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Articles avec #resnais (alain) tag

La Pointe Courte

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1955)

La Pointe Courte

"La Pointe Courte" du nom d'un quartier de pêcheurs à Sète est la première réalisation de Agnès Varda et l'un des premiers manifestes de la Nouvelle vague. Film autoproduit avec des bouts de ficelle (et beaucoup de bénévolat, du monteur Alain Resnais qui s'inspirera de la structure faulknérienne du film pour son premier long-métrage à la distribution issue du TNP*), il s'en dégage une belle sensation de vie et de liberté. Le tournage en décors naturels avec les habitants du quartier dans leur propre rôle contribue à donner au film un cachet d'authenticité quasi documentaire. En même temps le manque de budget a obligé Agnès Varda à tourner sans le son pour ensuite le faire post-synchroniser à Paris avec d'autres acteurs ce qui confère une étrange sensation de décalage à l'ensemble. Un décalage qui ne s'arrête pas au son d'ailleurs.

Car en effet ce qui caractérise également le film de Agnès Varda, c'est sa dualité, révolutionnaire à l'époque, inspirée par un roman de William Faulkner, "Les Palmiers sauvages". Il y a deux films en un dans la "Pointe Courte" et ils représentent chacun un pan de la filmographie à venir de la réalisatrice. D'un côté le documentaire ethnographique sur le quotidien d'une petite communauté de travailleurs d'un quartier populaire en voie de disparition annonce "Daguerréotypes". Leur résistance à l'autorité préfigure également "Les Glaneurs et la Glaneuse". Agnès Varda a toujours prétendu être quasiment vierge de toute influence cinématographique avant de commencer sa carrière. Néanmoins, beaucoup d'analystes n'ont pu s'empêcher de rapprocher son film du néoréalisme italien. De l'autre la fiction avec des acteurs professionnels issus du TNP* (Sylvia Monfort et Philippe Noiret, alors âgé de 25 ans et qui faisait sa première véritable apparition à l'écran) qui interprètent un couple en crise essayant de faire le point en effectuant un retour aux sources (le personnage de Philippe Noiret étant originaire du quartier contrairement à celui de Sylvia Monfort qui est d'origine parisienne). Cette dualité que Agnès Varda définit comme celle du social et du privé est également à l'œuvre dans la personnalité de l'artiste, à la fois provinciale d'origine et de culture très parisienne tendance rive gauche, considérée par les pêcheurs comme une intellectuelle et pourtant curieuse et passionnée par le contact avec des gens simples. Agnès Varda connaissait bien Sète pour y avoir passé une partie de son enfance et avait des contacts étroits avec les pêcheurs du quartier. De même, son travail de photographe au TNP lui avait permis de nouer des contacts avec les acteurs du film. Cette théâtralité se ressent dans la manière dont ils jouent, de façon neutre et détachée comme ils sont détachés de leur environnement un peu à la manière des films de Bresson (sans parler de certains cadrages en gros plan très proches de "Persona" de Ingmar Bergman) ce qui contraste violemment avec le parler pittoresque et vivant des habitants du quartier. "La Pointe Courte" est donc déjà un autoportrait de Agnès Varda, c'est sa première tentative pour rassembler en un seul tenant les morceaux d'une personnalité faite de contrastes et de contradictions dont l'accomplissement se trouvera dans "Les Plages d'Agnès" en 2007.

* Théâtre national populaire. Né en 1920 à Paris, il est dirigé dans les années 50 par Jean Vilar, le fondateur du festival d'Avignon.

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Je t'aime je t'aime

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1968)

Je t'aime je t'aime

Le cinquième film de Alain RESNAIS se situe quelque part entre le puzzle mental de "L'Année dernière à Marienbad" (1961), les incursions de l'inconscient de "Muriel ou le temps d'un retour" (1962) et le voyage dans le temps science-fictionnel de la "La Jetée" (1963). Il avait d'ailleurs entrepris un projet commun avec Chris MARKER qui échoua mais qui aboutit à deux films ayant d'indiscutables points communs. Notamment un aspect froid, clinique lié au fait qu'il s'agit dans les deux cas d'expériences de voyage dans le passé menées par des scientifiques sur des cobayes humains à l'aide d'une prise de drogue et d'un enfermement dans un lieu clos (souterrain dans "La Jetée" (1963), capsule organique digérant lentement sa proie dans "Je t'aime je t'aime"). Le scénariste du film, Jacques STERNBERG lui a été conseillé par Chris MARKER et s'inspire de sa véritable histoire.

