Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #realisatrices tag

Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

Publié le par Rosalie210

Kinuyo Tanaka (1955)

Maternité éternelle (Chibusa yo eien nare)

Maternité éternelle  

Kinuyo TANAKA est l'un des nombreuses victimes de la transmission sexiste de l'histoire des arts. Alors que ses compatriotes des années 50 pour lesquels elle a joué Kenji MIZOGUCHI principalement mais aussi Yasujiro OZU notamment pour "Fleurs d équinoxe" (1958) sont reconnus en occident comme des piliers de l'âge d'or du cinéma japonais depuis des décennies (Ozu n'a cependant reçu la consécration mondiale que dans les années 70) il a fallu attendre 2022 pour que les six films qu'elle a réalisé entre 1953 et 1962 soient enfin projetés lors des festivals Lumière (dans la section créée en 2013 spécialement réservée aux femmes cinéastes) et cannois. Avec cette accroche risible: "Quand l'actrice de Mizoguchi et de Ozu devient une immense réalisatrice" alors qu'il aurait fallu écrire "Quand cette grande cinéaste de l'âge d'or du cinéma japonais obtient une reconnaissance institutionnelle internationale 45 ans après sa mort."

"Maternité éternelle", son troisième film dont le titre français est un contresens (il signifie "Féminité éternelle" ou "les Seins éternels") raconte l'histoire vraie d'une poétesse morte à 31 ans des suites d'un cancer du sein. Prenant pour point de départ l'imagerie presque "cliché" de l'épouse et de la mère nippone soumise à un mari absolument odieux, il prend ensuite un tournant inattendu. D'abord il explicite assez rapidement les raisons profondes de la haine que son mari lui voue: Fumiko s'adonne à une riche activité littéraire dans un club de poésie que son mari qui souffre visiblement d'un complexe d'infériorité ne supporte pas. Il l'humilie donc de toutes les façons possibles jusqu'à ce que cette dernière qui le surprend avec une autre ne craque et demande le divorce. On pourrait penser que cet acte marque le début d'un nouveau départ mais la réalité est bien plus complexe. Fumiko doit céder la garde de son fils à son mari et surtout, elle se découvre rongée par un cancer qui la prive d'abord des attributs de sa féminité (les seins) avant de la condamner. De façon tout à fait paradoxale, la maladie qui l'enferme dans une chambre d'hôpital la libère aussi. Libération par l'écriture poétique, par la reconnaissance littéraire qui advient quand elle tombe malade mais surtout libération des carcans moraux et sociaux qui lui permettent de sortir du refoulement et de connaître les moments les plus heureux de sa vie en exprimant et concrétisant ses sentiments amoureux et ses désirs sexuels. Kinuyo TANAKA colle à son héroïne en se permettant une franchise tant dans les mots que dans les situations peu courante à l'époque: Fumiko prend un bain là où l'homme qu'elle aimait et qui est mort sans que cet amour ne soit avoué avait l'habitude de prendre les siens. Fumiko avoue ses sentiments à sa veuve et l'oblige à regarder sa poitrine mutilée comme une ultime preuve que cet amour étouffé l'a détruite. Fumiko prend le journaliste qui vient à son chevet pour amant et Kinuyo Tanaka n'hésite pas à filmer l'intimité meurtrie de la jeune femme (les seins sur le point d'être coupés, les prothèses...) Enfin, parmi les escapades qui permettent à celle-ci de trouver son inspiration créatrice, il en est une qui nous marque plus que les autres et annonce sa fin car elle aboutit à un lieu condamné par un grillage: la morgue. Ainsi, la réalisatrice parvient à réunir dans un même élan le désir et la mort, l'un se nourrissant de la proximité de l'autre pour dresser le portrait d'une femme fauchée en pleine jeunesse mais à qui ce cruel destin a aussi donné le courage de s'émanciper.

