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Articles avec #sautet (claude) tag

Claude Sautet ou la magie invisible

Publié le par Rosalie210

N.T. Binh (2004)

Claude Sautet ou la magie invisible

C'est un documentaire qui accuse son âge, plus de 20 ans. Car depuis, d'autres ont vu le jour avec plus de recul sur l'oeuvre de Claude SAUTET, cinéaste connu pour être particulièrement secret. Sa raison d'être était de rendre publics des enregistrements audio réalisés peu de temps avant son décès en 2000 dans lesquels il commentait son oeuvre. Structuré de façon chronologique, le documentaire passe donc en revue presque chacun des 13 films de sa filmographie (il manque "Bonjour sourire!" sans doute considéré comme un faux départ) (1955) et donne aussi la parole à quelques proches et collaborateurs comme son épouse, Graziella SAUTET, Philippe SARDE, Jean-Paul RAPPENEAU, Jose GIOVANNI etc. Etrangement, presque aucun acteur alors que certains étaient encore en vie, même parmi l'ancienne génération (Sami FREY, Michel PICCOLI, Bruno CREMER, Serge REGGIANI etc.) Pourtant le rapport aux acteurs est longuement évoqué, certains jouant le rôle du double du réalisateur comme Yves MONTAND et surtout Michel PICCOLI dont la crise de colère dans "Vincent, Francois, Paul et les autres..." (1974) s'avère être le miroir de celles du réalisateur. A propos de double, le film suggère également la part féminine de Claude SAUTET révélée à l'écran par Romy SCHNEIDER et prolongée ensuite par Emmanuelle BEART qui pique elle aussi une grosse colère dans "Un coeur en hiver" (1992). Cette dualité indépassable explique peut-être la tonalité mélancolique de nombre de ses films, notamment dans le rapport entre les hommes et les femmes en dépeignant (et dénonçant subtilement) les masques sociaux et la misogynie les empêchant de communiquer. Le troisième acteur à savoir la musique, omniprésente chez Sautet n'est en revanche pas assez analysé et c'est dommage. Les extraits de "Un coeur en hiver" (1992) montrant Stéphane "tuant le père" suggèrent assez bien d'où vient cet empêchement. Il en va de même de la solitude qui semble être le lot de presque tous les personnages de Sautet pourtant dépeint comme le cinéaste du groupe. Lui-même explique que "Vincent, Francois, Paul et les autres..." (1974) ne forment pas un groupe mais une bande comme autant de variantes du même personnage de loser, arrêté en pleine course, empêché de vivre.

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Classe tous risques

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1960)

Classe tous risques

Claude SAUTET est définitivement l'un de mes cinéastes préférés. Même dans une oeuvre de jeunesse comme "Classe tous risques" on reconnaît sa personnalité. Pourtant ce deuxième film aurait pu être écrasé sous les références, aussi bien françaises qu'américaines. Il s'agit en effet de l'adaptation d'un roman de José Giovanni avec Lino VENTURA dans le rôle principal d'un "bandit d'honneur"* ce qui établit une parenté avec le cinéma de Jean-Pierre MELVILLE, "Le Deuxieme souffle" (1966) en particulier. De l'autre, certains plans où l'on voit Jean-Paul BELMONDO déambuler dans les rues de Paris ne sont pas sans rappeler "A bout de souffle" (1960) sorti peu de temps avant. L'influence de la nouvelle vague est également palpable dans la manière dont a été filmée le hold-up du début, en pleine rue, au milieu des passants et en caméra cachée. Jean-Luc GODARD et Jean-Pierre MELVILLE étaient par ailleurs très influencés par le polar américain et l'on retrouve cette influence logiquement dans "Classe tous risques".

Bien qu'étant un film de genre très bien réalisé, "Classe tous risques" est aussi un drame intimiste où l'on retrouve la sensibilité de Claude SAUTET envers les plus faibles. Ainsi Abel (Lino VENTURA) "voyage" avec sa famille et après le drame qui la frappe par sa faute, on est attristé par le sort de ses deux petits garçons dont il est bien obligé de se séparer avant de s'enfoncer dans une spirale sans issue. Quant à Eric (Jean-Paul BELMONDO), il a le coeur sur la main que ce soit avec Abel qu'il vient aider (contrairement à ses anciens complices embourgeoisés qui lui tournent le dos), ses gosses ou avec Liliane (Sandra MILO) qu'il défend contre un homme violent.