"Je t'aime je t'aime" est cependant moins un film sur le temps que sur la mémoire. Il ne s'agit pas à proprement parler de revivre le passé mais de le reconstituer au travers des souvenirs forcément altérés par le temps mais aussi l'interprétation que le sujet en a fait. On l'a donc beaucoup comparé à l'œuvre de Marcel Proust. Mais "A la recherche du temps perdu" est d'une bien plus grande envergure que "Je t'aime je t'aime" qui se focalise sur l'échec de la vie adulte du héros marquée par l'ennui et le mal-être. Claude (Claude RICH dans ce qui est sans doute son plus grand rôle) passe son temps à essayer de "tuer le temps" dans les différents emplois de bureaux qu'il occupe plus ternes les uns que les autres. D'autre part il voit également le temps détruire sa relation de couple avec Catherine (Olga GEORGES-PICOT), jeune femme dépressive qu'il s'accuse d'avoir tué. Lui-même a perdu le goût de vivre et ne pense plus qu'à se suicider. On le voit, la dépression et la mort sont omniprésentes dans le film qui a également une parenté avec "Le Feu follet" (1963) au point que Alain RESNAIS a refusé Maurice RONET pour le rôle principal de crainte qu'on ne confonde les deux films. De fait si la première partie du film est prometteuse, Alain RESNAIS mettant encore une fois tout son talent de monteur au service de cette histoire éclatée, le dispositif expérimental à du mal à tenir la distance d'un long-métrage. Comme le titre l'indique, au bout d'un moment les séquences deviennent répétitives avec certes de subtiles variations pour chacune d'elles (positionnement des éléments de décor, angles de caméra, changement de personne dans une même situation etc.) Mais le problème réside dans la médiocrité affligeante du héros, un petit-bourgeois névrosé dont on a bien du mal à compatir aux malheurs existentiels alors qu'il se prend des vacances en Provence et en Ecosse et qu'il ne se prive pas de tromper Madame avec tous les jupons qui passent. Bref un stéréotype bien rance de la France des années 60. On est bien loin des enjeux forts de "La Jetée" (1963) qui se déroule sur fond d'apocalypse nucléaire ou de "Muriel ou le temps d'un retour" (1962) qui trouve son sens dans le contexte de la guerre d'Algérie. Heureusement que Claude RICH impose sa présence sensible et mélancolique car son rôle est tout de même assez ingrat. Michel GONDRY réalisera quelques décennies plus tard une version plus pêchue et pop sur cette trame avec "Eternal sunshine of the spotless mind" (2004).

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Nuit et Brouillard

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1956)

Nuit et Brouillard

"Cette réalité des camps, méprisée par ceux qui la fabriquent, insaisissable pour ceux qui la subissent, c’est bien en vain qu’à notre tour nous essayons d’en découvrir les restes.
Ces blocks en bois, ces châlits où l’on dormait à trois, ces terriers où l’on se cachait, où l’on mangeait à la sauvette, où le sommeil même était une menace, aucune description, aucune image ne peut leur rendre leur vraie dimension". Comment en effet parler et montrer, comment témoigner et transmettre ce qui relève d'une expérience indicible et infilmable, une expérience du passé non digérée au présent. Voilà le défi auquel le réalisateur Alain RESNAIS et le scénariste Jean CAYROL se sont confrontés en tentant de représenter par le biais de l'art le "passé qui ne passe pas" par la voie du documentaire avec "Nuit et brouillard" (1956) et de la fiction avec "Muriel ou le temps d un retour" (1962). Il faut dire que les deux hommes sont contemporains de la seconde guerre mondiale et de la guerre d'Algérie, deux événements traumatiques ayant accouchés de mémoires douloureuses et conflictuelles qui ont été pour la plupart longtemps étouffées par la censure (celle de l'Etat mais aussi celle de la conscience qui pour continuer à vivre s'est scindée en refoulant ce qui était insupportable).

