Oh non! Avais je pensé, consternée en voyant la bande-annonce. Ils n'avaient pas osé. Et bien si. Et sans la manière en plus, ne cherchant même pas à cacher le cynisme de l'entreprise d'exhumation d'une saga vieille de presque 20 ans. Ce n'était ni fait, ni à faire. Voilà ce que j'ai pensé en me décidant finalement à regarder cette consternante... quoi au juste? Suite? Reboot? Remake? Peu importe au fond. S'il y a quelque chose à retenir de ce film, c'est que les studios hollywoodiens pressent tellement leurs franchises comme des citrons qu'ils en arrivent à des summums d'absurdité. C'est d'ailleurs un cauchemar pour les auteurs de ces univers qui se retrouvent enfermés pour le reste de leur vie avec ces personnages à succès dont ils ne peuvent plus se débarrasser. C'est d'ailleurs je pense ce qu'a voulu maladroitement exprimer Lana WACHOWSKI (sa soeur ayant préféré jeter l'éponge) sous couvert de donner une vision méta au film. Ce qui créé une sensation de malaise, la réalisatrice ne cherchant nullement à cacher son mépris vis à vis de la Warner et de la soupe qu'elle se sent obligé de concocter pour eux et "les spectateurs-moutons" qui veulent toujours qu'on leur serve les mêmes recettes. De fait "Matrix: Résurrection" sent fort le cadavre réanimé à la manière des Inferi de Harry Potter (autre franchise Warner), notamment avec un Keanu REEVES qui semble se demander ce qu'il fait là. On se demande d'ailleurs ce que son personnage a fichu depuis 18 ans ainsi que celui de Carrie-Anne MOSS qui n'est guère mieux en point (et je ne parle même pas du passage-éclair de Lambert WILSON qui s'avère totalement ridicule). Mais eux aussi, ont-ils le choix? Le scénario de "Matrix Revolutions" (2003) les faisait mourir, la nouvelle les ressuscite. Si les acteurs refusent de revenir, on les remplace par d'autres et peu importe que ce ne soient que de pâles copies de Laurence FISHBURNE et de Hugo WEAVING. Ou bien, autre possibilité, on les recréé à l'aide d'effets spéciaux comme dans "Rogue One: A Star Wars Story" (2016). D'ailleurs, la dernière mouture de Matrix s'inspire du VIIe épisode avec une jeune génération de fans de Neo qui cherchent à lui prouver qu'il a changé le monde. Sauf que ces nouveaux personnages sont inconsistants tout comme le nouveau grand méchant, ennuyeux à mourir. L'histoire reprend en fait la trame du premier volet quasiment à l'identique sous une couche de complexification nébuleuse (l'échec à créer une intrigue qui se tient explique les abondantes images d'archives histoire de ne pas totalement perdre le spectateur) et les rares aspects qui auraient pu apporter une plus-value ne sont pas creusés (comme la nouvelle relation de coopération entre humains et certaines machines qui prennent des formes animales). Cette profonde médiocrité se ressent jusque dans les scènes d'action, brouillonnes et paresseuses sans plus rien de ce qui faisait la patte caractéristique de cet univers (car il n'y a pas qu'une partie du casting et l'une des réalisatrices qui a déclaré forfait, c'est le cas aussi du chorégraphe Woo-Ping YUEN, du chef-opérateur Bill POPE, du compositeur Don DAVIS ou du superviseur des effets spéciaux John Gaeta, bref les rats ont quitté le navire avant qu'il ne coule). Lana WACHOWSKI et Lilly WACHOWSKI avaient à l'origine des ambitions mais leur pacte avec le diable a finit par avoir leur peau (créatrice). Ceci étant, l'acte suicidaire de Lana WACHOWSKI a eu au moins une vertu: les spectateurs ont boudé un film qui les méprisait ouvertement ce qui semble être la seule manière aujourd'hui d'arrêter le massacre de l'art populaire (comme d'ailleurs pour les animaux fantastiques, autre saga à rallonge de la Warner mal fichue qui a contribué à ternir l'aura de J.W Rowling).
