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Articles avec #saura (carlos) tag

La Chasse (La Caza)

Publié le par Rosalie210

Carlos Saura (1965)

La Chasse (La Caza)

Troisième film de Carlos SAURA, "La Chasse" est fondé sur un effet cocotte-minute d'une redoutable efficacité. Comme plusieurs de ses films ultérieurs, il s'agit d'un huis-clos à ciel ouvert, sorte de fosse aux lions dans laquelle sont jetés en pâture quelques anciens combattants franquistes reconvertis dans le civil en chasseurs de lapins. Sauf que l'histoire du lieu ressurgit au travers du squelette d'un ancien soldat républicain découvert au fond d'une grotte (dont le site est parsemé) et que la métaphore de la chasse aux lapins (accusés comme les rats de se reproduire en masse) devient alors limpide. Si on ajoute la chaleur écrasante, les nombreux motifs de dispute entre les chasseurs soi-disant amis mais en réalité pleins de frustrations voire de haine les uns vis à vis des autres (il y a notamment Paco, celui qui a réussi qui attise les rancoeurs de la plupart des autres), le nombre d'armes au mètre carré et l'abus d'alcool, toutes les conditions sont réunies pour un cocktail explosif. "La Chasse" fonctionne comme une piqûre de rappel pour les jeunes générations nées après la guerre (représentées par le jeune Enrique, beau-frère de Paco et Carmen, fille de Juan). Même si pour des raisons évidentes, la guerre civile espagnole n'est évoquée que de façon cryptée, le résultat est très éloquent. D'une part la métaphore animale tourne à plein régime avec le principe de la proie (le lapin) et du prédateur (chasseurs/chien/furets) montré de façon très concrète, très organique. Aucun détail ne nous est épargné dans la façon pas toujours très propre dont ces bêtes sont mises à mort puis sont cuisinées sans parler d'une scène de découpage d'un agneau façon boucherie qui n'est pas innocente non plus. De l'autre, Carlos SAURA établit habilement des ponts entre la chasse à l'animal et la chasse à l'homme en montrant que Luis, José et Paco ne sont finalement que des mâles dominants en rivalité les uns avec les autres pour les femmes et l'argent. Le quatrième larron, Juan, un ouvrier agricole taiseux dont le patron est José est mis à l'écart de la compétition virile à cause de sa pauvreté et de son handicap (il boîte ce qui pour cet amateur du darwinisme social qu'est le super winner Paco relève de l'insupportable). Le jeu de massacre de "La Chasse" préfigure évidemment celui de "Anna et les loups" (1972) qui fonctionne sur les mêmes principes. D'ailleurs il y a même un piège à loups dans "La Chasse". On peut ajouter que plusieurs acteurs du films seront dans les suivants comme Alfredo MAYO (Paco) dans "Peppermint frappé" (1967) ou José María PRADA (Luis) dans "Anna et les loups" (1972).

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Peppermint frappé

Publié le par Rosalie210

Carlos Saura (1967)

Peppermint frappé

Première collaboration entre Carlos SAURA et Geraldine CHAPLIN, "Peppermint frappé" (1967) est un étrange cocktail entre ses contemporains latins "Blow-up" (1966) de Michelangelo ANTONIONI, et "Belle de jour (1966) de Luis BUÑUEL (et plus largement tout son cinéma passé et à venir, le film de Carlos SAURA lui étant d'ailleurs dédié) et enfin "Vertigo" (1958) de Alfred HITCHCOCK. Comme dans ses films ultérieurs, Carlos SAURA confronte la vieille bourgeoisie espagnole décrépite et frustrée à une jeune femme incarnant la modernité (ici des sixties). Si le thème du double est traité de façon plutôt maladroite, ce que j'ai trouvé le plus intéressant dans "Peppermint frappé", c'est le fait que le personnage principal (et par extension le film) résonne comme "l'ombre" de ceux à venir de Pedro ALMODÓVAR (lui-même très influencé par Alfred HITCHCOCK). Le générique de début est très "almodovarien" et surtout le personnage principal, Julian (José Luis LÓPEZ VÁZQUEZ) qui comme chez Luis BUÑUEL est un "vieux beau" amateur de chair très fraîche (Geraldine CHAPLIN avait 23 ans) éprouve une telle fascination fétichiste pour les attributs féminins (faux cils, rouge à lèvres, crème etc.) qu'il finit par tester les produits sur sa propre peau avec beaucoup de méticulosité. C'est bien sûr quelque chose de complètement refoulé et de fascinant à la fois de voir ce macho quinquagénaire à l'apparence si martiale pris la main dans la trousse de maquillage. Une séquence pas si éloignée de celle dans laquelle Anna se moque de José dans "Anna et les loups" (1972) en l'incitant à revêtir le haut de l'un des uniformes militaires qu'il collectionne alors qu'en dessous de la ceinture apparaît sa robe de chambre. On imagine alors ce qu'auraient pu être ces hommes s'ils avaient grandi au temps de la Movida et non de la dictature franquiste.