Voir les commentaires

Hannibal Hopkins & Sir Anthony

Publié le par Rosalie210

Clara Kuperberg, Julia Kuperberg (2020)

Hannibal Hopkins & Sir Anthony

Le début des années 90 correspond au moment où j'ai commencé à fréquenter les cinémas art et essai. C'est justement à ce moment-là que Anthony Hopkins est devenu célèbre pour son interprétation de Hannibal Lecter dans "Le Silence des Agneaux". Mais je suis bien d'accord avec lui, ce n'est pas sa plus grande interprétation. Sa plus grande interprétation, celle qui en dit le plus sur lui est celle du majordome Stevens dans "Les Vestiges du jour" sorti en 1993. La même année sortait "Les Ombres du coeur" de Richard Attenborough (qui avait déjà fait tourner Anthony Hopkins à la fin des années 70 dans "Magic") et dans lequel son personnage était un prolongement de celui du majordome Stevens. J'ai dû aller voir ce film au moins trois fois au cinéma et c'est aussi à cette époque que j'ai acheté un grand poster de l'affiche anglaise de "Les Vestiges du jour" tout en me plongeant dans le roman de Kazuo Ishiguro. A cette époque, le cinéma représentait pour moi ce qu'il représentait pour Woody Allen dans ses films des années 80: un refuge dans lequel Cecilia venait sécher ses larmes et oublier sa triste vie dans "La rose pourpre du Caire" et Mickey retrouver goût à la vie devant "La Soupe aux Canards" après avoir frôlé le suicide dans "Hannah et ses soeurs". J'avais instinctivement reconnu en Anthony Hopkins des problématiques qui étaient aussi les miennes et qui sont sans cesse évoquées dans le portrait que Arte diffuse jusqu'en janvier 2023: la sensation d'être coupé du monde et des autres, de venir d'une autre planète et d'être incapable de communiquer avec son environnement d'origine ("je ne comprenais rien à ce qu'on disait"), la solitude, les difficultés d'apprentissage et le harcèlement scolaire, le manque de confiance en soi, la nécessité de l'exil face à l'incapacité de s'intégrer ("Je ne supportais plus le théâtre anglais, je ne m'y sentais pas à ma place (...) quand je suis arrivé en Californie c'était comme être sur une autre planète. Les gens semblaient appartenir à une espèce différente (...) Comment peux-tu vivre ici? C'est comme vivre sur la lune. J'ai dit que c'est très bien, je me plaît ici."), un déracinement géographique mais aussi social, Anthony Hopkins étant un transfuge de classe (son père était boulanger, lui a été anobli). Les difficultés sociales et relationnelles d'Anthony Hopkins qui l'ont poursuivi toute sa vie sont bien résumées par Jodie Foster qui raconte qu'elle le fuyait parce qu'il lui faisait peur avant d'apprendre à la fin du tournage de "Le Silence des Agneaux" que lui aussi avait peur d'elle. Dommage que le film qui date de 2020 soit déjà daté. Il ne peut évoquer le rebond actuel de sa carrière à plus de 80 ans (nouvel Oscar pour "The Father", rôle dans le dernier James Gray) et fait l'impasse aussi sur le fait qu'il a été diagnostiqué comme étant atteint de troubles autistiques à plus de 70 ans ce qui rend évident l'ensemble des manifestations de son mal-être en société ("je ne suis pas grégaire du tout, j'ai très peu d'amis, j'aime beaucoup la solitude, je préfère ma propre compagnie") et de sa difficulté à en déchiffrer les codes ("Je suis naïf et facilement dupé, c'est ma principale faiblesse").

