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Articles avec #sautet (claude) tag

Garçon!

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1983)

Garçon!

« Je suis un musicien refoulé, pour moi le cinéma n’est ni démonstratif ni explicatif, il est d’ordre expressif, donc beaucoup plus près de la musique, donc beaucoup plus près de ce qui concerne la musique, c’est-à-dire, le rythme, le lyrisme, le mouvement interne … L’écriture d’un film, le scénario, c’est un peu comme les signes d’une partition qui sont incompréhensibles pour les profanes. Je ne peux pas expliquer le cinéma plus que je ne peux expliquer la musique… » (Claude SAUTET).

Avoir en tête cette citation permet d'apprécier d'autant plus l'incroyable ballet qui se déploie dans la brasserie au début du film. Avec Claude SAUTET dans le rôle du chef d'orchestre (hors-champ), Yves MONTAND dans celui du chef de rang évoluant avec sa fluidité de danseur d'une table à l'autre et les autres serveurs se démenant dans ce qui s'apparente à une chorégraphie bien huilée rythmée par la voix de stentor de Bernard FRESSON dans le rôle du chef de cuisine râleur. D'ailleurs dans ce qui s'apparente à une mise en abyme, Alex, le personnage joué par Yves MONTAND est lui-même un ancien danseur et son travail de serveur n'est qu'une transition d'un état à un autre puisqu'il finit par exaucer son rêve qui est d'ouvrir un parc d'attractions au bord de la mer: une autre forme de spectacle, un autre microcosme. Claude SAUTET navigue avec beaucoup d'aisance entre les scènes de groupe et les portraits individuels, entre les plans larges et les plans serrés: celui, central, d'Alex, celui de son ami et collègue Gilbert (Jacques VILLERET) ou celui d'habitués qui semblent eux aussi en transit dans leur vie personnelle ou professionnelle. Alex navigue entre différentes femmes de différents âges et lorsqu'il semble fixer son choix, c'est Claire, l'heureuse élue (Nicole GARCIA) qui s'avère être instable et n'être que de passage dans sa vie. Il n'empêche que la relation entre eux est décrite avec beaucoup de finesse et de pudeur, par de simples regards, des sourires que la caméra de Claude SAUTET sait mettre en valeur. Les autres femmes ne sont pas pour autant des figurantes, elles représentent différentes strates sociales et générationnelles. Gloria (Rosy VARTE) une bourgeoise mariée aide financièrement Alex dans ses projets alors que c'est lui qui aide Coline (Dominique LAFFIN), une jeune femme qui se retrouve dans la plus grande précarité. Elle fait ainsi mentir Gilbert qui reprochait à Alex de ne pas s'occuper des autres. Celui-ci l'épaule beaucoup dans son travail et dans sa vie personnelle car Gilbert aussi est en transit entre deux boulots et deux femmes. Dans son registre propre, Jacques VILLERET est très touchant et complète parfaitement par son côté lunaire le solaire Yves MONTAND.

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Mado

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1976)

Mado

"Mado" est le quatrième et dernier film tourné par Michel PICCOLI pour Claude SAUTET. Comme dans les précédents, il interprète un bourgeois quinquagénaire qui a bien du mal à rester sur les rails. Certes, sa voiture ne part pas en vrille comme dans "Les Choses de la vie" (1969) mais elle s'enlise dans la boue, comme celles de ses amis. Et il n'en est pas réduit à décharger son révolver comme dans "Max et les ferrailleurs" (1970) mais il provoque un règlement de comptes sanglant dont la victime est un escroc plus estimé par celle qu'il aime que lui-même*. Celle qu'il aime est d'ailleurs un bien grand mot pour qualifier une relation vénale mâtinée de sa part de possessivité et de jalousie. Mais plus il s'accroche et plus elle se dérobe cette Mado prolétaire (Ottavia PICCOLO) qui arrondit ses fins de mois en vendant ses charmes aux vieux friqués tout en étant pas dupe que leur obsession du contrôle dissimule un grand vide intérieur. Et c'est toute la finesse de Michel PICCOLI et à travers lui, de Claude SAUTET de suggérer derrière la maîtrise apparente d'un homme capable lorsque sa survie est en jeu de méthodes aussi véreuses en affaires que celles des requins qui cherchent à le bouffer toute la détresse d'un visage défait après une nuit blanche sous la pluie et le froid. Ainsi, comme tous les Sautet, les portraits de groupe et l'instantané social d'une France en crise et fracturée sur les plans social et générationnel dissimulent un drame des plus intime. Drame qui se reflète également dans un autre visage défait, celui d'Hélène (Romy SCHNEIDER) qui ne fait qu'une brève mais marquante apparition en ex-compagne démolie par l'alcool et le mal d'aimer. Visage que Simon semble tout de même davantage capable de regarder en face à la fin du film.

