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Articles avec #nouvelle vague tag

Les Quatre cent coups

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1959)

Les Quatre cent coups

Truffaut nous fait ressentir dans son premier long-métrage (qui à mon avis est son meilleur film, le plus juste, le plus universel et intemporel) toute l'étendue de la violence des adultes qui s'abat sur un gamin coupable d'être né hors des clous.

En 1959, c'est un crime.

Antoine Doinel n'a pas de foyer. "Chez lui" n'est pas chez lui. Il n'a nulle place où dormir par conséquent son lit se trouve dans l'entrée et gêne l'ouverture de la porte histoire de nous faire comprendre à quel point le gosse est encombrant pour ceux qui lui tiennent lieu de parents. Il n'a pas davantage de place pour travailler. A peine commence-t-il ses devoirs que sa mère lui ordonne de les ranger pour qu'ils puissent se mettre à table. L'exiguïté et la vétusté de l'appartement (les années 50 sont marquées par une grave crise du logement) n'est que le symptôme d'un mal plus profond.

"Ma mère est morte". Par ce cri du cœur, Antoine Doinel exprime pour la première fois toute l'étendue de sa souffrance liée à la privation d'amour maternel. Cette souffrance s'exprime également à d'autres moments du film. Lorsque Antoine vole une bouteille de lait ou encore lorsqu'il se place en position fœtale dans le Rotor, un manège pouvant faire penser au ventre maternel (et aussi aux débuts de l'art cinématographique). La mère d'Antoine apparaît comme une femme qui se désintéresse de son enfant et de son foyer qu'elle déserte à la première occasion pour retrouver son amant. On voit à de petits détails (sa chemise de nuit déchirée, l'absence de draps dans son lit, des vêtements toujours identiques) a quel point Antoine est négligé. Néanmoins elle sait très bien jouer la comédie de la bonne mère lorsqu'il faut donner le change en public. Seul Antoine n'est pas dupe. Il éclate de rire quand son père lui dit que sa mère l'aime.

Le foyer d'Antoine n'est que faux-semblant. Son père lui aussi joue la comédie du père attentif mais dans le fond il est complètement indifférent. Et pour cause, il n'est pas son père, juste un paravent de respectabilité à une époque où il fallait sauver les apparences. Truffaut comme Demy (qui apparaît brièvement dans le film dans le rôle d'un des flics du commissariat) en cinéastes de la nouvelle vague rejetant le "cinéma de papa" se sont faits documentaristes pour dénoncer la mise au ban des filles-mères, les grossesses non désirées se terminant par de désastreux mariages de convenance alors que l'avortement est interdit (la mère d'Antoine a cherché à avorter clandestinement mais a dû y renoncer sous la pression familiale).

Les autres institutions chargées de prendre en charge la jeunesse s'avèrent à l'image du pseudo foyer-familial. L'école est le reflet de la maison. Antoine n'y trouve jamais sa place, il est puni et mis au coin ou convoqué ou exclu. Il ne peut jamais finir un travail, on ne lui donne pas la parole et lorsqu'il s'applique à faire un bon devoir on le dénigre en disant qu'il n'est pas de lui. Le commissariat et la maison de redressement s'emploient à l'enfermer toujours davantage, à le maltraiter et à l'exclure.

La seule solution, c'est la fuite. Antoine Doinel fugue de chez lui, fait l'école buissonnière, accomplit de petits larcins et s'évade de la maison de redressement. Symptomatiques de sa colère et de sa révolte, ces fuites semblent néanmoins sans issue à l'image de la fin aussi belle qu'énigmatique. Semblent car il y a des indices disséminés dans le film qui laissent entrevoir des solutions. Le passage le plus important est la séance chez la psychologue où la parole d'Antoine peut enfin se libérer. Mais le spectacle et l'art sont tous aussi importants: le théâtre de Guignol et les cinémas de quartier. Truffaut a mis beaucoup de sa propre histoire dans le personnage d'Antoine même si celui-ci est incarné avec une présence stupéfiante par Jean-Pierre Léaud qui deviendra en quelque sorte le double du cinéaste. Truffaut a été sauvé de la délinquance par l'art et la main tendue de celui qui est devenu son père spirituel, André Bazin, le fondateur des Cahiers du Cinéma (où Truffaut a commencé comme critique). Le film lui est dédié.

