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Articles avec #road movie tag

Makala

Publié le par Rosalie210

Emmanuel Gras (2017)

Makala

"Makala" est le troisième long-métrage de Emmanuel GRAS, un jeune réalisateur français formé en tant qu'opérateur à l'institut Louis Lumière et plutôt engagé à l'extrême-gauche (d'où les thématiques très sociales de ses films). C'est en tant que chef opérateur qu'il s'est rendu en RDC (République démocratique du Congo) pour y tourner deux documentaires pour le cinéaste flamand Bram Van Paesschen en 2008 et 2010. Il découvre à cette occasion la région du Katanga où se situe "Makala" et le travail de forçat des charbonniers, arrimés à leurs vélos surchargés de sacs de charbon de bois qu'ils vont vendre en ville après l'avoir fabriqué artisanalement. L'idée de "Makala" (qui signifie en swahili "charbon de bois") était née. Restait à l'incarner. C'est en faisant des repérages pour le film que Emmanuel GRAS rencontra son personnage principal Kabwita Kasongo. Un contrat tacite fut scellé entre eux: en échange de sa participation au film, Kabwita recevrait une aide financière du réalisateur pour construire sa maison.

Le résultat est un film documentaire puissant, d'une grande beauté esthétique et dont les parti-pris radicaux interrogent. Ainsi Emmanuel GRAS choisit de s'effacer pour faire corps avec son personnage et ne jamais le lâcher. En résulte une immersion réussie dans son quotidien laborieux qui fait penser à la manière de filmer de Luc DARDENNE et de Jean-Pierre DARDENNE (et également à celle des films expérimentaux de GUS VAN SANT). Le spectateur éprouve les sensations de ce jeune homme qui déploie des efforts physiques surhumains pour arracher à la nature et à la société les moyens de sa subsistance. Le tout sur un rythme lent, contemplatif très éloigné de notre société de la vitesse et lié en partie à l'absence de moyens technologiques pour accélérer les processus de fabrication et de transport. Mais le cadre resserré isole Kabwita de son environnement ce qui nous coupe du contexte africain où l'homme est inséparable de sa communauté. On objectera qu'il s'agit d'un regard d'occidental (individualiste donc) sur l'Afrique et que Emmanuel GRAS a déclaré qu'il avait voulu faire une oeuvre de cinéaste plus que de documentariste. On peut également objecter que le contexte politique et social dans lequel vit Kabwita se devine à travers son parcours solitaire. Les conditions de vie misérables qui contraignent à de lourdes tâches physiques usant prématurément le corps, la démographie galopante et la déforestation, la corruption qui gangrène le pays, l'absence d'Etat pour assurer l'ordre et goudronner les routes défoncées, le pillage des ressources du pays par les grandes puissances tout cela est évoqué à un moment ou à un autre que ce soit par la vision fugitive d'une mine à ciel ouvert (sans doute exploitée par des chinois) ou du racket dont est victime Kabwita lorsqu'il veut entrer dans la ville. Mais la vision selon moi la plus puissante du film est celle de ces énormes camions fonçant sur la route et menaçant à chaque instant l'entreprise (voire la vie) de la fragile embarcation du héros. Plus qu'à Sisyphe auquel on l'a beaucoup comparé, il m'a fait penser à David contre Goliath ou au pot de terre contre le pot de fer. Et le message final que fait passer le réalisateur à savoir la non prise en compte du prix de la sueur renvoie aussi à la sous-estimation du travail manuel chez nous.

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New York-Miami (It Happened One Night)

Publié le par Rosalie210

Frank Capra (1934)

New York-Miami (It Happened One Night)

"New York-Miami" est considéré comme le film fondateur de la screwball, ce genre de comédie typiquement américaine des années 30 et 40 qui reprend les schémas du cinéma burlesque muet tout en l'adaptant au parlant. La screwball se caractérise en effet par des échanges dialogués vifs et piquants au sein d'un couple que tout semble opposer alors qu'en vérité ils sont fait l'un pour l'autre. C'est pourquoi on parle également souvent de "comédie du remariage". Soit qu'il s'agisse d'un couple déjà formé sur le point de se séparer et qui finit par se rabibocher, soit de deux personnes qui se rencontrent et qui après s'être bien frottées l'une à l'autre (d'où les étincelles!) vont finir par rompre leurs engagements pris ailleurs pour former un couple.