* Le personnage de Mado est fascinant en ce qu'elle remet en cause bien des idées reçues. Par exemple en différenciant l'amour et la morale (des hommes crapuleux peuvent être davantage capables d'amour que des bourgeois "vertueux") et en donnant une définition toute personnelle du bien et du mal (vivre au crochet des autres lui faisant plus de mal que de se prostituer).

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Un mauvais fils

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1980)

Un mauvais fils

"Un mauvais fils" est le film qui marque une rupture dans la filmographie de Claude SAUTET. Rupture par rapport à ses films des années 70 en ce qu'il se centre sur la génération des trentenaires et non plus des quinquagénaires (la sienne) dont il sonde avec l'hypersensibilité et la finesse qui le caractérise le mal de vivre. Il trouve logiquement en Patrick DEWAERE tout juste sorti de "Série noire" (1979) l'interprète idéal. Claude SAUTET savait sonder (et révéler) l'âme de ses acteurs et il est le premier à véritablement faire tomber le masque de Patrick Dewaere puisque c'est pour ce rôle qu'il a rasé sa moustache et livré un jeu sobre, dénué de tout artifice.

"Un mauvais fils" raconte la relation conflictuelle entre René, un père "Ducon Lajoie" aigri, rancunier et incapable de communiquer (joué par Yves ROBERT) et Bruno, un fils fragile qui après avoir passé plusieurs années en prison tente de se sortir de l'enfer de la drogue et de se réinsérer. Tâche d'autant plus difficile que la période minutieusement décrite en toile de fond n'est pas propice, la France traversant alors une crise économique et sociale profonde. Mais le film n'est pas misérabiliste car en dépit de ses maladresses, Bruno révèle peu à peu ses qualités humaines dans l'adversité: sa détermination, sa persévérance, son endurance et son aspiration à aimer et à être aimé. Il trouve aussi un père de substitution en la personne de Adrien Dussart (Jacques DUFILHO dont Claude Sautet révèle là aussi une facette inattendue) mélomane efféminé amoureux des lettres qui est l'antithèse du rugueux René et qui le prend sous son aile. C'est par son intermédiaire qu'il rencontre Catherine (Brigitte FOSSEY) autre jeune toxicomane en rupture de père, bref une alter ego dont il s'éprend en dépit de sa froideur apparente. La scène des aveux, tout en retenue est particulièrement belle. Mais le retour à la vie (aux émotions) est délicat à gérer pour des personnes souffrant d'addictions. C'est sur cette délicate ligne de crête qu'évolue Bruno alors qu'en dépit des apparences, le lien avec son père biologique n'est pas coupé et se manifeste par des désordres physiologiques (vomissements, chute accidentelle) qui peuvent faire espérer un retour à l'équilibre. Le message du film est donc porteur d'espoir sur une possible réconciliation entre les générations, celle des durs à cuire des 30 glorieuses et celle des enfants perdus de la crise.

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Quelques jours avec moi

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1988)

Quelques jours avec moi

"Quelques jours avec moi" est un tournant dans la carrière de Claude Sautet qui cherchait à renouveler son inspiration après un passage à vide à la fin des années 70 et au début des années 80. S'entourant de nouveaux scénaristes et d'un casting rajeuni, il livre une œuvre dont la tonalité diffère de ses précédentes tout en conservant un ADN identifiable entre mille et qui annonce les grands films de la fin de sa carrière.