 

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Les fiancés du pont Mac-Donald

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1961)

Les fiancés du pont Mac-Donald

Les Fiancés du pont Mac-Donald est un court-métrage muet de style burlesque inséré au milieu du long-métrage Cléo de 5 à 7. Tous deux ont été réalisés en 1961 par Agnès Varda avec une musique de Michel Legrand. Le court-métrage agit comme un miroir grossissant du long-métrage, emblématique de son oeuvre à la fois lumineuse et hantée par la mort. "La lumière ne se comprend que par l'ombre et la vérité suppose l'erreur. Ce sont ces contraires qui peuplent notre vie, lui donnent saveur et enivrement. Nous n'existons qu'en fonction de ce conflit dans la zone où se heurtent le blanc et le noir alors que le blanc ou le noir relèvent de la mort." (Agnès Varda)

Les Fiancés du pont Mac-Donald illustre cette question de l'union des contraires au pied de la lettre. Il est tourné en noir et blanc, son sous-titre est "méfiez-vous des lunettes noires" et il met en scène le couple vedette de la Nouvelle vague: Jean-Luc Godard et Anna Karina. Agnès Varda joue sur les lunettes de soleil de Godard qui lorsqu'il les met lui font voir les choses "en négatif" et lorsqu'il les ôte, il les voit en "positif" de part et d'autre des escaliers symétriques du pont. Godard jeune sans lunettes a d'ailleurs des faux airs de Buster Keaton ce qui colle parfaitement à l'esprit burlesque du court-métrage.

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A bout de souffle

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1960)

A bout de souffle

En 1946, le public français découvre les films américains réalisés pendant la guerre (par exemple, Citizen Kane d’Orson Welles). Parmi eux, un groupe de critiques (plutôt de droite catho) se réunit régulièrement à la cinémathèque fondée en 1936 par Henri Langlois. Ces critiques (dont fait partie Godard) fondent en 1951 Les Cahiers du cinéma. Le n°31 de 1954 contient un article célèbre « Une certaine tendance du cinéma français » signé François Truffaut qui critique « le cinéma de papa » c’est-à-dire les films traditionnels de qualité des années 40 réalisés par Marcel Carné, Yves Allégret, Claude Autant-Lara avec un scénario très écrit, de bons mots, une réalisation en studio, des décors soignés, des têtes d’affiche (les français ont Gabin pendant que les USA ont James Dean) etc.

C'est autant par rejet de ces films à l'ancienne que par manque de moyens financiers que Godard va inventer une nouvelle façon de faire du cinéma. A bout de souffle est l'acte de naissance de la nouvelle vague qui va justement faire souffler un vent de liberté sur le cinéma français.

A bout de souffle repose sur un certain nombre de caractéristiques:

-Les images sont tournées sans le son puis celui-ci est post-synchronisé en studio. Cette discordance image-son explique en partie les jump-cuts (appelés à tort « faux-raccords ») c'est à dire l’image qui saute alors que le son lui ne saute pas. C’est lié autant à un désir artistique qu'à l’absence de moyens. La scène du meurtre du policier est exemplaire de ce point de vue : on ne voit pas le meurtre car Godard n’a pas les moyens de le filmer. De plus il préfère montrer les conséquences de l’action que l’action elle-même (dans le Mépris, il ne filme pas non plus l’accident mais seulement la voiture accidentée). Ce refus de la mimesis est révolutionnaire par rapport au cinéma traditionnel.

-Il ne peut s’offrir un vrai chef-opérateur mais grâce à son producteur, George de Beauregard, il rencontre un ancien photographe de guerre, Raoul Coutard qui va « inventer » l’image de la nouvelle vague et se débrouiller pour pallier l'absence de moyens. Exemple : comment faire un plan-séquence quand on a pas les moyens d’acheter des rails de travellings ? Avec un chariot. A bout de souffle fonctionne ainsi sur une alternance de jump-cuts hachés et de plans-séquences "bricolés". Il fonctionne aussi sur deux musiques, l’une au piano qui lui donne sa couleur policière et l’autre plus élégiaque avec des cordes pour son caractère de film d’amour. Godard aime bien filmer les oppositions binaires (homme-femme, amour-mort etc.)

