Au Japon, le clip musical On Your Mark fut projeté en salles en ouverture du film Si tu tends l'oreille de Yoshifumi Kondô en 1995. Il illustre la chanson du même nom, du célèbre groupe Pop-Rock japonais Chage and Aska (Chage&Aska à l’époque du clip). Le film a permis pour la première fois à Hayao Miyazaki d’utiliser le format du clip musical, caractérisé par une durée très courte et dépourvu de dialogue, et au studio Ghibli de se familiariser avec les images de synthèse qu’il utilisera intensivement deux ans plus tard pour le film Princesse Mononoke.
Bien que d'une durée très courte, la réalisation de Miyazaki est aussi forte, originale et personnelle que dans ses longs-métrages. Ce qui ne l'empêche pas de s'abreuver de multiples références.
Une catastrophe nucléaire (manifestement inspirée de Tchernobyl) a anéanti la civilisation humaine à la surface de la terre. Ceux-ci se sont réfugiés sous terre (comme dans la Jetée ou Docteur Folamour) et ont construit des métropoles tentaculaires semblables à celles de Metropolis ou de Blade Runner. Une descente de policiers masqués dans les locaux d'une secte cagoulée (l'église sainte Nova) permet de mesurer le degré de deshumanisation atteint par cette nouvelle civilisation. On pense aux bonzes Dork de Nausicaa mais aussi à Twentieth Century boys d'Urasawa avec la secte d'Ami et le logo de l'œil sur les cagoules ("Dieu vous surveille"). Deux policiers (les membres du groupe Chage et Aska) enlèvent leurs masques lorsqu'ils découvrent une mystérieuse jeune fille ailée, évanouie et enchainée au fond d'un vide-ordure (qui représente à peu près tous ce que les hommes ont renié: la beauté, la liberté, l'innocence...). Mais ils vont être obligés de remettre des masques pour l'aider à s'évader lorsqu'elle est récupérée par des scientifiques avides de l'utiliser comme cobaye. Ils la relâchent à la surface, dans un paysage post-apocalyptique où la nature a repris ses droits (thème de Nausicaa, de Laputa...) ou bien ils meurent avec elle. Le film propose en effet deux fins. Une fin tragique et une fin heureuse. Les dénouements chez Miyazaki ne sont en effet jamais totalement heureux et après avoir vu ces deux fins, le doute subsiste sur la capacité de l'homme à retrouver la raison en même temps que ses racines.
La citation de Jules Michelet qui ouvre le film "Chaque époque rêve à celle qui va lui succéder" donne à penser que le Metropolis de la dream team japonaise Rintarô (pour la réalisation) Otomo (pour la scénario) et Tezuka (pour l'œuvre originale) est une œuvre de SF classique. En fait il s'agit de ce que l'on peut voir de plus abouti en matière de rétrofuturisme. Il y a le mariage heureux de l'animation traditionnelle sur celluloïd et de l'image numérique en 3D, du graphisme daté des personnages d'Osamu Tezuka et des décors ultra-modernes, de la musique jazz-soul et du bruit de machines ultra-perfectionnées. Le tout au service d'une histoire prenante aux enjeux humains particulièrement forts, l'œuvre de Tezuka prenant souvent des accents shakespeariens.
