Décidemment, les tours de magie de Georges MÉLIÈS me font penser à l'univers de Harry Potter. Déjà dans "Les Affiches en goguette" (1906), les portraits prenaient vie et s'amusaient à se rendre visite. Dans "Le Locataire diabolique" qui est plus tardif (1909), un peu plus long et élaboré (6 minutes, deux décors) et de surcroît colorisé à la main, image par image, c'est le principe du sac et de la malle sans fond qui est exploré. Sac que Méliès a ensuite revendu à "Mary Poppins" (1964) avant qu'il ne termine dans la chaussette d'Hermione en version miniaturisée. C'est fascinant de voir comment une idée joue ainsi à saute-mouton avec les générations de film en film, d'oeuvre en oeuvre jusqu'à nos jours.
Par ailleurs, on remarque que dans "Le Locataire diabolique", il n'y a pas que le bagage qui est magique, les meubles le sont aussi et à un moment du film, se mettent à danser pour faire tourner en bourrique le propriétaire comme trois ans plus tard ceux de "Entente cordiale" (1912) de Max LINDER. Enfin le bagage magique ne sert pas seulement à transporter l'ameublement complet d'un appartement (que par le biais des trucages, Georges MÉLIÈS transforme en cartons pliables au moment de les ranger dans le sac). Il sert aussi à déménager à la cloche de bois quand le moment de payer le loyer est arrivé. Celui-ci se débarrasse des fâcheux en les faisant disparaître (ou en disparaissant lui-même!) avant de laisser derrière lui en partant un dernier meuble enchanté pour qu'il leur joue un dernier bon tour, libre comme l'air.
Connaissez-vous le principe des portraits qui s'animent et interagissent les uns avec les autres en se rendant visite par exemple? Et bien cela existait avant Harry Potter et avant "Toy Story" (1995) grâce à la magie du cinéma de Méliès. Le film qui date de 1906 donne à voir un mur recouvert par sept affiches publicitaires aux noms délicieusement désuets (Jean-Pierre JEUNET en a fait d'ailleurs un élément de sa propre poésie urbaine), successivement pour « Les Extraits de Bidoche Poirot », la « Poudre des Fées », « La Trouillotine », « Le Tripaulin », « Le Nouveau Dépôt », « Le Quinquina au Caca O » et les « Corsets Mignon ». Un cadre vide, initialement rempli de graffitis (« Mort aux flics »), accueille bientôt une huitième affiche : « Parisiana, l’amour à crédit ». Après cette présentation, les affiches s’animent et les personnages qui les composent deviennent des acteurs « en chair et en os » comme dans "Les Cartes vivantes" (1905) qui non seulement s'amusent entre eux mais également avec les flics qui longent le mur, jusqu'à renverser les rôles dans un final assez savoureux. Outre la performance technique (pour l'époque) et la féérie qui se dégage du procédé, on comprend que Georges MÉLIÈS n'aime guère les forces de l'ordre (de nos jours, il serait montré du doigt par toute une partie de la société pour cela) puisqu'il s'amuse à les "mettre en boîte" après les avoir enfarinés ^^. A l'inverse ses personnages de papier eux sortent des cadres dans lesquels on les a placés, séparés les uns des autres pour se rejoindre et faire la fête ensemble.
Georges MÉLIÈS est en ce moment à l'honneur sur Arte dont le replay propose plusieurs de ses courts-métrages sous le thème de la fantaisie et du rêve. Et j'ajouterai, de la magie. Car "Les cartes vivantes" comme beaucoup de ses films est un numéro d'illusionnisme "boosté" par les moyens du cinéma. Georges MÉLIÈS n'est pas le père des effets spéciaux pour rien. Il a compris le premier que le cinéma permettait de transcender les limites physiques et de rendre possible l'impossible en ouvrant un espace imaginaire illimité. Il est parfaitement logique qu'il ait donc pu aller sur la lune bien avant Neil Armstrong comme un chaînon manquant entre la littérature de Jules Verne et la technologie qui a rendu cet exploit réalisable dans le réel. Cependant il n'existe encore aucun moyen de devenir invisible, de traverser les obstacles sans leur causer de dommage ou bien de transformer un objet inanimé en une personne vivante. Il s'en donne donc donc à coeur joie avec ce tour de cartes durant lequel celles-ci changent de taille, de nature en finissant même par lui jouer un bon tour! les trucages artisanaux lui permettent d'apparaître et de disparaître à volonté, d'escamoter des objets, de les transformer ou bien de se dupliquer à l'écran. L'essence même du cinéma est mise en abyme quand la reine de coeur et le roi de trèfle passent du statut d'images inanimées en deux dimensions à celui d'image animée (toujours en deux dimensions certes, époque oblige) d'une personne vivante évoluant dans un espace qui lui est en trois dimensions, préfigurant ainsi l'avenir des effets spéciaux.