-Autre innovation : le personnage qui parle tout seul (Poiccard dans la voiture) et dont les mots sont rythmés par les jump-cuts « Pat, Pat, Pat, Patricia » (avec 4 jump-cuts de la N7) ce qui créé un style rapide, rythmé, jazzy et donc moderne. Le regard-caméra en soi n’est pas une nouveauté (il existait déjà au temps du muet) mais c’est l’ensemble qui donne un ton de manifeste dès le début du film.

-Contrairement à ce qui a été dit, Godard n’improvise pas même s'il n'a pas de scénario. Il a une histoire, écrit la nuit et distribue les dialogues tous les matins aux comédiens. Il est incapable d’anticiper et de modéliser le film qu’il va faire.

-Les « private joke » et digressions sont lègion: une fille qui vend les Cahiers du cinéma et demande à Poiccard s’il aime les jeunes, Godard lui-même en indic, des citations diverses (musiques, tableaux, poèmes…) « On peut mettre de tout dans un film. » A bout de souffle a un aspect film-collage, film fourre-tout.


D’autre part, Godard a voulu réaliser un film noir en hommage aux films américains découverts par sa bande dans l’après-guerre. A bout de souffle contient une scène du genre avec l’interrogatoire, la filature, les retrouvailles. Il contient aussi un hommage à Bogart, référence majeure de Poiccard car symbole du « privé » dès son premier film noir important, Le faucon maltais (1941). Le privé est libre, sans emploi du temps et Poiccard se prend un peu pour lui. Enfin les thèmes récurrents du genre sont présents dans le film : crime et châtiment (Le panneau lumineux « L’étau se resserre » est une allusion à Scarface de Hawks) et la trahison féminine (une obsession de Godard qui partage avec ses camarades une vision limitée et datée de la femme). L’hommage aux USA passe aussi évidemment par la visite d’Eisenhower à Paris captée en direct et par le casting avec Jean SEBERG, la dernière star avec Nathalie Wood ayant eu le temps d’émerger au temps des studios avant leur chute. Seberg était l'actrice fétiche d’Otto Preminger, un cinéaste chez qui Godard a puisé son inspiration au même titre que Fritz Lang, Joseph Losey ou Raoul Walsh. Des cinéastes mis en valeur par le groupe du cinéma Mac-Mahon, un satellite des Cahiers du cinéma. Le Mac-Mahon apparaît évidemment dans A bout de souffle. Au contraire de Resnais ou Antonioni, Godard ne voulait pas faire des films cérébraux, intellectuels (en dépit de l’image qui lui colle à la peau).

A bout de souffle épouse le mouvement de la vie ce qui en fait encore aujourd'hui un film de facture très moderne en dépit de certains aspects datés dans son contenu. Beaucoup de connexions entre le cinéma et la vie n’avaient pas été explorées à cette époque et Godard s'est engouffré dans la brèche. Les imperfections du film l'ont servi en tant que manifeste d'une liberté nouvelle au cinéma (liberté de ton, de regard, de posture, d'image, de cadre, de manière de filmer...)

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La nuit américaine

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1973)