* Bien qu'il soit inspiré du gangster Abel Danos surnommé "Le Mammouth" qui collabora au sein de la Gestapo française avec les allemands et en profita pour s'enrichir pendant la seconde guerre mondiale et qui n'avait rien d'un bandit d'honneur.

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La Vie de château

Publié le par Rosalie210

Jean-Paul Rappeneau (1966)

La Vie de château

C'est avec un grand plaisir que j'ai découvert le premier film de Jean-Paul RAPPENEAU qui a bénéficié d'une remarquable conjugaison de talents (Alain CAVALIER et Claude SAUTET au scénario, Michel LEGRAND à la musique, Pierre LHOMME à la photographie sans parler du casting trois étoiles) sans que pour autant il se noie dedans. En effet on retrouve dans cette pétillante comédie le sens du rythme et du mouvement du réalisateur de "Cyrano de Bergerac" (1990). "La vie de château" transpose dans un contexte franco-français la comédie hollywoodienne sophistiquée à la Ernst LUBITSCH (on pense à "To Be or Not to Be" (1942) forcément, vu le thème) et la screwball comédie à la Howard HAWKS. Outre son rythme trépidant, "La vie de château" est une comédie du remariage tout à fait dans la lignée de celles analysées dans le livre de Stanley Cavell. Une comédie dans laquelle un homme plutôt pantouflard joué par Philippe NOIRET va devoir sortir de sa réserve (au propre et au figuré) pour reconquérir sa femme (Catherine DENEUVE) qui s'ennuie et qui est convoitée à la fois par un héros de la résistance et par un officier allemand. Le film est en effet précurseur en osant traiter la seconde guerre mondiale - sujet encore sensible au milieu des années 60 - sur le ton de la comédie, près d'un an avant "La Grande vadrouille" (1966)*. Bien aidé par des seconds rôles truculents (Pierre BRASSEUR dans le rôle du beau-père fermier et Mary MARQUET dans celui de la mère châtelaine sont irrésistibles), le film raconte la métamorphose d'un planqué en héros au moment crucial du débarquement anglo-américain du 6 juin 1944. Un rôle qui en préfigure un autre pour Philippe NOIRET mais sur un mode tragique: celui de Julien Dandieu dans "Le Vieux fusil" (1975). Quant à Catherine DENEUVE, s'il peut paraître étonnant de la voir jouer dans un registre convenant mieux a priori à sa soeur, Francoise DORLEAC (qui avait été d'abord pressentie), elle a pu mettre en avant une élégance naturelle et un débit mitraillette n'ayant rien à envier à une Rosalind RUSSELL. Le générique de début, montage de photos du visage ou de parties du visage de l'actrice par Walerian BOROWCZYK l'élève déjà au rang de mythe alors qu'elle n'en était qu'au début de sa carrière.

* Les deux films sont sortis la même année mais "La vie de château" en janvier et "La grande vadrouille" en décembre.

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Garçon!

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1983)

Garçon!

« Je suis un musicien refoulé, pour moi le cinéma n’est ni démonstratif ni explicatif, il est d’ordre expressif, donc beaucoup plus près de la musique, donc beaucoup plus près de ce qui concerne la musique, c’est-à-dire, le rythme, le lyrisme, le mouvement interne … L’écriture d’un film, le scénario, c’est un peu comme les signes d’une partition qui sont incompréhensibles pour les profanes. Je ne peux pas expliquer le cinéma plus que je ne peux expliquer la musique… » (Claude SAUTET).

