Autant "Star Wars L Empire contre-attaque" (1980) fait aujourd'hui consensus en tant que meilleur de tous les films Star Wars (toutes trilogies confondues), autant celui qui est devenu l'épisode VI "Le Retour du Jedi" suscite des avis plus mitigés. Pourtant je trouve qu'il réussit l'exploit de réunir l'esprit merveilleux et bon enfant du premier film et la noirceur shakespearienne du second. Une fois de plus, la force mentale, la solidarité et l'ingéniosité ont raison d'un ennemi a priori beaucoup plus puissant, numériquement et technologiquement parlant. Le combat des Ewoks et des rebelles contre les stormtroopers et leurs engins blindés et motorisés sur la lune d'Endor (qui font plus que jamais penser à ceux de la Wehrmacht d'autant que dans l'espace, les vaisseaux de l'Empire émettent des bruits qui rappellent ceux des avions de la Luftwaffe) renvoie à David et Goliath ou au pot de terre contre le pot de fer. Quant aux scènes (devenues cultes) dans l'antre de Jabba the Hutt sur Tatooine elles se situent au carrefour du western (repaire de gangsters dans un environnement désertique et chasseurs de prime) et du roman de chevalerie revu et corrigé (Jabba jouant le rôle du dragon cupide et concupiscent). Enfin Luke achève sa formation en même temps qu'il réussit à rassembler le puzzle de ses origines. Sa mue se poursuit et il n'a plus grand-chose à voir avec le jeune homme naïf du premier film. Sa ressemblance avec Dark Vador se fait plus évidente (les habits noirs, l'éclairage qui vers la fin du film semble engloutir son visage dans l'obscurité et surtout la fausse main qui le rapproche du cyborg qu'est devenu son père) ce qui entretient le suspens moral de l'épisode: va-t-il sauver l'âme de son père ou au contraire va-t-il basculer du côté obscur de la Force? Ni Yoda, ni Obi-Wan Kenobi ne croient en la rédemption. Celle-ci est pourtant au cœur du christianisme des origines (issu du judaïsme) qui imprègne la saga. Elle dépasse l'opposition entre le bien et le mal en traitant ce dernier avec compassion au lieu de chercher à l'éliminer. Luke sait qu'en tuant son père, il tuerait une partie de lui-même donc il ne peut en quelque sorte se sauver qu'en sauvant son père. En même temps, la Force est aussi un champ d'énergie issu des croyances orientales (le Ki) et l'influence de l'Extrême-Orient est tout aussi forte dans cet épisode que dans les précédents avec le duel final au sabre-laser ou la scène de poursuite dans la forêt qui se réfère à l'un des films matriciels de la saga: "La Forteresse cachée" (1958) de Akira KUROSAWA.
"L'Empire contre-attaque" reprend tous les éléments mis en place dans l'épisode fondateur de la saga et les élève jusqu'à l'âge adulte comme doit le faire le personnage principal, Luke dont la mue se fait par de douloureuses épreuves qui le meurtrissent dans sa chair et dans son âme. Coïncidence, l'acteur, Mark HAMILL avait eu avant le tournage du film un grave accident de voiture qui lui avait laissé des séquelles au niveau du visage. Un visage dont l'aspect angélique et enfantin avait contribué à son choix pour le rôle. Et qui se fait plus dur et moins expressif, en parallèle avec une identité terriblement malmenée. Je pense en particulier à la scène de la grotte du mal sur la planète Dagobah. Elle symbolise la descente dans les abysses où Luke affronte Dark Vador, lequel s'avère être la part obscure de lui-même. Cette scène préfigure celle où il l'affronte directement et qui se termine par sa castration symbolique et sa chute en même temps que par la révélation de ses véritables origines familiales. Là, on n'est plus dans le space opera mais dans la tragédie antique ce qui n'est guère surprenant quand on se penche sur les nombreuses références bibliques, grecques et romaines qui parsèment la saga. Le manichéisme primaire du premier film (chevalier blanc contre chevalier noir, "marcheur céleste" contre "sombre envahisseur") est ainsi battu en brèche par la généalogie comme par l'approfondissement de la réflexion sur la nature de la Force. Après Obi-Wan Kenobi (Alec GUINNESS) qui a fusionné avec "le grand tout" à la fin du premier film, c'est au tour du maître Yoda de prendre en main la formation de l'apprenti-Jedi. Avec son apparence de gnome vert, Yoda est une parfaite illustration du fait que les apparences sont trompeuses. L'animation de sa marionnette (créée et manipulée par Frank OZ qui lui prête aussi sa voix et un langage caractérisé par une syntaxe particulière inspirée du latin sans laquelle Yoda ne serait pas Yoda) est tout simplement prodigieuse en ce qu'elle produit une humanité que par la suite les effets numériques ne parviendront jamais à recréer.