"Nuit et Brouillard" bien qu'étant à l'origine une commande est un film puissant et poétique qui témoigne de l'état d'esprit et du niveau de connaissances de 1955 sur l'univers des camps de la mort nazis, dix ans seulement après la fin de la guerre. L'époque est alors favorable à la célébration des héros de la Résistance et "Nuit et Brouillard" déroge d'autant moins à la règle que Jean CAYROL le scénariste est lui-même un ancien résistant déporté à Mauthausen. Le sujet du documentaire porte donc sur les conditions effroyables de vie et de travail de ces camps "de la mort lente". En revanche la spécificité de la déportation raciale n'est pas dégagée car elle n'était tout simplement pas reconnue à l'époque. Peu de déportés juifs étaient revenus des camps comparativement aux résistants. De plus, leurs témoignages n'étaient pas entendus. Pour que la mémoire juive émerge dans l'histoire, il faudra le procès Eichmann et plus tardivement encore, le documentaire-choc de Claude LANZMANN, "Shoah" (1985), qui analyse la spécificité de la déportation raciale. Elle se distingue de l'univers concentrationnaire en ce que la mort y est immédiate à l'arrivée et que tout est fait pour qu'elle ne laisse pas de traces. Contrairement à Alain RESNAIS qui filme des vestiges en couleur au milieu d'archives en noir et blanc en s'interrogeant sur leur pouvoir d'évocation du passé, Claude LANZMANN ne montre que le vide, le néant, les prairies dénuées de traces des épouvantables crimes qui s'y déroulèrent ou bien des ruines méconnaissables. Il parie en effet sur la puissance du témoignage seul pour ressusciter le passé. Certains historiens préfèrent d'ailleurs le terme de "centres de mise à mort" plutôt que de camps pour qualifier les lieux où étaient envoyés les juifs d'Europe, distincts des camps de concentration hormis dans le cas de Lublin-Majdanek et d'Auschwitz-Birkenau. Ce dernier, souvent évoqué dans "Nuit et Brouillard" est particulier car il est au croisement des deux logiques: Auschwitz I (là où se trouvait l'enseigne "Arbeit macht frei", l'hôpital, la prison) était un camp de concentration alors que Birkenau combinait la concentration et l'extermination. Cette imbrication de logiques différentes explique également la confusion qui règne dans "Nuit et Brouillard" qui évoque par moments (mais sans le dire explicitement) l'extermination des juifs au milieu des autres activités du camp (expériences médicales, travail forcé). Enfin, "Nuit et Brouillard" est également célèbre pour l'image censurée du gendarme surveillant le camp de Pithiviers. Cette censure témoignait à l'époque du refus de la France d'admettre sa participation aux crimes des nazis durant la seconde guerre mondiale. Un déni qui n'a pris fin qu'avec le discours de Jacques Chirac en 1995.

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Muriel ou le temps d'un retour

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1963)

Muriel ou le temps d'un retour


"Tu veux raconter Muriel. Muriel, ça ne se raconte pas". Comment parler et montrer, comment témoigner et transmettre ce qui relève d'une expérience traumatique indicible et infilmable, une expérience du passé qui infuse tellement le présent qu'elle l'empêche d'advenir en suspendant le cours du temps, en mettant la vie entre parenthèses. Voilà le défi auquel le réalisateur Alain RESNAIS et le scénariste Jean CAYROL se sont confrontés en tentant de représenter par le biais de l'art le "passé qui ne passe pas" par la voie du documentaire avec "Nuit et brouillard" (1956) et de la fiction avec "Muriel ou le temps d'un retour" (1963). Il faut dire que les deux hommes sont contemporains de la seconde guerre mondiale et de la guerre d'Algérie, deux événements traumatiques ayant accouchés de mémoires douloureuses et conflictuelles qui ont été pour la plupart longtemps étouffées par la censure (celle de l'Etat mais aussi celle de la conscience qui pour continuer à vivre s'est scindée en refoulant ce qui était insupportable).