La nuit américaine

La nuit américaine est l'un des plus célèbres exemples de film sur le cinéma. C'est un film sur un film en train de se faire. Cette mise en abyme est renforcée par le fait que Truffaut joue le rôle de Ferrand le réalisateur et que son 2° assistant réalisateur Jean-François Stévenin joue quasiment le même rôle dans le film.
Il y a de nombreux aspects documentaires dans la nuit américaine. Le spectateur se familiarise par exemple avec l'équipe de tournage. Outre les acteurs et le réalisateur il voit le producteur, les techniciens et les assistants. Deux d'entre eux ont une importance particulière: Joëlle la scripte jouée par Nathalie Baye, inspirée de l'assistante de Truffaut et Bernard l'accessoiriste joué par Bernard Menez. D'autre part Le cinéma est l'art de créer l'illusion et de nombreux passages du film révèlent les astuces et techniques pour enneiger le plateau, faire pleuvoir, éclairer les visages avec une bougie, tourner une cascade avec une doublure de l'actrice principale ou encore jouer avec un pan de fenêtre qui grâce au cadrage apparaîtra comme la fenêtre d'un appartement réel lors des rushes. La nuit américaine est d'ailleurs un trucage qui permet de tourner une scène nocturne de jour grâce à l'utilisation d'un filtre. Enfin on découvre un monde en vase clos où tout est vécu de façon plus intense que la normale. Les acteurs sont dépeints comme des êtres immatures (dépressifs, capricieux, égoïstes...) incapables d'affronter la vie réelle (quand Alphonse ne tourne pas il va au cinéma!) Si comme le disait déjà Hitchcock avec ses tranches de gâteau "les films sont plus harmonieux que la vie car il n'y a ni embouteillages ni temps mort", le monde du cinéma n'apparaît lui guère attirant sur le plan humain " Qu'est ce que c'est que ce cinéma? Qu'est ce que c'est que ce métier où tout le monde couche avec tout le monde? Où tout le monde se tutoie, où tout le monde ment? Qu'est ce que c'est? Vous trouvez ça normal?" Il est d'ailleurs amusant de constater que Truffaut qui obéit parfaitement à ce schéma puisqu'il séduisait ses actrices tout en tournant des films considérés pour la plupart comme des œuvres importantes du cinéma français s'est créé un personnage totalement inversé. Ferrand réalise des mélos de série B comme celui que nous voyons se construire sous nos yeux " Je vous présente Paméla" mais n'a aucune vie privée. Il est par ailleurs sourd d'une oreille. Truffaut souhaite éviter ainsi de passer pour un mégalomane tout en insistant sur la lourde responsabilité d'un réalisateur qui doit mener son film à bon port "faire un film est comme le trajet d'une diligence au Far West. On espère faire un bon voyage puis trës vite on en vient à se demander si on arrivera à destination."
Malgré les aspects satiriques et grinçants du film, l'amour du cinéma l'emporte largement. Truffaut cite abondamment ceux qu'il admire de Cocteau à Welles en passant par Hawks et Hitchcock et tant d'autres jusqu'aux sœurs Gish, pionnières du cinéma à qui il dédicace le film.

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L'Argent de poche

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1976)

L'Argent de poche

L'argent de poche est le troisième film de Truffaut explicitement consacré à l'enfance après les 400 coups et l'Enfant sauvage. Film à petit budget, il met en scène une communauté filmée avec un réalisme quasi-documentaire. Par petites touches, à l'aide de saynètes n'ayant pas forcément de rapport entre elles il dresse la chronique d'un groupe d'enfants de la ville de Thiers à la fin d'une année scolaire et au début des vacances dans les années 70. Ces séquences tendent à croquer la poésie de l'enfance en butte à un monde adulte qui cherche à rèprimer ses élans. Néanmoins l'école est montrée sous un jour plus positif que dans ses autres films.
Bien que l'Argent de poche soit un film choral, trois personnages se détachent plus particulièrement et servent de fil conducteur au récit. L'instituteur Richet tout d'abord interprété par Jean-François Stevenin dont c'était le premier grand rôle au cinéma. Richet est en effet le porte-parole de Truffaut et son discours final à résonance autobiographique s'inspire de celui de Chaplin dans Le Dictateur. Patrick et Julien ensuite, deux jeunes garçons qui ont un certain nombre de points communs. Tous deux issus d'une famille monoparentale, ils prennent en charge leur père ou leur mère reclus et sont leur seul lien avec le monde extérieur. Patrick est un rêveur amoureux de la mère d'un de ses copains mais qui fait au cours du film ses premières expériences amoureuses avec les filles de son âge. Julien est un exclu de sa société, un enfant maltraité et livré à lui-même. Son aspect physique, sa solitude, son repli sur lui-même, son relatif mutisme et la baraque perchée dans laquelle il vit rappellent Victor, l'enfant sauvage. Patrick et Julien représentent également deux facettes d'Antoine Doinel (Baisés volés pour le premier et Les 400 coups pour le second).
A noter que Truffaut parsème son film de clins d'œil à son maître Hitchcock avec un caméo au début du film et des allusions à Fenêtre sur cour.