Avoir en tête cette citation permet d'apprécier d'autant plus l'incroyable ballet qui se déploie dans la brasserie au début du film. Avec Claude SAUTET dans le rôle du chef d'orchestre (hors-champ), Yves MONTAND dans celui du chef de rang évoluant avec sa fluidité de danseur d'une table à l'autre et les autres serveurs se démenant dans ce qui s'apparente à une chorégraphie bien huilée rythmée par la voix de stentor de Bernard FRESSON dans le rôle du chef de cuisine râleur. D'ailleurs dans ce qui s'apparente à une mise en abyme, Alex, le personnage joué par Yves MONTAND est lui-même un ancien danseur et son travail de serveur n'est qu'une transition d'un état à un autre puisqu'il finit par exaucer son rêve qui est d'ouvrir un parc d'attractions au bord de la mer: une autre forme de spectacle, un autre microcosme. Claude SAUTET navigue avec beaucoup d'aisance entre les scènes de groupe et les portraits individuels, entre les plans larges et les plans serrés: celui, central, d'Alex, celui de son ami et collègue Gilbert (Jacques VILLERET) ou celui d'habitués qui semblent eux aussi en transit dans leur vie personnelle ou professionnelle. Alex navigue entre différentes femmes de différents âges et lorsqu'il semble fixer son choix, c'est Claire, l'heureuse élue (Nicole GARCIA) qui s'avère être instable et n'être que de passage dans sa vie. Il n'empêche que la relation entre eux est décrite avec beaucoup de finesse et de pudeur, par de simples regards, des sourires que la caméra de Claude SAUTET sait mettre en valeur. Les autres femmes ne sont pas pour autant des figurantes, elles représentent différentes strates sociales et générationnelles. Gloria (Rosy VARTE) une bourgeoise mariée aide financièrement Alex dans ses projets alors que c'est lui qui aide Coline (Dominique LAFFIN), une jeune femme qui se retrouve dans la plus grande précarité. Elle fait ainsi mentir Gilbert qui reprochait à Alex de ne pas s'occuper des autres. Celui-ci l'épaule beaucoup dans son travail et dans sa vie personnelle car Gilbert aussi est en transit entre deux boulots et deux femmes. Dans son registre propre, Jacques VILLERET est très touchant et complète parfaitement par son côté lunaire le solaire Yves MONTAND.

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Mado

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1976)

Mado

"Mado" est le quatrième et dernier film tourné par Michel PICCOLI pour Claude SAUTET. Comme dans les précédents, il interprète un bourgeois quinquagénaire qui a bien du mal à rester sur les rails. Certes, sa voiture ne part pas en vrille comme dans "Les Choses de la vie" (1969) mais elle s'enlise dans la boue, comme celles de ses amis. Et il n'en est pas réduit à décharger son révolver comme dans "Max et les ferrailleurs" (1970) mais il provoque un règlement de comptes sanglant dont la victime est un escroc plus estimé par celle qu'il aime que lui-même*. Celle qu'il aime est d'ailleurs un bien grand mot pour qualifier une relation vénale mâtinée de sa part de possessivité et de jalousie. Mais plus il s'accroche et plus elle se dérobe cette Mado prolétaire (Ottavia PICCOLO) qui arrondit ses fins de mois en vendant ses charmes aux vieux friqués tout en étant pas dupe que leur obsession du contrôle dissimule un grand vide intérieur. Et c'est toute la finesse de Michel PICCOLI et à travers lui, de Claude SAUTET de suggérer derrière la maîtrise apparente d'un homme capable lorsque sa survie est en jeu de méthodes aussi véreuses en affaires que celles des requins qui cherchent à le bouffer toute la détresse d'un visage défait après une nuit blanche sous la pluie et le froid. Ainsi, comme tous les Sautet, les portraits de groupe et l'instantané social d'une France en crise et fracturée sur les plans social et générationnel dissimulent un drame des plus intime. Drame qui se reflète également dans un autre visage défait, celui d'Hélène (Romy SCHNEIDER) qui ne fait qu'une brève mais marquante apparition en ex-compagne démolie par l'alcool et le mal d'aimer. Visage que Simon semble tout de même davantage capable de regarder en face à la fin du film.

* Le personnage de Mado est fascinant en ce qu'elle remet en cause bien des idées reçues. Par exemple en différenciant l'amour et la morale (des hommes crapuleux peuvent être davantage capables d'amour que des bourgeois "vertueux") et en donnant une définition toute personnelle du bien et du mal (vivre au crochet des autres lui faisant plus de mal que de se prostituer).