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Maman a cent ans (Mama cumple cien anos)

Publié le par Rosalie210

Carlos Saura (1979)

Maman a cent ans (Mama cumple cien anos)

C'est la deuxième fois que je vois un diptyque cinématographique ayant pour pivot central un événement historique majeur étant survenu entre le premier et le deuxième volet. Le premier exemple, c'est "Les Ailes du désir" (1987)/ "Si loin, si proche!" (1993), l'un tourné avant et l'autre après la chute du mur de Berlin et la réunification allemande. Le deuxième, c'est "Anna et les loups" (1972)/"Maman a cent ans" (1979), l'un tourné avant et l'autre après la mort de Franco. Comme Wim WENDERS avec l'Allemagne, Carlos SAURA a repris les mêmes personnages, les mêmes acteurs, les mêmes décors pour ausculter les débuts de l'Espagne post-franquiste et peut-être enfin, passer à autre chose. "Maman a cent ans" est donc une sorte de film bilan de cette période de crépuscule du franquisme dans laquelle le cinéaste devait utiliser des métaphores pour déjouer la censure.

Selon l'interprétation que l'on a de la fin de "Anna et les loups" (1972), "Maman a cent ans" peut-être considérée comme une suite ou bien comme une variation uchronique. Toujours est-il que Anna (Geraldine CHAPLIN) est bien vivante alors que José, l'aîné et plus virulent représentant du franquisme est "mort depuis trois ans". L'acteur étant lui-même décédé, Carlos SAURA ne pouvait le faire revenir ce qui finalement coïncide avec la réalité historique. Sans son gardien de la loi et de l'ordre, la maison que retrouve Anna, si elle n'a guère changé en apparence tremble sur ses fondements. D'étrangère symbolisant la modernité venue semer la zizanie parmi la sainte trinité franquiste vivant en autarcie (armée, famille, religion), Anna, attendue un peu comme le messie devient la médiatrice voire la réconciliatrice entre les deux Espagne: l'ancienne, celle des nostalgiques de Franco qui se recueille sur sa tombe et la nouvelle qui soit transfère ses frustrations sur "l'argent de la vieille" (c'est bien connu, la cupidité sert de substitut au sexe) soit entend mener une vie "libérée" dans l'esprit Movida. Juan le fils libidineux a largué les amarres pour satisfaire ses besoins et sa fille aînée, sensuelle et provocatrice suit le même chemin. Inutile de dire que ça fait tache avec le reste de la famille restée très conservatrice, surtout Luchy, aigrie par le fait d'avoir été abandonnée et sa deuxième fille, Carlota qui semble suivre le même chemin que José. La grand-mère et Fernando (resté une sorte d'enfant attardé ayant troqué ses élans mystiques pour l'envie de voler et un désir assumé pour Anna) se situent au milieu du gué. Cela donne de belles scènes de comédie, parfois teintées de surréalisme. L'Espagne s'est bidonnée devant le film qui est effectivement léger et drôle tout en conservant un regard féroce sur cette Espagne en transition très charognarde.

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Anna et les loups (Anna y los lobos)

Publié le par Rosalie210

Carlos Saura (1973)

Anna et les loups (Anna y los lobos)

J'étais très jeune la première fois que j'ai vu "Anna et les loups" à la télévision, sans doute par accident. Je n'ai donc pas tout compris. L'esprit satirique voire grotesque m'est passé au-dessus de la tête. Le contexte consistant à contourner la censure pour critiquer le franquisme à l'aide de symboles, également. Mais l'explosion brutale de sauvagerie des deux dernières minutes s'est gravée dans ma mémoire pour toujours. Evidemment au vu de l'âge que j'avais, ce sont les cheveux coupés de la poupée qui m'ont le plus terrifié mais j'ai quand même saisi ce que les trois frères avaient en commun. Je n'avais pas le mot pour la définir mais je sentais une attente lourde de sourdes menaces, le premier frère, José avec son revolver à la gâchette facile et sa collection d'uniformes, le second, Juan avec ses mains baladeuses et le troisième (celui qui m'a le plus marqué, Fernando) avec sa grotte, ses ciseaux et son obsession de la pureté. Car c'est ainsi qu'est construit le film: 1h33 de latence dans un lieu clos et hors du temps en forme de prison dans lequel une belle jeune femme étrangère que mon regard d'adulte qualifierait aujourd'hui de douce mais aussi de provocante vient titiller les pulsions de trois frères frustrés sexuellement symbolisant chacun l'un des piliers du franquisme (l'armée, la famille et la religion) requalifiés par Carlos SAURA en meurtrier, violeur et tortionnaire dans les deux dernières minutes quand le désir enfoui de chacun d'eux cristallisé sur la jeune femme se concrétise brutalement. Avec le recul du temps et après l'avoir revu, je ne suis pas certaine que ce final soit "réel" car le film mélange habilement réalité et visions fantasmatiques. Il est clair qu'Anna (Geraldine CHAPLIN) est le petit (?) chaperon rouge venu se jeter dans la gueule des loups mais quand on voit que la mère (qui peut symboliser Franco lui-même) est une grabataire, l'état de décrépitude de la maison, l'aspect dégénéré voire pitoyable des trois frères (restés sous le joug de leur génitrice) dont Anna se moque ouvertement et l'aspect rayonnant de cette dernière, on peut aussi interpréter le film, de même que pour "Cría cuervos" (1976) comme une métaphore de l'agonie du franquisme. Dans ce cas, c'est lui qui explose à la fin et non Anna.

