Deuxième documentaire des soeurs Kuperberg que je découvre après "Hannibal Hopkins et Sir Anthony" (2020), "Gentlemen & Miss Lupino" s'avère tout aussi passionnant. Le titre fait référence aux assemblées générales de la Directors Guild of America, le syndicat des réalisateurs de cinéma qui commençaient par la formule "Gentlemen and Miss Lupino" parce que sur les 1300 membres de l'organisation, elle était la seule femme. La raison de cette exception à la règle est très bien expliquée au début du documentaire. Lorsque le cinéma hollywoodien est devenu une industrie puissante au début des années 20 en se structurant au sein des grands studios les femmes qui étaient jusque-là nombreuses dans tous les types de poste ont été exclues de la production et de la réalisation des films, c'est à dire des postes de pouvoir. Le syndicat qui représentait les intérêts de l'industrie hollywoodienne a beaucoup fait pour en faire un club exclusivement masculin. Si Ida LUPINO a pu intégrer l'organisation en 1950, c'est en raison du succès de ses premiers films, réalisés de façon indépendante grâce à la fondation de son propre studio avec son mari de l'époque, Collier YOUNG. A l'origine, Ida Lupino ne souhaitait être que scénariste et productrice mais la défaillance cardiaque de Elmer CLIFTON sur le tournage de "Avant de t aimer" (1949) lui fit sauter le pas de la réalisation. En tant qu'actrice, elle était déjà une rebelle qui se faisait régulièrement suspendre parce qu'elle refusait de se plier aux diktat des studios. Le documentaire analyse ensuite ses films, en rupture avec le classicisme hollywoodien et qui par bien des aspects annoncent la nouvelle vague du cinéma français et indépendant US (la parenté avec John CASSAVETES m'a frappé, particulièrement dans "Le Voyage de la peur") (1953). Les thèmes traités, tabous pour l'époque sont également un défi posé à une Amérique alors au sommet de son modèle social conservateur dans lequel la femme ne peut exister que dans le rôle d'épouse et de mère au foyer. Le viol, la maladie, la grossesse non désirée, l'adultère viennent bousculer le conformisme ambiant. Enfin, le documentaire explique les raisons pour lesquelles Ida Lupino n'a réalisé que sept longs-métrages de cinéma, sa société ayant fait faillite prématurément suite à de mauvais choix de ses associés. Si elle a pu se reconvertir avec succès dans la réalisation d'épisodes de séries pour la télévision, son identité s'y est retrouvée noyée dans la masse et son travail pour le cinéma est sombré dans l'oubli, la réalisatrice n'ayant pas en dépit de son succès suscité d'intérêt auprès des médias et des spécialistes. Dernier point à souligner, outre les intervenants extérieurs qui apportent des éclairages sur ses films et son parcours, le documentaire est parsemé d'extraits de l'autobiographie (non traduite) de Ida Lupino, "Beyond the Camera" dans laquelle elle explique que pour se faire respecter du milieu masculin dans lequel elle travaillait, elle endossait le rôle de "Mother of all of us" (Notre mère à tous) qui était écrit en lieu et place de son nom sur son fauteuil de réalisatrice. Et elle pratiquait l'art de la suggestion plutôt que celui de l'injonction.
Arte diffuse durant six mois de janvier à juillet 2023 quatre films de Ida LUPINO. Pourtant à sa sortie en 1951, elle n'était même pas créditée à la réalisation de "Avant de t'aimer" dont elle avait écrit le scénario et qu'elle avait co-produit au sein de la société qu'elle avait créé avec son mari Collier YOUNG. C'est en effet Elmer CLIFTON qui devait initialement réaliser le film. Mais terrassé par une crise cardiaque, il dû arrêter le tournage au bout de trois jours et c'est Ida Lupino qui continua le film, devenant par là même réalisatrice sans l'avoir vraiment cherché.
