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Articles avec #nouvelle vague tag

Le Petit Soldat

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1963)

Le Petit Soldat

Second film de Jean-Luc GODARD après "À bout de souffle" (1959), le premier avec Anna KARINA, "Le Petit soldat" mit trois ans à sortir en raison de son sujet, la guerre d'Algérie qui lui valut d'être censuré par les autorités françaises. La plupart des réalisateurs de la Nouvelle Vague s'emparèrent en effet de la question algérienne qui était alors taboue en France mais de façon souvent discrète que ce soit Jacques DEMY dans "Les Parapluies de Cherbourg" (1964), Agnès VARDA dans "Cléo de 5 à 7" (1961), Jacques ROZIER dans "Adieu Philippine" (1963) ou encore Alain RESNAIS dans "Muriel ou le temps d un retour" (1962). Jean-Luc GODARD choisit une vision nettement plus frontale. Bien que le film se déroule en Europe, plus précisément à Genève, il évoque les réseaux tissés par les deux camps alors en lutte en Algérie et en métropole. D'un côté ceux du FLN pour lesquels travaille Veronica Dreyer (Anna KARINA), de l'autre, ceux de l'OAS dans lesquels est impliqué le reporter déserteur Bruno Forestier (Michel SUBOR) mais qui en double de Godard, s'en détourne pour les beaux yeux de Veronica. Cette ambiguïté lui vaut d'être mis à l'épreuve par son organisation qui lui ordonne de tuer un journaliste de radio-suisse. Un ordre dont l'exécution est différée tout au long du film jusqu'à une fin extrêmement abrupte dans laquelle tout se précipite. Du Godard typique dont les films débouchent souvent sur la mort après beaucoup de tours et de détours. Il en va de même avec les nombreuses allusions à la guerre façon collage qu'affectionne le cinéaste: messages radios, unes de journaux. Mais si le film a été censuré, je pense que c'est surtout en raison du fait qu'il aborde de façon très crue la question de la torture pratiquée par les deux camps. Celle que l'on voit au travers d'une longue et éprouvante séquence est infligée par le FLN à Bruno mais Veronica a droit à un traitement encore pire de la part de l'extrême-droite et la film est parsemé de détails horrifiques sur les sévices infligés aux uns et aux autres en écho à ceux qu'avaient subis les résistants pendant la seconde guerre mondiale.

Cependant, comme beaucoup de Godard, "Le Petit soldat" est un méta-film, célèbre notamment pour cette définition du cinéma-vérité, "la photographie c'est la vérité et le cinéma, c'est vingt-quatre fois la vérité par seconde". Cette phrase peut aussi bien s'appliquer aux répercussions de la guerre d'Algérie, filmées de façon documentaire (avec une référence assez claire au néoréalisme italien, "Rome, ville ouverte" (1945) en tête) qu'à l'étude du visage de la muse, Veronica/Anna KARINA alors au sommet de sa photo-cinégénie.

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Alphaville (une étrange aventure de Lemmy Caution)

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1964)

Alphaville (une étrange aventure de Lemmy Caution)
Alphaville (une étrange aventure de Lemmy Caution)