C'est à ce dernier cas de figure qu'appartient "New York-Miami" qui repose sur un choc des mondes. Soit Ellie (Claudette COLBERT) une jeune héritière pourrie gâtée et totalement ignorante de la réalité de la vie que son désir de liberté pousse à sauter hors du yacht paternel bien protégé pour se mêler à la plèbe en voyageant en bus (moyen de locomotion du pauvre aux USA) et dormant au camping. Elle se retrouve compagnie de chômeurs (la grande dépression est évoquée au travers d'une passagère qui s'évanouit d'inanition), d'hommes lubriques et de Peter, un reporter bourru en rupture de contrat porté sur la boisson et les potins (Clark GABLE) qui lui porte un intérêt immédiat. Est-ce pour ses beaux yeux ou pour le profit qu'il peut en retirer? Toujours est-il que la suffisance des deux personnages (à coups de "Non, mais je peux me débrouiller toute seule, je suis une grande fille moi" tout de suite démenti par la réalité ou de "Je me fiche bien de vous", également contredit par la suite des événements) produit des étincelles comiques réjouissantes tandis que sous le vernis conflictuel perce rapidement la romance.

Le génie de Capra est d'avoir mis en mouvement cette intrigue théâtrale en l'intégrant dans un espace-temps parfaitement maîtrisé. Le film est en effet un road movie qui emprunte son rythme effréné aux films d'aventure et aux polars: poursuite, couple en fuite, fausses identités, atmosphère nocturne. Ce mélange réjouissant est enfin pimenté par un érotisme latent qui est un perpétuel défi à la censure. Capra joue énormément avec les situations scabreuses permises par la promiscuité (que ce soit dans le bus ou au camping) ainsi qu'avec les symboles. La scène hilarante de l'auto-stop voit s'affronter deux formes de phallisme et c'est la jambe bien galbée d'Ellie qui claque le beignet au pouce "trois positions" de Peter censé être imparable (Clark GABLE s'avère au passage être d'une efficacité comique redoutable avec un sens de l'autodérision proche de celui d'un Hugh GRANT). Il en va de même avec la nourriture, a-t-on besoin de préciser pourquoi Ellie refuse de s'alimenter à bord du yacht alors que quelques heures plus tard elle apprend à tremper correctement son donut dans le café sous les directives de Peter puis accepte de mordre dans une carotte?

Mais sa plus grande audace ne réside-elle pas dans le dernier plan? La chute du mur de Jéricho symbolise aussi bien l'union sexuelle que l'abolition des barrières sociales ou des préjugés sexistes (Ellie revêtant le pyjama et la robe de chambre de Peter, c'était déjà un premier pas.)

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Jusqu'au bout du monde (Bis ans Ende der Welt)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1991)

Jusqu'au bout du monde  (Bis ans Ende der Welt)

Mon avis porte sur la version longue DVD de 4h30 car je n'ai pas vu la version de 3h sortie au cinéma et introuvable aujourd'hui en France (sauf en import depuis les USA). La version longue est de toutes façons celle que voulait Wenders dès l'origine mais il avait dû la sacrifier pour des raisons commerciales.

"Jusqu'au bout du monde" est le film-somme de Wenders. On y retrouve ses thèmes favoris (l'errance, l'identité, le multilinguisme, la réflexion sur les images, l'ambivalence de la technologie...) ses lieux favoris (Japon, Berlin, Australie, Lisbonne), ses genres favoris (film noir, aventure, road movie), ses acteurs fétiches (Solveig Dommartin, Rüdiger Vogler et son personnage Philip Winter), une B.O d'anthologie qui va des Talking Heads à Peter Gabriel en passant par U2, R.E.M, Depeche Mode et d'autres artistes des années 80 à qui il a demandé de composer un titre des années 2000. Le genre principal du film est en effet l'anticipation même si en réalité il s'agit davantage d'un film rétro-futuriste.