Bien que les crédits du générique ne la mentionnent pas comme réalisatrice, le film porte profondément sa marque: un petit budget, des acteurs inconnus, des sujets de société sensibles, un tournage en décors naturels. Il s'agit en effet d'un drame social traité avec un réalisme presque documentaire qui trouve sa source d'inspiration du côté de Roberto ROSSELLINI, portant un regard critique sur la société américaine et observant avec lucidité les failles de la gent masculine. On y suit l'errance et le désarroi d'une très jeune femme, Sally Kelton qui est arrêtée pour s'être emparée d'un bébé qui n'était pas le sien. A l'aide d'un long flashback, Sally se remémore comment elle en est arrivé là. Menant une vie peu exaltante entre le café où elle est serveuse et la maison de ses parents conformistes chez qui elle habite encore et avec lesquels elle est en conflit (j'ai pensé à "La Fureur de vivre") (1955), elle se révolte en tombant follement amoureuse d'un pianiste instable et raté qu'elle décide de suivre mais qui l'abandonne après lui avoir fait un enfant. Sally échoue alors dans un foyer pour filles-mères. Désemparée et accablée de culpabilité, elle accepte de confier son enfant à l'adoption auprès d'une famille "modèle" ce qui ne fait qu'accentuer son désespoir de fille "perdue" dans une société puritaine qui traite les non-conformes en parias. Pourtant durant son périple, un homme lui a tendu la main mais c'est un mutilé de guerre au comportement encore enfantin que Sally ne prend d'abord pas au sérieux puis qu'elle fuit par honte alors que sa déshérence est semblable à la sienne ce que traduit formidablement la course-poursuite finale. Ida LUPINO trouve ainsi des idées de mise en scène percutantes comme celle du manège qui tourne de plus en plus vite, traduisant le vertige qui s'empare de Sally.
"Le Voyage de la peur" est le cinquième film de Ida LUPINO réalisé la même année que "Bigamie" (1953). Point commun: dans les deux cas, elle y dissèque le mal-être du mâle américain dans la société hyper-conformiste des années 50, un peu comme le fera une vingtaine d'années plus tard John CASSAVETES. Comme le cinéaste pré-cité, Ida LUPINO a été actrice et scénariste, un pied dans le système hollywoodien et l'autre en marge de celui-ci, d'où sa distance critique par-rapport au système tout en maîtrisant ses codes. "Le Voyage de la peur" est en effet un thriller et il est considéré comme le premier film noir réalisé par une femme, du moins aux USA. Comme chez John CASSAVETES, la crise existentielle des "Husbands" (1970) par rapport à leur quotidien étouffant se traduit par une errance et une perte de repères, y compris par rapport à la sexualité: les deux hommes sont tentés par la débauche dans des bars à prostituées à la frontière mexicaine et leur relation n'est pas sans ambiguïté (comme dans nombre de films de buddies). Mais leur voyage tourne mal lorsqu'ils prennent en auto-stop un serial killer, à croire que cette mauvaise pioche était inconsciemment préméditée (la culpabilité?).
Néanmoins, si les premières scènes de son film témoignent d'un sens assez magistral de la mise en scène (une série de plans brefs ne cadrant que les jambes du tueur et les silhouettes et les objets des victimes qu'il sème le long de sa macabre odyssée), la suite s'essouffle dans une série de scènes répétitives (la cavale du tueur et de ses otages d'un côté à voiture puis à pied dans le désert et la traque de la police des deux côtés de la frontière) qui finissent par émousser l'intérêt que l'on porte aux personnages et à l'intrigue. Ida LUPINO ne va en effet pas assez loin dans l'étude de caractères, que ce soit celle du tueur ou celle de ses otages. A force de s'amuser à les humilier et à les dresser l'un contre l'autre à longueur de temps, la dynamique entre le tueur et les deux hommes tourne au procédé dont le renversement final n'altère en rien l'aspect mécanique. Dommage car la gueule cassée (et flippante) du tueur traduit des souffrance que la réalisatrice ne fait qu'effleurer, son film ressemblant davantage à un exercice de style qu'à une odyssée pleinement humaine.