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Un mauvais fils

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1980)

Un mauvais fils

"Un mauvais fils" est le film qui marque une rupture dans la filmographie de Claude SAUTET. Rupture par rapport à ses films des années 70 en ce qu'il se centre sur la génération des trentenaires et non plus des quinquagénaires (la sienne) dont il sonde avec l'hypersensibilité et la finesse qui le caractérise le mal de vivre. Il trouve logiquement en Patrick DEWAERE tout juste sorti de "Série noire" (1979) l'interprète idéal. Claude SAUTET savait sonder (et révéler) l'âme de ses acteurs et il est le premier à véritablement faire tomber le masque de Patrick Dewaere puisque c'est pour ce rôle qu'il a rasé sa moustache et livré un jeu sobre, dénué de tout artifice.

"Un mauvais fils" raconte la relation conflictuelle entre René, un père "Ducon Lajoie" aigri, rancunier et incapable de communiquer (joué par Yves ROBERT) et Bruno, un fils fragile qui après avoir passé plusieurs années en prison tente de se sortir de l'enfer de la drogue et de se réinsérer. Tâche d'autant plus difficile que la période minutieusement décrite en toile de fond n'est pas propice, la France traversant alors une crise économique et sociale profonde. Mais le film n'est pas misérabiliste car en dépit de ses maladresses, Bruno révèle peu à peu ses qualités humaines dans l'adversité: sa détermination, sa persévérance, son endurance et son aspiration à aimer et à être aimé. Il trouve aussi un père de substitution en la personne de Adrien Dussart (Jacques DUFILHO dont Claude Sautet révèle là aussi une facette inattendue) mélomane efféminé amoureux des lettres qui est l'antithèse du rugueux René et qui le prend sous son aile. C'est par son intermédiaire qu'il rencontre Catherine (Brigitte FOSSEY) autre jeune toxicomane en rupture de père, bref une alter ego dont il s'éprend en dépit de sa froideur apparente. La scène des aveux, tout en retenue est particulièrement belle. Mais le retour à la vie (aux émotions) est délicat à gérer pour des personnes souffrant d'addictions. C'est sur cette délicate ligne de crête qu'évolue Bruno alors qu'en dépit des apparences, le lien avec son père biologique n'est pas coupé et se manifeste par des désordres physiologiques (vomissements, chute accidentelle) qui peuvent faire espérer un retour à l'équilibre. Le message du film est donc porteur d'espoir sur une possible réconciliation entre les générations, celle des durs à cuire des 30 glorieuses et celle des enfants perdus de la crise.

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Quelques jours avec moi

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1988)

Quelques jours avec moi

"Quelques jours avec moi" est un tournant dans la carrière de Claude Sautet qui cherchait à renouveler son inspiration après un passage à vide à la fin des années 70 et au début des années 80. S'entourant de nouveaux scénaristes et d'un casting rajeuni, il livre une œuvre dont la tonalité diffère de ses précédentes tout en conservant un ADN identifiable entre mille et qui annonce les grands films de la fin de sa carrière.