Il y a deux parties distinctes dans "Jusqu'au bout du monde" d'une durée à peu près équivalente.

La première est une course-poursuite à travers une dizaine de lieux éparpillés dans le monde entre plusieurs personnages qui jouent à "fuis-moi, je te suis, suis-moi, je te fuis":

- Gene, un écrivain britannique ennuyeux (Sam Neill, définitivement abonné au rôle ingrat du cocu) poursuit Claire Tourneur, son ex-petite amie qui l'a plaqué (Solveig Dommartin)
- Claire poursuit "Trevor" alias Sam (William Hurt) un mystérieux américain compromis avec des personnages louches dont elle est raide dingue.
-Claire et Gene mettent sur le coup un détective privé allemand, Philip Winter (Rüdiger Vogler) chargé de suivre leurs cibles à la trace.
-Claire est également tracée par deux gangsters français qui lui ont confié l'argent d'un hold-up, Raymond et Chico (Eddy Mitchell et Chick Ortega). Raymond étant mis hors-jeu rapidement, seul Chico poursuit la quête.

L'aspect patchwork de cette partie est atténué par la similitude des lieux visités dont on voit surtout les parkings et les lieux souterrains éclairés au néon. Une esthétique très eighties ("Parking" de Jacques Demy n'est pas loin) mais qui fait penser aussi aux affiches de "Playtime" de Jacques Tati et ses villes uniformisées par la modernité. Cependant il y a quelques digressions comme un très beau passage dans un ryokan du Japon rural traditionnel (même sans connaître "Tokyo-Ga", on comprend de Wenders connaît son sujet contrairement à la Russie et à la Chine qui sont expédiées en quelques images décevantes).

La deuxième partie se caractérise au contraire par sa stabilité. Les personnages de la première partie ne se courent plus après. Ils sont accueillis façon "auberge espagnole" chez les parents de Trevor/Sam, Henry et Edith (Max Von Sydow et Jeanne Moreau) qui vivent dans l'outback australien, en plein territoire aborigène. Cette deuxième partie repose sur un contraste entre la culture aborigène et celle des occidentaux, marquée par une civilisation scientifique et technologique sans conscience qui selon les mots de Claire les dévore vivants. C'est l'explosion du satellite nucléaire qui menace la viabilité du monde mais aussi une sorte de casque enregistreur d'images extrêmement convoité. Par le biais des impulsions cérébrales de celui qui enregistre il peut rendre la vision aux aveugles mais "retourné" il peut aussi enregistrer les images de l'inconscient et notamment les rêves. On imagine ce que entre de mauvaises mains cette pénétration de l'esprit a de néfaste mais ce que Wenders montre surtout, c'est les ravages produits par l'addiction aux écrans. De ce point de vue, son film est visionnaire! Il anticipe d'ailleurs dans le film des inventions liées à la géolocalisation: le GPS, le traçage à partir de l'utilisation de la carte bancaire, les conversations par skype. Et il utilise également la haute définition alors balbutiante pour produire les images oniriques de toute beauté se situant entre l'art pictural et la video.

"Jusqu'au bout du monde" est sans doute "too much" mais il est audacieux, généreux et d'une grande richesse thématique et formelle. En dépit de sa longueur et de quelques maladresses il est beaucoup moins aride et nombriliste que "L'Etat des choses" et en cela, il vaut largement que l'on s'y arrête

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Easy Rider

Publié le par Rosalie210

Dennis Hopper (1969)

Easy Rider

« C’est dur d’être libre quand on est un produit acheté et vendu sur le marché. Mais ne leur dit pas qu’ils ne sont pas libres, ils sont capables de massacrer pour prouver qu’ils le sont. S’ils voient un individu libre, ils ont peur, ça les rend dangereux. »