Imaginez la rencontre improbable de Yasujiro OZU (qui signe le scénario et "prête" son acteur fétiche, Chishu RYU) et de "Emma l'entremetteuse" de Jane Austen avec une Audrey HEPBURN japonaise dans le rôle principal. Le résultat est le deuxième film de Kinuyo TANAKA. L'intrigue est en effet un mélange des deux univers: Setsuko, la plus jeune d'une famille de trois filles vivant sous le toit d'un père veuf imagine un stratagème pour faire tomber sa soeur puinée, Ayako dans les bras de l'ami du beau-frère de sa soeur aînée, Chizuru, avec la complicité dudit beau-frère, Shoji. La perspicacité et l'ingéniosité que Setsuko déploie vis à vis des affaires sentimentales de sa soeur lui font cependant complètement défaut lorsque par un effet boomerang, la question lui revient dans la figure lorsqu'elle est confrontée à ses propres sentiments vis à vis de Shoji. Alors que dans la première partie du film, Setsuko se comporte comme une gamine de 13-14 ans (alors qu'elle en a 21) et entretient un rapport fraternel avec Shoji, leur relation se métamorphose dans la deuxième partie, de même que l'actrice qui semble prendre 10 années en quelques jours.
Si cette intrigue qu'on a parfois rapproché de Marivaux en raison notamment d'un dispositif assez théâtral de chassé-croisé sentimental ne semble pas très personnelle, elle reste agréable à suivre. Surtout, le film présente un autre intérêt: témoigner des transformations du Japon dans les années 50. La famille Asai est en effet aussi hétérogène que le film lui-même. Si les deux filles les plus âgées sont des japonaises traditionnelles, soumises, introverties jusqu'à être emmurées en elles-mêmes, Setsuko est au contraire complètement occidentalisée aussi bien dans son apparence que dans son comportement extraverti et primesautier. Dans un tout autre genre, elle fait penser à Mickey (un surnom ô combien révélateur) dans "La Rue de la honte" (1956). Il est permis cependant de douter que cette modernité survivra au mariage qui se profile dont les paramètres semblent relever du dispositif le plus classique.
Ida LUPINO est un énième exemple illustrant le livre de Titiou Lecoq sur l'effacement des femmes dans l'histoire. En effet il y a toujours eu des créatrices dans tous les domaines artistiques qui ont souvent oeuvré au coeur même de l'industrie du divertissement ou des institutions culturelles de leur pays, rencontrant même le succès mais elles ont été ensuite oubliées. Le mot "patrimoine" est lourd de sens puisqu'il est genré de manière a en exclure les femmes. La transmission des oeuvres d'art s'est donc effectuée durant des siècles de façon discriminante, celles des femmes étant effacées à de rare exceptions près, jusqu'à ce qu'une époque prête à faire plus de place aux femmes ne redécouvre leur héritage. C'est ce qu'il se passe depuis quelques années dans le domaine du cinéma. Après Alice GUY, Lois WEBER et d'autres pionnières comme Germaine DULAC, après Yumiko TANAKA, seule cinéaste de l'âge d'or des studios japonais dont l'intégrale est désormais visible en France, c'est au tour de Ida LUPINO, la seule cinéaste à avoir réalisé des films hollywoodiens dans les années 50 d'être mise à l'honneur par Arte jusqu'en juillet.