"Quelques jours avec moi" a surpris à l'époque de par le contre-emploi de Daniel Auteuil qui était alors davantage associé à des rôles comiques du type "sous-doués". Mais même si le rôle de Daniel Auteuil est dramatique, le film détone dans la carrière de Claude Sautet par son aspect tragicomique, satirique voire farcesque et bouffon, du moins dans sa première partie (la suite étant plus conforme au style Sautet des années 70). Le personnage joué par Daniel Auteuil n'en peut plus des faux-semblants de son milieu bourgeois. Après avoir sombré dans la dépression, il décide comme tant de personnages masculins de Sautet d'utiliser son retrait émotionnel du monde pour s'en jouer cyniquement. Il faut dire qu'il a été à bonne école avec sa grande simulatrice de mère (Danielle Darrieux) elle-même manipulée par son amant et sa femme Lucie épousée par intérêt avec laquelle il s'est embarqué dans un sordide ménage à 3 digne d'un mauvais vaudeville. Il décide donc de faire semblant d'obéir aux injonctions du conseil d'administration de la chaîne de supermarchés dont il est le PDG en allant visiter les succursales au bilan douteux en ayant en tête d'y semer la zizanie. Il atterrit dans une première ville, Limoges où dans un premier temps, tout se passe comme prévu. Il se retrouve au milieu d'un panier de crabes de bourgeois de province surmonté par un personnage pittoresque, Raoul Fronfrin, le directeur de la succursale (Jean-Pierre Marielle, irrésistible) qu'il a tôt fait de piéger en démasquant aussi bien la fausse cordialité à son égard que les trous dans sa comptabilité. Mais il se prend si bien au jeu qu'il n'arrive plus à s'arrêter, s'installant sur place et invitant la bonne des Fronfrin, Francine (Sandrine Bonnaire dans un rôle qui fait un peu penser à celui qu'elle tient dans "La Cérémonie" de Chabrol) à venir partager sa vie quelques jours. C'est à ce moment-là que le film atteint des sommets en matière de comique, jouant à fond la carte du choc socio-culturel avec le relooking extrême de Francine, l'arrivée de son copain Fernand (Vincent Lindon) vêtu d'une tenue en jean au beau milieu d'un restaurant de luxe (et commandant de la choucroute!) et surtout le grand moment de la soirée déguisée, morceau de bravoure de vingt minutes où sont invités à la fois les Fronfrin et leurs amis et ceux de Francine, des loubards et des prolos (dont Fernand lui aussi en mode "relooking extrême"). Moment très drôle et inattendu qui constitue le pivot du film en ce qu'il tombe paradoxalement les masques, en particulier celui du couple Fronfrin qui s'avère bien plus intéressant que ce qui avait été montré d'eux au premier abord. Irène (Dominique Lavanant) mêle extravagance et mélancolie alors que Raoul devient le principal artisan de la réussite de la soirée par son talent à désamorcer les tensions comme par son rapprochement avec Martial. De ce mélange des classes et des genres (à l'image du film au fond) naît un groupe qui va devenir un puissant soutien pour Martial, de plus en plus bousculé par Francine qui cherche à le faire sortir de son hibernation mortifère. On reconnaît bien en lui le Max de "Max et les ferrailleurs" qui manipulait son monde au travers d'une femme qu'il payait tout en ne demandant rien en échange avant de perdre tragiquement le contrôle sauf que Martial s'avère en capacité d'évoluer, annonçant Stéphane (joué aussi par Daniel Auteuil) et Pierre. 

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Vincent, François, Paul... et les autres

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1974)

Vincent, François, Paul... et les autres

"Garder le calme avant la dissonance". Les épitaphes des tombes de grands cinéastes peuvent parfois en un seul ou en quelques mots définir leur univers. Car les films de Claude Sautet qui était mélomane sont très influencés par la musique. Par exemple, l'un de ses films les plus personnels "Un Cœur en hiver" peut être comparé à un concerto pour deux luthiers et une violoniste. Et "Vincent, François, Paul… et les autres" est un film choral ponctué de "couacs", les fameuses dissonances évoquées dans l'épitaphe inscrite sur sa tombe. C'est le portrait d'une précision chirurgicale d'une génération d'hommes (celles des quinquagénaires des années 70) qui ont cru bâtir leur vie sur du béton, celui des 30 Glorieuses et découvrent que celui-ci était n'était que du sable lorsqu'éclate la récession*. Tous sont confrontés à des situations de crise qu'elle soit professionnelle (symbolisée par la PME en faillite de Vincent, alias Yves Montand), idéologique et créatrice (l'embourgeoisement de François joué par Michel Piccoli, la panne d'inspiration de Paul l'écrivain interprété par Serge Reggiani) ou encore personnelle. Sur ce dernier plan, on retrouve le type d'homme muré en lui-même typique du cinéma de Claude Sautet incarné par François que sa femme ne supporte plus et trompe à tout-va ainsi que par Vincent que sa petite amie Marie (Ludmila Mikaël) plaque entre autre parce qu'elle lui reproche son désintérêt pour elle et le reste du monde ainsi que son incapacité à communiquer. Cette explication et l'accumulation des difficultés d'argent (et de santé) de Vincent le poussent néanmoins à se confier à son ancienne femme Catherine (Stéphane Audran) qui est la seule à l'écouter, le comprendre et le soutenir. Car lorsqu'il a le plus besoin d'eux, ses potes font la sourde oreille ce qui d'ailleurs créé l'une de ces dissonances majeures dans l'affichage amical et convivial du titre**. Mais il est trop tard pour la récupérer et ce trop tard a la saveur amère des regrets. Saveur amère à laquelle Vincent refuse de goûter, préférant se réfugier dans l'illusion***.