Osamu Tezuka est le père du manga et de l'anime japonais. Il a dessiné le manga Metropolis à la fin des années 40 en s'inspirant d'une photo du film de Fritz Lang (qu'il n'avait pas vu). Cependant il y a une vraie communauté d'esprit entre les deux œuvres et le film de 2001 en tient compte en les combinant harmonieusement. On retrouve donc une cité futuriste, remplie de gratte-ciels, de routes suspendues et de ballons dirigeables divisée en castes se partageant l'espace selon une logique verticale. Les riches et les puissants vivent dans la tour centrale nommée "Ziggourat" en référence à la tour de Babel de Lang, lancée vers le ciel comme un défi à Dieu. Les pauvres s'entassent dans les souterrains du premier niveau. Contrairement au film de Lang qui se situait dans les années triomphantes du tayloro-fordisme, le film de Rintarô plus contemporain évoque le chômage de masse lié à la robotisation des tâches d'exécution. Car la société est désormais tripartite, les robots esclaves-instruments se situant tout en bas de la hiérarchie. Et tout au fond de la cité également, dans la centrale nucléaire du niveau -2 et la station d'épuration du niveau -3. Certains ont le droit de venir travailler à la surface mais une organisation paramilitaire, les Marduk veille arme à la main à ce qu'aucun robot non autorisé ne se promène "hors zone". Ses méthodes brutales et sanguinaires sont calquées sur celles des milices fascistes et nazies. Leur chef Rock est le fils adoptif du Duc Rouge qui règne sur la cité.
Rejeté par le duc, Rock découvre que celui-ci manipule un scientifique hors-la-loi, le professeur Laughton, pour construire un robot d'une espèce nouvelle, un être surhumain qui permettra au duc d'obtenir un pouvoir éternel. Un insupportable rival pour Rock d'autant plus qu'il a été fabriqué à l'image de la petite soeur décédée du Duc Rouge, Tima (une reine de Mésopotamie). Là encore, les ressemblances avec le film de Lang sont frappantes. Rock détruit le laboratoire, tue le professeur Laughton et traque Tima avec acharnement pour la détruire.
La composition tripartite de la société explique que la révolte ouvrière ne soit évoquée qu'en arrière-plan du film avec un chef, Atlas qui évoque à la fois Hugo et Delacroix. Mais c'est moins la liberté que la fureur qui guide le peuple lorsque qu'il met en pièces ceux qui sont encore plus déshérités qu'eux. Car la question de l'humanité des robots occupe le premier plan du film. L'évolution de Tima est de ce point de vue éloquente. Robot "nouveau-né" qui n'a pas conscience de son identité, elle tombe d'abord entre de bonnes mains, celles du jeune Kenichi dont l'oncle enquête sur le professeur Laughton. Traitée avec amour, elle se sent humaine et conserve son innocence au point d'être comparée à un ange. Mais lorsqu'elle est capturée par le Duc et touchée en plein cœur par la balle de Rock, elle se transforme en arme de destruction massive, échappant à tout contrôle. Le robot est en effet ce que nous en faisons: un être de lumière ou un puits de ténèbres.
Je ne vais pas répéter ce qui a été déjà très bien analysé dans les avis antérieurs mais plutôt apporter quelques compléments sur la portée mythologico-religieuse, politique et artistique de ce monument du cinéma mondial.
Metropolis est une œuvre matrice dont la postérité est impressionnante tant en ce qui concerne son esthétique qu'en ce qui concerne les thèmes abordés. On sait que Fritz Lang s'est inspiré de l'architecture new-yorkaise pour imaginer sa cité futuriste. Mais il a également rapporté dans ses bagages le tayloro-fordisme, les gestes standardisés et absurdes d'une armée d'ouvriers au service d'un Dieu-machine dans une technostructure démesurée. Juste retour des choses, les Temps modernes réalisé une dizaine d'années plus tard par Chaplin emprunte beaucoup d'éléments architecturaux et technologiques à Metropolis (exemple: l'écran de visioconférence) ainsi que sa vision du travail (gestes répétitifs et aliénants, dévoration par la machine, soumission à la technologie). Autre œuvre qui reprend la thématique molochienne de Metropolis: The Wall d'Alan Parker fondé sur le double album des Pink Floyd.