"Quelques jours avec moi" a surpris à l'époque de par le contre-emploi de Daniel Auteuil qui était alors davantage associé à des rôles comiques du type "sous-doués". Mais même si le rôle de Daniel Auteuil est dramatique, le film détone dans la carrière de Claude Sautet par son aspect tragicomique, satirique voire farcesque et bouffon, du moins dans sa première partie (la suite étant plus conforme au style Sautet des années 70). Le personnage joué par Daniel Auteuil n'en peut plus des faux-semblants de son milieu bourgeois. Après avoir sombré dans la dépression, il décide comme tant de personnages masculins de Sautet d'utiliser son retrait émotionnel du monde pour s'en jouer cyniquement. Il faut dire qu'il a été à bonne école avec sa grande simulatrice de mère (Danielle Darrieux) elle-même manipulée par son amant et sa femme Lucie épousée par intérêt avec laquelle il s'est embarqué dans un sordide ménage à 3 digne d'un mauvais vaudeville. Il décide donc de faire semblant d'obéir aux injonctions du conseil d'administration de la chaîne de supermarchés dont il est le PDG en allant visiter les succursales au bilan douteux en ayant en tête d'y semer la zizanie. Il atterrit dans une première ville, Limoges où dans un premier temps, tout se passe comme prévu. Il se retrouve au milieu d'un panier de crabes de bourgeois de province surmonté par un personnage pittoresque, Raoul Fronfrin, le directeur de la succursale (Jean-Pierre Marielle, irrésistible) qu'il a tôt fait de piéger en démasquant aussi bien la fausse cordialité à son égard que les trous dans sa comptabilité. Mais il se prend si bien au jeu qu'il n'arrive plus à s'arrêter, s'installant sur place et invitant la bonne des Fronfrin, Francine (Sandrine Bonnaire dans un rôle qui fait un peu penser à celui qu'elle tient dans "La Cérémonie" de Chabrol) à venir partager sa vie quelques jours. C'est à ce moment-là que le film atteint des sommets en matière de comique, jouant à fond la carte du choc socio-culturel avec le relooking extrême de Francine, l'arrivée de son copain Fernand (Vincent Lindon) vêtu d'une tenue en jean au beau milieu d'un restaurant de luxe (et commandant de la choucroute!) et surtout le grand moment de la soirée déguisée, morceau de bravoure de vingt minutes où sont invités à la fois les Fronfrin et leurs amis et ceux de Francine, des loubards et des prolos (dont Fernand lui aussi en mode "relooking extrême"). Moment très drôle et inattendu qui constitue le pivot du film en ce qu'il tombe paradoxalement les masques, en particulier celui du couple Fronfrin qui s'avère bien plus intéressant que ce qui avait été montré d'eux au premier abord. Irène (Dominique Lavanant) mêle extravagance et mélancolie alors que Raoul devient le principal artisan de la réussite de la soirée par son talent à désamorcer les tensions comme par son rapprochement avec Martial. De ce mélange des classes et des genres (à l'image du film au fond) naît un groupe qui va devenir un puissant soutien pour Martial, de plus en plus bousculé par Francine qui cherche à le faire sortir de son hibernation mortifère. On reconnaît bien en lui le Max de "Max et les ferrailleurs" qui manipulait son monde au travers d'une femme qu'il payait tout en ne demandant rien en échange avant de perdre tragiquement le contrôle sauf que Martial s'avère en capacité d'évoluer, annonçant Stéphane (joué aussi par Daniel Auteuil) et Pierre. 

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Vincent, François, Paul... et les autres

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1974)