* La jeune génération, incarnée par Jean (Gérard Depardieu) le contremaître de Vincent est incertaine quant à son avenir, plus pauvre que celle des quinquagénaires mais moins soucieuse du paraître social et donc plus heureuse dans l'espace d'intimité du foyer.

** Claude Sautet est moins le cinéaste du groupe que le cinéaste de la solitude au milieu du groupe, en réalité un agrégat de ratés égoïstes qui se raccrochent de façon pathétique à l'illusion de moments de bonheur partagé.

*** Au moins les épreuves ont donné à Vincent l'occasion de montrer sa vulnérabilité alors que François reste tout au long du film un mâle alpha odieux qui au lieu de tenter de comprendre pourquoi sa femme lui échappe cherche à la soumettre par la violence conjugale (coups et viols). Cercle vicieux qui ne fait qu'accroître son impuissance et sa frustration.

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César et Rosalie

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1972)

César et Rosalie

Avec les films de Claude Sautet des années 70, on commence toujours par se prendre un "choc culturel" dans les dents. C'était l'époque où on fumait comme des pompiers, où on roulait comme des dératés et où personne ne s'offusquait que Rosalie (Romy Schneider) soit reléguée dans le rôle de la potiche qui sert le café (dans l'atelier de David alias Samy Frey) ou les glaçons (chez César alias Yves Montand) pendant que ces messieurs créaient leurs bandes dessinées ou jouaient au poker "entre hommes". Mais Claude Sautet est également un orfèvre des sentiments qui échappe au temps, de même que ses personnages échappent aux stéréotypes datés. Rosalie a l'air d'une poupée décorative mais sa valse-hésitation amoureuse montre qu'elle se cherche à s'affirmer entre ces deux hommes aux tempéraments opposés mais au fond pas si différents puisqu'ils finissent par devenir copains comme cochons après s'être "virilement" frottés l'un à l'autre. César, le prolo parvenu (le sens du détail de Sautet fait aussi merveille dans le domaine social, que ce soit le prix d'un tableau sous-évalué ou des chaussures mal assorties) en fait des tonnes dans la jovialité sans parler de sa tendance au bluff qui cache (mal) ses angoisses (relatives à la taille de sa bistouquette ^^) et une impulsivité qui ne cesse de lui faire perdre le contrôle de lui-même au point de tout casser. David est à l'inverse aussi flegmatique que César est sanguin mais il est froid, taciturne et fuyant. Il allume des feux sans en assumer les conséquences ensuite comme l'atteste le fait qu'il a séduit Rosalie par le passé avant de la laisser à un autre homme. On comprend que celle-ci, tyrannisée par la possessivité anxieuse du premier et maintenue à distance par l'égoïsme du second ait envie de fuir. Mais on comprend aussi pourquoi elle hésite. César a la générosité (matérielle mais aussi du cœur) qui manque à David et sa vulnérabilité d'enfant perdu est désarmante. David a le recul, la tendresse et la douceur qui manquent à César. Les deux hommes sont complémentaires et leur apprivoisement réciproque (celles de leurs peurs) est peut-être la clé qui fera revenir Rosalie.

En bref, le banal triangle amoureux cache quelque chose de bien plus profond: une quête de soi, par-delà le rôle social qu'on attend de soi (rôle défini par le genre ou le statut social). C'est tout le talent de Sautet de dépeindre des scènes de groupes conviviales et en même temps de faire ressentir l'irréductible solitude de chacun au milieu de tous, le contexte d'une époque et ce qui reste quand tout le reste a disparu, la mélancolie sous la jovialité, la peur sous l'apparente assurance. 

