Autant ma première incursion dans le cinéma de Valerio ZURLINI avec "Le Professeur" (1972) m'avait laissé une impression mitigée, autant "La Fille à la valise" m'a profondément touchée. Les ingrédients sont pourtant les mêmes: une atmosphère particulière, souvent hors du réel, un contexte plutôt glauque, une histoire d'amour impossible. Mais alors que "Le Professeur" baignait dans un climat poisseux, décadent et nihiliste avec des personnages sinistres, "La Fille à la valise" est illuminé par deux acteurs rayonnant de vitalité, de jeunesse et de beauté: Claudia CARDINALE et Jacques PERRIN. Alors certes, le déterminisme social y est souligné à gros traits. Avec l'argent qui remplace les mots qui ne peuvent se dire, tirant la romance vers le commerce (la satisfaction des pulsions contre celle des besoins matériels). Avec la morale religieuse incarnée par un prêtre qui vient faire la leçon à Aïda (une fille-mère perturbant les études d'un adolescent bourgeois, ce n'est pas convenable). Mais posséder un tel prénom quand on est une jeune fille pauvre c'est vivre dans la contradiction permanente. Car lorsque Aïda descend l'escalier de la demeure où vit Lorenzo après avoir pris son bain (et symboliquement lavé ses impuretés), c'est sur la musique du célèbre opéra de Verdi: on entrevoit alors cet autre monde que cherche Aïda dans son éternelle errance et qu'elle parvient à toucher du doigt avec Lorenzo, trop jeune pour être encore vraiment corrompu, le temps de quelques parenthèses hors du temps. Le climax étant atteint lors d'une séquence d'intense proximité dans le désert (d'une plage) où les deux amoureux, magnifiquement photographiés se retrouvent dépouillés de leur masque social: ils sont alors juste beaux à pleurer dans une gémellité qui préfigure celle que sublimera Jacques DEMY dans "Les Demoiselles de Rochefort" (1966). Cette séquence se rapproche de la grâce des photos de "La Jetée" (1963) qui arrachait également au temps des instants d'éternité. Peu importe au fond que la pesanteur du réel avec ses désillusions, son amertume, son fatalisme social ne reprenne ensuite le dessus puisque ces moments auront existé et que le cinéma les aura fait passer à la postérité.
"Les Saisons" est le dernier documentaire animalier réalisé par le duo formé par Jacques PERRIN et Jacques CLUZAUD. Après les airs et les fonds marins, c'est la forêt (européenne) qui est au centre du film. Ne dérogeant pas aux principes qui ont guidé leurs précédents documentaires, "Les Saisons" se place du point de vue des animaux, l'homme n'occupant dans le film qu'une place très périphérique. Sa principale utilité est de permettre de mesurer le temps qui passe. En effet si la forêt (que l'on voit apparaître à la fin de l'ère glaciaire) semble obéir à des principes immuables (et cycliques, d'où le titre), l'évolution de l'homme joue le rôle d'élément perturbateur. Ainsi sur 1h30 de film, près d'une heure est consacrée au paléolithique, considérée comme la période la plus harmonieuse de cohabitation entre l'homme et la nature. Cela se gâte dès le néolithique avec les premiers défrichages puis avec la construction des routes qui segmentent le territoire des animaux*. Si Jacques PERRIN montre qu'une faune se développe dans paysages ruraux façonnés par l'homme, il passe très rapidement sur la période industrielle en dépit de quelques allusions aux dégâts écologiques de la première guerre mondiale ou aux ravages des pesticides sur les abeilles. Si l'on attend de la pédagogie ou bien des informations exhaustives, ce documentaire où les commentaires sont réduits au strict minimum (comme dans les autres films de Jacques Perrin et Jacques Cluzaud) ne pourra pas combler les attentes. En revanche, il est tout comme eux d'une grande poésie grâce notamment à des images d'une qualité exceptionnelle. Et il nous rappelle l'urgence à protéger ce monde qui avec le réchauffement climatique risque de disparaître de plusieurs régions françaises.