"Bigamie", son avant-dernier film résume parfaitement son cinéma. Le décorum hollywoodien y apparaît pour ce qu'il est, un mirage, lorsque les personnages visitent Beverly Hills dans un bus touristique et que le chauffeur égrène les noms des stars vivant dans les luxueuses demeures. Ida LUPINO préfère faire un pas de côté vis à vis de tout ce cirque afin de raconter les existences de gens ordinaires souvent meurtris incarnés par des acteurs peu connus (à l'exception d'elle-même et de Joan FONTAINE qui à l'image du film se sont partagées le même homme). De même, elle utilise les codes du film noir (secret, enquête, flashback, confession) pour raconter le drame d'un homme déchiré entre deux femmes qu'il aime profondément, au point de se mettre hors-la-loi en leur donnant le même statut marital (ce qui d'ailleurs est souligné dans le film: un adultère n'aurait eu aucune conséquence pénale alors que la bigamie met en péril le mariage, pilier de la société américaine). Au-delà de la l'aspect social et juridique, son film est surtout intimiste. Les portraits des trois personnages sont tellement fouillés qu'il devient impossible de les juger (d'ailleurs la sentence du tribunal à la fin du procès est occultée). La détresse de Harry face au mur que sa femme a dressé devant lui suite à la découverte de sa stérilité, leur fuite en avant dans le travail, la solitude et l'errance qui en résultent, la rencontre de Harry avec Phyllis, une femme fière mais aussi égarée que lui, l'éclosion de leur amour, tout cela est raconté avec beaucoup de sensibilité et d'empathie. Ida LUPINO prend le temps de développer les personnages et de nous faire partager ce qu'ils vivent de façon à nous faire ressentir la profondeur de leur tragédie étant donné que c'est leur sincérité dans leurs sentiments qui les met dans cette situation inextricable.
Première superproduction de Kinuyo TANAKApour un grand studio, la Daiei en couleur et en scope, "La Princesse errante" est aussi un de ses plus beaux films. Cependant si sa splendeur esthétique fait l'unanimité (décors, costumes, photographie), les critiques français ont été moins séduits par la façon dont Kinuyo Tanaka a abordé le genre de la fresque historique, lui reprochant un manque de souffle épique et de lisibilité des enjeux. En ce qui concerne ces derniers, je ne suis pas sûre que"Ben-Hur" (1959) ou "Le Docteur Jivago" (1965) soient plus faciles à comprendre pour une personne non-occidentale. Et quant au souffle épique, je ne pense pas que ce soit son propos. Davantage que le champ, Kinuyo Tanaka s'intéresse au contrechamp, celui des "femmes de" dans un style rappelant les mélodrames flamboyants de Douglas SIRK. Elle s'intéresse particulièrement au destin de la belle-soeur de l'Empereur du Mandchoukouo, cet Etat satellite du Japon créé en 1932 à la suite de l'invasion de la Mandchourie par l'armée japonaise et dissout en août 1945 peu avant la capitulation du Japon. Ryuko (Machiko KYÔ, star de la Daiei Studios) qui est issue de l'aristocratie accepte le mariage arrangé avec le frère de l'Empereur (qui est chinois) et l'exil alors qu'elle souhaitait devenir peintre: c'est le premier de ses nombreux renoncements. Son destin la confronte en effet à la solitude (si son mari l'aime, l'Empereur et l'armée se méfient d'elle) et à une succession d'épreuves lorsque la Mandchourie est libérée par l'URSS en 1945: déportation, emprisonnement, mort de plusieurs de ses proches, perte de ses biens les plus précieux. Et lorsqu'enfin Ryuko semble retrouver une vie plus sereine, elle est frappée par un drame plus terrible que tous les autres démontrant qu'elle ne pourra jamais s'ancrer quelque part. Tout au plus pourra-t-elle faire fleurir les graines que l'impératrice du Japon lui aura donné: on remarque en effet que le premier et le dernier plan se répondent. Le premier plan est un travelling vertical allant du haut vers le bas sur des branches chargées de feuilles mortes annonçant un très long hiver, le dernier un travelling vertical du bas vers le haut sur des branches en fleur annonçant le retour du printemps.
