Je ne connais pas bien Emmanuel MOURET, je profite du cycle qui lui est consacré sur Arte pour découvrir ses films. Mais pour l'instant, si je les trouve agréables et élégants, ils ne me marquent guère, à l'exception de "Mademoiselle de Joncquieres" (2017) qui est l'adaptation d'un texte de Diderot que j'adore. "Une autre vie" qui s'écarte de son genre de prédilection, la comédie sentimentale au profit du mélodrame m'a fait penser à un exercice de style désincarné. Tout y est trop intellectualisé et j'ai eu bien du mal à croire au fossé social censé séparer Paul et Aurore de Jean et Dolorès ainsi qu'à la passion flamboyante entre Aurore (Jasmine TRINCA) et Jean dont on a bien du mal à comprendre d'où elle sort tant les personnages sont ectoplasmiques. Passe encore JOEYSTARR en électricien romantique mais j'ai trouvé le personnage de Virginie LEDOYEN ridicule et pesant en manipulatrice prête à tout pour susciter la pitié, y compris perdre ses jambes. Les dialogues sont affligeants, digne d'un roman Harlequin, du genre "Jean est à moi", "Je n'ai pas d'autre famille que lui, vous vous avez tout, laissez-le moi" comme si Jean était un objet qui pouvait être possédé et comme si l'amour, ça pouvait se décréter! Bref, j'ai été rapidement agacée par ce roman-photo digne des pires clichés sentimentaux et dépourvu de toute chaleur humaine.
Un homme, trois femmes, combien de possibilités? Film de fin d'études de Emmanuel MOURET qui avait déjà réalisé trois courts-métrages pendant son cursus à la Fémis, "Promène-toi donc tout nu" est un moyen métrage qui fait beaucoup mais alors vraiment beaucoup penser à du Eric ROHMER, celui de "La Collectionneuse" (1967) ou du "Conte d'ete" (1996). L'histoire se déroule à Marseille, la ville d'où est originaire Emmanuel MOURET et raconte une jeu amoureux entre un jeune homme immature (Emmanuel MOURET), sa petite amie qui souhaite qu'il s'engage et lui pose un ultimatum en ce sens et deux filles pas farouches (une amie et "l'amie de son amie" ^^) qui jouent à pile ou face pour qu'il teste l'une d'entre elles avant qu'il ne se décide. Au menu: des jeunes gens en vacances au bord de la mer ou dans des villas désertées, les jeux de l'amour et du hasard, un ton décalé et ludique, des dialogues et des situations à la fois libertins (et parfois vulgaires) et candides, une mise en abyme (Clément est le narrateur de l'histoire et certaines des phrases qu'il emploie sont ensuite récitées par les personnages ce qui renvoie au fait qu'il est interprété par le réalisateur), des filles (Constance et Liberté ah ah ah!) qui mènent le jeu autour d'un garçon qui le subit jusqu'à ce qu'il finisse par se prendre en main. Au final, on a un assez joli conte initiatique, pas impérissable mais annonciateur de la suite de sa carrière.
Après "Mademoiselle de Joncquières" (2018) que j'ai beaucoup aimé, j'ai eu envie de voir le film le plus récent du réalisateur. Bien que se déroulant de nos jours, il a d'ailleurs gardé quelques traits de son prédécesseur ce qui en fait un film hors du temps, notamment la nature sublimée par la lumière, les intérieurs d'hôtels particuliers du XVII° et un caractère littéraire prononcé. Le plaisir de raconter est en effet au coeur du film, en plus du fait que Maxime est un aspirant écrivain. La mise en scène de cette "carte du tendre" est astucieuse (tout en étant bien maîtrisée) par le fait que les récits s'y entrelacent, au point de ne plus très bien distinguer ce qui relève de la réalité et du fantasme. Au départ, il n'y a que deux narrateurs, Daphné (Camélia JORDANA) et Maxime (Niels SCHNEIDER) qui délivrent leur point de vue sur leur parcours sentimentaux respectifs tumultueux fait de hasards et coïncidences mais aussi de désirs inassouvis ou contrariés mais leurs récits inachevés et subjectifs bénéficient ensuite d'un autre éclairage avec ceux d'autres personnages qui gravitent dans leur orbite comme François (Vincent MACAIGNE), Stéphane (Jean-Baptiste ANOUMON) et Louise (Emilie DEQUENNE). Parce qu'il s'agit d'un cinéma moraliste (mais pas moralisant) d'errements géographiques et sentimentaux dans lequel ceux-ci sont médiatisés par le verbe on a beaucoup rapproché Emmanuel MOURET de Éric ROHMER mais dans ce film en particulier, la référence qui m'a le plus sauté aux yeux est Woody ALLEN. La dernière scène de "Les Choses qu'on dit, les choses qu'on fait" ressemble beaucoup à celle de "Café Society" (2016). Les personnages ont fait des choix qui les ont enfermés dans une trajectoire et ils rêvent ou regrettent celles qu'ils n'ont pas empruntées ou bien à laquelle ils ont renoncé. La volatilité, la contagiosité* et l'imprévisibilité du désir (qui pour ne rien arranger parfois avance masqué), l'inconstance des sentiments qui en résulte s'oppose forcément à toute relation amoureuse quelque peu durable et constructive. Au point d'ailleurs qu'il est évoqué dans le film de façon très juste que les mariages arrangés d'autrefois étaient souvent plus solides que les unions amoureuses d'aujourd'hui. Mais sans en faire une règle générale pour autant. Ainsi la "fourmi" Victoire (Julia PIATON) qui a planifié sa vie maritale et parentale comme s'il s'agissait d'un plan de carrière se fourvoie autant que les "cigales" qui butinent à toutes les fleurs qui leur plaisent sans se soucier des conséquences (le marquis des Arcis n'est vraiment pas loin du tout!) D'ailleurs chez Woody Allen comme chez Emmanuel Mouret, un philosophe intervient dans le rôle de la boussole morale qui fait tant défaut aux protagonistes, complètement perdus dans l'obscurité de leur labyrinthe intérieur. Il y fait l'éloge de l'altruisme et du lâcher-prise parce que c'est la seule chose qui peut procurer à la longue un sentiment durable de pleine et entière satisfaction.