Voir les commentaires

Mina Tannenbaum

Publié le par Rosalie210

Martine Dugowson (1993)

Mina Tannenbaum

J'avais beaucoup entendu parler de "Mina Tannenbaum" à sa sortie. Force est de constater qu'aujourd'hui il est un peu oublié, sans doute parce qu'il a mal vieilli. C'est en tout cas l'impression que j'ai eu en le regardant. Il y a évidemment les deux actrices qui crèvent l'écran, Elsa ZYLBERSTEIN et Romane BOHRINGER auxquelles il faut rajouter une cousine hors-sol commentant leurs faits et gestes qui est devenue également célèbre, Florence THOMASSIN. Mais autour d'elles, force est de constater que c'est un peu le désert: personnages secondaires inconsistants, environnement qui manque de vie, passage du temps abstrait (leurs looks improbables n'aident pas et comme il y a peu de choses autour, on a du mal à se situer) et même au final une certaine difficulté à nous faire ressentir le poids de leurs origines familiales et culturelles dans leurs existences alors que c'est censé être essentiel. Tout cela fait que je me suis assez vite désintéressée de leurs petits problèmes amoureux (tous leurs Jules sont insipides à part celui joué par Jean-Philippe ÉCOFFEY qui avait un vrai potentiel mais hélas sous-exploité) aussi bien que de leurs ambitions professionnelles ou artistiques. En résumé, le talent et le charisme des actrices dissimule un film anémique. Lorsque des séquences entières sont occupées par des citations musicales ou cinématographiques restituées telles quelles, ce n'est en général pas bon signe. L'étendard qu'il a pu constituer pour une partie des jeunes filles de l'époque a dissimulé sa pauvreté intrinsèque.

Voir les commentaires

Quelque part quelqu'un

Publié le par Rosalie210

Yannick Bellon (1972)

Quelque part quelqu'un

Le premier film de Yannick BELLON a pour titre un poème de Henri Michaux "Quelque part quelqu'un". Il est lui-même construit comme un poème avec des refrains et des couplets ou comme une partition musicale avec des choeurs et des solos. Les choeurs, ce sont d'innombrables plans de foule dans les rues de Paris parmi lesquels se détachent les quelques solistes qui vont faire vibrer les cordes de cette oeuvre profondément mélancolique sur la solitude des grandes villes en voie de deshumanisation accélérée. Les refrains, ce sont les tout aussi innombrables travellings faisant défiler les extérieurs et les intérieurs parisiens sur une musique funèbre de George DELERUE inspirée du requiem de Ligeti (que l'on peut entendre aussi sur "2001 : l odyssée de l espace") (1968). Il y a en effet du cauchemar dans cette succession de façades lépreuses parfois murées, parfois écroulées, dans les grands ensembles sans âme qui les remplacent, dans l'anonymat des foules noyées dans la mécanique des transports en commun ou les rangées de table de travail. Car le film de Yannick Bellon est aussi politique. En témoigne ce passage on ne peut plus prémonitoire sur le devenir des quartiers HLM: "voulez-vous que je vous dise comment tout cela va se terminer dans la réalité? Par un quartier sinistre, bien morne et tristement réglementaire. Avec de pauvres bougres parqués dans des surfaces minimales aux prises avec des moyens de transport hasardeux. Le tout pataugeant dans la bouillasse pendant des années de chantier (...) Un délabrement précoce guette l'ensemble, vu les matériaux utilisés (...) De toutes façons le concours est truqué (...) Soyons réalistes, tout ça se résume à un problème de rentabilité." "Quelque part quelqu'un" rejoint ainsi la liste des films de grands cinéastes des Trente Glorieuses pressentant les conséquences délétères de l'urbanisme moderne, de Jean-Luc GODARD à Jacques TATI en passant par Maurice PIALAT. Face à la catastrophe annoncée, certains se résignent comme le couple de petits vieux expropriés et faute de moyens financiers, obligé de s'exiler en banlieue. D'autres noient leur mal-être dans l'alcool à l'image de Vincent joué par un extraordinaire Roland DUBILLARD que sa compagne architecte (jouée par Loleh BELLON, la soeur de Yannick) tente d'aider. Le couple est inspiré de celui que formait Yannick Bellon avec Henry Magnan. Enfin d'autres décident de fuir le plus loin possible à l'image d'un étudiant en ethnologie à qui l'on offre la possibilité d'aller en Equateur. A travers les déambulations au milieu d'une brocante, au muséum d'histoire naturelle ou au jardin des plantes, la rencontre avec Claude Levi Strauss (dans son propre rôle) et la présence de Loleh Bellon, le film fait écho à un autre splendide poème cinématographique de la réalisatrice consacré aux transformations de Paris, "Jamais plus toujours" (1976).