Car la relation entre l'homme et la machine n'est qu'un avatar de la relation de l'homme à Dieu, centrale dans Metropolis. Le Dieu qui dévore ses créatures, le Dieu-idole (les danses lascives de la fausse Maria au Yoshiwara s'apparentent à un culte païen), le Dieu-sauveur (la vraie Maria prêchant dans les catacombes comme au temps des premiers chrétiens) mais également les créatures qui veulent se faire l'égale de Dieu. Le savant fou Rotwang puise ses racines dans le mythe prométhéen pour donner la vie à une créature inanimée. Il n'est d'ailleurs pas le premier à le faire. Le docteur Frankenstein, premier "Prométhée moderne" l'avait précédé sur cette voie. L'originalité de Metropolis est liée au fait que la créature est une intelligence artificielle, une androïde clonée à partir d'une femme de chair et d'os. La postérité des IA, humanoïdes ou non dans les œuvres de science-fiction donne le tournis. Il y a les références évidentes comme Hal 9000 dans 2001 l'Odyssée de l'espace, Les androïdes rêvent-ils de moutons électriques? de Philip K. Dick et son adaptation cinématographique Blade Runner de Ridley Scott qui a fait date. Il y a les films de George Lucas: C3PO n'est-il pas lui-même un clone de Maria? Et ceux de Spielberg comme A.I., intelligence artificielle. Les Terminator et les Aliens de Cameron. Les Matrix des frères Wachowski. Et puis il y a la prolifique SF japonaise tant en manga qu'en anime où cyborgs et androïdes se taillent la part du lion (Ghost in the shell étant sans doute la référence absolue du genre). Une SF dérivée comme toute la production manga de l'œuvre d'Osamu Tezuka et plus précisément d'Astro boy. Tezuka qui a créé sa propre version manga de Metropolis adaptée par la suite en animé par Rintarô.
Enfin impossible de passer sous silence le caractère politique de Metropolis. Comme dans nombre de ses œuvres, Fritz Lang nous montre les ravages de la manipulation des masses, l'homme en troupeau livré à ses plus bas instincts, les déchaînements de violence aveugle qui finissent par se retourner contre ceux qui s'y livrent. D'autre part face au risque de révolution prolétarienne lié à la division-hiérarchisation verticale du travail, le film utilise la métaphore organique du coeur jouant les médiateurs entre le cerveau et la main. Les médiateurs c'est le couple Maria (venue d'en bas) et Freder (venu d'en haut), le cerveau c'est le père de Freder, Joh Fredersen, maître de la cité et la main, c'est l'armée de prolétaires vivant dans les soubassements de la ville. Fritz Lang ne croyait pas à cette issue heureuse qu'il trouvait artificielle. En effet cette idée venait en réalité de son épouse, Théa von Harbou qui écrivit le roman dont le film est issu. Une idée qui séduisit Hitler et les nazis parce qu'ils cherchaient à supprimer (idéologiquement) les divisions de classe au profit de la communauté de sang. Lorsqu'il instaura sa dictature totalitaire, Hitler supprima les syndicats au profit d'une organisation unique "Le Front du travail" également appelée "Organisation du cerveau et de la main" en hommage direct à Metropolis. Un hommage dont Fritz Lang se serait bien passé, lui qui préféra fuir le nazisme plutôt qu'être récupéré par lui. Théa von Harbou en revanche s'en accommoda fort bien.
Les parents et les critiques des années 70-80 étaient totalement à côté de la plaque lorsqu'ils descendaient en flamme les dessins animés japonais. Outre d'incontestables réflexes protectionnistes ("face aux japonais, il fallait rusé. La production française redémarre. Enfin!" titrait Télérama, soulagé d'avoir trouvé une parade.) voire racistes ("nippon ni mauvais" dans un abominable article du journal de Spirou intitulé "Japoniaiseries"), il y avait une incompréhension foncière vis à vis de ces oeuvres. Heureusement, un partenariat créatif allait à l'encontre de ces préjugés et jugements à l'emporte-pièce exactement à la même époque. Il s'agissait de Ulysse 31, fruit de la rencontre entre Jean Chalopin et la société japonaise TMS. Le résultat: une expérience hybride, celle de l'Odyssée d'Homère dans l'espace et des personnages aux traits occidentaux mêlés à des extras-terrestres à la peau bleue, Thémis et Noumaïos tous deux créés par Shingo Araki, le character design star de la TMS. Et un dessin animé devenu une référence dans l'univers des séries animées.