Vincent, François, Paul... et les autres

"Garder le calme avant la dissonance". Les épitaphes des tombes de grands cinéastes peuvent parfois en un seul ou en quelques mots définir leur univers. Car les films de Claude Sautet qui était mélomane sont très influencés par la musique. Par exemple, l'un de ses films les plus personnels "Un Cœur en hiver" peut être comparé à un concerto pour deux luthiers et une violoniste. Et "Vincent, François, Paul… et les autres" est un film choral ponctué de "couacs", les fameuses dissonances évoquées dans l'épitaphe inscrite sur sa tombe. C'est le portrait d'une précision chirurgicale d'une génération d'hommes (celles des quinquagénaires des années 70) qui ont cru bâtir leur vie sur du béton, celui des 30 Glorieuses et découvrent que celui-ci était n'était que du sable lorsqu'éclate la récession*. Tous sont confrontés à des situations de crise qu'elle soit professionnelle (symbolisée par la PME en faillite de Vincent, alias Yves Montand), idéologique et créatrice (l'embourgeoisement de François joué par Michel Piccoli, la panne d'inspiration de Paul l'écrivain interprété par Serge Reggiani) ou encore personnelle. Sur ce dernier plan, on retrouve le type d'homme muré en lui-même typique du cinéma de Claude Sautet incarné par François que sa femme ne supporte plus et trompe à tout-va ainsi que par Vincent que sa petite amie Marie (Ludmila Mikaël) plaque entre autre parce qu'elle lui reproche son désintérêt pour elle et le reste du monde ainsi que son incapacité à communiquer. Cette explication et l'accumulation des difficultés d'argent (et de santé) de Vincent le poussent néanmoins à se confier à son ancienne femme Catherine (Stéphane Audran) qui est la seule à l'écouter, le comprendre et le soutenir. Car lorsqu'il a le plus besoin d'eux, ses potes font la sourde oreille ce qui d'ailleurs créé l'une de ces dissonances majeures dans l'affichage amical et convivial du titre**. Mais il est trop tard pour la récupérer et ce trop tard a la saveur amère des regrets. Saveur amère à laquelle Vincent refuse de goûter, préférant se réfugier dans l'illusion***.

* La jeune génération, incarnée par Jean (Gérard Depardieu) le contremaître de Vincent est incertaine quant à son avenir, plus pauvre que celle des quinquagénaires mais moins soucieuse du paraître social et donc plus heureuse dans l'espace d'intimité du foyer.

** Claude Sautet est moins le cinéaste du groupe que le cinéaste de la solitude au milieu du groupe, en réalité un agrégat de ratés égoïstes qui se raccrochent de façon pathétique à l'illusion de moments de bonheur partagé.

*** Au moins les épreuves ont donné à Vincent l'occasion de montrer sa vulnérabilité alors que François reste tout au long du film un mâle alpha odieux qui au lieu de tenter de comprendre pourquoi sa femme lui échappe cherche à la soumettre par la violence conjugale (coups et viols). Cercle vicieux qui ne fait qu'accroître son impuissance et sa frustration.

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César et Rosalie

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1972)

César et Rosalie

Avec les films de Claude Sautet des années 70, on commence toujours par se prendre un "choc culturel" dans les dents. C'était l'époque où on fumait comme des pompiers, où on roulait comme des dératés et où personne ne s'offusquait que Rosalie (Romy Schneider) soit reléguée dans le rôle de la potiche qui sert le café (dans l'atelier de David alias Samy Frey) ou les glaçons (chez César alias Yves Montand) pendant que ces messieurs créaient leurs bandes dessinées ou jouaient au poker "entre hommes". Mais Claude Sautet est également un orfèvre des sentiments qui échappe au temps, de même que ses personnages échappent aux stéréotypes datés. Rosalie a l'air d'une poupée décorative mais sa valse-hésitation amoureuse montre qu'elle se cherche à s'affirmer entre ces deux hommes aux tempéraments opposés mais au fond pas si différents puisqu'ils finissent par devenir copains comme cochons après s'être "virilement" frottés l'un à l'autre. César, le prolo parvenu (le sens du détail de Sautet fait aussi merveille dans le domaine social, que ce soit le prix d'un tableau sous-évalué ou des chaussures mal assorties) en fait des tonnes dans la jovialité sans parler de sa tendance au bluff qui cache (mal) ses angoisses (relatives à la taille de sa bistouquette ^^) et une impulsivité qui ne cesse de lui faire perdre le contrôle de lui-même au point de tout casser. David est à l'inverse aussi flegmatique que César est sanguin mais il est froid, taciturne et fuyant. Il allume des feux sans en assumer les conséquences ensuite comme l'atteste le fait qu'il a séduit Rosalie par le passé avant de la laisser à un autre homme. On comprend que celle-ci, tyrannisée par la possessivité anxieuse du premier et maintenue à distance par l'égoïsme du second ait envie de fuir. Mais on comprend aussi pourquoi elle hésite. César a la générosité (matérielle mais aussi du cœur) qui manque à David et sa vulnérabilité d'enfant perdu est désarmante. David a le recul, la tendresse et la douceur qui manquent à César. Les deux hommes sont complémentaires et leur apprivoisement réciproque (celles de leurs peurs) est peut-être la clé qui fera revenir Rosalie.