Quand le film noir rencontre George Orwell au temps du béton armé cela donne ce chef-d'oeuvre d'anticipation qu'est "Alphaville". On aime ou on aime pas Jean-Luc Godard mais on ne peut pas se prétendre sérieusement cinéphile et dénier la valeur de ce film, tant par son caractère visionnaire que par l'influence qu'il a eu sur les films de science-fiction ultérieurs. "Brazil", "Matrix" et même l'ancienne attraction Cinémagique de Disneyland Paris montrent à un moment ou un autre un long couloir étroit jalonné de portes que l'on ouvre sur des salles d'interrogatoire ou bien sur des monstres c'est du pareil au même. Et Jean-Luc Godard et Stanley Kubrick convergent également dans leur dénonciation de la science sans conscience incarnée par Wernher von Braun (docteur Folamour chez Kubrick sans parler de Hal 9000 de "2001 l'Odyssée de l'espace" et le maître de l'ordinateur Alpha 60 qui contrôle la ville, le professeur von Braun chez Godard). Quant à l'aspect visionnaire, il suffit de rapprocher ce film de certains de ses contemporains comme celui de Maurice Pialat "L'amour existe" ou celui de Jacques Tati "Playtime" pour comprendre qu'ils parlent au fond de la même chose: la deshumanisation de la société en marche. Alors que le discours dominant n'avait alors que le mot "progrès" à la bouche et que la déconstruction du mythe des "Trente Glorieuses" commence à peine, Jean-Luc Godard a choisi les lieux les plus "futuristes" qui pouvaient exister dans et autour de Paris dans la première moitié des années soixante afin de les filmer de la façon la plus inquiétante possible (de nuit avec un noir et blanc peu contrasté) pour suggérer l'existence d'une société totalitaire dans laquelle les émotions, la mémoire, la beauté, la curiosité et l'intimité sont bannis afin de transformer les hommes en pantins dociles, ceux qui résistent étant exécutés lors de sinistres cérémonies publiques. Face à ce cauchemar scientiste et techniciste construit dans un contexte de guerre froide (le héros vient des "univers extérieurs" dont on peut penser qu'ils sont encore libres puisqu'il fait l'objet d'une surveillance constante et étroite), Godard oppose la résistance constante de son privé joué par Eddie Constantine qui avait déjà interprété le rôle de Lemmy Caution dans d'autres films français (mais de série B). Sous les frusques du détective, il incarne un poète dans la lignée de l'Orphée de Jean Cocteau venu chercher sa Natacha-Eurydice (Anna Karina dont le visage de poupée fascine plus que jamais) au fin fond des Enfers afin de la ramener dans le monde des vivants ("ceux qui pleurent"). Truffé de références littéraires et philosophiques, "Alphaville" est un film de résistance plus que jamais d'actualité à l'heure où face aux multiples crises qui nous affectent on nous oppose encore et toujours le même modèle de société fondé sur la soumission aux forces du marché secondées par un Etat autoritaire complice.

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Le Mépris

Publié le par Rosalie210

Jean-Luc Godard (1963)

La nouvelle Eve?

La nouvelle Eve?

L'un des films régulièrement parmi les mieux classés de l'histoire du cinéma par les critiques (avec "Vertigo" qui d'ailleurs joue aussi sur le dédoublement blonde/brune comme le fait aussi l'abscons "Mulholland Drive") et qui est comme ces deux derniers un méta-film. Autrement dit c'est un film qui met en scène le tournage d'un film. Une mise en abyme du cinéma quelque peu nombriliste dont les critiques sont bons clients.

Mais ce qui fait du "Mépris" un monument du septième art est ailleurs. Il est dans le fait qu'il met en scène ni plus ni moins que la culture (occidentale) des origines ce qui en fait un objet d'art intemporel.

Il baigne en effet dans la civilisation gréco-romaine de part le choix de l'œuvre adaptée qui est "L'Odyssée" d'Homère (autrement dit le premier bouquin de notre histoire à être parvenu jusqu'à nous avec l'Illiade du même "auteur") mais aussi les lieux du tournage, Rome et Capri avec des vues époustouflantes sur la mer et le golfe de Salerne depuis la villa Malaparte (dont Godard tire un admirable parti de l'architecture, j'y reviendrai). La tragédie intime qui se noue en ces lieux s'effectue sous l'égide des dieux comme au temps du théâtre grec qui sont représentés par des statues. Michel Piccoli feuillette des livres remplis de photos de peintures érotiques sur des objets de l'époque antique. Enfin Brigitte Bardot qui passe la moitié du temps dans le film en tenue d'Eve fait figure de réincarnation de la première femme de la Genèse qui est au fondement des croyances juives mais aussi chrétiennes (et le christianisme est né dans l'Empire romain).

En recréant les origines de la culture occidentale, Godard n'a pas oublié celles du cinéma qu'il situe quelque part au carrefour de la France, de l'Allemagne et des USA. La France, c'est lui, "l'homme invisible", le grand manitou qui dirige le méta-film ainsi que les acteurs principaux. L'Allemagne, c'est Fritz Lang qui interprète son propre rôle pour les diriger dans une version sixties de "l'Odyssée". Fritz Lang à qui Piccoli et Bardot (enfin "Paul" et "Camille") rendent hommage en temps que maître de l'expressionnisme allemand ("M. Le Maudit") mais aussi pour sa carrière américaine ("L'Ange des maudits", façon aussi de rappeler que le cinéma des USA s'est nourri de l'immigration européenne). Mais les USA sont surtout représentés par le producteur Jeremy Prokosch (Jack Palance) qui est caricaturé en homme d'affaires bling-bling macho à qui Paul "vend" Camille, du moins l'interprète-elle ainsi. 