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L'Enfant sauvage

Publié le par Rosalie210

François Truffaut (1970)

L'Enfant sauvage

Inspiré d'une histoire vraie, le film de Truffaut n'en est pas moins très personnel. Le fait qu'il soit dédié à Jean-Pierre Léaud et en noir et blanc le situe dans la lignée des 400 coups. Sauf que Truffaut se met en scène lui-même dans le rôle de l'éducateur d'un enfant différent au lieu de seulement s'identifier à cet enfant et de rester hors-champ comme il le faisait jusque là. Comme Antoine Doinel (et comme Truffaut lui-même) Victor est un enfant non désiré. Encombrant au point d'avoir été abandonné dans la forêt après avoir été laissé pour mort. Il a été privé d'éducation, de socialisation et d'affection pendant de nombreuses années. Les 10 premières minutes du film montrent le "résultat" de ce traitement: un enfant réduit à l'état animal (tour à tour singe, chat, oiseau, renard, serpent...) qui grogne et marche à 4 pattes mais dont certains comportements évoquent également l'humain autiste (les balancements). Volontairement, Truffaut montre que la rencontre de Victor et du monde humain s'effectue d'abord dans le chaos, la violence et le rejet. La bande-son n'offre pas de sons articulés au contraire elle est saturée par les aboiements des chiens lancés à ses trousses alors que le langage utilisé par les chasseurs (le patois) est incompréhensible pour le spectateur. Plus tard, Victor échoue dans un institut de sourds et muets où ces enfants déshérités s'acharnent sur lui car ils ont trouvé encore plus misérable qu'eux. Quant aux adultes, ils l'exhibent comme un phénomène de foire. Seul un paysan empathique montre de la compassion pour l'enfant qui en retour se laisse approcher et humaniser (la scène symbolique où il lui lave la figure). Ce paysan préfigure à un degré primitif le docteur Itard.

L'apparition du docteur Itard marque l'irruption de la culture et du langage articulé dans ce monde inintelligible. Il révèle également le regard empathique et le désir de communication (voire de réparation) que Truffaut porte en lui vis à vis de l'altérité blessée. Seul contre tous, il affirme que l'enfant n'est pas idiot et peut être éduqué. Le reste du film montre les étapes de cette difficile et incertaine éducation, présentée comme un accouchement (elle dure 9 mois!) qui si elle n'atteint pas son objectif premier (permettre à l'enfant de parler) réussit quand même à l'humaniser. Un lien affectif se créé entre l'enfant et ses parents de substitution (le docteur Itard et sa gouvernante), il reçoit un prénom, fait toutes sortes d'acquisitions (marche debout, repas à la cuillère, notions d'hygiène, port de vêtements et de chaussures, inventions, manifestations émotionnelles comme les sourires et les pleurs, marques de tendresse, acquisition du sens de la justice etc.) et c'est de lui-même qu'il revient à la fin après une fugue (le film se termine par son regard à lui, un regard de "sujet" au lieu d'être toujours "objet.") Cette fin, plus optimiste que dans la réalité s'explique notamment par le fait que Truffaut a été sauvé d'un sinistre destin par son accès à la culture permis par le critique André Bazin (dont le rôle auprès de lui a été déterminant).

Il n'en reste pas moins que le docteur Itard s'interroge sans cesse sur le bien fondé de ce qu'il fait. Quant à Victor, s'il évolue considérablement, il n'acquiert pas le langage et reste donc en quelque sorte coincé quelque part entre les deux mondes, celui de la nature dont il a la nostalgie mais qu'il ne peut plus réintégrer comme le lui prouve sa fugue à la fin du film et le monde de la civilisation dans lequel il fera toujours figure de corps étranger. La fenêtre de la maison d'Itard devant laquelle se tient Victor incarne cette position ambivalente (dedans/dehors, nature/culture).