* J'ai étudié le livre de René Girard "Mensonge romantique et vérité romanesque" dans lequel il évoque le médiatisation du désir, un des thèmes du film (très présent aussi dans la filmographie de Woody Allen).
Ma première incursion dans la filmographie de Emmanuel MOURET aurait pu être plus précoce. En effet "Les Dames du bois de Boulogne" (1944) de Robert BRESSON est l'un de mes films préférés et je ne me lasserai jamais de l'histoire qui sert de support originel à l'adaptation de Bresson comme à celle de Mouret à savoir l'épisode de Mme de la Pommeraye dans Jacques le Fataliste de Denis Diderot. Seulement, je n'ai compris que récemment de quoi parlait "Mademoiselle de Joncquières"* ce qui m'a conduit à me jeter sur un film que j'aurais pu voir déjà à plusieurs reprises. Si la version de Bresson se démarque par le jeu intense de la tragédienne Maria CASARÈS dans le rôle de la femme blessée et vengeresse ainsi que par une fin touchée par la grâce, celle de Mouret, très fidèle à l'histoire initiale, est tout aussi puissante mais pour des raisons différentes. En effet, elle conte l'histoire d'une métamorphose, celle du marquis des Arcis. Le choix de Edouard BAER pour l'incarner relève d'ailleurs du génie tant ce rôle lui va comme un gant. On a beaucoup comparé "Mademoiselle de Joncquières" à "Les Liaisons dangereuses" (1988) mais c'est un contresens. Choderlos de Laclos avait transposé la stratégie militaire dans le domaine amoureux si bien que chez Valmont, il n'était question que de conquête, de siège et d'assaut ce qui l'entraînait jusqu'à la guerre totale avec Mme de Merteuil, aboutissant à leur anéantissement réciproque. Des Arcis est au contraire un rêveur immature, courant après des désirs voués à disparaître aussitôt satisfaits, dont les femmes se jouent plus qu'il ne se joue d'elles et qui m'a fait penser à Antoine Doinel et à son double, François TRUFFAUT "l'homme qui rêvait les femmes" ^^. Toute la fantasmagorie du marquis autour de la pureté supposée de Mademoiselle de Joncquières a suscité chez moi des réminiscences de Fabienne Tabard que Antoine Doinel voyait comme une nouvelle Henriette de Mortsauf (l'héroïne de "Le lys dans la vallée" de Honoré de Balzac) avant que celle-ci ne le réveille brutalement en lui mettant les points sur les i quant à sa nature charnelle, loin de l'"apparition" éthérée qu'il s'était imaginé. Chez le naïf marquis aussi, le réveil est brutal lorsqu'il découvre que la prétendue sainte pour laquelle il se meurt de désir faute de ne pouvoir la posséder et qu'il a donc épousé est en réalité une ancienne prostituée, dupé par une ex résolue à le détruire socialement. Cela l'oblige à faire un choix: muer ou disparaître. En choisissant la première solution, il franchit le Rubicon entre archaïsme et modernité. Il devient en effet un homme capable d'aimer une femme réelle et entière, avec son passé ce qui est une façon de reconnaître une forme d'égalité avec lui-même qui s'est conduit en libertin. La vengeance de Mme de Pommeraye transformée en éducation sentimentale n'est certainement pas un acte d'amour de celle-ci, c'est la part irréductible de liberté en chaque personnage qui fait dévier la flèche qu'elle a lancé de son but initial. Bien que jouée plus légèrement par Cécile de FRANCE que par Maria CASARÈS, elle reste cette femme manipulatrice qui semble prendre plaisir à tirer les ficelles de son petit jeu cruel mais qui est en réalité rongée par une souffrance et une amertume que les pieux mensonges de son amie (Laure CALAMY) ne parviennent pas à duper. Les expressions du visage de Cécile de FRANCE captées par Emmanuel MOURET, en contradiction flagrante avec ses paroles (l'une des raisons avec le maniement d'une langue française châtiée qui ont amené la critique à comparer Emmanuel Mouret avec Éric ROHMER) ne laissent aucun doute là-dessus.
* Chez Diderot, elle s'appelle mademoiselle d'Aisnon et chez Bresson qui a situé l'histoire dans un contexte qui lui était contemporain (sans doute faute de moyens pour une reconstitution historique, le film datant de 1945), Agnès.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.