Car "Le Mépris" qui est une libre adaptation du roman éponyme d'Alberto Moravia est aussi une tragédie intime (soulignée par une musique magnifique de George Delerue), celle de la déréliction d'un couple qui n'en finit plus de se déchirer "à bas bruit". Les avances de Jeremy Prokosch servent de déclencheur (ainsi qu'une main aux fesses de sa secrétaire qui révèle le tempérament libidineux de Paul autant que le moment où il "mate" des peintures érotiques) mais ce sont les difficultés de communication entre Paul et Camille qui précipitent la fin de leur couple. Paul apparaît suffisamment ambigu pour instiller le doute dans l'esprit du spectateur. Au point que la célèbre scène d'introduction ("Tu aimes mes pieds/chevilles/genoux/épaules/fesses/seins/visage") peut s'interpréter a posteriori comme une sorte de publicité pour la "vente à la découpe" alors que Camille s'enferme dans une attitude boudeuse et distante qui retarde l'issue "fatale". La mise en scène de Godard atteint ici des sommets de génie dans l'utilisation de l'espace et des mouvements pour suggérer la séparation du couple (de la voiture du producteur qui se met entre eux aux plans sur la terrasse où Paul et Camille se ratent ou encore les tentatives de Paul pour évincer Jérémy du canapé où il s'est rapproché de Camille).

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Les Créatures

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1966)

Les Créatures

"Les Créatures" est l'un des films les plus expérimentaux et les plus méconnus de Agnès Varda, proche par certains aspects (l'utilisation d'écrans de couleur, la critique sous-jacente des effets délétères du patriarcat) de son précédent opus "Le Bonheur". Il fait beaucoup penser à deux films alors encore à venir de Alain Resnais "Je T'aime, je T'aime" pour l'utilisation (ici fantasmée par le biais de l'écriture) d'une technologie intrusive sur les cerveaux humains et pour un montage fantasque épousant la psyché humaine et "L'Amour à mort" pour l'utilisation de la musique contemporaine et l'alternance de plans côté pile et de plans côté face. Agnès Varda s'est beaucoup inspiré du docteur Mabuse de Fritz Lang et de la partie d'échecs du "Septième Sceau" de Ingmar Bergman tout en taclant ses petits camarades (tous masculins) de la Nouvelle vague.

Sur le plan de l'histoire, "Les Créatures" ne montre pas une société progressiste, bien au contraire, la manière dont il dépeint les relations humaines (hommes-femmes notamment) est la plus inquiétante qui soit. Agnès Varda adopte le point de vue de l'écrivain Edgard Piccoli (alias Michel Piccoli) qui a une vision paranoïaque du monde. Il vit retranché dans un fort comme s'il était assiégé et prête aux gens qu'il croise durant son séjour sur l'île de Noirmoutier des vies et des intentions (couchées ensuite sur papier) qui sont systématiquement négatives. Comme le dit Le Monde " Les amoureux se querellent, presque tous les couples se défont, les petites filles sont sournoises, les mœurs bizarres et les gens vulgaires, frivoles, vindicatifs, aigris, menteurs, violents, méchants." La seule personne qui échappe à cette misanthropie est sa femme Mylène (Catherine Deneuve) qui par contraste est un ange de pureté et pour cause! Elle vit cloîtrée dans leur forteresse, elle est muette (voire invalide au vu du nombre de fois où son mari la porte) et passe l'essentiel de son temps à attendre la naissance de leur enfant, habillée et coiffée comme une poupée. Bref la femme-objet idéale sur laquelle l'homme peut projeter ses fantasmes de domination totalitaire (fantasmes qui s'incarnent dans le personnage du savant fou qui contrôle à l'aide d'une machine ses "créatures", mot qui donne son titre au film). D'ailleurs le seul moment où Mylène manifeste une quelconque volonté propre, c'est au début, quand elle a encore sa voix. Elle demande à Edgar de rouler moins vite. Evidemment il ne l'écoute pas (cela constituerait une limite à sa liberté, le pauvre chéri) et c'est l'accident. C'est pourquoi j'ai pensé durant tout le film que Mylène était en fait morte et qu'elle n'existait que dans l'imagination de son mari qui pouvait ainsi la plier à tous ses désirs. Comme dans "Le Bonheur", il faut donc un certain travail de réflexion pour percevoir ce qu'il y a de profondément féminicide dans leur couple. Le gigantesque crabe qui se dresse plusieurs fois entre eux le laisse parfaitement deviner.

