésie rétrofuturiste. On y voit le gardien de la tour Eiffel qui en descendant de son perchoir découvre que toute la ville a été mystérieusement pétrifiée à 3h25 du matin. Le sous-titre du film "Le Rayon diabolique" nous laisse deviner par quoi et de fait, ce fameux rayon s'actionne dans un dispositif qui fait penser à celui de "Metropolis" (1927), film rétrofuturiste qui lui est contemporain. On a donc une assez saisissante définition visuelle de ce qu'est le cinéma: un art du mouvement dans l'espace et le temps qui est aussi l'enfermement dans un cadre et la suspension du temps. Le cinéma fabrique de l'éternité en capturant l'instant comme le fait la photographie mais recréé l'illusion du mouvement naturel ce que dissipe René Clair en créant des arrêts sur image à volonté à l'intérieur de son film ou bien au contraire en accélérant leur défilement. Très loin de l'image méprisante que plus tard la nouvelle vague a donné de lui (le fameux "cinéma de papa" destiné aux "vieilles dames" pour reprendre des expressions de François TRUFFAUT), René CLAIR s'avère avoir été un esprit pionnier et un poète de l'image aux visions pas si éloignées de celles d'un Terry GILLIAM (l'influence du rétrofuturisme et de Georges MÉLIÈS est très forte dans leurs deux univers).
Le dernier film de Jean-Pierre JEUNET sorti sur Netflix le 11 février 2022 s'est fait étriller par la presse et de nombreux internautes. Et bien, mon avis sera à contre-courant. Déjà parce que j'ai préféré ce film à la majorité de ceux qu'a réalisé Jean-Pierre JEUNET (je l'ai préféré à "Micmacs à Tire-Larigot" (2009) à "L Extravagant voyage du jeune et prodigieux T.S. Spivet" (2013) et même à "La Cité des enfants perdus") (1994). Je l'ai préféré aussi et largement au film dystopique comparable qu'a réalisé Terry GILLIAM, "Zero Theorem" (2013) que j'ai trouvé lui complètement raté. En fait je l'ai aimé comme j'avais aimé sa version de Alien, film également très décrié et dévalorisé parce qu'avant tout je l'ai trouvé très drôle! Très drôle mais aussi bien joué, pertinent et agréable à l'oeil. "Bigbug" est une satire rétrofuturiste aux couleurs acidulées de notre monde aliéné par la technologie et le consumérisme se situant quelque part entre "Brazil" (1985) et "Retour vers le futur II" (1989). Un monde dominé par la domotique et la robotique qui enferme les humains sous cloche et les humilie sans que ceux-ci n'aient l'air de s'en apercevoir (sinon ce ne serait plus une comédie). Il faut dire que ces humains-là ne sont préoccupés que par une seule chose: leur libido! Mais sous des formes socialement acceptables que les robots ont la capacité de décoder ce qui créé un décalage très amusant entre le numéro de séduction de Max, feignant d'être intéressé par l'art (Stéphane De GROODT) ou les occupations créatives et romanesques à l'ancienne (lecture, calligraphie, scrapbooking) que Alice lui montre (Elsa ZYLBERSTEIN) alors que tous deux ne pensent qu'à "ça" durant tout le film étant donné qu'ils ne parviennent pas à conclure. Les autres personnages sont à l'avenant, depuis les adolescents jusqu'au couple contrarié dans sa lune de miel (on pense à "Scènes de ménage" en voyant apparaître la cruche hystérique de la série de M6 jouée par Claire CHUST) en passant par la voisine propriétaire d'un chien cloné et d'un robot sextoy (Isabelle NANTY). C'est ce mélange de haute-technologie et d'animalité qui est détonnant dans le film. Bien plus que les allusions (superficielles) au réchauffement climatique ou au covid-19, elles donnent à voir un être humain soumis à une double servitude: celles de ses pulsions primitives et celle des besoins artificiellement créés à son intention par la société moderne qui finit par se retourner contre elle lorsque les Yonix (robots-fachos à l'image de François LEVANTAL) décident de les ravaler au rang d'animaux. Mais il existe une autre sorte de robots, ceux qui servent la famille et qui cherchent au contraire à les aider en s'humanisant: un robot nettoyeur, un robot-jouet, un robot-penseur à l'image d'Einstein et doté de la voix de André DUSSOLLIER, un habitué du cinéma de Jeunet et enfin une androïde bonne à tout faire jouée par Claude PERRON, autre actrice récurrente du cinéma de Jeunet mais aussi de Albert DUPONTEL qui fait une rapide apparition de type caméo ainsi que Nicolas MARIÉ. A la manière de qui? A la manière de Terry GILLIAM dans les films de Albert Dupontel bien sûr, histoire de rappeler que lui et Jeunet sont ses héritiers français directs.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.