Voir les commentaires

Wild Man Blues

Publié le par Rosalie210

Barbara Kopple (1997)

Wild Man Blues

"Wild man blues" est un documentaire sur Woody ALLEN sorti dans la foulée de "Harry dans tous ses états" (1996) à l'occasion de la première tournée européenne du cinéaste-clarinettiste et de son groupe de jazz "The New Orléans Jazz Band" dirigé par Eddy Davis. On reconnaît les sonorités indissociables des films du cinéaste dans le répertoire du groupe qui rappelle à notre bon souvenir la passion que Woody Allen voue au jazz depuis son enfance (comme expliqué dans le film, il l'écoutait à la radio, une époque à laquelle il a rendu hommage dans "Radio Days") (1986) au point qu'il a pris son surnom en hommage au clarinettiste Woody Herman.

Ce préambule établi, il faut tout de même souligner que s'il n'avait pas été un cinéaste majeur, son activité musicale serait restée cantonnée au domaine d'un passe-temps privé. On se doute que c'est ce qu'il représente bien plus que la qualité réelle de ses prestations musicales (sympathiques mais tout à fait anecdotiques) qui attire les foules dans les salles de concert où le groupe se produit. De fait, les séquences musicales du film sont assez longuettes et répétitives. Heureusement, il n'y a pas que cela. Ce que le film offre de plus intéressant, outre les traits d'humour, c'est la mise en évidence de l'importance que le déracinement joue chez un cinéaste intellectuel plus apprécié en Europe que "chez lui" (le film rappelle combien ses films introspectifs ont mieux marché sur le vieux continent) et qui se sent écartelé entre les deux mondes sans appartenir pleinement à aucun d'entre eux. On découvre également que ce déracinement est culturel et sociologique. Woody ALLEN tout comme sa femme, Soon-Yi* semblent inadaptés aux hôtels luxueux qu'ils fréquentent. Cela m'a rappelé une blague cruelle et douteuse (comme la plupart) de Laurent Gerra à propos de Céline Dion et de René Angelil dans leur palace en Floride "deux bouchers ayant gagné à la loterie". Mais c'est surtout la séquence de fin chez les parents de Woody Allen (très âgés mais encore en vie au moment du tournage) qui apporte un éclairage sur l'écartèlement identitaire d'un cinéaste "mondialisé" alors que sa mère aurait voulu qu'il épouse une juive et devienne pharmacien.

* Soon-Yi Prévin, d'origine sud-coréenne est la fille adoptive de Mia Farrow et André Prévin qui l'ont tous deux reniés (et réciproquement) après la révélation en 1992 de sa liaison avec Woody Allen alors le compagnon de Mia Farrow. La différence d'âge avec Woody Allen autant que leurs liens familiaux a créé le scandale, entretenu depuis par la guerre que se font les deux ex et leurs enfants autour d'accusations de maltraitance sur fond de climat incestueux.

Voir les commentaires

Petite Solange

Publié le par Rosalie210

Axelle Ropert (2022)