C'est exactement dans cette démarche de partenariat créatif transnational que s'inscrit Interstella 5555. Un rêve d'enfant devenu réalité selon les propres mots des Daft Punk qui ont découvert Albator à l'âge de 5 ans. Leur musique électro (l'album Discovery) alliée aux images du mangaka Leiji Matsumoto connu pour ses space-opera poétiques et énigmatiques (Outre Albator, on peut citer Galaxy Express 999, deux oeuvres qui allient futur hypothétique et passé fantasmé) débouche sur un dessin animé musical assez fascinant. Un bijou d'un peu plus d'une heure où se mêlent galaxies, vaisseaux spatiaux, limousines et show-business décadent. Les thèmes abordés sont ultra-contemporains: double identité, choc des cultures, ravages du star-system et du culte de la réussite, mondialisation, exploitation des peuples dominés par des capitalistes sans scrupules, dégâts de la surconsommation... Les Crescendolls portent bien leurs noms. Ce sont des poupées désincarnées, manipulées par un magnat de l'industrie du disque qui leur a fait subir un lavage de cerveau et s'apprête à les jeter dans la fosse aux lions après les avoir sucés jusqu'à la moëlle. Mais c'est sans compter sur un desperados solitaire, héros au vaisseau en forme de guitare prêt à sacrifier sa vie pour sauver celle de la bassiste du groupe dont il est amoureux. Le design des personnages est reconnaissable au premier coup d'oeil (la fille longiligne type sylvidre, le nabot, le beau gosse romantique...) tout comme les touches d'humour et la profonde mélancolie qui se dégage de l'ensemble. Bref c'est magique et percutant.
Rogue one a star wars story développe une intrigue qui se situe juste avant l'épisode IV Un nouvel espoir (le tout premier film de la saga sorti en 1977). Il nous raconte comment un groupe de rebelles a pu s'emparer des plans de l'étoile noire sous le nom de code "Rogue one". Ces plans ensuite remis à la princesse Léia et qui sont la clé de la neutralisation de cette arme de destruction massive par Luke Skywalker dans l'épisode IV. Le film est donc une pièce de cet immense puzzle qu'est devenu Star Wars et non pas un simple produit dérivé.
Le film a un peu de mal à démarrer car il s'éparpille dans toute une série de lieux pour la plupart sous domination de l'Empire. De même il introduit un nombre important de nouveaux personnages. Par la suite l'intrigue se resserre autour du groupe de rebelles prêts à sacrifier leurs vies pour mener à bien leur mission. Si les motivations de leur leader, la fille du concepteur de l'étoile noire sont évidentes (réhabiliter son père en prouvant qu'il a saboté l'arme que l'Empire l'a obligé à fabriquer) celles de ses compagnons le sont beaucoup moins. On ne sait quasiment rien d'eux ce qui affadit l'aspect tragique indéniable du film. Enfin les effets spéciaux sont bluffants, tout particulièrement la recréation en images de synthèse de personnages de l'épisode IV dont les acteurs sont décédés. Grand Moff Tarkin (Peter Cushing mort en 1994) et la princesse Léia de l'épisode IV, sa tunique blanche et ses macarons intacts alors que Carrie Fisher vient juste de nous quitter, bien abîmée par la vie qu'elle a vécu. Ce pouvoir du cinéma à défier le temps et la mort est l'aspect le plus mémorable du film.