C'est pourquoi la linéarité de "Muriel ou le temps d'un retour" est trompeuse. La vérité du temps de "Muriel" est dans le titre. Il s'agit d'un récit au présent sans cesse haché, traversé, fragmenté, interrompu, dissocié par les éclats du passé non digéré qui "fait retour" à la manière d'un gigantesque palimpseste. Ce passé fragmentaire se manifeste par tous les moyens que le cinéma peut produire: des images (d'archive notamment, photos ou films), des mots, des sons, de la musique. Leur intervention dans le récit est conçue pour créer des effets de dissonance. La science du montage de Alain RESNAIS en particulier joue un rôle déterminant. Il isole de tous petits moments qu'il insère dans le récit et qui par des effets de correspondance font sens. Par exemple, Alphonse Noyard (Jean-Pierre KÉRIEN), l'amant de Hélène Aughain (Delphine SEYRIG) évanoui pendant la guerre qui revient dans sa vie à sa demande est un homme opaque et fuyant, un homme de secrets et de mensonges dont l'art de la dissimulation est mis en parallèle avec le refoulé des anciens tortionnaires de la guerre d'Algérie. Lorsqu'il écrase une cigarette, lorsqu'il prononce une phrase anodine en apparence mais qui isolée devient lourde de sens ("Il y a des gens qui prennent mieux les taches que d'autres. Moi par exemple"), lorsqu'il déclare qu'il aime toutes les races mais qu'il hait les arabes. Il en va de même avec Bernard et Robert (Jean-Baptiste Thierrée et Philippe LAUDENBACH) , deux anciens appelés d'Algérie qui ont été témoins et acteurs du calvaire de "Muriel", un surnom donné à une jeune combattante algérienne torturée à mort pendant la guerre (ou plutôt les "événements" comme on disait à l'époque, le terme de guerre étant tabou). Lorsqu'ils en parlent, c'est toujours à mots couverts et comme par hasard un policier se tient systématiquement derrière eux pour veiller au grain (juste retour de bâton du policier censuré de "Nuit et brouillard" (1956)). L'évocation du traumatisme lui-même se situe sous la forme d'un récit situé au milieu du film accompagné par des images d'archives parfaitement anodines qui soulignent justement l'absence d'images du crime. Elles renvoient aux images manquantes de la Shoah (bien évidemment) mais aussi aux vides laissés par les destructions matérielles. La ville de Boulogne-sur-Mer en dépit de sa reconstruction en porte les stigmates. "C'est où le centre-ville?"; "Mais vous y êtes!" L'air égaré du jeune homme parle pour lui: l'espace comme le temps ont été irrémédiablement modifiés par la guerre.

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Van Gogh

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1948)

Van Gogh


"Van Gogh" est un film novateur qui a fait date en recevant plusieurs prix. Il s'agit en effet d'un des premiers films consacré à la peinture. Alain RESNAIS qui réalisait une œuvre de commande a fait des choix de mise en scène qu'il a repris dans les films ultérieurs sur les peintres et qui ont profondément marqué le cinéma et la télévision. Ses plans resserrés semblent plonger dans la matière même des tableaux. Le montage très soigné établit des connexions et une cohérence entre les œuvres tandis que les mouvements de caméra animent les toiles d'une vie propre. Néanmoins les œuvres ne sont pas montrées pour elles-mêmes mais comme un support illustrant la vie du peintre. C'est la voix du narrateur qui leur donne un sens, celui de la quête d'absolu du peintre qui le mena jusqu'à la folie et au suicide. Quant au choix du noir et blanc, Alain RESNAIS le justifie ainsi: "Ce noir et blanc m'intéressait parce qu'il m'offrait le moyen d'unifier le film indépendamment de son contenu. Comme les tableaux n'étaient pas choisi en fonction de leur chronologie, cela me permettait une libre exploration spatiale, un voyage dans le tableau, sans souci d'une hétérogénéité que m'aurait imposée la couleur. J'avais toujours voulu tenter cette sorte de déplacement à l’intérieur d'un matériau plastique qui me laisserait toute liberté de montage. Il s'agissait de savoir si des arbres peints, des maisons peintes pouvaient grâce au montage remplir dans le récit le rôle des objets réels et si, dans ce cas, il était possible de substituer pour le spectateur le monde intérieur d'un artiste au monde tel que le révèle la photographie."

On peut néanmoins faire le reproche à ce type de documentaire de détourner les œuvres de leur sens premier pour les utiliser comme support d'une biographie. Même si quelques influences sont citées dans le film (celle des estampes japonaises notamment) à aucun moment les œuvres ne sont étudiées pour elles-mêmes ni même contextualisées.

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Paul Gauguin

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1950)

Paul Gauguin

Alain RESNAIS est considéré comme un pionnier en matière de documentaire sur l'art. Entre "Van Gogh" (1948), "Guernica" (1950) et "Les statues meurent aussi" (1953), il a réalisé un documentaire contemplatif et réflexif sur la vie et l'œuvre de Paul Gauguin. Le film se compose de plans plus ou moins rapprochés sur ses tableaux illustrés par un texte lu par Jean SERVAIS. Celui-ci est censé provenir du journal de Gauguin mais une partie a été écrite exprès pour le film. Inutile de préciser qu'en 12 minutes, il est impossible de tout dire et que le film développe donc un angle d'attaque précis, celui de l'artiste maudit, rejeté de son siècle et de son milieu, prix à payer pour établir un lien plus véridique avec le monde qui l'entoure et avec lui-même.