Petite Solange

Etrange film qui parle d'une adolescente d'aujourd'hui confrontée au divorce de ses parents par le biais d'un mouvement du passé, celui de la nouvelle vague. Sont ainsi cités François TRUFFAUT ("Les Quatre cents coups" (1959) surtout, de la psy pour enfant à l'image arrêtée du dernier plan), Jacques DEMY (du passage Pommeraye à Nantes à la boutique de parapluies et jusqu'au prénom "démodé" de l'héroïne, Solange qui fait la paire avec son père joué par Philippe KATERINE ^^) et même Alain RESNAIS (la fin de Romaine dans "Mélo" (1986), c'est sans doute un pur hasard mais le frère de Solange dans le film s'appelle Romain). Outre cet aspect suranné, le film ouvre des pistes sans les creuser (par exemple les tentatives de Solange pour attirer l'attention ou s'émanciper apparaissent dérisoires tant la jeune fille issue d'un milieu aisé est propre sur elle. On est aux antipodes de "Moi, Christiane F., 13 ans, droguée, prostituée...") (1981) et d'autre part se répète beaucoup (que de plans sur le visage de la jeune fille noyée dans sa mélancolie ou bien sur celui, indéchiffrable de son frère ou encore de sa mère jouée par Léa DRUCKER fondant en larmes après avoir essayé de sourire!) Le résultat n'est pas désagréable d'autant que la petite Jade SPRINGER a une présence gracile à la Audrey HEPBURN mais m'a semblé somme toute assez insignifiant et mou du genou. En tout cas il renvoie tellement à un passé révolu qu'il ne renouvellera pas le genre du teen-movie.

Voir les commentaires

Revoir Paris

Publié le par Rosalie210

Alice Winocour (2022)

Revoir Paris

"Revoir Paris" c'est le "diamant dans le trauma" pour reprendre l'expression du film. Pour comprendre cette expression et la philosophie qu'elle véhicule, on peut se replonger dans "Un merveilleux malheur", le livre de Boris Cyrulnik sorti en 2002 qui popularisa la notion de résilience en soulignant que le malheur n'est jamais pur, pas plus que le bonheur*. Et pour cause, comment saurions-nous que nous sommes heureux si nous n'avons jamais souffert et vice-versa. Or avant de devenir une rescapée, une survivante, jamais Mia (Virginie EFIRA) ne s'était posé cette question du bonheur. Mais son stress post-traumatique qui se traduit par une amnésie partielle et des fragments de souvenirs récurrents qui s'invitent dans son présent dès qu'un stimulus vient les déclencher (un couloir, un gâteau d'anniversaire, une averse) l'empêche de reprendre une vie normale. Mia ne peut plus faire semblant tant elle ne cesse d'être ramenée à la soirée qui a fait basculer sa vie. Ne peut plus faire semblant par exemple de vivre avec un compagnon qui l'a planté en plein dîner au restaurant peu avant le drame sous prétexte d'une urgence alors qu'en revanche, un autre homme, Thomas (Benoît MAGIMEL) en décalage lui aussi avec le bonheur auquel il est sensé participer ce soir-là (sa fête d'anniversaire) lui a lancé un regard pénétrant -presque entendu- dans la brasserie où elle s'était abritée de la pluie juste avant l'attaque. Nul doute qu'il avait noté sa solitude, sa tristesse voire sa détresse (l'encre de son stylo qui coule sur ses doigts alors qu'elle essayait d'écrire dans son carnet de travail). Thomas comme Mia a survécu, lui aussi bien amoché physiquement et psychiquement mais leur duo aux tempéraments complémentaires fonctionne parfaitement. Mia, telle la Mariée dans "Kill Bill : Volume 1" (2003) enfile son armure de guerrière avant de chevaucher sa moto en quête de ses souvenirs perdus que Alice WINOCOUR fait revenir par fragments alors que Thomas dont la mémoire est excellente mais dont la mobilité est réduite se soigne par l'humour. En dépit de leurs évidentes affinités, leur rencontre ne pouvait se faire que sur le mode de la gueule cassée c'est à dire dans des chambres d'hôpital et au sein d'un groupe de victimes se réunissant régulièrement sur les lieux du drame, inspiré des attentats du Bataclan**. Parmi elles, la jeune Félicia (Nastya GOLUBEVA CARAX, la fille de Leos CARAX) symbolise la philosophie du film: une simple carte postale "léguée" par ses parents à laquelle elle n'aurait pas prêté attention dans d'autres circonstances l'amène à se plonger dans la contemplation des "Nymphéas" de Monet au musée de l'Orangerie. L'art, l'humour, le combat, autant de moyens de retrouver le chemin du monde des vivants auquel il faut rajouter un quatrième élément, le plus important, le lien fraternel qui circule désormais entre tous ceux qui ont vécu la même expérience. Un lien qui dans le cas de Mia prend valeur de quête initiatique. A la recherche d'un homme qui l'a aidé à survivre le soir du drame, elle s'aventure dans les bas-fonds de la société, au milieu des immigrés clandestins dont la survie est le quotidien et qui font aussi partie du paysage parisien, au pied même de la tour Eiffel mais qu'on ne remarque même pas. Jusqu'à ce qu'au seuil de la mort, on en découvre la valeur, celle du "diamant dans le trauma".


