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Articles avec #sciamma (celine) tag

Portrait de la jeune fille en feu

Publié le par Rosalie210

Céline Sciamma (2019)

Portrait de la jeune fille en feu

Je ne vais pas y aller par quatre chemins, je me suis ennuyée ferme devant le quatrième film de Céline Sciamma. Il est certes esthétiquement très soigné et comporte quelques passages inspirés. Le meilleur est à mon avis celui qui donne le titre au film avec un chœur nocturne de femmes autour d'un feu qui provoque l'étincelle (au sens propre aussi d'ailleurs!) dont le film manque par ailleurs cruellement. Mais pour le reste on nage dans "l'art pour l'art" et la théorie du féminisme plus que dans le féminisme lui-même. Je veux dire par là que Céline Sciamma ne réussit pas à incarner ses idées. A cela plusieurs raisons:

- D'abord, elle ne s'intéresse pas du tout à l'époque ni au milieu dont elle parle qu'elle utilise comme une toile de fond abstraite (avec pour cadre une île presque déserte et des intérieurs quasi vides). Elle a sans doute choisi le XVIII° siècle pour des raisons esthétiques et parce que la vision obscurantiste qu'elle en donne fait selon elle mieux ressortir les problématiques féminines qu'elle traite (règles, grossesse, avortement, mariage arrangé, accès à une carrière artistique, amours lesbiennes)*. Pourtant le XVIII° ne se réduit pas dans les milieux aisés (ceux que dépeint Céline Sciamma dans son film) à la figure de Cécile de Volanges sortie du couvent pour être aussitôt mariée sans son consentement. Le XVIII° est aussi un siècle riche en figures féminines fortes que ce soit dans le domaine artistique (Mme de Staël pour les lettres, Mary Wollstonecraft pour la philosophie, Elizabeth Vigée-Lebrun pour la peinture sans parler de toutes celles qui recevaient le gratin des Lumières dans leurs salons bourgeois pour des discussions de haute volée comme Mme Geoffrin ou Mme Lambert), politique (Olympe de Gouges et sa déclaration des droits de la femme et de la citoyenne, Théroigne de Méricourt et ses amazones) et voit même apparaître une grande mathématicienne, Emilie du Châtelet qui fit connaître Newton en France et dont la vie fut par ailleurs aussi libre que celle de Mme de Merteuil dans "Les Liaisons dangereuses". En fait le XVIII° fut un siècle bien plus favorable aux femmes d'esprit que le XIX° qui à partir du code Napoléon les enferma dans le cadre étroit du mariage (ou de la prostitution) et les priva de la plupart de leurs droits. J'ajoute que là où le prétexte historique atteint des sommets, c'est dans la relation avec la jeune servante qui du jour au lendemain devient la grande copine des deux jeunes filles (le cliché de la solidarité féminine joue à plein) d'autant qu'elle aussi est une pure abstraction (je ne pense pas que les servantes bretonnes de cette époque parlaient le français par exemple).

- Ensuite parce qu'il y a un gros problème de crédibilité avec Adèle Haenel. Qui franchement peut croire deux secondes qu'il s'agit d'une oie blanche de 14-15 ans (âge auquel les jeunes filles des classes aisées étaient sorties du couvent pour être mariées)? Sans parler du fait que sa manière de parler ne nous plonge pas vraiment dans l'aristocratie du XVIII°. Mais bon, ça pourrait passer si au moins elle était juste dans les émotions et sentiments qu'elle exprime. Or ce problème de crédibilité concerne aussi l'amour et la sexualité, pas un instant la réalisatrice ou l'actrice ne nous font ressentir qu'il s'agit d'une première fois avec tout le questionnement et le bouleversement qui peut accompagner ce moment dans la vie d'une adolescente (mais Adèle Haenel n'en étant pas une, ceci explique cela). Sa partenaire, Noémie Merlant est plus juste dans son jeu mais elle aussi apparaît trop contemporaine, une fille d'aujourd'hui costumée comme au XVIII° mais ayant gardé sa coupe de cheveux et ses manières du XXI°. Et la relation censée être passionnelle entre Marianne et Héloïse est jouée de façon si peu sensuelle qu'elle semble déconnectée des intentions qui la sursignifient: la robe qui s'enflamme ou l'orage d'été des quatre saisons de Vivaldi. Je soupçonne Céline Sciamma d'avoir voulu en réalité faire un méta-film lesbien sur une relation entre une créatrice (elle-même) et sa muse (Adèle Haenel) mais si c'est cela c'est plutôt prétentieux car désolé mais Céline Sciamma n'est pas (du moins pour l'instant) au niveau d'Ingmar Bergman, Alfred Hitchcock, David Lynch, Jean Cocteau ou côté féminin, Jane Campion (quelques unes des références citées dans son film avec l'opposition entre une blonde et une brune, des plans à la "Persona", des références à Orphée et Eurydice et une scène de chute dans la mer pour récupérer une toile qui fait penser à "La Leçon de Piano"). 

* Un problème qui existait déjà dans son précédent film sur le thème des banlieues "Bande de filles" plus esthétisant que juste et s'éparpillant un peu dans toutes les directions: "qui trop embrasse mal étreint".