Tout d'abord le premier carton souligne que Gauguin n'était pas connu de son vivant, hormis de quelques initiés. Ensuite qu'il tout quitté (emploi, famille, amis, domicile) pour se consacrer entièrement à son art. Le prix à payer pour être libre et en harmonie avec lui-même étant le déracinement, la misère et la solitude. L'aspect sacrificiel de son choix est mis en évidence à travers ses peintures christiques alors que sa recherche d'authenticité est mise en lumière à travers un parcours artistique et géographique qui le mène de Paris à un village de pêcheurs bretons puis à Tahiti. En Bretagne, Gauguin qui vit au milieu des paysans s'attache déjà à renouer avec la part sauvage et primitive de son être: "quand mes sabots résonnent sur ce sol de granit, j'entends le son sourd, mat et puissant que je cherche en peinture". L'accomplissement de son art à Tahiti consume ses dernières forces: " Vaincu par la misère et la maladie, usé par la lutte sans merci que j'ai entreprise j'ai de telles souffrances qu'il m'est impossible de faire aucun travail soutenu. Si je ne peux plus jamais peindre moi qui n'est plus que ça, ni femme ni enfant, la mort n'est-elle pas cent fois préférable ?"

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L'année dernière à Marienbad

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1961)

L'année dernière à Marienbad


" Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance sont absorbés par des tapis si beaux, si épais, qu’aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille. Comme si l’oreille, elle-même, de celui qui s’avance, une fois de plus, le long de ce couloir, à travers ces salons, ces galeries, dans cette construction d’un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre où des couloirs interminables se succèdent aux couloirs, silencieux, déserts, surchargés par des corps sombres froids des boiseries, de stucs, des panneaux moulurés, marbres, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, encadrements sculptés des portes, enfilades de portes, de galeries, de couloirs transversaux qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés d’une ornementation d’un autre siècle. Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance… " Ainsi commence "L'Année dernière à Marienbad" un film aussi beau qu'énigmatique, issu de la fusion entre l'écriture du pape du nouveau roman Alain Robbe-Grillet et de l'un des plus importants représentants de la Nouvelle vague, Alain RESNAIS dont c'est seulement le second long-métrage. Néanmoins le film pourrait tout à fait s'intituler "Toute la mémoire des statues" tant il effectue la synthèse entre deux de ses précédents courts-métrages: "Toute la mémoire du monde" qui filme la bibliothèque nationale de France comme les circonvolutions labyrinthiques d'un cerveau et "Les statues meurent aussi" (1953) fondé sur l'animisme de la statuaire africaine.

Tout n'est en effet que labyrinthe et leitmotiv dans ce film-cerveau confinant à l'abstraction qu'est "L'année dernière à Marienbad". On se perd d'autant plus dans l'architecture et les jardins de l'immense hôtel que les plans vertigineux de perspectives tracées par les miroirs, couloirs, enfilades de portes ou de colonnes, d'allées aux arbres taillés ou de bassins en cascades ne cessent de revenir en boucle tout comme l'écriture qui ressasse sans fin les mêmes mots. Tout cette géométrie déroutante, close et répétitive a pour but d'installer une temporalité très particulière, hors du monde qui pourrait être celle du rêve. Cette dimension onirique est renforcée par des personnages aussi rigides et figés que des statues (leurs silhouettes uniformes dans le jardin font penser à celles de Folon ou de Magritte) et qui lorsqu'ils s'animent, répètent mécaniquement tels des robots les mêmes gestes ou les mêmes phrases souvent copiés sur ceux de leurs voisins. Cette facticité du comportement va de pair avec l'environnement en trompe l'oeil donnant à l'ensemble un caractère déshumanisé.