J'ajoute que dans ce beau film qui a la puissance de son évidence (au sens de sa justesse), un autre personnage joue un rôle clé: la ville de Paris, de sa vitrine huppée et touristique à ses arrière-cuisines les plus sordides.


* Boris Cyrulnik et Alice Winocour sont des survivants ou descendants de survivants de la Shoah.

** Le frère de Alice Winocour était au Bataclan le soir des attentats et a survécu.

Voir les commentaires

Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus

Publié le par Rosalie210

Sandrine Veysset (2021)

Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus

"Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus" est un documentaire qui a été diffusé sur France 3 en septembre 2021 et qui se situe dans le prolongement de "Annette" (2019), le dernier film de Leos CARAX. Il a été réalisé par Sandrine VEYSSET qui avait rencontré Leos Carax sur le tournage de "Les Amants du Pont-Neuf" (1991) alors qu'elle ne se destinait pas au cinéma. Il l'avait encouragée à transformer ses souvenirs d'enfance en un récit qui avait finalement abouti au remarquable "Y aura-t-il de la neige à Noël ?" (1996).

Comme son titre l'indique, le documentaire est consacré au travail des deux marionnettistes, Estelle Charlier et Romuald Collinet qui ont conçu et animé "Baby Annette" et ses nombreuses déclinaisons (selon l'âge et les émotions exprimées par son visage) à la demande de Leos Carax: « Annette ne pouvait pas être une vraie petite fille, ne pouvait pas être de la synthèse, ne pouvait pas être un robot. Alors que pouvait-elle être ? Un objet animé que je pourrais voir et filmer au milieu des acteurs et qu’eux pourraient toucher, enlacer. Un regard. Une marionnette. Ou une “mariannette”, comme on l’appelait. » Bien que très éloigné sur le fond de "Mary Poppins" (1964) ou de "Qui veut la peau de Roger Rabbit" (1988), "Annette" appartient en effet au monde des univers hybrides dans lesquels interagissent des acteurs de chair et d'os et des personnages animés. Une rencontre délicate. Outre un travail d'artisan et de technicien qui force le respect par sa minutie, sa patience, son amour du travail bien fait, on découvre l'ampleur des défis liés à l'intégration d'Annette dans un univers cinématographique, en particulier lorsqu'il est nécessaire qu'elle soit prise dans les bras: les teintes de peau doivent parfaitement correspondre. L'ingéniosité des marionnettistes pour lui donner vie est sans limite alors que eux-mêmes disparaissent dans des caches improbables et inconfortables dignes de R2D2 (l'intérieur d'une valise par exemple). Mais le résultat est digne d'un film qui est lui-même hors-normes: d'une grande poésie.

Voir les commentaires

Y aura-t-il de la neige à Noël?

Publié le par Rosalie210

Sandrine Veysset (1996)

Y aura-t-il de la neige à Noël?