En bref, le banal triangle amoureux cache quelque chose de bien plus profond: une quête de soi, par-delà le rôle social qu'on attend de soi (rôle défini par le genre ou le statut social). C'est tout le talent de Sautet de dépeindre des scènes de groupes conviviales et en même temps de faire ressentir l'irréductible solitude de chacun au milieu de tous, le contexte d'une époque et ce qui reste quand tout le reste a disparu, la mélancolie sous la jovialité, la peur sous l'apparente assurance. 

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Nelly et Monsieur Arnaud

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1995)

Nelly et Monsieur Arnaud

Claude Sautet a terminé sa carrière en apothéose avec l'un des plus beaux films de sa carrière, pourtant riche en trésors. Mais "Nelly et Monsieur Arnaud" a une saveur particulière tant il est le fruit d'un alliage subtil entre tout ce qu'il y a de plus intime chez ce cinéaste qui avait beaucoup de mal à se cerner lui-même. "Nelly et Monsieur Arnaud" est l'un de ces films en creux qui en dit long pour peu que l'on y soit attentif.

Le film est fondé sur un paradoxe qui traverse d'autres films du cinéaste: c'est l'histoire d'une rencontre véritable sur fond d'amour impossible, ce qui fait lien créant en même temps un obstacle infranchissable. Celui de la différence d'âge et d'expérience tout d'abord: Nelly (Emmanuelle Béart) qui a 25 ans maîtrise l'informatique et pas Arnaud (Michel Serrault) qui en a 60, elle va donc l'aider à coucher ses mémoires, non sur le papier mais dans la mémoire de l'ordinateur. Ce sera la base de leurs échanges tandis que la mise en scène faite de champs/contrechamps sur un Arnaud debout mobile et volubile et une Nelly assise à l'écoute et statique à son bureau matérialise leur séparation et la sujétion de l'une à l'autre. Car l'inégalité est également sociale. Arnaud est un grand bourgeois friqué, Nelly survit tant bien que mal en faisant des petits boulots précaires. Leur premier échange est basé sur l'argent qu'il lui donne et pourtant ils parviendront à échapper à la logique de prostitution qui semblait se dessiner au départ au profit de la sublimation dans l'écriture*. Leur relation sera professionnelle, amicale et même amoureuse mais platonique, marquée par une grande retenue et beaucoup de non-dits. Dans une scène délicieuse où il l'invite dans un grand restaurant, ils s'amusent d'ailleurs de la curiosité que leur présence provoque et Nelly glisse à l'oreille d'Arnaud que les clients doivent sûrement la prendre pour une pute. 

Mais l'impossibilité de faire coïncider le cœur et le corps, récurrente chez Sautet a un prix, celui de la solitude et d'une certaine mélancolie**. En développant des sentiments pour Arnaud, Nelly s'interdit d'aimer un autre homme ce qui provoque la fin abrupte de sa relation avec Vincent (Jean-Hugues Anglade) avec lequel elle refuse de s'engager. Et la passion interdite qu'éprouve Arnaud s'exprime outre sa jalousie ("Il y a des débuts tardifs", j'adore cette phrase si révélatrice) lors d'une scène magnifique inspirée des "Belles endormies" de Yasunari Kawabata où il contemple Nelly endormie et la caresse sans la toucher. La filiation entre Arnaud et les autres personnages masculins phares de Sautet est très claire sauf qu'il ne cache plus qu'Arnaud est un double de lui-même et que le film est testamentaire, l'appartement d'Arnaud se vidant au fur et à mesure que celui-ci libère sa parole. Il révèle aussi bien sa part de lumière que sa part d'ombre, incarnée notamment par les apparitions fugitives pour reprendre l'intitulé du générique de Michael Lonsdale qui incarne sa mauvaise conscience. Les provocations de Nelly qui raconte à son mari (Charles Berling) qu'elle a accepté l'argent d'Arnaud puis à Arnaud qu'elle a couché avec Vincent (et qu'elle y a pris plaisir) alors qu'elle ne l'a pas encore fait jouent le même rôle de révélateur de l'inconscient. Michel Serrault livre une composition extraordinaire, remplie d'humanité qui lui a valu un César bien mérité ainsi que celui du meilleur réalisateur pour Claude Sautet.