* Il est d'ailleurs intéressant d'établir un parallèle avec le sort réservé aux femmes. Dans le livre de Titiou Lecoq "Les grandes oubliées", celle-ci aboutit à la même conclusion que Perrin et Cluzaud dans "Les Saisons" en se basant sur les travaux de l'archéologue et préhistorien Jean-Paul Demoule: le Paléolithique (ère des chasseurs-cueilleurs plus ou moins nomades vivant dans la forêt et se partageant ses richesses) se caractérisait par une certaine égalité des sexes (les femmes chassaient aussi contrairement aux idées reçues) alors qu'avec le Néolithique apparaît la séparation homme-nature (les forêts ont désormais une lisière c'est à dire une frontière, là où commencent les champs et les premières villes) mais aussi la hiérarchie sociale (liée à la sédentarisation et à l'appropriation des terres) avec une explosion des inégalités et de la violence ce qui entraîne la relégation des femmes à l'arrière-plan au profit du culte du chef viril et guerrier.
Après "Le Peuple migrateur" en 2001, Jacques Perrin et Jacques Cluzaud se sont penchés sur la faune des océans, réalisant un documentaire selon les mêmes principes: des commentaires parcimonieux (tant mieux), laissant parler les images majoritairement sous-marines spectaculaires prises aux quatre coins du monde à l'aide de techniques et de caméras dernier cri alliant qualité de l'image, légèreté et maniabilité. Objectif, donner au spectateur un sentiment de proximité avec les 90 espèces filmées, parfois de façon inédite dans ce qui s'apparente à un ballet. Celui d'une vie grouillante, largement ignorée des hommes qui après avoir effleuré cet espace lors des Grandes découvertes lui inflige de profondes blessures, que ce soit au travers de la pollution ou bien de la surpêche industrielle (un passage insoutenable). Néanmoins, l'homme n'est pas seulement montré comme un prédateur. Les documentaristes montrent qu'une cohabitation pacifique est possible, y compris avec les requins (les aquariums aussi travaillent à dédiaboliser la bête). Du côté des animaux, on voit également beaucoup de scènes de prédation mais aussi de nombreuses scènes de coopération inter-espèces. Mais bien qu'inscrivant le film dans la problématique actuelle, les hommes sont délibérément poussés à la périphérie afin de faire partager comme dans "Le Peuple migrateur" une autre vision du monde qui balance entre espoir et inquiétude.
C'est le premier film que je vois de Pierre SCHOENDOERFFER et ce qui m'a frappé tout de suite, c'est à quel point il respire le vécu: un vécu de marin, de soldat et de reporter de guerre nourri aux mêmes livres d'aventures que l'acteur Bernard GIRAUDEAU qui avait été mécanicien dans la marine nationale (celle-ci joue un rôle central dans "Le Crabe-Tambour"). D'ailleurs le père de Bernard Giraudeau qui était militaire avait été envoyé en mission en Indochine et en Algérie alors que Pierre SCHOENDOERFFER avait été fait prisonnier à la fin de la première de ces deux guerres de décolonisation avant de partir documenter la seconde. Enfin les deux hommes outre une carrière dans l'armée et au cinéma étaient eux-mêmes devenus romanciers, les livres de Pierre SCHOENDOERFFER ayant servi de support à ses deux films les plus célèbres, "La 317ème section" (1964) et donc "Le Crabe-Tambour". Deux films entretenant une relation étroite au travers de l'itinéraire des frères Willsdorff inspirés par l'histoire des frères Guillaume, le premier tué en Algérie à la tête de son commando, le second devenu lieutenant de vaisseau. Dans la fiction, l'adjudant Willsdorff (Bruno CREMER), central dans "La 317ème section" qui se déroule en Indochine est juste mentionné sur un journal dans "Le Crabe-Tambour" lorsqu'il meurt en Algérie. Dans "le Crabe-Tambour", on découvre au travers de flashbacks l'existence de son frère, le lieutenant Willsdorff (joué par Jacques PERRIN qui dans "La 317ème section" était le sous-lieutenant que Bruno Cremer secondait) ayant également traversé les deux guerres avant de devenir capitaine de pêche sur un chalutier au large de Terre-Neuve.