A la frontière du drame social, du documentaire naturaliste sur le monde rural des années 70 et du conte, "Y aura-t-il de la neige à Noël?" est un film tout à fait atypique dans le paysage cinématographique français. Son histoire est elle-même digne d'un conte puisque la réalisatrice, Sandrine VEYSSET qui n'était pas issue du sérail et n'avait jamais pensé faire du cinéma a réussi à réaliser son premier film grâce à deux rencontres décisives. La première, avec Leos CARAX pour qui elle travaillait sur "Les Amants du Pont-Neuf" (1991) en tant que assistante-décoratrice et surtout chauffeur. Comme dans "Drive My Car" (2021), celui-ci l'écoute raconter son enfance et l'encourage à la transformer en récit. On mesure la fidélité de Sandrine VEYSSET à celui qui lui mis le pied à l'étrier au fait qu'elle a récemment réalisé "Baby Annette, à l'impossible ils sont tenus", le très beau documentaire sur la création et l'animation de la marionnette qui est au coeur de "Annette" (2019), encore un conte, décidemment! La deuxième rencontre décisive fut avec le producteur Humbert BALSAN qui fut le seul à lui laisser une liberté inconditionnelle pour la réalisation de son film, succès-surprise tant critique (prix Louis-Delluc, César du meilleur premier film) que public grâce à un excellent bouche-à-oreille.

"Y aura-t-il de la neige à Noël" frappe d'abord par la manière dont s'emboîtent harmonieusement deux genres a priori plutôt opposés: le réalisme documentaire décrivant un monde âpre fait de pauvreté et de pénibilité et une esthétique recherchée tant picturale (on pense par exemple à Millet et autres peintres de la ruralité) et photographique qui nous projette dans l'univers des teintes et des costumes des années 70. Il en va de même avec ce que raconte ce film, très proche du vécu des petites gens des années 70 mais en décalage avec le récit officiel, celui d'une modernité dont les personnages du film ignorent à peu près tout. Tout semble archaïque en effet dans le film, tant au niveau des conditions de vie que des moeurs comme si l'univers campagnard décrit par Sandrine VEYSSET n'avait pas évolué depuis l'époque féodale. On y voit en effet une mère célibataire et ses sept "bâtards" (un mot qui en dit long sur le fait que mai 68 n'avait pas atteint les campagnes, pas plus que la contraception ou l'avortement alors que le chiffre sept renvoie évidemment au conte de Blanche-Neige et des sept nains) trimer aux champs et à la ferme sous la houlette intermittente du patriarche tyrannique. Le film offre en effet un panorama édifiant du système patriarcal le plus opprimant qui n'a rien à envier à celui que l'on ne cesse aujourd'hui de dénoncer chez "les autres" (dans les anciennes colonies notamment ou dans les pays musulmans). Régnant sans partage sur un large domaine en seigneur et maître, le "père" (qui n'a pas d'autre appellation dans le film) est un séducteur compulsif du genre trousseur de domestiques, un polygame qui navigue entre ses deux familles, l'officielle et celle de l'une de ses boniches ramassée à l'assistance publique dont il a fait sa favorite mais qu'il engrosse à la chaîne pour l'enchaîner un peu plus à lui alors qu'elle est déjà totalement dépendante de son bon vouloir et doit subir ses crises de jalousie, sa goujaterie et sa radinerie (entre autres). Il se comporte pareillement envers ses enfants qu'il exploite tout en les privant (d'électricité ou de chauffage par exemple) sans parler de l'ultime preuve de son besoin de domination qui est l'attitude incestueuse qu'il adopte envers sa fille aînée lorsqu'il la surprend en train de s'amuser avec un jeune garçon extérieur à l'exploitation. C'est que dans l'imaginaire de ces tyrans domestiques, le besoin de contrôle est absolu: les seules personnes autorisées à travailler à la ferme en dehors de sa seconde famille sont les fils du premier lit, adultes mais totalement soumis eux aussi et des travailleurs agricoles marocains qui ne sont pas en position de réclamer quoi que ce soit.