Un des courts-métrages les plus fameux de Georges MÉLIÈS dans lequel celui-ci utilise plusieurs trucages maîtrisés à la perfection: fond noir, arrêt caméra, surimpression, jeu sur la perspective et le cadre dans le cadre pour créer l'illusion d'une tête coupée (la sienne) qui gonfle et se dégonfle comme un ballon actionné à l'aide d'un soufflet par un apothicaire (lui-même). Contrairement à ce que pensait l'historien du cinéma George Sadoul, ce n'est pas la caméra qui s'approche du sujet mais à l'inverse le sujet qui s'approche (ou s'éloigne) de la caméra à l'aide d'un chariot monté sur rails. Georges MÉLIÈS qui se plaçait du point de vue du spectateur de son théâtre Robert Houdin n'imaginait pas en effet qu'il pouvait bouger la caméra. Quant au gag final, il créé un effet de surprise, à la fois burlesque et terrifiant qui fait penser à un cartoon. Les corps vivants chez Georges MÉLIÈS subissent en effet toutes sortes de transformations impossibles dans la réalité mais abondamment utilisées dans le cinéma d'animation burlesque: aplatissement, démembrement, éclatement, dédoublement, lévitation, grossissement, rapetissement, disparition, réapparition etc.
Georges MÉLIÈS converse avec son double qu'il fait apparaître dans un tableau animé. Si ce court-métrage est l'un des plus célèbres de son auteur ce n'est pas par hasard. En effet il se situe à la fois dans la tradition de l'illusionnisme d'où est issu Georges MÉLIÈS et en même temps il explore à travers son sujet les possibilités du cinéma. Sur le plan technique, Georges MÉLIÈS a recours à de minutieux trucages artisanaux (à base de trompe l'oeil et de découpage/collage de bouts de pellicules). Sur le plan esthétique, le film est un exemple par l'insertion du tableau de surcadrage, le cadre dans le cadre ayant ici valeur de mise en abyme. Georges MÉLIÈS se met en effet en scène et ce, pour se tourner se dérision, en se moquant notamment de sa calvitie. N'est-ce pas justement ce que permet la réflexivité du miroir tendu à l'auteur? Enfin, Georges MÉLIÈS se démultiplie non seulement devant mais aussi derrière l'écran en jouant tous les rôles: réalisateur, scénariste, producteur et même distributeur!
Court-métrage de Georges MÉLIÈS réalisé en 1900, "Le déshabillage impossible" se situe dans la lignée de "Escamotage d une Dame au Théâtre Robert-Houdin" (1896). Il s'agit d'un numéro d'illusionnisme utilisant le même trucage cinématographique consistant à arrêter la caméra puis à reprendre le tournage après avoir effectué un changement hors-champ, tout l'art consistant en la qualité du raccord qui doit donner l'illusion d'une continuité temporelle. Et ainsi de suite, les raccords se multipliant comme deux glaces se renvoyant leur reflet à l'infini.
Dans ce court-métrage, un homme (Georges MÉLIÈS lui-même) tente de se déshabiller pour aller se coucher mais d'autres vêtements repoussent sur lui aussitôt comme par magie, l'arrêt caméra lui permettant de revêtir entretemps de nouveaux habits. Encore lui faut-il reprendre exactement dans la même posture que celle du plan précédent pour que l'illusion fonctionne et c'est une technique de précision. La repousse des habits sur près de 2 minutes se prolonge peut-être un peu trop mais la chute (escamotage du lit) est bien trouvée.
Le voyage dans la lune c'est d'abord une image définie ainsi par Marc Caro " Le visage de la lune avec la fusée dans l'oeil est un peu la Joconde de l'art cinématographique ". Un symbole du septième art tout entier. Car Méliès n'est pas qu'un magicien. Il est aussi un conteur, un illustrateur, un explorateur, un inventeur et un acteur (le professeur Barbenfouillis, chef de l'expédition lunaire n'est autre que lui-même).