C'est donc vers cet homme devenu un fantôme hantant les souvenirs de ceux qui l'ont croisé que vogue le navire d'escadre Jauréguibbery. A son bord un commandant taciturne, dissimulant sa maladie et son infirmité sous son code d'honneur (Jean ROCHEFORT alors à contre-emploi), son confident, le médecin du bord (Claude RICH) et enfin le chef-mécanicien, un vieux loup de mer breton friand d'histoires bigoudènes (Jacques DUFILHO). On est pris dans une expérience immersive puissante oscillant entre le documentaire (de nombreuses scènes sont saisissante de réalisme et minutieusement documentées: vie à bord d'un navire de guerre en mission d'assistance à la Grande pêche sur les bancs de Terre-Neuve, transfert et soins des marins-pêcheurs blessés et malades, découpe du poisson en haute-mer etc.) et le mythe à la manière d'un roman de Emile Zola. La manière dont la mer est filmée par Raoul COUTARD, compagnon de route de Pierre SCHOENDOERFFER sur les théâtres de guerre et chef-opérateur de la nouvelle vague (c'est le cas de le dire) en fait un être vivant, actrice du film à part entière tous comme les bateaux qui ressemblent à de grands animaux marins. Quant au code d'honneur des militaires qui est lui aussi central dans le film, il m'a fait penser avant même que je ne le découvre à celui de Arthur HARARI, "Onoda, 10 000 nuits dans la jungle" (2021). Je ne savais pas encore (et Arthur Harari non plus puisqu'il ne l'a découvert qu'a postériori) que "Le Crabe Tambour" s'ouvre justement sur une référence directe au véritable Onoda qui venait alors à peine de se rendre en 1974 après trente ans passés dans une réalité parallèle à continuer une guerre officiellement terminée en 1945 au nom de la parole donnée et des engagements pris et non révoqués, le lien d'homme à homme étant plus important que les décisions de l'Etat.
Jacques Perrin, Jacques Cluzaud, Michel Debats (2001)
Le monde du point de vue des oiseaux migrateurs et non plus celui des humains, c'est ce que "Le Peuple migrateur" réussit à nous faire partager. Le défi technique permettant de les suivre dans les airs grâce à des caméras embarquées dans différents engins volants adaptés aux prises de vue recherchées accouche d'images splendides et immersives. On en oublierait presque (d'autant que les commentaires sont parcimonieux) que leur migration est une question de survie: se protéger du froid, se nourrir, se reproduire. Une scène darwinienne rappelle la dureté de ce mode d'existence qui ne tolère aucune faiblesse mais ce sont surtout les hommes qui les menacent, qu'ils soient fauchés en plein vol par des chasseurs, capturés et mis en cage ou bien piégés par un site industriel pollué se situant sur leur trajectoire. L'homme n'est pas toujours montré comme un prédateur (une vieille paysanne leur donne à manger par exemple) mais dans le fond, il est surtout périphérique dans le film qui adopte le ton d'une méditation contemplative qui ne recherche pas l'anthropomorphisme. On peut donc s'ennuyer devant le côté répétitif des images et l'absence d'intrigue à proprement parler. On peut aussi (cela a été mon cas) les trouver extrêmement poétiques et poignantes tant le documentaire fait ressortir la fragilité, la précarité de leur vie*. Ce qui renvoie à la nôtre, en dépit des croyances dérisoires de notre civilisation en béton armé (les oiseaux passent devant les tours du WTC, le film étant sorti l'année de leur destruction) Et, last but no least, la bande-son, très soignée culmine avec une magnifique chanson composée par Nick CAVE, "To be by your side".
* Ce film m'a d'ailleurs réconciliée avec les documentaires animaliers dont le côté édifiant m'insupportait lorsque j'étais enfant. Mais je ne suis pas étonnée car je pense qu'au-delà de la performance technologique, cela traduit assez bien la sensibilité de Jacques PERRIN.