Comme je l'ai écrit dans mon avis sur le premier "Matrix", l'effet que le troisième opus de la trilogie a eu sur moi est celui d'une douche froide, à l'image de la pluie diluvienne qui tombe lors du dernier affrontement entre Néo et Smith. Quoique si les Wachowski avaient poussé la métaphore biblique jusqu'au bout, il aurait fallu faire monter les eaux et faire voguer Néo-Noé dessus. Mais ce n'était sans doute pas possible tant le film prenait l'eau de toutes parts. En tout cas, deux heures ont suffi pour stopper net la passion que j'avais pour cette saga.
Le troisième film a certes un sens pris dans l'ensemble de la trilogie mais pris isolément, il est imbuvable. Tout d'abord, il est sinistre. Le premier et le deuxième film avaient réussi à doser Eros et Thanatos alors que le troisième est totalement morbide. Il est également confus: l'explication du changement de "tête" de l'Oracle ne tient pas la route (il aurait mieux valu ne rien dire, ce changement étant lié à la mort de l'actrice qui l'incarnait dans les deux premiers films), la cartographie des mondes devient trop complexe pour être opérationnelle (à Zion et la Matrice se rajoute la ville des machines et la station de métro, sorte de prison pour programmes exilés hors de la Matrice). D'autre part à l'image de la scène où Néo découvre qu'il est prisonnier d'une boucle numérique, le film ne cesse de répéter les mêmes phrases qui finissent par tourner à vide "tout ce qui a commencé doit finir", "On ne voit pas au-delà des choix qu'on ne comprend pas", "connais toi toi-même", "j'ai la foi" (et ses variantes), "Il y a des choses qui changent et d'autres non". Cet aspect mécanique des dialogues est lié au fait que l'action est désormais éclatée en une multitude de scénettes portées par des personnages dont nous nous fichons éperdument pour la plupart tant ils sont superficiels. Les personnages principaux (Néo, Trinity et Morpheus) sont totalement noyés dans la masse et n'ont plus aucun relief. Enfin les scènes de combat entre les machines et Zion d'un côté et Néo et les Smith de l'autre sont interminables et indigestes.
Au final le film se réduit les 3/4 du temps à une débauche d'effets spéciaux dans lesquels s'agitent des pantins.
En conclusion il est frappant de constater les similitudes entre la trilogie des "Matrix" et un autre grand héros de la culture populaire contemporaine: Harry Potter. Lui aussi est un élu chargé de sauver le monde (des sorciers et des moldus) d'un terrible méchant qui s'avère être son jumeau négatif (comme Smith est le jumeau négatif de Néo), le tout à la suite d'une prophétie prononcée par un Oracle (Sibylle Trelawney dans HP).
A contre-courant de la majorité ce n'est pas "Matrix" qui m'a plongé dans une passion virale pour cette saga mais sa suite "Matrix Reloaded" qui pourtant a reçu un accueil critique en France plus que mitigé à l'époque:
"Un film laid, répétitif, bouffi" (Slate)
"Matrix avec de nouvelles munitions (traduction possible de reloaded) ? Oui, des balles à blanc" (Télérama)
"On s'attendait à prendre notre mal en patience avant Revolutions. Maintenant on redoute l'automne" (L'Humanité)
"Quand on pense que certains laudateurs du cinéma américain se plaignent que le cinéma français est trop bavard..." (Positif)
"Matrix Reloaded" aurait dû effectivement s'appeler "Matrix XXL" (encore que je préfère "gonflé" à "bouffi"). Mais pour le reste je suis en total désaccord avec ces critiques.
Le film a mieux résisté au passage du temps que son prédécesseur qui paraît aujourd'hui assez poussiéreux et daté. L'image est plus belle, la résolution plus nette.
il comporte des scènes d'action d'anthologie. Les aspects numériques de celles-ci qui peuvent gêner par leur artificialité se justifient par le fait que la matrice apparaît plus que jamais comme un immense jeu vidéo (la porosité des supports est dans l'ADN de "Matrix" depuis le départ, celui-ci se déclinant aussi bien en anime qu'en jeu vidéo).
Il approfondit la notion de contrôle en remettant en cause tout le "fatras" mystico-religieux du premier volet, lequel n'apparaissant que comme une manipulation de plus (l'Elu, l'Oracle etc. ne sont que des programmes régulateurs de la matrice). La religion comme système idéologique vendant de l'illusion aux masses, voilà une analyse plutôt pertinente.
