Il y a du Wes ANDERSON dans ce "Mods" dandyesque et vintage aux références pointues, à la mécanique bien huilée, aux cadres fixes ultra-composés. Références pointues car "Mods" fait référence à une sous-culture britannique jeune urbaine, chic et branchée des années 50 et 60 avec une garde-robe très étudiée destiné à se démarquer notamment des rockers, de même que dans les goûts musicaux (mods fait référence au "modern jazz") et styles de danse. Mécanique bien huilée car dans ce film, tout est chorégraphié au millimètre. Les personnages prennent la pose, répètent les mêmes phrases, reviennent à intervalles réguliers et lorsqu'à cinq reprises, la musique se manifeste et qu'ils se mettent subitement à danser, c'est à la manière quelque peu saccadée et répétitive de l'attraction "danse avec les robots", chaque geste se détachant distinctement des autres. Enfin les cadres fixes ultra-composés rapprochent "Mods" d'une succession de photographies ou de tableaux plus que d'un mouvement cinématographique. On peut également souligner l'enfermement comme trait commun aux deux univers. Le cinéma "maison de poupées" de Wes ANDERSON correspond bien à ce huis-clos universitaire tourné dans quelques uns des plus beaux fleurons anglo-saxons notamment de la cité universitaire de Paris. L'influence manifeste de la nouvelle vague, comme chez Hal HARTLEY les réunit. Mais gare à l'excès de zèle, la forme tendant à supplanter le fond.
Car par-delà cette intrigante et originale forme, de quoi est-il question exactement dans "Mods"? D'un thème archi-classique, le chagrin d'amour qui plonge le délaissé dans un état quasi catatonique. Pour le sortir de sa torpeur, ses deux frères militaires sont invités par l'une des responsables du campus et le film repose pour une bonne part sur la confrontation de ces deux personnages raides comme des triques à un univers complètement décalé.
Etrange film qui parle d'une adolescente d'aujourd'hui confrontée au divorce de ses parents par le biais d'un mouvement du passé, celui de la nouvelle vague. Sont ainsi cités François TRUFFAUT ("Les Quatre cents coups" (1959) surtout, de la psy pour enfant à l'image arrêtée du dernier plan), Jacques DEMY (du passage Pommeraye à Nantes à la boutique de parapluies et jusqu'au prénom "démodé" de l'héroïne, Solange qui fait la paire avec son père joué par Philippe KATERINE ^^) et même Alain RESNAIS (la fin de Romaine dans "Mélo" (1986), c'est sans doute un pur hasard mais le frère de Solange dans le film s'appelle Romain). Outre cet aspect suranné, le film ouvre des pistes sans les creuser (par exemple les tentatives de Solange pour attirer l'attention ou s'émanciper apparaissent dérisoires tant la jeune fille issue d'un milieu aisé est propre sur elle. On est aux antipodes de "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée...") (1981) et d'autre part se répète beaucoup (que de plans sur le visage de la jeune fille noyée dans sa mélancolie ou bien sur celui, indéchiffrable de son frère ou encore de sa mère jouée par Léa DRUCKER fondant en larmes après avoir essayé de sourire!) Le résultat n'est pas désagréable d'autant que la petite Jade SPRINGER a une présence gracile à la Audrey HEPBURN mais m'a semblé somme toute assez insignifiant et mou du genou. En tout cas il renvoie tellement à un passé révolu qu'il ne renouvellera pas le genre du teen-movie.