Un artiste célèbre joué par Jacques Perrin ayant atteint un âge avancé se remémore son enfance modeste suite au décès d'un homme de l'ombre dont l'amour de l'art changea sa vie. "Les Choristes"? Non "Cinéma Paradiso". Je soupçonne Christophe Barratier de s'être inspiré du film de Giuseppe Tornatore pour sa chronique nostalgique sortie en 2006 qui rencontra d'ailleurs un grand succès, tout comme son prédécesseur.
J'avais un souvenir très vague de "Cinéma Paradiso" que j'ai trouvé lors de son revisionnage inégal. J'ai beaucoup aimé le début (avec le petit Salvatore Cascio jouant Toto enfant), la fin (avec Jacques Perrin jouant un Salvatore ayant atteint l'âge mûr ému de retourner dans le village de son enfance) mais beaucoup moins le passage où Salvatore est adolescent, plus convenu. De plus la vision très nostalgique voire surannée du cinéma qui se dégage du film m'a un peu agacée. Cela fait des décennies qu'on annonce la fin de cet art qui dans les années 80 n'était concurrencé "que" par la télévision et les cassettes vidéos alors que 40 ans plus tard, la concurrence est autrement plus vive avec les plateformes de streaming et que le cinéma est pourtant toujours là. En fait c'est une certaine conception du cinéma effectivement révolue que célèbre Cinéma Paradiso, un peu comme le faisait Marcel Carné pour le théâtre avec "Les Enfants du Paradis": celui d'un lieu de vie populaire et tapageur comme une sorte d'agora ou d'église laïque dans laquelle toute une communauté venait oublier ses soucis. La pratique du cinéma en salle s'est depuis embourgeoisée, est en voie de gériatrification hormis quelques gros films américains et comédies françaises et est devenue plus individualiste. Les transformations du Cinéma Paradiso, d'abord aux mains de l'Eglise qui censure les passages des films jugés osés, puis après son incendie dans celles du privé qui privilégie le rendement au détriment de la qualité et enfin dans celles de la ville qui décide de détruire le bâtiment abandonné pour en faire un parking reflète les évolutions économiques et sociales depuis la fin de la guerre: d'abord les vestiges de la société traditionnelle, villageoise et bigote puis les bouleversements des trente glorieuses et enfin la crise des années 70-80. On apprécie aussi la musique de Ennio Morricone, la prestation de Philippe Noiret dans le rôle de la bonne fée et les extraits de nombreux classiques qui jalonnent le film, italiens, hollywoodiens ou français. La scène finale des baisers est devenue culte.
La devise du film, "Le souvenir du bonheur c'est peut-être encore du bonheur" fait écho à la célèbre phrase du premier film de Jacques Demy où Lola disait que "Vouloir le bonheur c'est peut-être déjà le bonheur". Deuxième des trois films que Agnès Varda a consacré à la mémoire de son époux Jacques Demy disparu en 1990 après "Jacquot de Nantes" (1991) et avant "L'univers de Jacques Demy" (1995), "Les Demoiselles ont eu 25 ans" se réfère au film le plus heureux (à tous les sens du terme) du cinéaste, "Les Demoiselles de Rochefort" tourné en 1966. A l'occasion des 25 ans de la sortie du film, la ville de Rochefort a organisé une fête en son honneur qui a permis à Agnès Varda de retrouver d'anciens figurants (motards, élèves, passants) et de leur demander quelle empreinte le film a laissé sur eux. Elle interroge également les membres de l'équipe toujours en vie en 1992 et s'étant déplacé à Rochefort comme Catherine Deneuve (visiblement très émue de revenir sur les traces de sa sœur disparue de laquelle elle s'était rapprochée pendant le tournage), Jacques Perrin ou Michel Legrand. A ce travail d'investigation, elle mêle des séquences de making-of qu'elle avait réalisées pendant le tournage du film en 1966 et où ceux qui avaient déjà disparus en 1992 (Jacques Demy mais aussi Françoise Dorléac) réapparaissent miraculeusement avant que leur mémoire ne soit honorée par les plaques de rue que la ville inaugure en 1992. Passé et présent, histoire et mémoire se mêlent donc inextricablement le temps d'un documentaire hybride (comme Agnès Varda) à la fois rayonnant et nostalgique.