Le début du film est en trompe-l'oeil. Ce que l'on croit être une première rencontre est en fait un "éternel retour" cher à Nietzsche (cité explicitement dans le film tout comme le poème d'Alexander Pope d'où est extrait le titre du film.) Eternel sunshine of the spotless mind est un éternel recommencement et l'autopsie d'une relation amoureuse entre deux personnages qui ne peuvent ni s'aimer, ni se séparer. L'attachement entre eux est aussi viscéral que la communication est impossible. Leurs premières rencontres matérialisent leur sentiment commun d'étrangeté. Leur solitude les condamne à se rapprocher que ce soit au bord d'une plage désolée ou bien sur un étang gelé. Et en même temps, la mise en scène souligne leur incapacité à se comprendre au travers de tensions, de silences, de barrières infranchissables (rampe d'escalier, sièges de wagon, rayonnages de bibliothèque etc.) L'idée d'avoir fait jouer à contre-emploi deux acteurs au profil typé est particulièrement brillante. Kate Winslet est l'élément explosif, spontané, déluré, instable du couple. Elle change de couleur de cheveux aussi souvent que ses variations d'humeur. Jim Carrey est à l'inverse un homme triste et introverti voire dépressif car incapable de gérer les conflits (autrement qu'en se défoulant sur les objets). Tous deux crèvent l'écran et forment un couple aussi détonnant qu'attachant.
En guise de (fausse) solution à leur problème de couple, un élément fantastique est introduit dans le film, celui qui consiste à se faire effacer la mémoire. Une tentation très humaine, celle de ne plus souffrir et dont la réalisation s'avère pire que le mal. Outre le fait que l'anesthésie de leurs sentiments prive les personnages de leur humanité elle les prive aussi de leur identité ce qui bénéficie à la société Lacuna dont les pratiques manquent singulièrement d'éthique. Patrick, l'un des employés joué par Elijah Wood vole l'identité de Joël pour devenir le nouveau petit ami de Clémentine, deux autres, Stan et Mary (Mark Ruffalo et Kirsten Dunst) font la nouba chez lui sans se soucier de son existence, Howard le gérant (Tom Wilkinson) s'offre en cadeau bonus Mary avant de lui faire effacer la mémoire etc. C'est pourquoi le film, passionnant de bout en bout, prend la forme originale d'une succession de souvenirs déstructurés engloutis les uns après les autres. Comprenant trop tard la manipulation dont il est l'objet, Joël tente de s'opposer à cet anéantissement avec ses faibles moyens et son combat prend la forme d'une lutte de l'individu contre la machine. A ce jeu là, Gondry est très fort et son cinéma inventif permet de se déplacer aux 4 coins du cerveau de Joël, en reconstituant ses souvenirs de façon très onirique: visages effacés, pans entiers d'images qui s'écroulent, changement brusque de personnage, scènes d'enfance où Gondry joue sur les âges et les échelles (tantôt on a un enfant sous la table, tantôt un Jim Carrey se comportant en enfant entouré de meubles gigantesques, tantôt Kate est une petite fille et tantôt la baby-sitter...)
Wall-E qui fut assez controversé à sa sortie est un des meilleurs Pixar. A titre personnel, c'est mon préféré, à égalité avec Vice Versa. C'est une prouesse technologique et narrative qui parvient à offrir un univers riche, doté de plusieurs niveaux de lecture. A bien des égards, il est à contre-courant de la production contemporaine, notamment en matière de dessins animés. Par peur sans doute d'ennuyer, les films d'animation occidentaux grand public ont tendance à être hystériques avec des péripéties incessantes, des dialogues mitraillettes et une image remplie à ras bord. Peu importe que l'on atteigne l'indigestion, peu importe que le scénario et les personnages soient indigents, peu importe que l'on n'en retienne rien, il faut gaver les spectateurs à tout prix.
