Voilà un film qui fut un succès surprise il y a 10 ans et qui aujourd'hui encore est une sorte de référence de ce que le cinéma indépendant américain a produit de meilleur (mais non sans difficultés puisque sa gestation a duré 6 ans).
Little miss Sunshine, c'est une galerie de portraits aussi réussis les uns que les autres d'une famille américaine qui aimerait se fondre dans le moule sans y parvenir. Le père, Richard Hoover qui est coach enseigne la philosophie américaine de la réussite, celle des winners et des losers mais tout indique dans le film qu'il fait partie de la seconde catégorie. La mère Sheryl Hoover est dépassée. Le grand-père a un comportement d'adolescent rebelle (il se drogue, il parle vulgairement, il s'habille jeune) qui lui a valu d'être exclu de sa maison de retraite. Le frère de Mme Hoover, Frank est encore plus marginal qu'eux: spécialiste de Proust et homosexuel, il n'a pas obtenu la bourse qu'il espérait et son ami l'a quitté. Le fils lunaire et nietzschéen Dwayne rêve d'être pilote d'essai mais il est daltonien et n'a pas le physique d'un sportif. Enfin la fille boulotte et bigleuse, Olive rêve de participer au concours Little miss Sunshine alors qu'elle est loin de correspondre aux canons de beauté d'une mini-miss.
La qualification d'Olive permet de souder cette drôle de famille éclatée autour d'un projet commun: rallier la Californie où se déroule le concours. Le trajet et le dénouement confirment en tous points ce que nous savions dès le départ à savoir l'incapacité de cette famille à s'intégrer au rêve américain. Du minivan délabré qu'il faut pousser pour faire démarrer (comble d'horreur aux USA) au numéro de striptease d'Olive qui choque l'Amérique puritaine, tout n'est que dissonances et dysfonctionnements. Mais la beauté du film est le changement d'attitude des membres de la famille vis à vis de leur identité profonde. De subie voire niée, elle finit par être assumée et devient même un motif de fierté. Cette réconciliation avec soi-même aboutit à une communion avec les autres membres de la famille au moment où ils montent sur scène dans la joie et la bonne humeur pour soutenir Olive. C'est la norme américaine incarnée par des mini-miss transformées en ridicules poupées Barbie qui apparaît alors pour ce qu'elle est: un mirage monstrueux.
"Little Miss Sunshine" est par ailleurs un film qui a révélé des acteurs au diapason de son état d'esprit auxquels je me suis fortement attachée au fil des années et des rôles qu'ils ont interprété, en premier lieu Steve CARELL (Frank, l'oncle homosexuel et dépressif) et Paul DANO (Dwayne, le neveu mutique et nihiliste). Il s'est donc à mes yeux bonifié au fil du temps en devenant un porte-voix de la fierté de la différence.
Après le sommet artistique de Playtime qui valut à Tati son lot d'incompréhensions et d'ennuis financiers, Trafic est un film plus modeste mais il n'est pas pour autant mineur dans sa filmographie.
Trafic prend la forme d'un road-movie dont la trajectoire annoncée en ligne droite ne va cesser de dévier en raison de nombreux imprévus: crevaison, panne d'essence, accident, contrôle douanier. Deux temporalités cohabitent. Celle des cadences effrénées de la vie moderne pour qui le temps c'est de l'argent et qui correspond à l'autoroute. Celle plus contemplative des chemins de traverse où on prend son temps pour flâner ou pour jouer quitte à être en retard. Comme dans Playtime, Hulot et sa partenaire féminine Maria déjouent la rectitude des tracés, les chemins balisés, les directions qui ressemblent à des directives. Ils imposent leur démarche irrégulière ou virevoltante et leurs parcours en zigzag c'est à dire leur liberté de corps et d'esprit. Mieux encore ils provoquent le carambolage qui oblige les gens à quitter leur habitacle pour réapprendre à marcher. Et à pied ils finissent par s'échapper d'un monstrueux embouteillage, le trafic aboutissant paradoxalement à un blocage alors que les électrons libres eux peuvent fuir par tous les interstices vers une autre dimension (suggérée par le voyage lunaire qui accompagne à la TV celui des héros). Ironiquement, M. Hulot est congédié parce qu'il est arrivé trop tard pour exposer son invention dans l'espace prévu alors qu'elle "cartonne" partout où elle passe dans la plus totale improvisation. Ou l'art de pratiquer le commerce autrement (c'est le second sens du titre "Trafic").
Comme toujours chez Tati, les plans d'ensemble très soignés fourmillent de détails et il en est de même avec la bande-son qui met au même niveau et fait dialoguer les voix humaines en plusieurs langues, les cris d'animaux, la musique et les bruits émis par des objets.
"C'est l'histoire d'un homme né dans un paysage trop petit pour lui." Né en 1945 dans une Allemagne coupée en deux par la guerre froide, Wim Wenders décide d'élargir son horizon en réalisant son rêve américain. Mieux que cela même, son désir incendie la mythologie du grand ouest. Les paysages majestueux du désert mojave et les accords devenus mythiques de Ry Cooder qui ouvrent le film mettent tout simplement le frisson. Et tout petit dans cet immensité, un homme erre. On apprend bien plus tard qu'il a des doutes sur son origine. A-t-il été conçu au beau milieu du désert à Paris dans le Texas ou bien dans la capitale française? En tout cas ce doute fait le pont entre l'origine européenne du film et son ancrage américain.
Wenders choisit d'adapter un roman de Sam Shepard, Motel chronicles et de filmer l'itinéraire de cet homme perdu, privé de mémoire et de langage. Pourtant grâce à l'obstination de son frère Walt, le bien-nommé Travis (travel signifie voyager) revient parmi les hommes. Son voyage se transforme alors en quête pour renouer les liens familiaux brisés par sa faute. Il a en effet abandonné sa femme et son fils dans sa fuite. Il découvre que Jane a disparu et que le petit Hunter a été recueilli par son frère et sa belle-soeur qui l'élèvent comme leur propre fils.
Travis se donne alors pour mission rédemptrice de reprendre sa place de père auprès de Hunter, de retrouver sa mère et de les réunir. S'ouvre alors l'une des séquences les plus fortes du film, celle du Peep show où Travis et Jane monologuent puis dialoguent à travers un miroir sans tain comme à l'intérieur d'un confessionnal.
Les acteurs sont tous en état de grâce. Après une centaine de films dans des seconds rôles, Henry Dean Stanton trouve le rôle de sa vie, Nastasia Kinsky au faîte de sa jeunesse et de sa beauté est sublime, Dean Stockwell et Aurore Clément sont émouvants dans leur détresse de beaux-parents dépassés par la situation. Enfin Hunter Carson à l'époque âgé de 7 ans est d'une maturité bien au-dessus de son âge.
Paris-Texas est un road-movie d'une grande beauté et d'une grande densité émotionnelle. A mon avis le meilleur film de Wim Wenders, à égalité avec Les Ailes du désir.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.