* Max et les ferrailleurs présente une situation similaire où la relation entre une prostituée et son client bourgeois est subvertie par l'attitude de ce dernier qui refuse d'en profiter.

** Encore que la fin reste d'une certaine manière en suspens, chacun pensant à l'autre tout en s'éloignant physiquement de lui.

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Un coeur en hiver

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1992)

Un coeur en hiver

"Un cœur en hiver" l'avant-dernier film de Claude Sautet est l'un de ses plus aboutis et l'un de ses plus personnels. Comme le dit si bien Olivier Père, Sautet apparaît à travers ses films comme un cinéaste paradoxal à la fois très proche et très secret. Un cinéaste dual, faussement solaire et véritablement tourmenté, créateur de personnages profondément autodestructeurs dont l'illusion de contrôle finit toujours par se dissiper lorsque leur vie déraille.

Cette dualité est profondément inscrite dans "Un cœur en hiver" au travers des deux amis (?) inséparables Maxime (André Dussollier) et Stéphane (Daniel Auteuil) qui en réalité représentent deux facettes opposées du même homme. Lorsqu'ils font du tennis en salle, on peut remarquer qu'ils arborent la même tenue mais avec des couleurs inversées entre le haut et le bas, l'un représentant effectivement l'endroit de la vie (Maxime) et l'autre son envers (Stéphane). Il y a aussi à un moment donné une séquence qui se déroule à l'entrée d'un cinéma affichant le film d'Ernst Lubitsch "To be or not to be", un titre qui convient parfaitement pour définir l'un ("to be") et l'autre ("not to be"). Par conséquent chacun incarne une facette de l'existence qui se traduit par une complémentarité dans le domaine professionnel (l'un fabrique et répare les violons dans son atelier comme s'il accomplissait une retraite mystique de solitude et de silence, l'autre assure le service après-vente avec son sourire commercial et son talent pour nouer des relations) et sentimental (l'un séduit les filles, l'autre les tient à distance, se montrant aussi fuyant et inadapté avec elles qu'il l'est dans tout type de contexte social). L'histoire se focalise rapidement sur une cliente du duo, la violoniste Camille Kessler (Emmanuelle Béart). Elle devient la petite amie attitrée de Maxime mais elle découvre les affres de la passion avec Stéphane avec lequel elle peut avoir des échanges beaucoup plus profonds car lui seul paraît véritablement l'écouter* (aussi bien quand elle joue que quand elle lui parle). Seulement, il lui oppose une fin de non-recevoir lorsqu'elle veut se rapprocher de lui physiquement, ajoutant qu'il est complètement fermé au sentiment (amoureux comme amical d'ailleurs). Comme Lily vis à vis de Max, Camille en vient à douter que Stéphane soit véritablement un homme devant tant de froideur et (d'apparente) indifférence face à la douleur qui la brûle, elle. En réalité c'est l'un des énième hommes clivés de la filmographie de Sautet, coupé de ses émotions et donc vivant dans un mental orgueilleux dans lequel il s'imagine au-dessus des autres et pouvant les manipuler à sa guise avant de s'apercevoir mais trop tard qu'il a gâché sa vie.**

* Et il sait l'écouter car justement, c'est dans les relations dénuées de paraître social qu'il est le plus à l'aise. Avec son ami lorsqu'il est seul avec lui, avec son apprenti ou encore avec son maître de violon. Tant qu'avec Camille il n'est question que d'échanges sur la musique ou de confidences sur sa vie à elle, il est également à son aise. En revanche dès qu'il s'agit de jeu de séduction et de relation amoureuse, c'est le dérapage.

** En cela et comme Max, il me fait penser au majordome Stevens des "Vestiges du jour" qui éprouve un sentiment de triomphe chaque fois qu'il étouffe toute forme d'humanité en lui jusqu'à ce qu'il finisse en miettes. Néanmoins par rapport aux personnages de Sautet des années 70, Stéphane verbalise davantage et finit même par faire une ébauche d'introspection ce qui est un progrès par rapport à la conduite suicidaire ou au meurtre.