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La Pointe Courte

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1955)

La Pointe Courte

"La Pointe Courte" du nom d'un quartier de pêcheurs à Sète est la première réalisation de Agnès Varda et l'un des premiers manifestes de la Nouvelle vague. Film autoproduit avec des bouts de ficelle (et beaucoup de bénévolat, du monteur Alain Resnais qui s'inspirera de la structure faulknérienne du film pour son premier long-métrage à la distribution issue du TNP*), il s'en dégage une belle sensation de vie et de liberté. Le tournage en décors naturels avec les habitants du quartier dans leur propre rôle contribue à donner au film un cachet d'authenticité quasi documentaire. En même temps le manque de budget a obligé Agnès Varda à tourner sans le son pour ensuite le faire post-synchroniser à Paris avec d'autres acteurs ce qui confère une étrange sensation de décalage à l'ensemble. Un décalage qui ne s'arrête pas au son d'ailleurs.

Car en effet ce qui caractérise également le film de Agnès Varda, c'est sa dualité, révolutionnaire à l'époque, inspirée par un roman de William Faulkner, "Les Palmiers sauvages". Il y a deux films en un dans la "Pointe Courte" et ils représentent chacun un pan de la filmographie à venir de la réalisatrice. D'un côté le documentaire ethnographique sur le quotidien d'une petite communauté de travailleurs d'un quartier populaire en voie de disparition annonce "Daguerréotypes". Leur résistance à l'autorité préfigure également "Les Glaneurs et la Glaneuse". Agnès Varda a toujours prétendu être quasiment vierge de toute influence cinématographique avant de commencer sa carrière. Néanmoins, beaucoup d'analystes n'ont pu s'empêcher de rapprocher son film du néoréalisme italien. De l'autre la fiction avec des acteurs professionnels issus du TNP* (Sylvia Monfort et Philippe Noiret, alors âgé de 25 ans et qui faisait sa première véritable apparition à l'écran) qui interprètent un couple en crise essayant de faire le point en effectuant un retour aux sources (le personnage de Philippe Noiret étant originaire du quartier contrairement à celui de Sylvia Monfort qui est d'origine parisienne). Cette dualité que Agnès Varda définit comme celle du social et du privé est également à l'œuvre dans la personnalité de l'artiste, à la fois provinciale d'origine et de culture très parisienne tendance rive gauche, considérée par les pêcheurs comme une intellectuelle et pourtant curieuse et passionnée par le contact avec des gens simples. Agnès Varda connaissait bien Sète pour y avoir passé une partie de son enfance et avait des contacts étroits avec les pêcheurs du quartier. De même, son travail de photographe au TNP lui avait permis de nouer des contacts avec les acteurs du film. Cette théâtralité se ressent dans la manière dont ils jouent, de façon neutre et détachée comme ils sont détachés de leur environnement un peu à la manière des films de Bresson (sans parler de certains cadrages en gros plan très proches de "Persona" de Ingmar Bergman) ce qui contraste violemment avec le parler pittoresque et vivant des habitants du quartier. "La Pointe Courte" est donc déjà un autoportrait de Agnès Varda, c'est sa première tentative pour rassembler en un seul tenant les morceaux d'une personnalité faite de contrastes et de contradictions dont l'accomplissement se trouvera dans "Les Plages d'Agnès" en 2007.

* Théâtre national populaire. Né en 1920 à Paris, il est dirigé dans les années 50 par Jean Vilar, le fondateur du festival d'Avignon.

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Le Bonheur

Publié le par Rosalie210

Agnès Varda (1965)

Le Bonheur

Entre deux films de Jacques DEMY, "Vouloir le bonheur, c'est déjà un peu le bonheur" ("Lola")(1960) et "Il faut croire à la vie, il faut croire au bonheur" ("Parking")(1984), Agnès VARDA propose pour son troisième long-métrage sa propre réflexion sur le bonheur. Où son contraire n'est pas très loin. Agnès VARDA décrit en effet son film comme une belle pêche rongée par un ver. Et c'est exactement l'impression que procure un film filant la métaphore du jardin d'Éden et du fruit défendu, un film qui suscite émerveillement et malaise profond. 

Émerveillement tout d'abord car "Le Bonheur" est avant tout un magnifique objet d'art destiné à combler nos sens. Agnès VARDA conçoit déjà son film en plasticienne en le plaçant à la fois sous le signe des impressionnistes et des "Les Parapluies de Cherbourg" (1964) de Jacques DEMY. Le travail sur les couleurs primaires et complémentaires y est primordial avec ces fondus au rouge, bleu, jaune, ces murs violets et vert pomme anti-naturalistes et ces scènes-tableaux champêtres évoquant tour à tour Monet, Manet, Renoir et Van Gogh (pour la présence récurrente du tournesol). La musique n'est pas en reste avec une utilisation expressive d'airs de Mozart. 