J'ai fait une très belle découverte avec ce "Madame Hyde" alors que je ne connaissais pas les films de Serge BOZON, que le monde de l'enseignement est souvent caricaturé dans le cinéma français donc les films sur ce sujet ne m'attirent pas et que les acteurs du film ne sont habituellement pas ma tasse de thé. Mais le fait qu'ils jouent tous à contre-emploi les sort de leur zone de confort et donne soudain du relief à leur personnalité et à leur jeu. Et ce dès le début. On voit d'abord la chevelure en gros plan de Isabelle HUPPERT qui nous tourne le dos et se tient devant son lycée technique. Face à elle et semblant la dominer de loin depuis son bureau, Romain DURIS dans le rôle du proviseur la fixe avec un sourire sardonique avant de fermer brusquement le store. Sans aucun dialogue, juste avec cette "mise en espace" et ces gros plans sur des détails saillants, Serge BOZON esquisse des personnalités et aussi des rapports de force au sein d'un établissement scolaire qui vont à l'encontre de l'image que l'on a de ces deux acteurs (la dominatrice tout en contrôle et le jeune rebelle). On a donc d'un côté Marie, une professeure de physique-chimie (dès que Isabelle HUPPERT joue Maris Curie, j'adore!) effacée qui ne cesse de se faire humilier. De l'autre ses "bourreaux" qui incarnent dans leur grande majorité divers types de mâles dominants (ou plutôt jouant à l'être) depuis le proviseur qui se prend pour un manager gérant une entreprise jusqu'aux élèves, des ados de cité issus de l'immigration qui rivalisent de vulgarité et la chahutent dans sa classe. Sauf que les apparences sont trompeuses et que la fixation sur la chevelure de feu de Isabelle HUPPERT (le même plan de dos est réitéré lorsqu'on la découvre en situation de cours) n'est absolument pas fortuite. Car le film qui se situe à la frontière de plusieurs genres offre une traversée des miroirs à travers une relecture très personnelle du roman de Stevenson, "L'étrange cas du docteur Jekyll et de M. Hyde". Comme dans "Melancholia" (2011) sur lequel j'ai écrit un avis récemment, Marie "Géquil" (oui, c'est son nom-référence dans le film!) possède une puissance cachée qui réside dans sa connexion aux astres (en l'occurence, celle de la lune rousse of course!) et se révèle après qu'elle ait été frappée par la foudre. Ce feu qui court désormais sous sa peau et s'embrase la nuit, la transformant en torche vivante (et très dangereuse) lui permet peu à peu d'imposer sa vision du monde, en opposition frontale avec celle de ceux qui la dominaient jusque là et qui consiste à faire exploser les hiérarchies, les cases et les filières. Un élève en particulier qu'elle présentait d'emblée comme un double d'elle-même mais qui la rejetait devient son miroir, Malik qui cumule handicap social et handicap physique (son déambulateur symbolise à lui tout seul une petite cage). De cette rencontre, il sortira transformé (et marqué) à jamais! Le film est tout entier construit sur des dédoublements et des renversements de situation et de perspectives (y compris à travers des métaphores de géométrie) qui le rendent très intéressant. Ainsi pour sortir de leur cage, les élèves de la classe technologique sont invités à en construire une (de Faraday) afin de montrer qu'un "travail personnel encadré" n'est pas réservé qu'à une élite. Le proviseur est un personnage burlesque dont le discours est systématiquement ridiculisé et qui finit par avouer que son rêve secret est d'être homme au foyer, comme le mari de Marie Géquil. Car le dernier acteur à contre-emploi du film est José GARCIA qui joue un époux confiné dans l'espace domestique doux et tendre, tout entier dévoué à la réussite de sa femme (comme quoi, Isabelle HUPPERT n'est pas si à contre-emploi que cela finalement, en tout cas c'est plus subtil qu'une simple opposition binaire). Evidemment il s'appelle Pierre, en référence à Pierre Curie qui considérait sa femme comme son égale et avait oeuvré pour qu'elle reçoive le Nobel à ses côtés. Enfin, autre dédoublement et pas des moindres, Marie Géquil la scientifique se transforme la nuit en Madame Hyde la sorcière mais l'une n'est rien sans l'autre et il est intéressant de voir que ce qui habituellement se repousse (comme le positif et le négatif dont le film accro aux métaphores électriques est friand) peut se combiner. Même si l'expérience d'enseignement novatrice de Géquil/Hyde ne peut que déraper avec une fin en forme d'allusion à "Au revoir les enfants" (1987) qui peut aussi faire penser au "Le Cercle des poètes disparus" (1989).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.