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Les parapluies de Cherbourg

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1964)

Les parapluies de Cherbourg

"En musique, en couleurs et en chanté", l'accroche de l'affiche déroule les partis pris d'art total qui caractérisent le film idéal que Jacques Demy a enfin les moyens de réaliser. Celui-ci est conçu en effet comme un opéra en trois actes ("le départ", "l'absence" et "le retour") sans récitatifs: tous les dialogues sont chantés y compris les plus triviaux ce qui créé un effet de distorsion qui divisa à sa sortie (et divise toujours aujourd'hui). La musique signée Michel Legrand mélange thèmes jazzy et classique avec le bonheur que l'on connaît. D'autre part c'est le premier film en couleurs de Demy dont l'utilisation est tout aussi symphonique que la musique. Bien que typé années 60, le décor, assorti aux costumes et variant selon les états d'âme des personnages a un caractère indémodable car son raffinement est un ravissement pour les yeux. Le sens de l'harmonie et de la géométrie de Demy fait que nombre de scènes ressemblent à des tableaux.

Tout ce dispositif se marie parfaitement à l'histoire qui en dépit de ses apparences lumineuses est une tragédie hantée par la mort et l'absence de couleurs à laquelle on l'associe en occident: le noir. Un film où comme le dit Guy "Le soleil et la mort marchent ensemble". Les parapluies noirs qui succèdent à ceux de couleur à la fin du générique, Roland Cassard vêtu de noir tel un oiseau de mauvais augure qui vient tourner autour de l'univers pastel de Geneviève, le client qui s'entend répondre par la mère de Geneviève que "le marchand de couleurs, c'est la porte à côté" tout concourt à prendre au pied de la lettre la célébrissime chanson où Geneviève s'exclame " je ne pourrai jamais vivre sans toi, je ne pourrai pas, ne pars pas, j'en mourrai." Effectivement la séparation des amants est fatale à Geneviève. Certes elle ne meurt pas physiquement mais son mariage arrangé avec Roland Cassard signe sa mort intérieure. Roland qui depuis le premier film de Demy a tiré les leçons de son échec amoureux avec Lola et est devenu diamantaire. Guy est également transformé à jamais par cette expérience. La dernière demi-heure du film méconnue et poignante le montre de retour d'Algérie, blessé, amer, révolté, incapable de se réadapter à sa vie d'avant et à deux doigts de sombrer avant d'être sauvé par la soumise et jusque là invisible Madeleine. Le rouge sang puis l'orange remplacent alors les couleurs pastels.

A travers cette histoire, Demy dénonce l'hypocrisie des moeurs bourgeoises et les ravages de la guerre. Deux thèmes que l'on retrouve dans plusieurs de ses films. Le "Demy-monde" est rempli d'exclus ou de marginaux: fille-mère, bohémiens, transgenres... quant à la guerre, elle brise les vies et les destins (l'exemple le plus achevé étant Model Shop). L'irréalisme de la forme est donc au service d'un contenu très politique. C'est encore aujourd'hui l'une des forces du film.

Comme son film suivant, Les Demoiselles de Rochefort, les Parapluies de Cherbourg est devenu un film de référence pour les jeunes réalisateurs français sans que pour autant ils ne parviennent à en retrouver la magie. Citons l'exemple du célèbre plan où Guy et Geneviève glissent comme par magie sans toucher le sol (une citation du célèbre film de Murnau l'Aurore qui est une référence majeure de Demy) et qui est reprise quasi telle quelle dans Les chansons d'amour d'Honoré.

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Les demoiselles de Rochefort

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1967)

Les demoiselles de Rochefort

Après le triomphe des Parapluies de Cherbourg, Demy a pu réaliser son rêve de transposition d'un musical de Broadway en France et en décors réels. Le générique du film qui montre les forains dansant sur un pont transbordeur illustre le passage d'un monde à l'autre pendant que la musique égrène les thèmes majeurs du films. Les références cinématographiques abondent (Les hommes préfèrent les blondes, un américain à Paris, Un jour à New-York, West Side Story... Et les Enfants du Paradis qui n'est pas une comédie musicale mais se situe dans le monde du spectacle, de rue notamment) Quant à la présence de stars du genre au casting (George CHAKIRIS et surtout Gene Kelly) elle ajoute encore du piment à ce mélange des genres.