"Aristocrats" est le premier long-métrage de Yukiko SODE distribué en France. Il dépeint la persistance de traditions archaïques dans les hautes sphères de la société japonaise. Obsédées par leur reproduction sociale, elles exercent un contrôle étroit sur leurs enfants dans tous les aspects de leur vie. Ceux-ci se retrouvent donc enfermés dans un rôle depuis leur naissance et ne peuvent pas aspirer à avoir de vie propre. La réalisatrice s'attache à montrer que si les deux sexes sont victimes de ce système, les femmes le sont encore plus que les hommes, ces derniers ayant la possibilité d'avoir une (ou plusieurs) vies clandestines. C'est pourquoi, la réalisatrice démontre que c'est par les femmes que le système patriarcal japonais peut être remis en cause. Ainsi Hanako, la jeune fille de bonne famille qui sous la pression de sa famille finit par accepter un mariage arrangé se rapproche de Miki, une ex-hôtesse issue d'un milieu bien plus modeste qu'elle une fois qu'elle découvre qu'elle fréquente son mari Koichiro. Et elle découvre lors d'une cérémonie l'existence d'une femme bannie par la famille parce qu'ayant décidé de divorcer au prix du renoncement à élever son enfant, lequel reste la "propriété" du mari. Mais divorce ou pas divorce, la femme n'a a fait pas son mot à dire sur l'éducation et l'avenir de ses enfants, tout étant décidé à l'avance. Aussi après avoir subi la pression de sa famille pour qu'elle se marie, Hanako subit celle de sa belle-famille pour qu'elle tombe enceinte, sa belle-mère allant jusqu'à l'inscrire dans une clinique de fertilité. Mais c'est sur ce point précis que les pressions familiales atteignent leurs limites et même si cela n'est jamais explicité, Koichiro et Hanako semblent s'éviter le plus possible justement pour que cela n'arrive pas. Cela va dans le sens d'un Japon dont la démographie décline depuis vingt ans et de systèmes clos sur eux-mêmes (comme l'aristocratie britannique) qui faute de parvenir à se renouveler finissent par disparaître.
Le film de Yukiko SODE est donc d'un grand intérêt social et sociétal. Hélas la mise en scène qui manque parfois de rythme est trop calibrée, trop retenue, tout comme le jeu des des acteurs pour pleinement captiver.
"La nuit des femmes" est l'avant-dernier film de Kinuyo Tanaka qui bénéficia pour l'occasion des gros moyens des studios Toho: le chef-opérateur des plus grands films de Kurosawa et un format Cinémascope, le compositeur de "L'île nue" et une pléthore de vedettes nippones.
Le titre fait référence à "Femmes de la nuit", tourné en 1948 par Kenji Mizoguchi avec en vedette Kinuyo Tanaka justement. Elle y interprétait une jeune femme poussée par le chaos et la misère de l'après-guerre à se prostituer. Par conséquent "La nuit des femmes" est une sorte d'état des lieux de la prostitution et de son rapport avec la société japonaise 13 ans plus tard. Et le constat n'est guère glorieux. Le film se situe au lendemain de l'interdiction de la prostitution en 1956 qui entraîna la fermeture des maisons closes et la répression du racolage de rue. Les prostituées furent prises en charge par des maisons de réhabilitation qui ouvrirent dans la plupart des grandes villes. Leur mission était d'aider les anciennes prostituées à se réinsérer par le travail. Mais dans une société aussi rigide et bien-pensante que celle du Japon, cette réinsertion prend l'allure d'un chemin de croix pour la pauvre Kuniko qui est pourtant pleine de bonne volonté. Mais partout où elle va, dès que ses patrons ou ses collègues apprennent son ancienne condition, elle se retrouve rejetée, maltraitée, harcelée. Je n'ai pu m'empêcher de faire le parallèle avec Fantine dans "Les Misérables" qui cherche à gagner sa vie honnêtement mais qui est bannie de la société en raison de sa condition de fille-mère jusqu'à tomber dans la prostitution. Dans "La nuit des femmes", Kuniko est tentée de retourner à son ancienne condition mais elle subit aussitôt la répression policière. Sa situation semble donc sans issue. Cependant Kinuyo Tanaka évite la surenchère mélodramatique. Au contraire, elle aide (avec sa scénariste Sumie Tanaka) la jeune femme à sortir la tête haute des différentes épreuves qu'elle endure. Sa vengeance contre l'odieuse femme de l'épicier qui l'emploie est par exemple des plus cocasses. Et face à l'opprobre, elle interroge ouvertement le spectateur sur le bien-fondé des persécutions qui visent "le plus vieux métier du monde". Enfin, face à l'injustice, Kuniko trouve refuge et secours auprès d'autres communautés de femmes dont les ama, des pêcheuses en apnée qui m'ont fait penser aux filles de l'air qui recueillent la petite sirène lorsqu'elle est sur le point de se transformer en écume.