Cette citation de George Hansen (Jack Nicholson dans son premier film important) est l’étendard d’ « Easy Rider ». Le film narre l’odyssée de deux motards hippies, Wyatt (Peter Fonda, fils de Henry et frère de Jane) et Billy (Dennis Hopper), « Born to be Wild » pour reprendre le titre phare de Steppenwolf (mais toute la BO est somptueuse). Sur leurs choppers achetés avec l’argent de la drogue, ils traversent l’Amérique à contresens (ils sont d'ailleurs pour la majorité des sédentaires un contresens) pour aller fêter Mardi Gras à la Nouvelle-Orléans. Leur apparence et leurs manières jugées provocatrices (Wyatt par exemple arbore une panoplie de motard aux couleurs du drapeau US qui lui vaut le surnom de « Captain America ») leur vaut un rejet systématique qui les oblige à vivre en marge, c’est à dire à littéralement coucher dehors en attendant de servir de défouloir à la violence verbale et physique des rednecks haineux et bornés. C’est ça le prix de la liberté dont parle le personnage de Nicholson. Le nihilisme qui clôt le film suggère qu’elle n’existe pas ce qui remet en cause la prétendue démocratie américaine. "Born to be wild" devient comme en écho "Born to kill" dans "Full Metal Jacket" de Kubrick qui commence par la tonte des cheveux de la chair à canon destinée au bourbier vietnamien (les cheveux longs des hippies obsèdent les rednecks).

« Easy Rider » n’est pas qu’un plaidoyer pour la liberté sur le fond, il l’est aussi sur la forme. Le film est considéré comme le point de départ du Nouvel Hollywood, ce courant cinématographique né à la fin des années soixante qui s’inspire à la fois du néoréalisme italien et de la Nouvelle Vague française. Du premier, il a ce regard documentaire très cru sur l’Amérique profonde et son intolérance viscérale à l’égard de l’autre ainsi que sur le mouvement hippie. Du second, il adopte le style heurté d’un « À bout de souffle »avec les « flashs mentaux » et le trip hallucinogène dans le cimetière, la jeunesse de ses protagonistes et leur côté indomptable. Des deux mouvements, il reprend le tournage à petit budget, en décors naturels avec un sens de la débrouille qui produit un résultat confondant de naturel.
 

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Au fil du temps (Im Lauf der Zeit)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1976)

Au fil du temps (Im Lauf der Zeit)

Dernier volet de la "trilogie de l'errance", "Au Fil du temps" est avec les "Ailes du désir", le film le plus géopolitique de Wim Wenders. Ces deux films témoignent de l'existence d'une barrière infranchissable séparant l'Allemagne (pour "Au Fil du temps") et Berlin (pour "Les Ailes du désir") en deux parties durant la guerre froide. Ce qui en fait de drôles de road movie (terrestre pour "Au Fil du temps", spirituel pour "Les Ailes du désir") en vase clos. Wenders a beau filmer la campagne allemande comme s'il s'agissait des grands espaces désertiques américains, il étouffe (ne se définit-il pas lui-même comme un homme né "dans un paysage trop petit pour lui"?) et il ira tourner les films suivants aux USA. De fait, l'irruption de Roger Lander (Hanns Zischler) dans l'histoire est on ne peut plus significative: il jette sa voiture dans l'Elbe qui servait de frontière naturelle aux deux Etats.

"Au Fil du temps" se déroule donc pour l'essentiel dans la zone frontalière entre la RFA et la RDA que les personnages longent à défaut de pouvoir la traverser. Comme dans les autres volets de sa trilogie, Wenders dresse un état des lieux peu reluisant de son pays. Hanté par son passé nazi et la fracture générationnelle, morale et identitaire qui en a résulté, le no man's land de la frontière traduit bien l'errance d'une jeunesse privée de re-pères (l'admiration que Wenders porte à Nicholas Ray, le réalisateur de la "Fureur de vivre" prend ici tout son sens). Durant tout le film, les personnages traversent des villes fantômes, une succession de lieux vides, complètement dévitalisés. Bruno Winter, l'un des deux héros (joué par Rüdiger Vogler, véritable fil rouge de cette trilogie) est réparateur ambulant de matériel cinématographique ce qui permet à Wenders de montrer l'état de déliquescence de cette industrie dans son pays: des salles délabrées, vides, fermant les unes après les autres diffusant des sous-produits à caractère pornographique. Par contraste, il rend hommage à la grandeur du cinéma à plusieurs reprises, notamment lors d'une scène magique ou Bruno et Roger font un numéro burlesque muet derrière un écran de cinéma.