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Nelly et Monsieur Arnaud

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1995)

Nelly et Monsieur Arnaud

Claude Sautet a terminé sa carrière en apothéose avec l'un des plus beaux films de sa carrière, pourtant riche en trésors. Mais "Nelly et Monsieur Arnaud" a une saveur particulière tant il est le fruit d'un alliage subtil entre tout ce qu'il y a de plus intime chez ce cinéaste qui avait beaucoup de mal à se cerner lui-même. "Nelly et Monsieur Arnaud" est l'un de ces films en creux qui en dit long pour peu que l'on y soit attentif.

Le film est fondé sur un paradoxe qui traverse d'autres films du cinéaste: c'est l'histoire d'une rencontre véritable sur fond d'amour impossible, ce qui fait lien créant en même temps un obstacle infranchissable. Celui de la différence d'âge et d'expérience tout d'abord: Nelly (Emmanuelle Béart) qui a 25 ans maîtrise l'informatique et pas Arnaud (Michel Serrault) qui en a 60, elle va donc l'aider à coucher ses mémoires, non sur le papier mais dans la mémoire de l'ordinateur. Ce sera la base de leurs échanges tandis que la mise en scène faite de champs/contrechamps sur un Arnaud debout mobile et volubile et une Nelly assise à l'écoute et statique à son bureau matérialise leur séparation et la sujétion de l'une à l'autre. Car l'inégalité est également sociale. Arnaud est un grand bourgeois friqué, Nelly survit tant bien que mal en faisant des petits boulots précaires. Leur premier échange est basé sur l'argent qu'il lui donne et pourtant ils parviendront à échapper à la logique de prostitution qui semblait se dessiner au départ au profit de la sublimation dans l'écriture*. Leur relation sera professionnelle, amicale et même amoureuse mais platonique, marquée par une grande retenue et beaucoup de non-dits. Dans une scène délicieuse où il l'invite dans un grand restaurant, ils s'amusent d'ailleurs de la curiosité que leur présence provoque et Nelly glisse à l'oreille d'Arnaud que les clients doivent sûrement la prendre pour une pute. 

Mais l'impossibilité de faire coïncider le cœur et le corps, récurrente chez Sautet a un prix, celui de la solitude et d'une certaine mélancolie**. En développant des sentiments pour Arnaud, Nelly s'interdit d'aimer un autre homme ce qui provoque la fin abrupte de sa relation avec Vincent (Jean-Hugues Anglade) avec lequel elle refuse de s'engager. Et la passion interdite qu'éprouve Arnaud s'exprime outre sa jalousie ("Il y a des débuts tardifs", j'adore cette phrase si révélatrice) lors d'une scène magnifique inspirée des "Belles endormies" de Yasunari Kawabata où il contemple Nelly endormie et la caresse sans la toucher. La filiation entre Arnaud et les autres personnages masculins phares de Sautet est très claire sauf qu'il ne cache plus qu'Arnaud est un double de lui-même et que le film est testamentaire, l'appartement d'Arnaud se vidant au fur et à mesure que celui-ci libère sa parole. Il révèle aussi bien sa part de lumière que sa part d'ombre, incarnée notamment par les apparitions fugitives pour reprendre l'intitulé du générique de Michael Lonsdale qui incarne sa mauvaise conscience. Les provocations de Nelly qui raconte à son mari (Charles Berling) qu'elle a accepté l'argent d'Arnaud puis à Arnaud qu'elle a couché avec Vincent (et qu'elle y a pris plaisir) alors qu'elle ne l'a pas encore fait jouent le même rôle de révélateur de l'inconscient. Michel Serrault livre une composition extraordinaire, remplie d'humanité qui lui a valu un César bien mérité ainsi que celui du meilleur réalisateur pour Claude Sautet.

* Max et les ferrailleurs présente une situation similaire où la relation entre une prostituée et son client bourgeois est subvertie par l'attitude de ce dernier qui refuse d'en profiter.

** Encore que la fin reste d'une certaine manière en suspens, chacun pensant à l'autre tout en s'éloignant physiquement de lui.

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