Kenji MIZOGUCHI est connu pour être le réalisateur de l'âge d'or du cinéma japonais le plus sensible à la condition féminine. Ce que l'on sait moins, c'est qu'il a travaillé avec les deux premières réalisatrices du cinéma nippon. "Lettre d'amour" est en effet le premier film de Kinuyo TANAKA qui a longuement collaboré avec lui en tant qu'actrice. Avant elle, Tazuko SAKANE avait elle aussi travaillé avec Kenji MIZOGUCHI notamment en tant que scripte et assistante-réalisatrice.
Dans ce premier film sorti en 1953 et dont l'action se déroule dans le Tokyo d'après-guerre, ce qui frappe d'emblée est son caractère néoréaliste. Ainsi de nombreuses scènes sont tournées en extérieur. On reconnaît le quartier de Ginza grâce au grand magasin d'angle art déco Wako achevé en 1932 et qui est un des rares bâtiments de Tokyo à avoir survécu à la guerre (il apparaît dans de nombreux films et c'est un des lieux de visite incontournable de la ville) et surtout celui de Shibuya. Bien qu'ayant changé du tout au tout (rien à voir entre l'aspect futuriste et high-tech actuel et celui de l'enchevêtrement d'échoppes et de bicoques de fortune de l'après-guerre que filme Tanaka, sinon son effervescence humaine), un repère permet de l'identifier, celui de la statue du chien Hachiko. Celui-ci est en effet célèbre pour avoir attendu quotidiennement et pendant près de dix ans son maître à la gare de Shibuya après la mort de ce dernier, jusqu'à son propre décès en 1935. La première statue en son honneur ayant été fondue pendant la guerre, une nouvelle fut érigée en 1948 et c'est celle-là que Kinuyo TANAKA filme longuement, en écho à l'histoire qu'elle raconte. "Lettre d'amour" ajoute en effet une couche de mélodrame à ce contexte âpre où pour survivre dans le chaos des années d'après-guerre, hommes et femmes vivant dans la précarité sont obligés de recourir à des expédients pas toujours honorables. Ainsi le personnage principal, Reikichi est un soldat démobilisé qui doit se résoudre à devenir écrivain public pour des femmes essayant d'extorquer par tous les moyens de l'argent à des G.I. dont elles ont été les maîtresses. C'est dans ce contexte qu'il retrouve son grand amour de jeunesse, Michiko à qui il est resté fidèle mais qui est devenue l'une d'entre elles. Reikichi tombe de haut car il a idéalisé Michiko. Blessé dans son amour-propre, il la repousse et la juge avec dureté ce qui change notre regard sur lui. Son frère et l'ami pour lequel il travaille, tous deux bien plus réalistes, débrouillards et tolérants essayent de le raisonner. Cette partie qui verse parfois dans la surenchère moralisatrice et mélodramatique est la moins réussie mais "Lettre d'amour" reste un premier film prometteur.