Mais cette fête des sens, cette célébration de la vie débouche sur la mort. Les contraires se touchent chez Agnès VARDA. Et une citation pourrait bien donner la clé du film. Il s'agit d'un extrait du "Le Déjeuner sur l'herbe" (1959) de Jean RENOIR, mise en abyme évidente dans lequel Paul MEURISSE dit que le bonheur c'est la soumission à l'ordre naturel. Or quand on voit la petite famille de Jean-Claude DROUOT (devant et derrière la caméra, Agnès VARDA manifestant ainsi son goût pour la confusion des genres et des niveaux de réalité) s'approcher en se tenant la main, elle nous fait penser aujourd'hui au logo de "La famille pour tous" défendant justement cet "ordre naturel" qui est en réalité une construction sociale: papa, maman et leurs deux chères têtes blondes partent pique-niquer un dimanche à la campagne comme on peut l'observer aujourd'hui avec ces familles aux membres indistincts qui font du vélo dans les bois à la périphérie des villes. Mais ce tableau édénique est subtilement perverti par la discrète dévotion au père-roi. C'est en effet en l'honneur de sa fête que la petite famille est partie s'aérer et pendant que monsieur dort, madame (Claire DROUOT) s'occupe de tous les détails matériels. Il n'y a donc pas la moindre parité dans ce couple et la suite va le confirmer lorsque la tyrannie du désir masculin s'épanouit. Tout en douceur et avec un "sourire qui tue", monsieur annonce à madame qu'il a une maîtresse mais que c'est juste du bonheur en plus dont ils profiteront. La preuve, il lui fait aussitôt l'amour avec plus de fougue que jamais puisque grâce à la polygamie, il est au summum de sa puissance virile. Madame est assommée par la nouvelle mais n'a pas voix au chapitre puisque son mari a défini ce qu'elle devait ressentir. Il ne la voit en effet que comme un prolongement "tout naturel" de lui-même et non comme une personne autonome. Il peut d'ailleurs s'imaginer qu'elle n'a pas fait exprès de tomber dans la rivière (ce qui est peut-être vrai d'ailleurs tant cette femme est aliénée). C'est également tout naturellement que sa maîtresse (Marie-France BOYER) prend la place de sa femme une fois celle-ci disparue, démontrant ainsi que les femmes réduites à un rôle n'ont pas d'identité propre: elles sont interchangeables. Et voilà comment on peut dépeindre l'horreur de la dépersonnalisation sous un soleil éclatant, avec la plus suave félicité apparente et les meilleures intentions du monde. Terrifiant.

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Muriel ou le temps d'un retour

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1963)

Muriel ou le temps d'un retour


"Tu veux raconter Muriel. Muriel, ça ne se raconte pas". Comment parler et montrer, comment témoigner et transmettre ce qui relève d'une expérience traumatique indicible et infilmable, une expérience du passé qui infuse tellement le présent qu'elle l'empêche d'advenir en suspendant le cours du temps, en mettant la vie entre parenthèses. Voilà le défi auquel le réalisateur Alain RESNAIS et le scénariste Jean CAYROL se sont confrontés en tentant de représenter par le biais de l'art le "passé qui ne passe pas" par la voie du documentaire avec "Nuit et brouillard" (1956) et de la fiction avec "Muriel ou le temps d'un retour" (1963). Il faut dire que les deux hommes sont contemporains de la seconde guerre mondiale et de la guerre d'Algérie, deux événements traumatiques ayant accouchés de mémoires douloureuses et conflictuelles qui ont été pour la plupart longtemps étouffées par la censure (celle de l'Etat mais aussi celle de la conscience qui pour continuer à vivre s'est scindée en refoulant ce qui était insupportable).