En dépit de cette gravité et même d'une certaine noirceur qui touche aussi les autres personnages (C3PO se fait tailler en pièces, Han Solo est torturé puis cryogénisé sans parler de sa rivalité latente avec Luke pour le cœur de Leia étant donné que ces deux derniers ne connaissent pas leurs liens biologiques), l'humour est toujours très présent au travers des compagnons fidèles: Chewbacca, R2D2, C3P0. Enfin le film se caractérise par des scènes d'action épiques dans des décors bien plus grandioses que le film précédent en particulier la bataille des tripodes sur la planète Hoth et la cité dans les nuages de Lando Calrissian (Billy Dee WILLIAMS).
Depuis sa première sortie en 1977 le premier film de la saga Star Wars a connu plusieurs mutations. Il a tout d'abord changé de titre: "La Guerre des étoiles" (ou plutôt si le titre avait été correctement traduit, "Les guerres de l'Etoile" ce qui a autrement plus de sens!) est devenu "Un nouvel espoir", l'épisode IV d'une saga qui en comporte à ce jour neuf (sans parler des films qui en sont dérivés). Il est ensuite aujourd'hui introuvable sous sa forme originelle (du moins officiellement). Son créateur, George LUCAS a décidé pour la ressortie de la trilogie au cinéma en 1997 d'effectuer des incrustations numériques tout à fait dispensables (et discutables car elles jurent avec le reste du film et brouillent l'identité spatio-temporelle dans lequel il a été conçu) et même de changer le sens d'une scène-clé, celle où Han Solo tue Greedo dans la Cantina. Dans la version d'origine il tire le premier alors qu'à partir de 1997, il réagit au tir de Greedo ce qui le place en situation de légitime défense (et depuis la scène a été encore modifiée pour brouiller les pistes). Ce révisionnisme affectant le cowboy de l'espace me fait penser à celui qui a un moment donné a touché Lucky Luke qui ne pouvait plus fumer ni tirer. Imaginez le même traitement appliqué aux westerns de John FORD ou de Sergio LEONE!
Malgré ces vicissitudes, le film de George LUCAS n'est pas devenu par hasard l'une des références incontournable de la planète cinéma. Il réunit les codes du conte ("Il y a bien longtemps dans une galaxie lointaine, très lointaine" résonne exactement comme "Il était une fois" et il y a de nobles chevaliers, une princesse et des forêts… de météorites), ceux du mythe (dont l'unicité à travers les âges et les cultures a été mise en évidence par Joseph Campbell dans son ouvrage "Le héros aux mille et un visages". Ainsi Luke dans la plus pure tradition du récit initiatique quitte son quotidien pour vivre des aventures fabuleuses et s'accomplir en tant que héros) et enfin ceux de plusieurs genres cinématographiques: le space opera, le western (déjà cité plus haut), le film historique (l'anéantissement d'une planète, les combats entre engins spatiaux, les uniformes des officiers de l'Empire et leurs cérémonies renvoient au nazisme et à la seconde guerre mondiale) et le film de sabre japonais (George LUCAS est un admirateur de Akira KUROSAWA et l'influence de celui-ci est très forte). S'y ajoute une forte dimension mystique. "Un nouvel espoir" est un film "réenchanteur" qui affirme haut et fort la supériorité des forces de l'esprit (puisées dans les religions occidentales et orientales) sur la technologie. Enfin le casting n'est pas pour rien dans la réussite du film. Luke, le chevalier blanc est campé par un Mark HAMILL à la candeur émouvante, Han Solo le space cowboy a contribué à propulser le charismatique Harrison FORD au firmament des étoiles ^^ et Leia la princesse au caractère bien trempé et aux célèbres macarons est pour toujours associée à Carrie FISHER a qui le personnage a terriblement pesé. Obi-Wan Kenobi, le mentor spirituel est une sorte de résurrection des premiers moines du désert auquel Alec GUINNESS apporte toute sa classe. Enfin leur antithèse, le chevalier noir Dark Vador est entré dans la légende des plus grands méchants de l'histoire du cinéma.
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.