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Tomboy

Publié le par Rosalie210

Céline Sciamma (2011)

Tomboy

L'enfance est un espace-temps de liberté, de créativité, de jeu, d'expérimentation. Et ce en toute innocence comme le souligne le cadre édénique des séquences où s'amuse la petite bande filmée par Céline Sciamma. Parmi eux, il y a Lisa la seule fille "incontestable" et un autre enfant à l'identité indécise. " C'est le regard des autres qui dit ce que nous sommes." Durant le premier 1/4 d'heure de son film, Céline Sciamma joue avec les stéréotypes implantés dans notre inconscient pour nous faire croire que cet enfant est un garçon (il conduit avec son père, il a les cheveux courts, s'habille, parle et gesticule de façon masculine, sa chambre est bleue...) Puis nouveau départ, sa mère le nomme, il s'appelle Laure et son identité biologique (on le vérifie dans la baignoire) est bien celle d'une fille. Sauf que c'est encore une fausse piste. Lorsque l'enfant qui vient de déménager quitte son immeuble pour la première fois et part se promener, il rencontre Lisa qui lui dit "Tu es nouveau? Comment tu t'appelles?" Et l'enfant de répondre sur un coup de tête, "Michaël". Il n'y a pas de manière plus juste de dépeindre la disjonction entre l'être et le paraître, entre l'identité biologique et l'identité de genre, entre la réalité objective et le ressenti intérieur.

Laure/Michaël devient alors cet être hybride (à l'image du papier-peint rose/bleu à l'arrière-plan de l'affiche) androgyne, suscitant le trouble chez Lisa séduite autant par sa composition de petit dur capable de tenir la dragée haute aux mecs de sa bande que par sa féminité sous-jacente qu'elle fait émerger lorsqu'elle le maquille ("ça te va trop bien"!) Même trouble chez Jeanne, la petite sœur de Laure/Michaël aux allures de poupée, ravie d'avoir subitement un grand frère qui l'intègre dans la bande, la protège et se bat pour elle. Quant à Laure/Michael, on la/le voit rivaliser d'imagination et d'ingéniosité devant son miroir pour trouver des solutions pratiques lui permettant de donner le change. La scène de la baignade est particulièrement remarquable car le spectateur se demande si le subterfuge va fonctionner (un pénis en pâte à modeler glissé dans son maillot de bain), si elle ne va pas être démasquée. Le naturel confondant avec lequel elle endosse le rôle brouille nos repères au point que l'on se demande si ce n'est pas plutôt son identité de fille qui est un rôle et sa composition de Michael qui est la plus proche de sa vérité intime.

Ces questionnements complexes sont filmés avec une remarquable simplicité et à hauteur d'enfant. L'enfant est en effet innocent. La violence et la perversion viennent des adultes. Violence sociale du carcan normatif qui oblige Laure à abandonner Michael lorsqu'il lui faut reprendre le chemin de l'école. Perversité du regard de certains mouvements intégristes religieux sur la sexualité véhiculée par le film associée à la honte, la souillure et au péché. Un conditionnement transmis aux enfants lorsque ceux-ci jugent négativement le baiser entre Lisa et Laure. Tomboy est pourtant au contraire de ces films qui restaure l'intégrité et la dignité de l'individu et s'insurge contre ce que l'on peut appeler "le meurtre de l'enfance".   

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Ma vie de courgette

Publié le par Rosalie210

Claude Barras (2016)

Ma vie de courgette

Le sujet était casse-gueule et ce ne sont pas les prix et les critiques dithyrambiques qui allaient me rassurer. Ces mêmes critiques avaient bien encensé il y a quelques années des films français absolument détestables sur des sujets relatifs à l'enfance meurtrie (Polisse, La guerre est déclarée...) Cependant un élément m'a convaincu de tenter l'expérience: la présence de Céline Sciamma au scénario. Céline Sciamma a prouvé avec Tomboy qu'elle pouvait traiter avec justesse de thèmes délicats concernant la construction identitaire de l'individu dans l'enfance. C'est aussi ce qui ressort de Ma vie de courgette qui aborde de front mais sans pathos la maltraitance des enfants et leur protection juridique. La sinistre réalité qu'ils ont connu n'est jamais édulcorée même si elle est évoquée avec des mots d'enfant et à hauteur d'enfant. Des mots simples qui vont droit au but et une technique d'animation en stop motion qui tape dans le mille pour représenter leur monde. Les corps des marionnettes animées portent les stigmates de ce lourd passé (cernes, cicatrices...), les milieux d'où sont issus ces enfants sont très défavorisés voire marginaux ce qui fait d'eux doublement des parias. Mais le film n'est pas sinistre pour autant. Il montre que le meilleur peut sortir du pire et que pour reprendre les mots de Boris Cyrulnik, les tuteurs de résilience existent. Solidarité entre enfants, créativité artistique permanente, adultes bienveillants sont autant de perches salvatrices. Sans parler de l'étonnante capacité des enfants à rebondir et à se créer des bulles de survie même au cœur de la pire des situations. Ainsi le héros, Courgette (alias Icare) qui a transformé son père disparu en super-héros dessiné sur un cerf-volant, qui fait des châteaux avec les canettes de bière que sa mère alcoolique laisse traîner partout ou Camille qui sans se démonter trouve un moyen astucieux de se libérer de sa tante-marâtre avec l'aide de Courgette et de Simon, le (faux) petit dur de la bande.

Un film d'animation hors des sentiers battus du genre et beaucoup plus profond que nombre de films live sur le sujet.

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