C'est pourquoi la linéarité de "Muriel ou le temps d'un retour" est trompeuse. La vérité du temps de "Muriel" est dans le titre. Il s'agit d'un récit au présent sans cesse haché, traversé, fragmenté, interrompu, dissocié par les éclats du passé non digéré qui "fait retour" à la manière d'un gigantesque palimpseste. Ce passé fragmentaire se manifeste par tous les moyens que le cinéma peut produire: des images (d'archive notamment, photos ou films), des mots, des sons, de la musique. Leur intervention dans le récit est conçue pour créer des effets de dissonance. La science du montage de Alain RESNAIS en particulier joue un rôle déterminant. Il isole de tous petits moments qu'il insère dans le récit et qui par des effets de correspondance font sens. Par exemple, Alphonse Noyard (Jean-Pierre KÉRIEN), l'amant de Hélène Aughain (Delphine SEYRIG) évanoui pendant la guerre qui revient dans sa vie à sa demande est un homme opaque et fuyant, un homme de secrets et de mensonges dont l'art de la dissimulation est mis en parallèle avec le refoulé des anciens tortionnaires de la guerre d'Algérie. Lorsqu'il écrase une cigarette, lorsqu'il prononce une phrase anodine en apparence mais qui isolée devient lourde de sens ("Il y a des gens qui prennent mieux les taches que d'autres. Moi par exemple"), lorsqu'il déclare qu'il aime toutes les races mais qu'il hait les arabes. Il en va de même avec Bernard et Robert (Jean-Baptiste Thierrée et Philippe LAUDENBACH) , deux anciens appelés d'Algérie qui ont été témoins et acteurs du calvaire de "Muriel", un surnom donné à une jeune combattante algérienne torturée à mort pendant la guerre (ou plutôt les "événements" comme on disait à l'époque, le terme de guerre étant tabou). Lorsqu'ils en parlent, c'est toujours à mots couverts et comme par hasard un policier se tient systématiquement derrière eux pour veiller au grain (juste retour de bâton du policier censuré de "Nuit et brouillard" (1956)). L'évocation du traumatisme lui-même se situe sous la forme d'un récit situé au milieu du film accompagné par des images d'archives parfaitement anodines qui soulignent justement l'absence d'images du crime. Elles renvoient aux images manquantes de la Shoah (bien évidemment) mais aussi aux vides laissés par les destructions matérielles. La ville de Boulogne-sur-Mer en dépit de sa reconstruction en porte les stigmates. "C'est où le centre-ville?"; "Mais vous y êtes!" L'air égaré du jeune homme parle pour lui: l'espace comme le temps ont été irrémédiablement modifiés par la guerre.

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L'année dernière à Marienbad

Publié le par Rosalie210

Alain Resnais (1961)

L'année dernière à Marienbad


" Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance sont absorbés par des tapis si beaux, si épais, qu’aucun bruit de pas ne parvient à sa propre oreille. Comme si l’oreille, elle-même, de celui qui s’avance, une fois de plus, le long de ce couloir, à travers ces salons, ces galeries, dans cette construction d’un autre siècle, cet hôtel immense, luxueux, baroque, lugubre où des couloirs interminables se succèdent aux couloirs, silencieux, déserts, surchargés par des corps sombres froids des boiseries, de stucs, des panneaux moulurés, marbres, glaces noires, tableaux aux teintes noires, colonnes, encadrements sculptés des portes, enfilades de portes, de galeries, de couloirs transversaux qui débouchent à leur tour sur des salons déserts, des salons surchargés d’une ornementation d’un autre siècle. Des salles silencieuses où les pas de celui qui s’avance… " Ainsi commence "L'Année dernière à Marienbad" un film aussi beau qu'énigmatique, issu de la fusion entre l'écriture du pape du nouveau roman Alain Robbe-Grillet et de l'un des plus importants représentants de la Nouvelle vague, Alain RESNAIS dont c'est seulement le second long-métrage. Néanmoins le film pourrait tout à fait s'intituler "Toute la mémoire des statues" tant il effectue la synthèse entre deux de ses précédents courts-métrages: "Toute la mémoire du monde" qui filme la bibliothèque nationale de France comme les circonvolutions labyrinthiques d'un cerveau et "Les statues meurent aussi" (1953) fondé sur l'animisme de la statuaire africaine.

Tout n'est en effet que labyrinthe et leitmotiv dans ce film-cerveau confinant à l'abstraction qu'est "L'année dernière à Marienbad". On se perd d'autant plus dans l'architecture et les jardins de l'immense hôtel que les plans vertigineux de perspectives tracées par les miroirs, couloirs, enfilades de portes ou de colonnes, d'allées aux arbres taillés ou de bassins en cascades ne cessent de revenir en boucle tout comme l'écriture qui ressasse sans fin les mêmes mots. Tout cette géométrie déroutante, close et répétitive a pour but d'installer une temporalité très particulière, hors du monde qui pourrait être celle du rêve. Cette dimension onirique est renforcée par des personnages aussi rigides et figés que des statues (leurs silhouettes uniformes dans le jardin font penser à celles de Folon ou de Magritte) et qui lorsqu'ils s'animent, répètent mécaniquement tels des robots les mêmes gestes ou les mêmes phrases souvent copiés sur ceux de leurs voisins. Cette facticité du comportement va de pair avec l'environnement en trompe l'oeil donnant à l'ensemble un caractère déshumanisé.