Face au pouvoir absolu de cet homme qui apparaît également comme un ogre de conte de fées, la "mère" (elle aussi n'est appelée qu'ainsi) joue un rôle complexe. Débordante d'amour pour ses enfants, elle les protège autant qu'elle le peut et le talent de Sandrine VEYSSET à filmer la magie de l'enfance ainsi que l'aspect esthétique (une atmosphère chaleureuse issue de la lumière en été, de la féérie de noël en hiver) confère au film un aspect proprement merveilleux: jeux dans les bottes de paille, avec une ferme miniature ou dans la neige, légumes transformés en bateaux, trajet à l'école en groupe sous une bâche, chahuts le soir dans la chambre. Le père lui-même apprécie ponctuellement de s'immerger dans ce qui est un lieu de vie, de mouvement, de désir aussi, celui que la mère a toujours pour lui alors que l'ambiance dans sa famille officielle est celle d'un tombeau. Néanmoins, au fil des saisons qui s'assombrissent et de l'attitude de plus en plus oppressante du père, la vitalité de la mère est peu à peu asphyxiée ("de l'air" dit un de ses fils en voyant le père partir) au point d'envisager la mort comme seule issue et l'on mesure alors à quel point l'emprise de cet homme (économique, juridique mais aussi psychologique) est puissante ainsi que le fait qu'en dépit d'évolutions considérables, elle a encore de beaux restes de nos jours.

Voir les commentaires

La Cour

Publié le par Rosalie210

Hafsia Herzi (2022)

La Cour

"La Cour" est un téléfilm de Hafsia Herzi, actrice passée depuis quelques années à la réalisation mais qui s'essaie pour la première fois à une fiction pour le petit écran, celui d'Arte. Je l'ai regardé car le sujet m'intéresse particulièrement. En effet quand je veux expliquer ce qu'est la géopolitique c'est à dire un conflit de pouvoir pour un territoire, je prends souvent pour exemple la cour d'une école primaire et la façon dont l'espace y est réparti. Des garçons en occupent la plus grande partie à jouer au foot avec des cages occupant le centre de l'espace. Les filles sont reléguées sur les côtés et doivent raser les murs pour atteindre l'autre côté de la cour ou bien la traverser à leurs risques et périls, un peu comme on traverserait une autoroute au milieu de bolides lancés à pleine vitesse*. Cette inégalité spatiale n'a longtemps même pas été questionnée, c'était la norme, entérinée par les adultes (responsables de l'agencement de la cour). Les garçons se devaient d'avoir plus d'espace que les filles parce qu'ils en auraient besoin pour se dépenser alors que les filles seraient calmes par nature. Ces préjugés sexistes sont encore renforcés par les quelques filles qui jouent au foot avec les garçons (ce sont des garçons manqués, forcément) et par la minorité de garçons qui n'aiment pas le foot (des "petites natures" évidemment). De nos jours, les choses ont bien peu évolué, "la journée sans ballon" équivalent à "la journée de la femme", un moyen de se donner bonne conscience sans remettre fondamentalement en cause l'aspect structurel des inégalités. "La Cour" raconte comment la remise en question de cet ordre par une petite fille n'ayant jusque là pas été scolarisée débouche sur la déstabilisation de l'ordre établi, la remise en cause des rôles de chacun et une guerre entre enfants sous les yeux d'adultes dépassés qui minimisent ou banalisent la situation. Si les personnages sont bien écrits et bien interprétés, il est dommage que le terrain de jeu devenu terrain d'affrontement soit abandonné en cours de route. Le film aurait été bien plus fort en conservant son unité de lieu d'un bout à l'autre du film d'autant que la fin est bien trop gentillette. C'est à ce moment-là qu'on regrette que Hafsia Herzi n'ait pas été plus ambitieuse.

* Yves Lacoste, géographe et géopolitologue écrivait en 1976 que la géographie, ça servait d'abord à faire la guerre. Le film entérine complètement cette vision des choses. La cour est vue comme une "carte du monde" qu'il faut conquérir ou défendre. Le langage guerrier est omniprésent tout au long du film alors que la réalisatrice souligne combien chacun souffre au final de la place à laquelle il est assigné.

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 5 6 7 8 9 10 20 > >>