"Les Choristes" est un film populaire à la mise en scène sans prétention mais il a une qualité précieuse qui va avec son titre: il sonne juste. Les huit millions de spectateurs qui sont allés le voir au cinéma ont capté que le film ne parlait pas tant des années 40 (époque où se situe la principale intrigue du film) que de nos jours.
On y voit s'affronter deux conceptions opposées de l'éducation portées par deux personnages qui ont raté leur vie: Rachin le directeur du pensionnat (François BERLÉAND) et Clément Mathieu le surveillant (Gérard JUGNOT). Le premier est un aigri faisant montre d'un autoritarisme excessif, arbitraire et stérile. Il se décharge en effet de ses frustrations sur les enfants dont il a la charge. On remarque également qu'il s'agit d'une personne malhonnête qui s'attribue les mérites des autres pour grapiller des miettes de reconnaissance sociale. Le second est un "petit gris", un homme à l'apparence insignifiante mais qui comme beaucoup de gens qui ne payent pas de mine cache un trésor qu'il cultive en secret. C'est ce qui lui permet de rester humain dans le monde de brutes où il est envoyé, le bien nommé pensionnat du "Fond de l'Etang" où végètent des enfants considérés comme des rebus de la société. Aucun d'entre eux n'est montré comme irrécupérable en soi. En revanche les abus dont ils sont victimes (injustices, coups, attouchements sexuels) sont clairement dénoncés. La décision de Mathieu de leur faire partager sa passion de la musique en créant une chorale produit de la beauté et change l'image que ces enfants se font d'eux-mêmes. D'ailleurs l'une des images les plus célèbres du film montre en ombre chinoise Mathieu en train de corriger leur posture pour les inciter à redresser la tête. La musique de Bruno COULAIS et la voix angélique de Jean-Baptiste MAUNIER dans le rôle de Pierre Morhange ont fait beaucoup pour la réussite du film. Ils masquent tout de même le fait que son dénouement est doux-amer et non d'un utopisme béat: Clément Mathieu, trop anticonformiste est rejeté par l'institution et la mère de Pierre Morhange, Violette (Marie BUNEL) dont le statut de mère célibataire est stigmatisé au point qu'elle ne parvient pas à refaire sa vie.
On ne compte plus les adaptations de "Rémi sans famille" le roman le plus célèbre de Hector Malot que ce soit au cinéma, à la télévision ou encore en bande dessinée. La dernière en date qui sortira en décembre 2018 pour les fêtes de noël est pour moi une déception. Certes il y a de jolies images et Daniel AUTEUIL (qui comme on peut s'en douter se taille la part du lion) est excellent dans le rôle de Vitalis mais les maladresses scénaristiques plombent le film qui manque cruellement de rythme. De manière assez étrange, tantôt il reproduit quasiment à la virgule près les pages du roman et s'étire trop en longueur (les premières séquences chez les Barberin, l'achat des vêtements de saltimbanque de Rémi, son apprentissage de la lecture, l'arrestation de Vitalis, la mort de Joli-Coeur), tantôt au contraire il s'en éloigne au point de devenir invraisemblable. La palme du ridicule est atteinte quand Vitalis et Capi débarquent chez les Driscoll au moment où ils s'apprêtent à tuer Rémi (histoire d'accélérer le rythme mollasson, ils ne prennent plus le temps d'en faire un voleur et vont droit au but). Le premier (censé être mourant) terrasse le père, le second (pas vraiment du genre pitbull pour ceux qui connaissent le roman) neutralise le fils. Mais le pire est l'ajout de passages larmoyants dont le roman d'Hector Malot n'avait vraiment pas besoin, tels que le background chargé de Vitalis ou un Rémi âgé qui dirige un orphelinat. Ce Rémi âgé fait étrangement penser d'ailleurs à Pierre Morhange, le héros du film "Les Choristes" (2004). D'une part parce qu'il est joué par Jacques PERRIN et de l'autre parce que le scénario redistribue les cartes entre les personnages. Vitalis qui dans le livre est un ancien chanteur d'opéra devient violoniste, Matthia qui est violoniste est supprimé du scénario et c'est Rémi qui devient un grand chanteur d'opéra. D'autre part le réalisateur Antoine BLOSSIER avoue s'être inspiré de la série animée japonaise de 1980 "Rémi sans famille" qui elle aussi faisait pleurer dans les chaumières. Seulement il n'a pas le lyrisme tragique du génial réalisateur Osamu DEZAKI dont la mise en scène expressionniste a marqué les esprits si bien que les grosses ficelles ont beaucoup de mal à passer.