Deux personnages se détachent cependant de ce cadre fantomatique. Un homme, X (Giorgio ALBERTAZZI) et une femme, A (Delphine SEYRIG). Ils ne cessent de se perdre et de se retrouver dans le labyrinthe spatio-temporel construit par le film qui est aussi celui de leur mémoire (thème fondamental de la filmographie de Alain RESNAIS). L'homme cherche à persuader la femme qu'ils se sont déjà rencontrés "l'année dernière" à plusieurs endroits possibles. Mais elle lui résiste et dit ne pas se souvenir. Pour appuyer ses dires, il égrène des souvenirs très précis et même une photographie comme autant de pièces à conviction ou de morceaux d'un immense puzzle que le spectateur serait invité à reconstituer. Le nombre important de photographies conservées par la femme et le caractère répétitif des souvenirs laisse entendre en effet que cette entreprise s'est déjà produite plusieurs fois, qu'il y a eu plusieurs "années dernières" dans "plusieurs endroits" et qu'elles ont toutes échoué. Ce jeu de pistes laisse au spectateur la possibilité de forger plusieurs interprétations de cette histoire. L'homme qui contrairement aux pantins de cire qui peuplent le château est doté d'une conscience, d'une mémoire et d'une imagination peut vouloir échapper à la prison mentale de l'hôtel par le sentiment amoureux. Ce qui implique de fabriquer une femme à son image en l'humanisant. Statue parmi d'autres au début du film (sa posture le suggère fortement), la femme est de plus en plus vivante au fur et à mesure qu'elle se laisse toucher par le récit de l'homme au point que le film finit par épouser son point de vue à elle (c'est donc qu'elle est un être suffisamment autonome pour en avoir un). L'allusion finale au conte de Cendrillon (la chaussure, les 12 coups de minuit) laisse entendre que le temps leur est compté. Mais à l'inverse, on peut aussi voir cet homme comme un prédateur et la femme comme une proie. Les flashs mentaux récurrents peuvent être vus comme un traumatisme. En effet l'intrusion mainte fois répétées de l'homme dans sa chambre et ses réactions d'horreur font penser à un viol de même que la contamination de ses pensées en elle. Comme le nouveau roman et le cinéma de Alain RESNAIS sont très formalistes, on peut ajouter encore une autre sens à cette histoire, celle d'un personnage qui se rebelle contre le metteur en scène pour s'autonomiser, prendre le contrôle du film (les images contradictoires seraient alors l'expression d'une lutte de pouvoir) et s'en échapper à la fin.

Un film aussi abstrait, cérébral et froid en apparence ne fait pas penser a priori à du Alfred HITCHCOCK, pourtant son image apparaît brièvement à la dixième minute du film. C'est que Alfred HITCHCOCK qui est admiré par la Nouvelle vague dissimule son formalisme derrière des histoires divertissantes. Plusieurs de ses films ont pour point de départ des figures géométriques abstraites qui deviennent ensuite figuratives: la spirale de "Vertigo" (1958), les lignes de "La Mort aux trousses" (1959) ou de "Psychose" (1960). On peut ajouter que l'histoire de "La Mort aux trousses" (1959) ressemble à celle de Marienbad avec l'histoire d'un homme que l'on confond avec un fantôme et qui s'extrait d'un monde de simulacres en tombant amoureux.

Enfin "Shining" (1980) réalisé vingt ans après "L'année dernière à Marienbad" partage des caractéristiques avec lui, notamment l'hôtel-labyrinthe hors du temps et les flashs mentaux.

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Rentrée des classes

Publié le par Rosalie210

Jacques Rozier (1956)