Enfin, ce film est la première histoire d'une amitié quasi fusionnelle entre deux hommes en apparence opposés (l'un est un hippie vivant en marge de la société, l'autre un intellectuel ne tenant pas en place) mais qui se découvrent en cours de route de nombreux traits communs. "Si Loin, si proches", ils se cessent de se séparer et de se retrouver. Tous deux sont dans une impasse existentielle qui se traduit par leur mal être et leur solitude. Symboliquement, c'est dans un poste-frontière américain qu'aura lieu la grande explication au bout de laquelle ils concluent qu'ils doivent tout changer "On ne peut vivre ainsi sans changement, c'est comme si tu étais mort".

Rüdiger Vogler et Hanns Zischler constituent le premier grand couple "hétéro-gay" de la filmographie de Wenders qui en comptera plusieurs autres (Ganz-Hopper, Ganz-Sander etc.) Ce genre de liens entre hommes fait penser à "Husbands" de Cassavetes avec lui-même, Gazzara et Falk ou à "Mikey et Nicky" de Elaine May avec Cassavetes et Falk. Le fait que ce dernier ait fini par entrer dans l'univers de Wenders tombe sous le sens.

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Faux mouvement (Falsche Bewegung)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1975)

Faux mouvement (Falsche Bewegung)

Le deuxième volet de la trilogie de l'errance de Wenders est un film abscons, bavard et cérébral. Mais il est néanmoins passionnant. Cet état des lieux d'une Allemagne en pleine crise identitaire et morale s'avère de fait extrêmement pertinent.

Contrairement aux autres films de cette trilogie, "Faux mouvement" est très écrit. Il s'agit d'une adaptation par Peter Handke d'un roman de Goethe, "Les années d'apprentissage de Wilhelm Meister". Sauf que le bildungsroman tourne à vide. Wilhelm (Rüdiger Vogler) n'apprend rien de son voyage. Etre en mouvement n'est plus une garantie de changement comme il le constate amèrement lorsqu'il arrive au bout de son périple "j'avais l'impression de manquer quelque chose et de toujours manquer quelque chose à chaque nouveau mouvement". C'est sur une impasse que s'achève le film. Et un constat d'impuissance. Wilhelm n'a réussi à s'accomplir ni comme écrivain, ni comme être humain. Il est passé à côté des êtres et des choses.

Sur sa route, il croise comme dans un rêve les fantômes du passé mal digéré de l'Allemagne. Un couple de saltimbanques étrange et mal assorti se composant d'un vieil homme Laertes (Hans Christian Blech) et d'une adolescente muette Mignon (Nastassia Kinski) se fait inviter par l'écrivain. Il s'avère que le premier est un ancien nazi qui n'en finit plus d'expier ses crimes alors que la seconde représente la chape de plomb que ce monstrueux passé fait peser sur les jeunes générations, réduites au silence. Wilhelm essaye d'ailleurs en vain de se débarrasser du vieil homme après avoir au début du film décidé d'échapper à une mère tout aussi oppressante "Ma langue a disparu. Depuis deux jours, je n'ai pas sorti un mot." Quand les mots font défaut, il ne reste que les coups. Et le sang comme preuve matérielle de la souffrance endurée: Wilhelm se coupe les mains en balançant ses poings à travers la vitre et Laertes saigne du nez (dans un tout autre contexte, l'éveil des sens de Damiel dans "Les Ailes du désir" se fera d'abord par la vue et le goût de son propre sang).