Après le triomphe des Parapluies de Cherbourg, Demy a pu réaliser son rêve de transposition d'un musical de Broadway en France et en décors réels. Le générique du film qui montre les forains dansant sur un pont transbordeur illustre le passage d'un monde à l'autre pendant que la musique égrène les thèmes majeurs du films. Les références cinématographiques abondent (Les hommes préfèrent les blondes, un américain à Paris, Un jour à New-York, West Side Story... Et les Enfants du Paradis qui n'est pas une comédie musicale mais se situe dans le monde du spectacle, de rue notamment) Quant à la présence de stars du genre au casting (George CHAKIRIS et surtout Gene Kelly) elle ajoute encore du piment à ce mélange des genres.
Les Demoiselles de Rochefort peut être considéré comme la mélodie du bonheur de Jacques Demy. C'est un spectacle total, festival de poésie, de chansons, de musiques entraînantes, de couleurs éclatantes et de mouvements gracieux. La ville portuaire de Rochefort repeinte pour l'occasion dans les tons pastels a d'ailleurs été choisie parce qu'elle offre une architecture et un urbanisme militaire propice au déploiement de la géométrie des ballets.
Si tout est fait pour que le film enchante et rende euphorique, il n'en reste pas moins qu'il est tenaillé par des émotions contradictoires. Les personnages de l'histoire sont tous à la recherche du bonheur et rêvent tous de partir ailleurs (à Paris pour les soeurs Garnier, sur la côte ouest des USA pour leur mère, au Mexique pour Simon...). Mais ils sont comme retenus par un fil invisible à l'image du café entièrement vitré d'Yvonne Garnier qui s'y sent séquestrée comme dans un aquarium (un hommage à l'Aurore de Murnau où l'on retrouve ce même café.) En effet ils craignent de passer à côté de leur vie et de rater le grand amour. Demy orchestre durant tout le film de multiples chassés-croisés où les personnages se frôlent et se ratent sous les yeux d'un spectateur tenu en haleine jusqu'à la fin. Demy a d'ailleurs beaucoup hésité sur cette fin (un grand classique chez lui). Devait-il terminer sur un happy-end à l'image de l'emballage chatoyant du film ou bien sur une tragédie collant à ses angoisses profondes? Il a opté pour le happy-end et une solution intermédiaire pour le couple Maxence-Delphine. Maxence ne se fait plus écraser sous le camion mais il rencontre Delphine en hors-champ dans ce même camion.
L'amour, le film le décline de toutes les façons possible qu'il soit idéalisé et romantique (Maxence et Delphine), lié à un coup de foudre (Solange et Andy), fondé sur la séparation et les regrets (Yvonne et Simon), frivole (Etienne, Bill et leurs copines), matérialiste et cynique (Guillaume Lancien et Delphine), passionnel et criminel (Subtil Dutroux et Lola-Lola) etc.
Les Demoiselles de Rochefort est devenu un film-phare du cinéma français pour toute une génération de réalisateurs qui ont tenté (sans jamais y parvenir) de retrouver la formule magique forme aérienne/sujet grave. Ducastel/Martineau (Jeanne et le garçon formidable avec Mathieu Demy le fils de Jacques Demy), Donzelli (La guerre est déclarée), Honoré (Les chansons d'amour avec Chiara Mastroianni la fille de Deneuve), Ozon (8 femmes avec Deneuve et Darrieux deux des stars des Demoiselles...)
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.