Le voyage dans la lune c'est aussi un jalon clé de l'histoire du cinéma. Pour l'époque, il fait figure de superproduction avec ses 14 minutes et ses 30 tableaux. Il condense tous les trucages expérimentés dans les films précédents. Il ose même un mouvement de travelling avant sur sa star lunaire qui anticipe de plusieurs années l'invention du langage cinématographique. Il pose les bases du cinéma de science-fiction en transposant au cinéma les œuvres des deux plus grands fondateurs du genre en littérature: Jules Verne (De la terre à la lune, 1865, Autour de la lune, 1870) et H.G Wells (Les premiers hommes dans la lune, 1901). Un film sur le mythe de la frontière, qui repousse les limites de son art et qui est par la suite devenu lui-même un mythe du cinéma.
Le voyage dans la lune c'est enfin une popularité et une postérité qui ne s'est jamais démentie, des cinéastes les plus accros aux effets spéciaux sophistiqués (comme Cameron ou Lucas) à ceux privilégiant une approche plus artisanale et surréaliste (comme Terry Gilliam et ses monarques sélénites à la tête dévissée dans le Baron de Münchausen en 1988). Scorsese réunit par conséquent les deux descendances dans son hommage à Méliès (Hugo Cabret, 2011). Machineries à rouages d'un côté, effets numériques de l'autre.
Mais le plus bel hommage, c'est une simple image, elle aussi devenue mythique "ni tout à fait la même, ni tout à fait une autre". Celle d'un enfant et d'un extraterrestre passant devant la lune à bord d'une bicyclette volante (E.T. l'Extra-terrestre de Spielberg en 1982). Bouclant ainsi la boucle.
Ce petit court-métrage de Georges Méliès marque une date importante dans l'histoire du cinéma français. C'est en effet le premier film qui utilise un trucage qui deviendra la spécialité de ce cinéaste issu du milieu de la prestidigitation et de l'illusionnisme. En 1888, il devient le propriétaire et directeur du théâtre Robert Houdin (un illusionniste célèbre du XIX° fondateur du théâtre) grâce à une donation de son père. En 1985, il découvre avec émerveillement les premiers films des frères Lumière mais comme ceux-ci refusent de lui vendre le brevet de leur cinématographe, il se tourne vers un cinéaste britannique Robert W. Paul qui lui fournit une machine équivalente. Escamotage d'une Dame au théâtre Robert Houdin est son deuxième film. La légende voudrait qu'il ait découvert son premier trucage, l'arrêt caméra un jour où il filmait un omnibus. La manivelle s'enraya et lorsqu'il reprit le tournage il découvrit à la projection que l'omnibus était devenu un corbillard. En réalité il est plus probable qu'il ait découvert cette technique en visionnant un film américain de deux collaborateurs d'Edison, l'exécution de Mary, reine des écossais (1895). C'est ce trucage qui est utilisé pour l'escamotage de la dame, numéro d'illusionnisme cinématographique inspiré de celui de Buatier de Kolta sur scène. Pour ce numéro, Méliès utilise l'arrêt caméra trois fois: pour la disparition de la dame, l'apparition du squelette, la réapparition de la dame. A chaque fois, il faut éliminer les images surexposées provoquées par l'arrêt et le redémarrage de la caméra, d'où un effet collage très perceptible au visionnage. Méliès obtint un franc succès en mélangeant spectacle vivant et projection sur grand écran dans son théâtre.
Hugo Cabret nous propose une passionnante et émouvante relecture de la genèse du cinéma à l'ère du numérique en 3D. Un automate qui rappelle le robot de Métropolis de Fritz Lang et qui dessine la lune de son créateur Meliès. Méliès, ancien magicien et cinéaste oublié dans les années 30 qui par le biais de deux enfants Hugo et Isabelle "ressuscite" en tant qu'artiste. Hugo suspendu à une horloge à la façon de Harold Lloyd dans Monte là-dessus. Hugo rêvant puis vivant une scène où il se retrouve sur les rails de la gare et voit le train foncer sur lui à la façon de l'arrivée d'un train en gare de la Ciotat des frères Lumière (et de la célèbre photo de l'accident de la gare Montparnasse en 1895, année de la naissance du cinéma et gare où Méliès a vendu des jouets pour survivre après avoir été oublié).
Loin d'être "un cinéma de grenier" naphtalisé comme l'ont proclamé stupidement certains critiques, Hugo Cabret est un hommage vibrant au cinéma, un pont jeté entre les époques et les générations, un rappel du fait que toute oeuvre importante s'appuie sur un solide héritage.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.