La suite de "Jurassic Park" (1993), réalisée également par Steven SPIELBERG ne bénéficie pas de la même aura que son prédécesseur. Il faut dire que celui-ci avait bénéficié d'un effet de surprise qui ne peut plus opérer. Le scénario du "Monde perdu" a donc un petit côté réchauffé et les personnages sont globalement moins travaillés. Mais il n'en reste pas moins un très bon film tant sur la forme que sur le fond. Sur la forme, il se distingue par des scènes d'action spectaculaires toujours aussi remarquablement mises en scène. Celle de la caravane est un morceau d'anthologie. Quant aux effets spéciaux ils sont évidemment toujours aussi intelligemment utilisés de façon à servir le récit et à nourrir l'émotion. Sur le fond, on retrouve une critique acerbe des actions inconsidérées de l'homme sur la nature pour des motifs aussi peu avouables que la cupidité et la vanité avec des références à plusieurs films des années 20 et 30. Tout d'abord "King Kong" (1932) est ouvertement cité sauf que le gorille géant est remplacé par un T.Rex qui est arraché à son île par des chasseurs à la solde du neveu de John Hammond (devenu écologiste entre temps et donc écarté des affaires ^^) théoriquement pour servir de tête de gondole à un projet de parc d'attraction à San Diego en réalité pour venir semer le bazar en pleine ville. Ensuite l'arrivée du bateau fantôme en pleine ville avec son chargement funeste a quelque chose de "Nosferatu le vampire" (1922), la touche d'ironie en plus (j'adore quand le T.Rex défonce la barrière du port indiquant que les animaux et végétaux importés sont interdits à partir de "ce point", comme si l'homme espérait ainsi empêcher la propagation d'une épidémie, une peur qui est loin d'avoir disparu comme le montre l'exemple actuel du coronavirus). Enfin le titre choisi par Steven SPIELBERG est un hommage au film éponyme de Harry O. HOYT de 1925 dans lequel évoluaient les dinosaures animés en stop motion de Willis O'Brien, également créateur de King Kong. Le plateau à l'écosystème du jurassien coupé du reste du monde imaginé par Conan Doyle est devenue une île menacée. Le fait d'avoir choisi des films de cette époque, dont un allemand n'est pas innocent. Beaucoup de critiques ont souligné à quel point Steven SPIELBERG était hanté par "La Liste de Schindler" (1993) tourné quatre ans plus tôt. De fait "Le Monde perdu" est plus sombre, plus violent et plus désenchanté que "Jurassic Park" (1993). Il illustre la tendance profondément autodestructrice de l'homme qui a le don de désirer ce qui est susceptible de lui faire le plus de mal. Le neveu de John Hammond (Arliss HOWARD) et sa quête insensée du profit, le chasseur Roland Tembo (Peter POSTLETHWAITE) obsédé par l'idée de compléter sa collection de trophées de chasse ou encore l'un de ses acolytes qui s'amuse avec un plaisir sadique à lancer des décharges électriques sur des espèces qui n'ont pourtant manifesté aucune intention agressive à son égard sont trois exemples édifiants du mal humain. Face à eux, c'est moins Ian Malcom (Jeff GOLDBLUM) qui s'impose (pour les besoins du film il est plus homme d'action que de réflexion ce que je trouve dommage) que sa petite amie, le Dr Sarah Harding (Julianne MOORE) qui est comparée à juste titre à Dian Fossey, la célèbre primatologue américaine immortalisée par Sigourney WEAVER dans "Gorilles dans la brume" (1988). Dian Fossey qui paya de sa vie son engagement en faveur des gorilles en raison des intérêts puissants qu'elle contrariait que ce soit ceux des braconniers, ceux des éleveurs ou ceux des trafiquants de bébés gorilles dont certains étaient hauts placés. On en comprend d'autant mieux le parallèle avec King Kong.
Jurassic Park qui à sa sortie a fait sensation notamment en raison de ses effets spéciaux révolutionnaires (et qui conservent toute leur puissance de frappe près de trois décennies plus tard) est aussi l'œuvre d'un grand réalisateur. Soit ce qui manque aux blockbusters actuels, pilotés par des producteurs qui pour maximiser leurs profits recyclent à l'infini les recettes scénaristiques du passé (et Jurassic park qui n'en finit plus d'avoir des avatars sans intérêt ne fait pas exception à la règle) relookés par de la surenchère technologique indigeste.