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Max et les ferrailleurs

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1971)

Max et les ferrailleurs

"Max et les ferrailleurs" est l'un des films de Claude Sautet qui m'a le plus marqué. Pourtant j'aurais eu l'âge la première fois que je l'ai vu de lire la série "Max et Lili" de Dominique de Saint Mars (si elle avait existé à l'époque) plutôt que d'essayer comme le fait Lily de percer à jour l'épais mystère de Max. Car bien qu'atypique dans sa filmographie par son genre (le polar) et le milieu représenté (celui des flics, des petits voyous et des prostituées), c'est déjà un film-somme, l'un de ceux qui donne le plus de clés pour comprendre le cinéma de Claude Sautet. Car derrière le côté solaire du cinéaste célébrant les joies du groupe et de la convivialité, il y a une ombre solitaire, froide comme la mort et c'est elle que j'ai vue d'abord*.

En effet "Max et les ferrailleurs" est une tragédie de l'échec et de l'impuissance (quoi qu'en ait dit Sautet lui-même car son cinéma repose sur le non-dit). L'extraordinaire composition de Michel Piccoli (à mon avis l'un de ses plus grands rôles) permet de voir peu à peu remonter à la surface les failles de Max, celles qui se cachent sous son flegme apparent et qui finissent par lui exploser à la figure, le laissant en lambeaux. Car Max est une bombe à retardement et dans le rôle de la mèche il y a l'incendiaire Lily (Romy Schneider) qui elle aussi se défait peu à peu du rôle social qu'elle interprète pour finir aussi défaite que Max à qui elle finit par rendre son humanité, en y mettant le prix fort.

La bourgeoisie dans le film est présente à travers le personnage de Max dont on sait qu'il est le fils d'une riche famille de vignerons et que ce n'est pas avec ce qu'il gagne comme inspecteur qu'il peut se permettre de traîner avec des tas de billets dans la poche ou de s'acheter un appartement qui lui sert de couverture en un claquement de doigts. D'ailleurs la scène où il retrouve Abel (Bernard Fresson), son ancien camarade de régiment devenu le leader d'une bande de petits délinquants de banlieue permet de mesurer toute la distance sociale qu'il y a entre eux depuis qu'ils sont retournés à la vie civile. A la convivialité de la bande, filmée au café ou sur les chantiers qui fleurissaient alors dans la ville de Nanterre en mutation s'oppose la solitude glaciale du flic psychorigide aussi muré en lui-même que le majordome des "Vestiges du jour" de James Ivory**.

Mais pourtant Max qui ne supporte pas l'échec a déjà commencé sa descente aux enfers en renonçant à son métier de juge faute d'avoir pu prouver la culpabilité d'un prévenu. Et au début du film, on apprend que devenu inspecteur, il a de nouveau échoué à prendre en flagrant délit un groupe de truands ce qui en fait la risée du commissariat. On devine l'étendue de sa frustration. La rencontre avec Abel qu'il n'a pas vu depuis dix-sept ans (et qu'il ne reverra pas d'ailleurs) lui donne alors une idée machiavélique: lui suggérer de monter un gros coup avec sa bande qu'il orchestrera de A à Z par l'intermédiaire de la petite amie d'Abel, Lily, une prostituée dont il devient le client régulier. Mais dans ce domaine là encore, Max s'avère frappé d'impuissance. Alors qu'il est en présence de l'une des plus belles femmes du monde faisant le "plus vieux métier du monde", il reste étrangement froid, distant et repousse ses avances, se contentant de lui donner de l'argent pour qu'elle lui tienne compagnie ou de la photographier lors d'une soudaine montée de fièvre ou plutôt de "pulsion scopique"***. Le fait qu'il se serve d'elle pour monter son coup ne peut expliquer cet étrange comportement qui ressemble à une autopunition. D'autant que Lily finit quand même par le toucher, physiquement et psychologiquement. Avec des conséquences irréversibles. En effet en manipulant les autres, Max creuse sans s'en rendre compte sa propre tombe et il n'est guère étonnant qu'il finisse par perdre le contrôle et tomber avec eux, déversant sa rage et son impuissance dans la décharge de son révolver sur le commissaire joué par François Périer.

* Pascal Jardin a dit du cinéma de Sautet qu'il était une fenêtre ouverte sur l'inconscient et c'est bien en cela qu'il n'a rien à voir avec les films de potes divertissants et superficiels qui peuplent le cinéma français et qu'il échappe également à son temps et à son milieu pour acquérir une portée universelle et intemporelle.