Les Demoiselles de Rochefort peut être considéré comme la mélodie du bonheur de Jacques Demy. C'est un spectacle total, festival de poésie, de chansons, de musiques entraînantes, de couleurs éclatantes et de mouvements gracieux. La ville portuaire de Rochefort repeinte pour l'occasion dans les tons pastels a d'ailleurs été choisie parce qu'elle offre une architecture et un urbanisme militaire propice au déploiement de la géométrie des ballets.

Si tout est fait pour que le film enchante et rende euphorique, il n'en reste pas moins qu'il est tenaillé par des émotions contradictoires. Les personnages de l'histoire sont tous à la recherche du bonheur et rêvent tous de partir ailleurs (à Paris pour les soeurs Garnier, sur la côte ouest des USA pour leur mère, au Mexique pour Simon...). Mais ils sont comme retenus par un fil invisible à l'image du café entièrement vitré d'Yvonne Garnier qui s'y sent séquestrée comme dans un aquarium (un hommage à l'Aurore de Murnau où l'on retrouve ce même café.) En effet ils craignent de passer à côté de leur vie et de rater le grand amour. Demy orchestre durant tout le film de multiples chassés-croisés où les personnages se frôlent et se ratent sous les yeux d'un spectateur tenu en haleine jusqu'à la fin. Demy a d'ailleurs beaucoup hésité sur cette fin (un grand classique chez lui). Devait-il terminer sur un happy-end à l'image de l'emballage chatoyant du film ou bien sur une tragédie collant à ses angoisses profondes? Il a opté pour le happy-end et une solution intermédiaire pour le couple Maxence-Delphine. Maxence ne se fait plus écraser sous le camion mais il rencontre Delphine en hors-champ dans ce même camion.

L'amour, le film le décline de toutes les façons possible qu'il soit idéalisé et romantique (Maxence et Delphine), lié à un coup de foudre (Solange et Andy), fondé sur la séparation et les regrets (Yvonne et Simon), frivole (Etienne, Bill et leurs copines), matérialiste et cynique (Guillaume Lancien et Delphine), passionnel et criminel (Subtil Dutroux et Lola-Lola) etc.

Les Demoiselles de Rochefort est devenu un film-phare du cinéma français pour toute une génération de réalisateurs qui ont tenté (sans jamais y parvenir) de retrouver la formule magique forme aérienne/sujet grave. Ducastel/Martineau (Jeanne et le garçon formidable avec Mathieu Demy le fils de Jacques Demy), Donzelli (La guerre est déclarée), Honoré (Les chansons d'amour avec Chiara Mastroianni la fille de Deneuve), Ozon (8 femmes avec Deneuve et Darrieux deux des stars des Demoiselles...)

 

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Lola

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1961)

Lola

Lola est le premier long-métrage de Jacques Demy. Celui-ci rêvait (déjà) d'une comédie musicale en Technicolor mais il a dû se contenter pour des raisons budgétaires d'un film noir et blanc tourné en décors naturels dans sa ville natale de Nantes. Néanmoins il pose toutes les bases de son univers:

- Une héroïne hybride à la fois danseuse-entraîneuse-allumeuse et religieusement fidèle au souvenir de Michel, son premier amour dont elle attend le retour. Demy oscille lui-même clairement entre puritanisme et attraction irrésistible pour les lieux de "débauche" (maisons closes, tripots, peep-show, boîtes glauques...) héritage à la fois de son éducation catholique et de son désir pour la vie de bohème.

- Un entrelacement de plusieurs destins à un carrefour de leur existence qui se (re)trouvent et/ou se ratent. La rencontre entre la jeune Cécile et le marin Frankie fait écho à celle de Lola jeune (dont le vrai prénom est Cécile) et de Michel déguisé en marin américain. La petite Cécile veut d'ailleurs devenir danseuse alors que sa mère qui l'élève seule est elle-même une ancienne danseuse. Cécile, Lola et Mme Desnoyers sont trois versions de la même femme, au passé, au présent et au futur. Jacques Demy s'attache dès ce premier film à un type de femme rejeté par la bonne société de l'époque: la mère célibataire (il venait alors de se mettre en couple avec Agnès Varda qui avait un enfant en bas âge, Rosalie qu'elle élevait seule).