Wall-E en parfaite cohérence avec son discours critique sur la surconsommation est pour l'essentiel contemplatif et privé de dialogues. L'hommage aux films de Chaplin et Buster Keaton dont la mélancolie ressemble à celle de Wall-E n'est pas loin. Mais hommage à Kubrick aussi (Wall-E est bourré de clins d'oeil à 2001 l'Odyssée de l'espace) et à Miyazaki (allusions à Nausicaa et sa planète toxique). Riche de toutes ces références, Wall-E sollicite le spectateur autrement qu'en l'abrutissant. Le travail sur l'image (que de poésie dans le ballet spatial des deux robots par exemple) et sur le son (par exemple sur les intonations variées avec lesquelles sont prononcés Wall-E et Eve) oblige celui-ci à être actif ou à rejeter un film qui ne se "donne pas" de lui-même. Tati si incompris en France a été reçu 5 sur 5 aux USA tant sur la forme que sur le fond. Ainsi Playtime, descendant des Temps Modernes et du Mecano de la General où Chaplin et Keaton "déréglaient" la machine est à son tour pris pour référence dans Wall-E où ce dernier en nouveau M. Hulot désordonne le monde aseptisé de l'AXIOM.
Néanmoins Wall-E reste parfaitement accessible aux enfants à cause de l'incroyable travail d'humanisation effectué sur Wall-E et à un degré moindre sur Eve. Là encore, la critique sous-jacente tape dans le mille. Ces robots sont mille fois plus humains que les humains du film déshumanisés par leur dépendance à la technologie...et que tant et tant de comédiens insipides qui ressemblent eux à de vrais robots.
Oeuvre de jeunesse plusieurs fois réécrite entre 1888 et 1924, la Machine à explorer le temps de H.G Wells est une satire de la société capitaliste dont les inégalités poussées à l'extrême finissent par donner naissance à deux clans de dégénérés (les Elois à la surface et les Morlocks dans les souterrains) au comportement barbare et inculte, les anciens esclaves se nourrissant de leurs anciens maîtres réduits à des sortes de pantins décérébrés. Fritz Lang a d'ailleurs repris l'idée de l'étagement des classes sociales dans son film Metropolis en l'inversant (les maîtres occupent les étages supérieurs et les esclaves les étages inférieurs.)
L'adaptation cinématographique de George Pal a été réalisé en 1960. Si le film reprend fidèlement la trame du livre de H.G Wells, il porte la marque du contexte dans lequel il a été réalisé. Ainsi au lieu de filer tout droit vers l'an 802 701, le scientifique (qui s'appelle désormais George en référence à Wells alors qu'il n'avait pas de nom dans le livre) fait plusieurs arrêts, tous liés aux guerres du XX° siècle. En pleine période de guerre froide, le film extrapole même une attaque nucléaire qui engloutit la surface de Londres sous une couche de lave, obligeant les survivants à se réfugier sous terre (une obsession de l'époque: La Jetée, Docteur Folamour etc.) La fin est également différente.
Le film de Pal est devenu une référence pour les cinéastes traitant du voyage dans le temps. Meyer a repris la première séquence quasiment à l'identique pour son film de 1979 C'était demain dont Wells est également le héros. De même Zemeckis s'est inspiré du générique du film pour celui du premier Retour vers le futur et les trois couleurs des lampes de la machine à voyager dans le temps (jaune, rouge, verte) sont devenues celles du tableau de bord de la Deloréan. Enfin un remake du film de Pal a été réalisé en 2002 avec pour réalisateur l'arrière-petit fils de H.G Wells.
Un film très bien ficelé sur le plan de la tension dramatique. Les séquences s'enchaînent toutes plus claustrophobiques et angoissantes les unes que les autres. Citons l'exemple de la voiture de la famille Ferrier prise d'assaut par les réfugiés, le naufrage du Ferry renversé par un tripode ou encore la très longue et brillante scène de "cache-cache" dans la cave où Spielberg joue avec nos nerfs. Les effets spéciaux sont également grandioses et spectaculaires.