Les autres personnages croisés par l'écrivain complètent le tableau d'une Allemagne dépressive et traumatisée: une actrice, Thérèse (Hanna Schygulla) qui fait fantasmer Wilhelm mais devant laquelle il se dérobe, un industriel veuf et solitaire (Ivan Desny) et un jeune poète qui prétend être son neveu (Peter Kern) mais qui en réalité est tout aussi désafilié que les autres. L'absence de foyer où se réfugier était déjà un thème majeur de "Alice dans les villes" où l'on voyait Philip et Alice chercher la maison de la grand-mère de cette dernière pour finalement découvrir qu'elle n'y habitait plus. Dans "Faux mouvement", l'industriel accueille à bras ouverts le petit groupe dans sa demeure mais c'est pour mieux le pulvériser en se suicidant un peu plus tard. Trente ans après la fin de la guerre, ses séquelles n'ont pas encore fini de causer des ravages.

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Alice dans les villes (Alice in den Städten)

Publié le par Rosalie210

Wim Wenders (1974)

Alice dans les villes (Alice in den Städten)

Tout Wenders est en place dans ce que l'on peut considérer comme son premier film important. Tourné en 1974 avec un petit budget, celui-ci appartient au courant de la nouvelle vague allemande et constitue le premier volet d'une "trilogie de l'errance" qui est le fil rouge de toute son oeuvre. On y retrouve la fascination pour une certaine Amérique, la relation "flottante" à l'Allemagne allant de pair avec l'improvisation, l'errance d'un personnage déraciné qui n'arrive pas à écrire son histoire (à tous les sens du terme), les concerts rock conçus comme des oasis où l'on peut retrouver des forces avant de reprendre la route. Et enfin la rencontre avec un enfant par lequel enfin l'histoire peut s'écrire.

Philip (Rüdiger Vogler), journaliste solitaire en panne d'inspiration ne peut que prendre des polaroïds pour se sentir exister. Des photos de paysages, vides d'hommes. Des photos sans vie. Des clichés sans âme. Et même si on le voit rouler de patelin en patelin, la mise en scène qui le montre s'échouant invariablement le soir dans un motel anonyme suggère qu'il fait en réalité du sur-place. Son patronyme, Winter suggère assez bien son état d'hypothermie. Jusqu'à ce que son chemin croise celui d'Alice (Yella Rottländer), une gamine aussi paumée que lui avec laquelle il va entreprendre une odyssée géographique et intérieure.

"Alice dans les villes" préfigure "Paris, Texas" dans la manière dont Wenders traite la relation entre l'enfant et l'adulte. Ce dernier est immature et c'est l'enfant qui va le responsabiliser dans une inversion des rôles assez troublante. La présence de l'enfant par ses demandes et remarques très concrètes, va le faire redescendre sur terre, l'obliger à se décentrer pour finalement mieux se retrouver lui-même. Cela passe par la rééducation du regard (y compris caméra). La fillette s'appelle Alice et aide Philip (autoportrait de Wenders) à voir de l'autre côté du miroir (exactement comme dans les "Ailes du désir" où les enfants sont les seuls à percevoir les anges, invisibles pour la plupart des adultes). Pour Wenders, l'enfance est un paradis perdu qu'il convoque avec nostalgie tout comme le cinéma de John Ford. Perdu mais que l'on peut retrouver en soi comme le montrent aussi les moments de tendre complicité entre Philip et Alice qui au fil de leur voyage tissent un lien filial électif qui se substitue à celui de leurs familles respectives.
 

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My Own Private Idaho

Publié le par Rosalie210

Gus Van Sant (1991)

My Own Private Idaho

Adaptation contemporaine du "Henry IV" de Shakespeare, relecture du "Falstaff" de Welles à la sauce beatnik, description documentaire du quotidien de deux prostitués, western moderne et road movie nihiliste, roman-photo kitsch (la scène des couvertures de magazines pornos et les tableaux vivants dépeignant les scènes de sexe) et teen movie, "My Own Private Idaho" est un peu tout cela à la fois. C'est aussi comme le titre l'indique un film très personnel. Gus Van Sant se dépeint à la fois à travers le personnage de Mike le blond (remarquablement joué par le regretté River Phoenix) et de Scott le brun (Keanu Reeves, parfait pour le rôle également). Un pied bohème dans le cinéma expérimental le plus radical ("Gerry"), l'autre ambitieux dans le cinéma mainstream hollywoodien ("Will Hunting").