Jurassic Park se démarque de ceux-ci sur de nombreux points:
- Un art de la mise en scène qui intègre intelligemment les effets spéciaux à des scènes d'action et de suspense qui de ce fait sont passées à la postérité. Deux exemples: la découverte progressive du T.Rex depuis l'intérieur de la voiture et la scène de la cuisine à la fin où l'utilisation de l'espace et des éléments du décor est tout simplement magistrale! De plus, soucieux de conférer le plus grand réalisme possible à ses dinosaures, Steven SPIELBERG a choisi d'intégrer les images de synthèse à des scènes de nuit ou de pluie et a fait étroitement collaborer (et pas seulement cohabiter) les techniques animatroniques et numériques. De ce point de vue "Jurassic park" est un film se situant dans une transition technologique tout à fait passionnante. Car le résultat est bluffant alors que pourtant les dinosaures ne sont présents qu'un quart d'heure à l'écran (9 minutes pour les animatroniques et 6 pour les effets numériques).
- Des acteurs avec une vraie présence campant des personnages bien construits à partir d'une intrigue bien ficelée adaptée du roman de Michael CRICHTON. Sam NEILL et Laura DERN incarnent Alan et Ellie, un couple de paléontologues de renom brusquement confrontés à des dinosaures vivants recréés par la science. Ils sont tous deux fascinés par le fait de pouvoir regarder et toucher les créatures qu'ils n'appréhendaient jusque là qu'à l'état de squelettes. Le mathématicien Ian Malcom (Jeff GOLDBLUM), spécialiste de la théorie du chaos est quant à lui conscient des dangers que l'expérience fait courir à l'humanité et au monde et fait preuve d'esprit critique ce qui énerve le milliardaire inconscient John Hammond (Richard ATTENBOROUGH) qui est à l'origine du projet et passe son temps à répéter qu'il a "dépensé sans compter". Même les enfants ne sont pas là pour faire joli mais ont un vrai rôle à jouer, en particulier le petit Tim (Joseph MAZZELLO) dont les pulsions voyeuristes sont souvent soulignées. Les péripéties que vivent les personnages révèlent soit leur médiocrité (informaticien véreux, avocat d'affaires veule, garde-chasse trop sûr de lui) , soit au contraire leurs qualités (Allan et Ellie se révèlent être des héros qui sauvent la situation et protègent les enfants).
- Les thématiques qui traversent le film sont particulièrement riches et pertinentes. On y trouve d'une part une énième critique de l'homme démiurge/apprenti-sorcier/prométhéen (que l'on peut renommer "hommo occidentalus" ^^) qui croit pouvoir jouer impunément avec les règles de la nature en cherchant à la reconfigurer pour son bon plaisir et à la contrôler alors que bien entendu, elle lui échappe comme l'avait prévu Ian Malcom. A cela s'ajoute une critique de la société du spectacle fondée sur la consommation et le voyeurisme et de la technologie censée remédier aux failles humaines. Le "Jurassic Park" de John Hammond est conçu comme une sorte de zoo géant disneylandisé sauf que la visite (trop) guidée fait un flop retentissant car le vivant ne se plie pas aux désirs mercantiles alimentés par la "pulsion scopique". Lorsque les portes s'ouvrent et que la promenade en voiture (téléguidée) commence il n'y a littéralement rien à voir et les grillages électrifiés s'avèreront très vite dérisoires pour endiguer une sauvagerie moins animale qu'humaine. Le personnage de Dennis Nedry (Wayne KNIGHT), le programmeur du système de gestion automatisé du parc et responsable de la catastrophe est très intéressant à étudier comme un exemple éloquent de l'irrationnalité humaine. Son corps déborde de partout, son bureau en vrac est une poubelle à ciel ouvert, il est accablé par les problèmes financiers (s'il les gère comme son bureau ou son régime alimentaire, on comprend pourquoi) et déborde d'anxiété. Bref c'est l'homme idéal pour commettre une grosse bêtise. Car en coupant l'alimentation électrique pour voler des embryons, il ouvre en même temps la cage des dinosaures et signe son arrêt de mort. D'ailleurs Steven SPIELBERG punit d'une façon ou d'autre autre tous ceux qui cherchent à tirer profit du parc, même le petit Tim se prend un bon coup de jus pour son plaisir un peu trop manifeste devant le spectacle du "gore en live".
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.