Deux personnages se détachent cependant de ce cadre fantomatique. Un homme, X (Giorgio ALBERTAZZI) et une femme, A (Delphine SEYRIG). Ils ne cessent de se perdre et de se retrouver dans le labyrinthe spatio-temporel construit par le film qui est aussi celui de leur mémoire (thème fondamental de la filmographie de Alain RESNAIS). L'homme cherche à persuader la femme qu'ils se sont déjà rencontrés "l'année dernière" à plusieurs endroits possibles. Mais elle lui résiste et dit ne pas se souvenir. Pour appuyer ses dires, il égrène des souvenirs très précis et même une photographie comme autant de pièces à conviction ou de morceaux d'un immense puzzle que le spectateur serait invité à reconstituer. Le nombre important de photographies conservées par la femme et le caractère répétitif des souvenirs laisse entendre en effet que cette entreprise s'est déjà produite plusieurs fois, qu'il y a eu plusieurs "années dernières" dans "plusieurs endroits" et qu'elles ont toutes échoué. Ce jeu de pistes laisse au spectateur la possibilité de forger plusieurs interprétations de cette histoire. L'homme qui contrairement aux pantins de cire qui peuplent le château est doté d'une conscience, d'une mémoire et d'une imagination peut vouloir échapper à la prison mentale de l'hôtel par le sentiment amoureux. Ce qui implique de fabriquer une femme à son image en l'humanisant. Statue parmi d'autres au début du film (sa posture le suggère fortement), la femme est de plus en plus vivante au fur et à mesure qu'elle se laisse toucher par le récit de l'homme au point que le film finit par épouser son point de vue à elle (c'est donc qu'elle est un être suffisamment autonome pour en avoir un). L'allusion finale au conte de Cendrillon (la chaussure, les 12 coups de minuit) laisse entendre que le temps leur est compté. Mais à l'inverse, on peut aussi voir cet homme comme un prédateur et la femme comme une proie. Les flashs mentaux récurrents peuvent être vus comme un traumatisme. En effet l'intrusion mainte fois répétées de l'homme dans sa chambre et ses réactions d'horreur font penser à un viol de même que la contamination de ses pensées en elle. Comme le nouveau roman et le cinéma de Alain RESNAIS sont très formalistes, on peut ajouter encore une autre sens à cette histoire, celle d'un personnage qui se rebelle contre le metteur en scène pour s'autonomiser, prendre le contrôle du film (les images contradictoires seraient alors l'expression d'une lutte de pouvoir) et s'en échapper à la fin.

Un film aussi abstrait, cérébral et froid en apparence ne fait pas penser a priori à du Alfred HITCHCOCK, pourtant son image apparaît brièvement à la dixième minute du film. C'est que Alfred HITCHCOCK qui est admiré par la Nouvelle vague dissimule son formalisme derrière des histoires divertissantes. Plusieurs de ses films ont pour point de départ des figures géométriques abstraites qui deviennent ensuite figuratives: la spirale de "Vertigo" (1958), les lignes de "La Mort aux trousses" (1959) ou de "Psychose" (1960). On peut ajouter que l'histoire de "La Mort aux trousses" (1959) ressemble à celle de Marienbad avec l'histoire d'un homme que l'on confond avec un fantôme et qui s'extrait d'un monde de simulacres en tombant amoureux.

Enfin "Shining" (1980) réalisé vingt ans après "L'année dernière à Marienbad" partage des caractéristiques avec lui, notamment l'hôtel-labyrinthe hors du temps et les flashs mentaux.

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Les Herbes folles

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (2008)

Les Herbes folles

Il m'a fallu 10 ans pour tomber amoureuse "Des Herbes folles". Le film m'avait dérouté au premier visionnage et c'est au fil du temps qu'il m'est revenu par bribes fulgurantes, finissant par former dans mon esprit un tout parfaitement limpide. Décalé, irréel et surréaliste (Luis BUÑUEL n'est pas loin, Magritte non plus si j'en juge par l'affiche), le film épouse la forme du rêve éveillé avec ses excroissances anarchiques comme le souligne son beau titre. Plus profondément encore, il suit la pure "logique" illogique du désir ce qui en fait aussi un retour aux sources de la fibre romanesque du cinéma où tout devient possible, y compris les idées les plus "folles". Il s'agit d'ailleurs d'une adaptation littéraire ce que rappelle la voix-off de Edouard BAER tout aussi hésitante et contradictoire que ne le sont les comportements des personnages du film. L'histoire est en réalité d'une simplicité confondante, celle d'une rencontre "fatale" entre une sorcière aux cheveux de feu (elle peut faire du bien avec son jardin des "hélices" comme du mal avec la fraise de son cabinet de dentiste) et un homme fantomatique (nimbé de lumière verte, comme Madeleine dans "Vertigo") (1958) que sa triste épouse (Anne CONSIGNY) tente de raccrocher à la vie en lui donnant des tâches ménagères concrètes à accomplir pour qu'il ne s'envole pas (ou ne déraille pas encore car il traîne un lourd passé derrière lui dont on ne saura rien sinon qu'il a perdu ses droits civiques et a des pensées meurtrières). Marguerite Muir (Sabine Azéma) est à la fois la descendante de Lucy Muir, la sublime héroïne de Joseph L. MANKIEWICZ et de l'aviatrice Hélène Boucher. Pourtant elle a peu à peu laissé tomber sa passion et s'est laisser enfermer dans la routine. Jusqu'à ce que Georges Palet (André DUSSOLLIER) ne découvre son portefeuille dans un parking. Une photo engageante, un nom évocateur, un diplôme d'aviatrice, il n'en fallait pas plus pour que son imagination ne s'emballe. C'est pourquoi il ne peut accepter qu'elle ne fasse que le remercier ("c'est tout"?) ou -comme son épouse- qu'elle ne fasse que s'inquiéter pour lui ("Alors vous m'aimez?"). Les paroles de Georges sont d'autant plus déconcertantes qu'elles semblent tout droit sorties de son inconscient, sans l'ombre du moindre filtre social. Marguerite met donc du temps à embrayer et prend peur dans un premier temps (ce qui est parfaitement normal) mais lorsqu'elle accepte de le voir pour la première fois à la sortie d'un cinéma (une scène nocturne magnifique, filmée comme du WONG Kar-Wai), elle a la même "révélation" sur lui que lui sur elle. C'est que leur histoire est faite pour un écran/écrin de cinéma et lui seul avec les pas de danse désaccordés du "tu me suis, je te fuis, tu me fuis, je te suis" qui alimentent le manque et donc le désir, le baiser filmé sur fond de jingle MGM avec le mot "fin"... mais dans un film d'aujourd'hui, il ne peut plus être le climax. Il y a donc ensuite une séance de haute voltige qui sert de métaphore sexuelle à partir d'un acte manqué particulièrement suggestif (une braguette ouverte!) Cette histoire de mort (petite et grande) et de résurrection (la sève monte tellement en Georges Palet qu'il ne peut plus fermer son pantalon, cette verdeur nouvelle n'ayant plus rien à voir avec la lumière cadavérique qui le nimbait jusque là) laisse entendre que la vie n'est qu'un grand cycle, une histoire toujours recommencée (les premières et dernières images du film le soulignent d'ailleurs). 