Rentrée des classes

Ce que j'aime particulièrement dans les courts-métrages, c'est qu'ils offrent la quintessence du style et de l'âme d'un cinéaste. "Rentrée des classes", le premier court-métrage de Jacques ROZIER est considéré comme l'un des films fondateurs de la Nouvelle Vague mais c'est aussi la quintessence du cinéma que développera par la suite ce cinéaste si singulier. Le titre annonce l'entrée dans un cadre normé pour mieux offrir dès que possible une bifurcation vers un espace-temps de liberté avant de retourner dans le cadre. La "parenthèse enchantée" pourrait être le titre de tous les films de Jacques ROZIER. A chaque fois, il s'agit de quitter la civilisation et son chemin tout tracé pour s'évader sur les chemins de traverse offerts par la nature (forêt, mer, îles ou ici rivière). Au temps productiviste et rigide rythmé par les contraintes s'oppose celui, dilaté et sinueux, de la contemplation. "L'Ecole buissonnière" (titre alternatif du film) du jeune René Boglio devient une échappée impressionniste et lyrique où éclate le talent de Jacques ROZIER pour filmer le vivant notamment grâce à l'attention portée aux variations de lumières et à une bande-son alternant les bruits de cigales et d'eau avec des extraits de la "Flûte enchantée" de Mozart. Et lorsque René retourne à ses cahiers, il a une petite surprise dans sa poche dont l'intrusion suffit à jeter la classe sans dessus dessous. Preuve s'il en est qu'une petite révolution (cinématographique) se prépare. Il faut dire que Jacques ROZIER a été à l'école des deux Jean, Jean VIGO et Jean RENOIR. Du premier à qui il a consacré un portrait il a le caractère fondamentalement insoumis et n'a jamais caché que "Rentrée des classes" était un petit frère de "Zéro de conduite" (1933). Du second, il a le même sens de la captation des frémissements de la nature, la filiation impressionniste de "Rentrée des classes" ne faisant aucun doute.

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Du côté d'Orouët

Publié le par Rosalie210

Jacques Rozier (1973)

Du côté d'Orouët

"Du côté d'Orouët" ça sonne comme "Du côté de chez Swann" et ce n'est certainement pas un hasard. Au lieu de raconter une histoire structurée par un scénario, Jacques ROZIER préfère nous immerger dans un grand bain sensoriel rythmé par les jours qui passent, s'en vont et ne reviendront plus. Il saisit sur le vif des éclats de vie d'autant plus spontanés qu'ils s'inscrivent dans des moments de creux, de "vacance", de vide. Il extrait ses personnages de leur quotidien corseté, rythmé par les contraintes pour les filmer en vacances, dans une parenthèse à la fois hors du temps et éphémère. Cela rend son film très proche et vivant d'autant que sa caméra est aussi légère et libre que le jeu des acteurs, en partie improvisé. Une méthode issue de la Nouvelle Vague et que l'on trouve aussi dans le cinéma indépendant américain de cette époque. Bien qu'il ne se passe "rien" à proprement parler, qu'il n'y ait "rien" à voir puisque Jacques ROZIER élude tous les faits saillants, le fait d'être à ce point plongé dans l'intimité des personnages fait que les 2h34 du film passent en un éclair et qu'on en voudrait encore. Encore de quoi? Du goût des gâteaux à la crème et des gaufres dont les trois filles Caroline (Caroline CARTIER), Joëlle (Danièle CROISY) et Kareen (ou Karine? jouée par Françoise GUÉGAN) s'empiffrent, de l'odeur iodée qu'elles respirent à plein poumons, de la chaleur du soleil qui caresse leur peau et du bruit du vent qui souffle en tempête et les pousse à se pelotonner sous la couette avec un thé chaud, des biscuits et un jeu de cartes à la main, des sentiers boisés qu'elles parcourent à cheval et de l'eau qui entre par paquets dans le voilier sur lequel elles sont pris place. Et puis pour troubler le jeu il y a Gilbert (Bernard MENEZ dans son premier rôle) et Patrick (Patrick VERDE). Gilbert, le petit chef de bureau maladroit qui s'incruste au milieu du gynécée au prix de la perte de sa virilité symbolisée par la scène des anguilles. Face à cet eunuque réduit malgré lui au rôle de larbin et de souffre-douleur, Patrick le sportif bronzé incarne au contraire la séduction de la force virile tranquille qui attise les rivalités féminines pour mieux s'en jouer. Comme si l'autre sexe ne pouvait exister qu'en position de victime ou de bourreau. C'est lorsque Gilbert finit par plier bagages, dégoûté par le traitement que lui font subir les filles que celles-ci réalisent ce qu'elles ont perdu. Caroline fond en larmes et plus tard, lorsque Joëlle trouve une sardine de tente dans le jardin qu'elle décide de laisser en souvenir de son passage, Caroline ajoute "Tu dis qu'il était ennuyeux mais sans lui on aurait eu des vacances complètement ratées". Et Joëlle d'ajouter "oui...peut-être". Et la caméra continue à s'attarder longuement sur cette sardine plantée dans une corne d'abondance, souvenir d'un temps désormais à jamais révolu.

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