Enfin le film est beaucoup plus vivant et charnel que le premier volet car il a pour thème central le désir humain (Keanu Reeves disait d'ailleurs que le premier volet était la naissance, le deuxième la vie et le troisième la mort). L'orgie de Zion, véritable scène de transe collective célèbre la vie dans ce qu'elle a de plus organique. Les couleurs chaudes, la sueur qui dégouline sur les corps, la terre qui colle aux pieds, tout est tangible, sensuel, aux antipodes de l'univers froid et impersonnel de la matrice. Et le sexe y est central: la passion physique dévore Néo et Trinity, le Mérovingien pilote un orgasme féminin à distance avant de se faire faire une gâterie dans les toilettes, son épouse exige un baiser passionné de Néo quant à la résurrection finale de Trinity, elle ressemble à une pénétration suivie d'un orgasme.
"Matrix Reloaded" s'interroge au final sur ce qui fait notre humanité, ce qui échappe à toute possibilité de contrôle et donc à toute forme de mécanisation. La réponse est claire, c'est l'imprévisibilité du désir et des sentiments qui en découlent. Conséquence, des anomalies se développent dans la "6eme version" de la Matrice qui font dérailler la machine trop bien huilée: le choix de Néo dicté par l'amour et à l'inverse la duplication des Smith dicté par la haine. Sans l'injection de cette composante humaine, il n'y aurait pas de film (il n'y en a pas pour les versions précédentes d'ailleurs).
J'ai été une inconditionnelle de la saga "Matrix", du moins jusqu'à la sortie du troisième volet qui m'a fait l'effet d'une douche froide, j'aurai l'occasion d'en reparler. Depuis, le temps a passé et c'est avec un regard dessillé que je regarde cette saga.
Bien sûr on ne peut pas ôter son importance à "Matrix": le film a eu un impact considérable et on ne compte plus ceux qui ont pillé ses idées de mise en scène, ses effets spéciaux, son univers. De plus, "Matrix" est un film brillant qui brasse avec bonheur de nombreux thèmes (religieux, philosophiques, littéraires) tout en offrant un spectacle assez grandiose et novateur à l'époque. La volonté de divertir tout en faisant réfléchir étant assez rare, on ne peut que souscrire à la volonté des Wachowski de mélanger les genres, les cultures et les publics et de proposer un cinéma à la fois divertissant et de qualité.
Une des raisons majeure de sa réussite est d'avoir assimilé avec brio la culture populaire asiatique dans ce qu'elle a de meilleur.
Tout d'abord Matrix puise son inspiration et ses effets visuels dans le cinéma de Hong-Kong: kung-fu, scènes d'action filmées comme des ballets millimétrés et "personnages portemanteaux", élégants, hiératiques, marmoréens. Keanu Reeves est l'acteur parfait pour le rôle de Néo car il cumule toutes les qualités requises pour ce type de rôle et en plus il est issu d'une double culture américano-chinoise qui jette un pont entre ces deux civilisations.
Ensuite, "Matrix" tire sa substance des manga et anime japonais. Toutes les scènes qui décomposent les mouvements au ralenti ressemblent à des planches de shonen manga. Et "Ghost in the shell" de Mamoru Oshii est une référence revendiquée par les Wachowski. Les héros de "Matrix" ne sont pas en effet pleinement humains. Du fait qu'ils ont été cultivés et nourris par des machines dont ils se sont libérés, du fait qu'ils peuvent néanmoins se brancher sur elles et se projeter à leur guise dans un univers virtuel numérique ils sont comparables à des cyborgs ce qui explique leur relative "inhumanité".
Néanmoins il y a plus de "Shell" que de "Ghost" dans "Matrix". C'est d'ailleurs la grande différence avec la première saga de "Star Wars" qui en dépit de son univers SF restait à hauteur d'homme (nombreuses scènes conviviales, l'interprétation chaleureuse et pleine d'humour d'Harrison Ford etc.) L'anime de "Ghost in the shell" bénéficiait d'un thème musical sublime qui retournait les tripes et suffisait à lui seul à donner une âme à l'histoire. Ici tout est froid et aseptisé tout comme d'ailleurs le tout aussi brillant mais un peu vain "Inception" de Christopher Nolan, visiblement très inspiré par "Matrix".
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.