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Cria Cuervos

Publié le par Rosalie210

Carlos Saura (1976)

Cria Cuervos

"Cria Cuervos" c'est "Le Temps des cerises" en version espagnole, un film anti-franquiste réalisé quand le régime était à l'agonie à l'image de son dictateur donc sourdement révolutionnaire fonctionnant entièrement par métaphores, certaines étant plus limpides que d'autres.

La grande maison bourgeoise dans laquelle vit Ana symbolise l'Espagne franquiste à bout de souffle. Tout y paraît figé, décrépi et clos sur lui-même (caractère majeur des dictatures qui coupent la société qu'ils dominent du monde extérieur). Le temps lui-même semble s'être arrêté. L'intérieur est sombre, austère, "plombant", l'extérieur est ceint par de hauts murs et mal entretenu avec au centre une piscine vide en mauvais état. Le franquisme lui-même est symbolisé par les hommes du film, tous réduits à quelques apparitions furtives dans les habits de leurs fonctions de gardiens de l'ordre franquiste, militaires ou ecclésiastiques. Mais surtout, tout dans cette maison (ou presque) sent la mort et celle-ci est partout: mort du père au début du film (mort de Franco?), réminiscences de l'agonie et de la mort de la mère, mort du cochon d'Inde, jeux dans lesquels les soeurs d'Ana font semblant de mourir, tentatives d'Ana (réelles ou fantasmées) d'empoisonner son père, sa grand-mère paralysée et aphasique puis sa tante avec du bicarbonate sans parler du moment où elle pointe un pistolet déchargé sur celle-ci et un ami de son père, lui aussi militaire franquiste. Ana a en quelque sorte fait sien le slogan du franquisme "Viva la muerte" à force d'assister à des scènes plus mortifères les unes que les autres.

Mais Ana, cette petite fille silencieuse aux immenses et inoubliables yeux noirs (magnétique Ana TORRENT) est aussi une rebelle qui avec ses soeurs symbolise l'espoir en un renouveau. "Tuer" prend alors le sens du titre "nourris les corbeaux et ils te crèveront les yeux", matérialisé par les pattes de poulet dans le frigo: le seul moyen de sortir de ce tombeau est de tuer le père (le chef, dieu le père, le patriarcat). Ana n'a pas observé que le pourrissement sur pied du régime, elle a également été témoin de plusieurs scènes démontrant son hypocrisie, notamment les écarts de conduite de son père vis à vis de la morale catholique puisqu'elle l'a surpris en train de tromper sa mère. Mère dont elle est très proche, si proche que d'une part elle ne cesse de la faire revenir dans ses rêves et souvenirs et que de l'autre c'est la même actrice, Geraldine CHAPLIN qui interprète Maria la mère et Ana devenue adulte. Les femmes, grandes victimes du franquisme, cloîtrées et réduites au silence, sont les héroïnes du film. Maria qui revit à travers Ana, ses soeurs Irene et Maite, la grand-mère, la bonne, la tante, la maison n'enferme que des femmes de tous âges et de toutes conditions. La résistance et l'espoir se manifestent de différentes manières. La grand-mère vit dans le passé pré-franquiste à travers la contemplation de vieilles photos et de vieux airs que le régime n'a pu effacer. De même le souvenir de la mère est lié à un air de piano qui symbolise son talent de pianiste brisé par l'idéologie familiale franquiste. Ana et ses soeurs regardent au contraire vers l'avenir, les photos des magazines jeunes et dansent au rythme d'un titre devenu un hit international, "Porque te vas" de Jeannette, entraînant mais également mélancolique jusqu'à ce qu'elles puissent franchir l'enceinte pour aller à l'école de l'éducation post-franquiste.

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