Sur le plan humain, le film est désespéré et glaçant. Trop à mon goût mais pas selon des critiques français qui ont toujours reproché à Spielberg sa "naïveté" et sont ravis de le voir sombrer dans la misanthropie. On finit même par se demander si l'homme n'est pas l'élément en trop entre le microcosme et le macrocosme. Spielberg ouvre et ferme son film en reliant les microbes qui condamnent la vie des extra-terrestres à la surface de la terre aux confins de l'univers d'où sont venus ces mêmes extra-terrestres. Entre les deux, les humains vivent dans la loi de la jungle c'est à dire en prédateurs ou en victimes. Impossible de s'abriter: toutes les maisons sont pulvérisées et les caves elles-mêmes - une obsession américaine (voir Take Shelter de Jeffs Nichols)- sont pénétrées par les tentacules des tripodes et retournées du sol au plafond. La plupart des hommes fuient, quelques-uns attaquent mais dans tous les cas, l'individualisme et la déshumanisation de cet univers saute aux yeux. La famille américaine est la principale cible de cette apocalypse, elle est tout simplement désintégrée. On pense au desperados Ogilvy joué par Tim Robbins qui a perdu toute sa famille et menace la fille de Ray Ferrier (Tom Cruise) qui est tout ce qui lui reste. Mais on est terrifié par la bestialité du meurtre qu'il commet. Le fait qu'il soit commis hors-champ y compris pour sa fille est un traumatisme supplémentaire. De toutes façons sa famille était déjà bien abîmée avant même l'attaque des tripodes: divorce d'avec sa femme, conflit avec son fils qui l'accuse d'impuissance et veut jouer les héros, incapacité à se comporter en père etc. La fin montre des retrouvailles en trompe-l'oeil. Les surfaces vitrées omniprésentes font barrière aux échanges ou sont brisées par la violence. On peut d'ailleurs se demander si le miroir dans lequel se regarde l'oeil d'une tentacule et derrière lequel se cache Ray, Ogilvy et Rachel n'est pas le reflet véritable de l'homme mécanisé.
Plusieurs critiques ont souligné les points communs entre la guerre des mondes et la Shoah (les vêtements des personnes "parties en fumée" qui volent de tout côtés, les flots de sang sortis du tripode et "pulvérisés" sur le sol comme de l'engrais, le train de la mort en flammes) ce qui n'est pas étonnant (Spielberg est le réalisateur de la liste de Schindler). La chute du Boeing fait quant à elle penser au 11 septembre ("Est-ce que sont les terroristes?" dit d'ailleurs la petite Rachel). Mais on pense fortement aussi à l'extermination des indiens d'Amérique dont l'une des principales causes est le choc microbien, repris par H.G Wells en "version positive" pour expliquer l'anéantissement des tripodes dans le livre adapté par Spielberg.
Comme souvent chez Spielberg, il s'agit d'un film humaniste bien moins lisse qu'il n'y paraît.
C'est d'abord le personnage de Roy (Richard Dreyfuss) qui touché par une vision plus forte que tout pulvérise sa vie sociale pour aller jusqu'au bout de son rêve. Après être devenu chômeur, la scène où il démolit son pavillon standardisé de banlieue et est quitté par sa famille sous les regards médusés des voisins a un côté anarchiste qui n'a jamais été vraiment souligné dans les analyses du film!
C'est ensuite le choix du lieu de la rencontre, tout sauf anodin puisque la Devil's tower ou montagne de l'ours faisait partie du territoire indien qui a été confisqué par l'homme blanc. Quant à l'évacuation de la région, elle fait penser à une scène de déportation (qui sera filmée des années plus tard par Spielberg dans La liste de Schindler)
C'est enfin la présence de François Truffaut qui comme Spielberg est un grand cinéaste de l'enfance et un homme à l'esprit ouvert capable d'admettre l'étrange et de communiquer avec lui. Sa rencontre avec les enfants extra-terrestres n'est pas sans rappeler celle qu'il effectue sous le costume du docteur Itard avec le petit Victor de l'Aveyron, l'enfant sauvage. L'ironie est que c'est un cinéaste américain qui a su le mieux cerner la quintessence de l'homme et nous la retransmettre pour l'éternité. Il faut dire qu'il l'a fait (il l'a dit lui même) avec amour et cela se ressent.
Pour toutes ces raisons et aussi pour la limpidité des scènes de rencontre nimbées de lumières et de musique, le film est indémodable.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.