- Un ancrage dans une ville portuaire de province qui permet à Demy de dresser un portrait de la francité tout en ouvrant sur l'ailleurs via les oiseaux de passage, marins et forains. Cet ailleurs est l'Amérique présente par Michel devenu un self made man roulant en Cadillac, par Frankie et son accent, par la musique jazz et par les intrusions de genres tels que le film noir et la comédie musicale même réduite à l'état de résidu.

- Une atmosphère de conte de fée avec Michel en prince charmant. Le film offre un cadre réaliste mais on décèle déjà le goût de Jacques Demy pour le déguisement voire le travestissement (hyperféminité en guêpière et boa que l'on retrouve avec Jeanne Moreau dans la Baie des anges, costume de cow-boy et de marin...)

- Une forte influence d'Ophüls à qui le film est dédicacé et à qui Lola doit son pseudo en référence à Lola Montes. Le film doit beaucoup à La Ronde et au Plaisir. De même, Demy rend hommage à Bresson en reprenant son actrice des Dames du bois de Boulogne, Elina Labourdette pour lui faire jouer le même personnage vieilli.

Lola contient donc en germe les films ultérieurs de Demy. Celui-ci voulait d'ailleurs à l'origine créer une oeuvre de 50 films aux personnages récurrents. Il a dû renoncer à son ambition mais a réussi à donner deux suites à Lola. Les parapluies de Cherbourg tout d'abord où revient le personnage de Roland Cassard joué par Marc Michel. Et Model Shop tourné en 1968 à Los Angeles avec le retour de Lola joué par Anouk Aimé dans un contexte assombri.

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La baie des anges

Publié le par Rosalie210

Jacques Demy (1963)

La baie des anges

L'intrigue du deuxième film de Jacques Demy, La Baie des Anges est une métaphore d'un parcours transgressif du dedans vers le dehors: un modeste employé de banque d'allure janséniste sans perspective d'avenir, Jean Fournier est initié aux jeux d'argent par un de ses collègues, Caron (!) et y prend goût malgré l'opposition de son père qui le chasse de la maison.

Une fois le Styx traversé, Jean se retrouve enchaîné à une femme fatale, joueuse invétérée, Jackie Demaistre (jouée par une flamboyante Jeanne Moreau en guêpière, un fantasme fétichiste que Demy avait déjà concrétisé dans son premier film Lola). Sa vie n'est plus rythmée que par les montagnes russes de la roulette qui s'apparente vite à une descente aux enfers.

Et pourtant et là réside toute l'ambiguïté du film et de la passion qui l'anime, Jackie ne dit-elle pas que la joie qu'elle éprouve au jeu n'est comparable à aucune autre joie? Et Jackie Demaistre n'est-elle pas le quasi anagramme de Jacques Demy?
La baie des Anges nous place au carrefour d'une contradiction fondamentale: le monde des vivants apparaît vide, plat et sans âme alors que le monde des morts porte en lui les grandes émotions et le génie créatif. Pour goûter à cette forme de jouissance, les personnages sont prêts à en accepter le corollaire inévitable, la déchéance, l'avilissement.

Le jeu est bien évidemment une métaphore du cinéma: "La baie des Anges met en scène la violence qu'il y a à être accroché au royaume des ombres, des spectres et des morts quand la famille, la vie, le travail, la société, la normalité, la raison nous convoque de l'autre côté, vers l'horizon lumineux des vivants. La baie des Anges est un grand film de vampires, cette forme de transfusion artificielle de la vie et du sang dont ont aussi besoin les artistes. (Hélène Frappat).

Néanmoins parfois, Jacques Demy au prix de l'un des ces ultimes revirements dont il a le secret trace une ligne de fuite par où ses personnages peuvent s'échapper in-extremis et éviter la chute. " C'est à la charge des dénouements de dessiner soudain une ligne droite, un tracé qui brise la logique ressassante du cercle et semble conduire vers un ailleurs. Exemplairement, c'est le dernier plan de La baie des Anges (1962). Jackie rejoint Jean hors du casino, et ils se dirigent vers la mer et le ciel-l'horizon enfin. La caméra reste campée là où s'est déroulée l'action et les personnages s'éloignent, sortent du film par le fond, point de fuite par lequel on peut quitter les rondes, les manèges, les faux-semblants, la représentation, le cristal." (J.M Lalanne)

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