Oh non! Avais je pensé, consternée en voyant la bande-annonce. Ils n'avaient pas osé. Et bien si. Et sans la manière en plus, ne cherchant même pas à cacher le cynisme de l'entreprise d'exhumation d'une saga vieille de presque 20 ans. Ce n'était ni fait, ni à faire. Voilà ce que j'ai pensé en me décidant finalement à regarder cette consternante... quoi au juste? Suite? Reboot? Remake? Peu importe au fond. S'il y a quelque chose à retenir de ce film, c'est que les studios hollywoodiens pressent tellement leurs franchises comme des citrons qu'ils en arrivent à des summums d'absurdité. C'est d'ailleurs un cauchemar pour les auteurs de ces univers qui se retrouvent enfermés pour le reste de leur vie avec ces personnages à succès dont ils ne peuvent plus se débarrasser. C'est d'ailleurs je pense ce qu'a voulu maladroitement exprimer Lana WACHOWSKI (sa soeur ayant préféré jeter l'éponge) sous couvert de donner une vision méta au film. Ce qui créé une sensation de malaise, la réalisatrice ne cherchant nullement à cacher son mépris vis à vis de la Warner et de la soupe qu'elle se sent obligé de concocter pour eux et "les spectateurs-moutons" qui veulent toujours qu'on leur serve les mêmes recettes. De fait "Matrix: Résurrection" sent fort le cadavre réanimé à la manière des Inferi de Harry Potter (autre franchise Warner), notamment avec un Keanu REEVES qui semble se demander ce qu'il fait là. On se demande d'ailleurs ce que son personnage a fichu depuis 18 ans ainsi que celui de Carrie-Anne MOSS qui n'est guère mieux en point (et je ne parle même pas du passage-éclair de Lambert WILSON qui s'avère totalement ridicule). Mais eux aussi, ont-ils le choix? Le scénario de "Matrix Revolutions" (2003) les faisait mourir, la nouvelle les ressuscite. Si les acteurs refusent de revenir, on les remplace par d'autres et peu importe que ce ne soient que de pâles copies de Laurence FISHBURNE et de Hugo WEAVING. Ou bien, autre possibilité, on les recréé à l'aide d'effets spéciaux comme dans "Rogue One: A Star Wars Story" (2016). D'ailleurs, la dernière mouture de Matrix s'inspire du VIIe épisode avec une jeune génération de fans de Neo qui cherchent à lui prouver qu'il a changé le monde. Sauf que ces nouveaux personnages sont inconsistants tout comme le nouveau grand méchant, ennuyeux à mourir. L'histoire reprend en fait la trame du premier volet quasiment à l'identique sous une couche de complexification nébuleuse (l'échec à créer une intrigue qui se tient explique les abondantes images d'archives histoire de ne pas totalement perdre le spectateur) et les rares aspects qui auraient pu apporter une plus-value ne sont pas creusés (comme la nouvelle relation de coopération entre humains et certaines machines qui prennent des formes animales). Cette profonde médiocrité se ressent jusque dans les scènes d'action, brouillonnes et paresseuses sans plus rien de ce qui faisait la patte caractéristique de cet univers (car il n'y a pas qu'une partie du casting et l'une des réalisatrices qui a déclaré forfait, c'est le cas aussi du chorégraphe Woo-Ping YUEN, du chef-opérateur Bill POPE, du compositeur Don DAVIS ou du superviseur des effets spéciaux John Gaeta, bref les rats ont quitté le navire avant qu'il ne coule). Lana WACHOWSKI et Lilly WACHOWSKI avaient à l'origine des ambitions mais leur pacte avec le diable a finit par avoir leur peau (créatrice). Ceci étant, l'acte suicidaire de Lana WACHOWSKI a eu au moins une vertu: les spectateurs ont boudé un film qui les méprisait ouvertement ce qui semble être la seule manière aujourd'hui d'arrêter le massacre de l'art populaire (comme d'ailleurs pour les animaux fantastiques, autre saga à rallonge de la Warner mal fichue qui a contribué à ternir l'aura de J.W Rowling).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.