Mike est un jeune vagabond d'une sensibilité fêlée qui gagne sa vie en se prostituant. La ressemblance de River Phoenix avec James Dean saute aux yeux d'autant qu'ils sont morts tous deux très jeunes après seulement quelques films. Le personnage de Mike est non seulement un rebel without a cause mais il est aussi without a home. Ses racines sont inexistantes comme le symbolise la maison projetée sur la route, une image empruntée au "magicien d'Oz". Mike n'a pas de père et sa mère qu'il ne cesse de convoquer dans ses souvenirs est insaisissable. Sa quête des origines est donc vouée à l'échec tout comme sa tentative de trouver sa place quelque part. Il ne parvient pas à exister et est condamné à errer sans fin, prisonnier du bas-côté de la route et de sa sous-culture marginale ("walk on the wild side") sans espoir et sans perspective d'en sortir. Sa seule évasion, ce sont ses crises de narcolepsie qui le déconnectent régulièrement du monde réel. Sa passivité et sa marginalité font de lui un anti-héros qui subvertit les codes virilistes à l'œuvre dans le cinéma traditionnel (comme le western).

Scott, personnage shakespearien (un domaine de prédilection de Keanu Reeves qui enchaînera avec Don John dans "Beaucoup de bruit pour rien") représente quant à lui le fils de bonne famille en rupture avec son père et tout ce qu'il représente: le patriarcat, les relations hiérarchiques, le pouvoir, la richesse, l'hétérosexualité. Il s'est choisi un nouveau père (qui est aussi un initiateur y compris sexuel), Bob (William Richert), un néo-Falstaff qui entretient une petite cour des miracles dans un vieux théâtre désaffecté. Mike gravite également dans ce monde parallèle et utopique. Mais contrairement à Mike, condamné à végéter dans une adolescence éternelle, Scott est en transition vers l'âge adulte. Ce qui pour lui, signifie endosser le costume de son père et renier ses anciennes amours.

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La Chèvre

Publié le par Rosalie210

Francis Veber (1981)

La Chèvre

"La Chèvre" est le deuxième film de Francis Veber (après "Le Jouet" en 1976 avec Lino Ventura qui devait d'ailleurs initialement interpréter le rôle de Campana avant de poser des conditions qui rendirent caduque sa participation au film.) C'est aussi l'un de ses plus gros succès avec "Le Dîner de cons" (Villeret devait d'ailleurs jouer à l'origine le rôle de Perrin mais Lino Ventura s'y était opposé, pfff...). C'est enfin le premier volet de sa trilogie avec le duo Depardieu/Richard (les deux autres étant "Les Compères" et "Les Fugitifs"). Et enfin c'est le film qui révéla le potentiel comique de Depardieu, lequel était jusque là cantonné aux rôles dramatiques.

Veber montre dans ce film à l'efficacité imparable qu'il connaît les secrets (je préfère parler de secrets que de recettes) de la comédie fondée sur une savante mécanique et sur l'art du décalage. La mécanique comique de "La Chèvre" fonctionne avec une efficacité redoutable. Le duo Perrin/Campana est comparable à celui de l'auguste et du clown blanc, la drôlerie des maladresses du premier étant décuplée par les expressions incrédules ou furieuses du second grâce au jeu du champ et du contrechamp. D'autre part, cette opposition de caractères est aussi une opposition d'univers. D'un côté le monde logique et rationnel de Campana qui ne croit qu'aux faits. De l'autre le fonctionnement irrationnel et fantaisiste de Perrin, sorte de Pierrot lunaire un peu rêveur. Cette opposition est celle de deux facettes de l'humain. La première survalorisée car si elle rassure et contrôle, elle limite aussi comme le montre l'échec initial de l'enquête sur la disparition de la petite Bens. La seconde nettement plus refoulée car elle demande lâcher-prise, abandon et humilité face à ce qui nous échappe. Pourtant c'est l'alliance des deux hommes (et donc de ces deux facettes) qui permettra de faire aboutir l'enquête histoire de rappeler au passage que l'homme marche sur deux jambes.