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Mélo

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1986)

Mélo

De ses origines boulevardières, "Mélo" a gardé un dispositif théâtral (livret, rideau rouge, décor extérieur factice) et son titre qui fait référence au drame populaire. Mais Alain RESNAIS a transformé la pièce vaudevillesque de Henri Bernstein en tragédie dans le prolongement de "L Amour à mort" (1984). Il est courant d'opposer les deux films mais ce que je vois, c'est surtout la continuité. Pas seulement parce que Alain RESNAIS réemploie le même quatuor de comédiens mais parce que les thèmes abordés et surtout la manière de les mettre en scène sont fondamentalement les mêmes. La passion amoureuse symbolisée par le bouquet de roses rouges débouche sur le suicide de Romaine, l'héroïne (Sabine AZÉMA). Se consumant dans l'adultère, elle fait l'objet d'un interdit qui en accroît l'intensité tout comme le caractère mortifère. De plus à l'exception de Christiane joué par Fanny ARDANT (mais que l'on voit peu), les personnages ont des caractères infantiles assez marqués. Romaine ressent le besoin d'échapper à son époux Pierre (Pierre ARDITI) qui ressemble à un petit garçon aux besoins tyranniques mais elle-même se comporte de façon capricieuse et puérile. On comprend d'emblée pourquoi le couple ne peut avoir d'enfant puisqu'ils en sont encore à faire des "piou-piou", "culbutes" et autres "poum-poum" en guise de jeux (?) Leur ami Marcel (André DUSSOLLIER) n'est pas en reste en terme d'immaturité. Son addiction aux amours malheureuses cache un féroce narcissisme que Resnais révèle lors du monologue où il prend ses états d'âme pour objet mais surtout lorsqu'il formule ses exigences envers Romaine qu'il contribue ainsi à pousser au suicide. Tous rêvent de fusion et ont une peur bleue de la séparation comme s'ils n'avaient jamais coupé le cordon.

C'est dans ce film que je me suis rendue compte à quel point Alain RESNAIS avait un talent incroyable pour filmer les voix des acteurs. Le monologue de 10 minutes de André DUSSOLLIER est d'autant plus prenant que la caméra le serre et l'isole, mettant en valeur aussi bien les expressions de son visage que les moindres nuances de sa voix dont il fait ressortir la musicalité particulière. De quoi faire vibrer le spectateur à l'unisson du visage fasciné de Romaine. Dans le même esprit je recommande la déclaration d'amour de Lionel à Célia dans "Smoking" (1992) où la caméra s'envole vers le ciel en osmose avec le lyrisme de la voix de Pierre ARDITI: frissons garantis. Car la passion amoureuse, c'est peut-être puéril mais c'est beau à en mourir.