** Max préfigure Stéphane, le personnage principal de "Un cœur en hiver" tout aussi froid, secret et orgueilleux (il croit échapper aux sentiments en manipulant ceux des autres alors qu'il s'autodétruit) .

*** La femme désirable que l'on regarde mais que l'on ne peut pas toucher revient comme une obsession chez Sautet, notamment dans ses deux derniers films (tous deux avec Emmanuelle Béart qui remplace Romy Schneider alors décédée).

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Les choses de la vie

Publié le par Rosalie210

Claude Sautet (1970)

Les choses de la vie

Le décès de l'acteur Michel Piccoli puis du scénariste et dialoguiste Jean-Loup Dabadie à une semaine d'intervalle m'a donné envie de revoir "Les Choses de la vie", un film emblématique des années 70 et du "style Sautet". 

En effet, ce qui frappe d'emblée quand on regarde ce film, c'est à quel point il est ancré dans une époque révolue tant sur le plan technologique que culturel. Sur le plan technologique, la lenteur avec laquelle Pierre (Michel Piccoli) est secouru (il reste étendu dans le champ au moins une demi-heure avant l'arrivée de l'ambulance) rappelle ce que c'était de vivre dans un monde non connecté (peut-être d'ailleurs son destin en aurait-il été changé? Car cette absence de connexion n'était pas que technologique, elle était aussi civilisationnelle, j'y reviendrai.) Sur le plan culturel, il est inimaginable aujourd'hui de voir des acteurs avec la clope au bec en permanence dans des atmosphères enfumées (sauf dans les reconstitutions). La loi Evin est passée par là ainsi que l'augmentation vertigineuse des prix, une meilleure connaissance des effets sur la santé mais aussi une image ringarde désormais associée à ce produit. Enfin les problèmes matrimoniaux de Pierre semblent eux aussi terriblement datés. En 1970 le divorce par consentement mutuel n'existait pas encore et le mariage était davantage la norme. La femme ne semblait d'ailleurs pas pouvoir se réaliser autrement (le personnage d'Hélène joué par Romy Schneider n'envisage pas un instant de partir seule à Tunis). Des rigidités amplifiées par le milieu social bourgeois dans lequel s'inscrit le film où il faut en plus gérer un patrimoine qui après le départ de l'époux se détériore. Le bateau qui prend l'eau, le volet de la maison secondaire à l'île de Ré qui bat la breloque symbolisent le fait que l'épouse de Pierre ne peut pas se débrouiller seule ce qui a quand même changé depuis (même si le fait que beaucoup de familles bourgeoises ont une maison secondaire à l'île de Ré reste d'actualité).

Mais cette sujétion de la femme à l'homme dans le mariage, cadre normatif qui paraissait alors indépassable n'est pas aliénante que pour la femme, elle l'est aussi pour l'homme. Car l'accident de voiture, morceau de bravoure qui rythme la narration et transforme ce qui paraît n'être qu'un banal drame bourgeois en tragédie symbolise la crise existentielle de Pierre qui comme beaucoup de personnages de Sautet (comme Sautet?) sont coupés d'eux même. Ne parvenant plus à jouer son rôle de pater familias, il ne parvient pas cependant à se débarrasser de la pesante culpabilité qui pèse sur lui et encore moins à réinventer un autre modèle de couple et de famille. L'homme de cette époque ne communique pas, communiquer c'est féminin. L'homme de cette époque ne montre pas ses sentiments pour ne pas être considéré comme une femmelette. L'homme de cette époque a tellement bien appris dès le plus jeune âge à se blinder qu'en fait, il ne ressent même plus rien. L'état comateux de Pierre qui ne souffre même pas alors que son corps est moribond en dit très long sur la nature d'un personnage qui voit sa vie lui échapper une fois que le blindage a sauté, à tous les sens du terme. Et Michel Piccoli avec son jeu distancié excelle dans ce type de rôle tandis que les dernières visions de sa conscience (certaines poignantes, d'autres barrées*) démontent tout comme l'incroyable montage de la séquence l'accident l'idée préconçue que certains se font du cinéaste.

* Comme la scène du banquet de mariage qui s'avère être un repas de funérailles quand la caméra découvre que les convives à droite sont les témoins de l'accident avec parmi eux Boby Lapointe.

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