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Une histoire vraie (The Straight Story)

Publié le par Rosalie210

David Lynch (1999)

Une histoire vraie (The Straight Story)

"The Straight story" est un titre infiniment plus riche qu'"Une histoire vraie" et ce, bien que l'intrigue soit effectivement tirée d'une histoire vraie. Au premier degré, il fait référence au nom de famille du héros qui s'appelle Alvin Straight. Il fait également référence à la route suivie par celui-ci qui est toujours en ligne droite. Au second degré, c'est la droiture d'Alvin qui est mise en valeur. Par ailleurs la simplicité de cette histoire à la trajectoire linéaire et aux enjeux limpides apparaît comme un contre-exemple dans la filmographie de Lynch, parsemée d'histoires tortueuses pour ne pas dire sybillines.

Mais à y regarder de plus près, cette histoire n'est en rien contradictoire avec le reste de son œuvre. Elle fait partie de sa veine humaniste. Comme "Elephant man", elle se focalise sur un personnage marginal dont l'humanité bouleverse ceux qui croisent sa route. Ici la marginalité est liée à la mobilité réduite: par l'âge (Alvin a 73 ans et un problème aux hanches qui l'oblige à marcher avec des cannes), par le handicap (mal voyant, il n'a pas le permis de conduire, une "hérésie" dans la société de l'automobile reine), par la pauvreté (qui l'oblige à entreprendre un long voyage en utilisant le système D). La conséquence est une expérience sensorielle unique, celle qui épouse la lenteur d'un homme cheminant sur sa tondeuse à gazon à 5km/heure, une roue sur le bord de la route, l'autre sur le chemin de terre qui la borde sous les yeux sidérés des riverains, tous plus babas les uns que les autres devant le courage et la détermination du vieil homme.

C'est par ce biais que l'apparente simplicité rejoint l'étrangeté si chère à Lynch. Car la lenteur nous est devenue étrangère. Et avec elle la nature, la spiritualité, la liberté, la mythologie, les contes de fée et même l'histoire. L'homme-machine à produire est un homme coupé de son passé et de ses racines, donc de son avenir.

C'est le daim écrasé par la voiture, l'auto-stoppeuse (enceinte, quel symbole!) dédaignée par les automobilistes, ce sont aussi ces sublimes images de moissons dans les champs de blé sous la lumière dorée du soleil qui apparaissent au fur et à mesure qu'Alvin avance. C'est aussi l'attente sous l'abri de la fin de la pluie. Par-delà le film, ce sont les réminiscences qu'il suscite qui en révèlent toute la profondeur. Alvin part de l'Iowa et va jusqu'au Wisconsin en traversant le Mississippi, longtemps frontière entre les USA colonisés et le "Far West". Les pionniers du XIX° siècle parcouraient ces espaces au même rythme qu'Alvin et on se souvient en particulier des mémoires de Laura Ingalls ("La petite maison dans la prairie") où elle raconte la trajectoire de sa famille du Wisconsin à...L'Iowa (via le Kansas et le Minnesota). Est-ce d'ailleurs un hasard si l'acteur (Richard Farnsworth) apparaît dans la série? Dans un tout autre champ de la culture, celui des contes de fée, la comtesse de Ségur écrivit au XIX°siècle "L'histoire de Blondine, Bonne-Biche et Beau-Minon" où parmi les épreuves infligées à l'héroïne il y avait l'obligation d'effectuer le trajet de la forêt jusqu'au château juchée sur le dos d'une tortue (ce qui lui prit 6 mois). Enfin il y a quelque chose de l'ordre des pèlerinages ancestraux dans ce parcours ce qui le rend éminemment spirituel (l'image des étoiles au début et à la fin rapproche le parcours d'Alvin vers l'apaisement et la réconciliation d'avec son frère -son double ou sa moitié- d'une expérience cosmique).

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