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L'Amour à mort

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1984)

L'Amour à mort

Il peut être dur d'entrer dans un film aussi austère et formaliste, janséniste diront certains, bergmanien diront d'autres plus justement car il est baigné de culture protestante. Mais quand on y arrive, on est largement récompensé tant derrière son apparente aridité, ce film est riche et puissant.

Dans une scène du film, Simon (Pierre ARDITI) qui parie avec Elisabeth (Sabine AZÉMA) à pile ou face lance une pièce de monnaie mais celle-ci reste suspendue dans les airs en tournoyant sur elle-même comme si le temps s'était arrêté. C'est une métaphore du film lui-même. Parce qu'il fonctionne de façon binaire et suspend le vol du temps. Au niveau du symbolisme des couleurs, le rouge de la passion et le noir funèbre dominent largement les débats. Mais surtout le film est construit sur une alternance de piles (des instants de "vie") et de faces (des plages musicales composées par Hans Werner HENZE sur fond d'écrans noirs parfois striés de blanc par les flocons de neige qui tombent) un peu comme les touches noires et blanches d'un piano. En dépit du montage particulièrement tranchant, il n'y a pas de rupture entre la vie et la mort mais un continuum, la musique étant conçue pour commencer à l'endroit exact où se termine la voix de l'acteur (tout comme le titre "L'Amour à mort" fonctionne comme un tout indissociable).

L'amour dont il est question dans le titre est en effet indissociable de la mort. Il s'agit de l'histoire d'une passion fusionnelle, cette forme d'idéal romantique mortifère à propos duquel Garance- ARLETTY dans "Les Enfants du Paradis" (1943) disait "c'est dans les livres qu'on aime comme ça, et dans les rêves, mais pas dans la vie !" Et pour cause puisque ce désir d'union absolue ne peut s'atteindre que dans la mort (dont la variante brève, la "petite mort" est montrée plusieurs fois)… ou par la sublimation de l'art qui arrache des fragments d'éternité au flux continuel de la vie. "L'Amour à mort" comporte une évidente dimension réflexive. Il met en scène deux types de relations amoureuses: l'Eros, la forme passionnelle, brève et violente de l'amour incarnée par Simon et Elisabeth et l'Agapé, la forme apaisée de l'amour au long cours incarnée par Judith et Jérôme les pasteurs protestants (Fanny ARDANT et André DUSSOLLIER). Ils permettent d'introduire également une dimension spirituelle où ces deux formes d'amour se retrouvent. Alors que Elisabeth n'a de foi qu'en son amour pour Simon qui la pousse à le rejoindre dans la mort, Judith et Jérôme ont la foi religieuse qui les motivent à répandre l'amour de Dieu autour d'eux dans le monde des vivants sans rien attendre en retour.

Réflexion très riche sur l'amour, la mort, l'art et la foi, "l'Amour à mort" comporte aussi une réflexion sur le temps. Ainsi Judith a connu avec Simon l'amour-passion qui l'a conduite au bord du suicide, une expérience propre à l'adolescence dont elle a fait le deuil pour devenir adulte. Simon lui n'a jamais dépassé le stade de l'adolescence (on pourrait même dire celui de la petite enfance où le désir d'union fusionnelle avec la mère est très fort, Garance dit d'ailleurs à Baptiste qu'il parle comme un enfant juste avant la citation que j'ai rappelée plus haut). C'est pourquoi il a échoué à ressentir l'amour Agapé avec son ex-femme et ses enfants et n'a eu aucun mal à les quitter lorsque lui a été donner l'occasion de replonger dans sa "drogue" avec Elisabeth. Sombre et torturé, Simon ressemble à un mort-vivant (Pierre ARDITI s'est d'ailleurs considérablement amaigri pour coller à la peau du personnage). C'est ainsi qu'il nous est présenté puisqu'il revient littéralement d'entre les morts après une attaque qui l'a fait basculer brièvement de l'autre côté (analogie frappante avec l'art qui a une dimension vampirique). Quant à Elisabeth, elle incarne le côté solaire de cette passion, sa foi l'illuminant de l'intérieur. C'est pourquoi Judith, contrairement à Jérôme qui a moins d'expérience personnelle se refuse à la juger et à condamner son geste. Et ce d'autant plus qu'elle considère le sacrifice de Jésus comme une forme de suicide, sa condamnation par l'Eglise n'étant qu'un moyen de contrôler les corps et les âmes des fidèles.

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