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Articles avec #losey (joseph) tag

Monsieur Klein

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1976)

Monsieur Klein

"M. Klein" est un film brillant, complexe et dérangeant, se prêtant à de multiples niveaux de lecture (et tout autant de pistes d'interprétation, le film apportant plus de questions que ne donnant de réponses). La principale question que l'on peut se poser est la suivante "mais qu'est ce qui fait courir M. Klein derrière son double?" derrière laquelle s'en pose une autre "Qui est ce double"? En effet s'il est établi qu'il y a deux Robert Klein, l'un juif et résistant vivant à Pigalle dans un appartement miteux et l'autre (Alain DELON dans un de ses meilleurs rôles), défini comme un aryen profiteur de guerre vivant dans le luxe rue du Bac, il est tout aussi évident que ces deux Klein finissent par ne plus en faire qu'un. Le premier dont on ne voit jamais le visage s'avère parfaitement insaisissable au point que l'on peut finir par douter de son existence réelle. Une autre piste possible est le fait qu'en découvrant son homonyme, il ait usurpé son identité pour mieux s'évanouir dans la nature. Enfin une troisième piste parfaitement possible réside dans le fait que Robert Klein endosse une identité qui a priori n'est pas la sienne parce qu'il éprouve des remords. Dépeint dès le générique comme un vautour atteint d'une flèche en plein coeur mais qui continue de voler, on le voit s'enrichir sur le dos des juifs obligés de brader leurs oeuvres d'art à cause des persécutions du régime de Vichy qui s'accentuent en 1942. L'un d'entre eux, joué par Jean BOUISE semble particulièrement lui peser sur la conscience puisqu'il refuse de se séparer du tableau qu'il lui a acheté et on le retrouve juste derrière lui au Vel d'Hiv et dans le train de déportés comme une ombre après laquelle il court. Cette ombre (autre piste possible) c'est peut-être aussi un secret de famille. La scène avec le père laisse suspecter que celui-ci lui ment au sujet des origines des Klein. Ce qui expliquerait aussi pourquoi celui-ci traite avec autant de dédain les documents censés soit prouver sa véritable identité soit lui en donner une fausse: peut-être qu'au fond ils se valent tous.

Car c'est l'autre aspect qui rend "M. Klein" fascinant et glaçant, c'est l'un des meilleurs films qui existe sur l'enfer bureaucratique. Le régime de Vichy est montré comme un système kafkaïen servant à fabriquer des ennemis de papier à partir de clichés antisémites stigmatisant le patronyme, l'apparence physique ou certains traits de caractère comme la cupidité. Ce n'est pas la religion qui définit "le juif" aux yeux de ce régime. Officiellement, c'est l'origine des grands-parents (d'où les certificats mais ceux-ci pouvant être falsifiés comme tous les papiers, ils s'avèrent inutiles) mais le fait de s'appeler "Klein" ou d'avoir une physionomie de type sémite ce qui donne lieu à une scène d'introduction glaçante dans laquelle une femme nue est examinée comme un cheval afin de déterminer si "elle en est". Nul doute que le simple fait de se soumettre à un pareil examen médical faisait de vous un suspect. Klein l'a compris mais en revanche il commet l'erreur fatale de se fier aux règles, aux lois et aux institutions pour tenter de retrouver sa véritable identité. C'est en mettant un doigt dans l'engrenage qu'il se retrouve bientôt englué jusqu'au cou dans une vaste machination qui le dépasse dans laquelle ses "amis" apparaissent comme aussi peu certains que lui-même.

Ajoutons que "M. Klein" est l'un des premiers films reconstituant (même schématiquement) la rafle du Vel d'Hiv car il a réalisé dans les années 70, période où le tabou entourant le rôle du régime de Vichy dans la Shoah commençait à tomber.

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Le Messager (The Go-Between)

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1971)

Le Messager (The Go-Between)

J'avais le souvenir d'un film cruel, j'ai revu un film que je trouve toujours aussi cruel. Cruel et désespéré. Avec cette précision d'entomologiste qui le caractérise (mais qui rendent également beaucoup de ses films froids) Joseph LOSEY filme la société britannique de la Belle Epoque comme une belle toile silencieuse (car marquée par le non-dit) qui cache une fosse aux lions féroce dans laquelle les plus forts mangent les plus faibles. Fosse ou plutôt fossé des classes sociales et des générations dans laquelle ce sont les aînés et les plus riches qui dévorent les plus jeunes et les plus pauvres. Le pauvre Léo a le malheur d'être l'un et l'autre: il sera doublement victime, de sa condition sociale modeste et de la naïveté de sa jeunesse. Mal invité par un milieu dont il ne saisit pas les codes, son inconfort est symbolisé par son costume d'hiver inadapté à la chaleur. Lorsqu'il est rhabillé d'un costume vert, c'est pour mieux faire ressortir son origine étrangère. Je ne sais pas si Joseph LOSEY a choisi cette couleur en référence aux martiens pour caractériser l'enfance ostracisée mais son premier film qui était une parabole anti-raciste s'intitulait "Le Garçon aux cheveux verts" (1948). Léo ainsi "stigmatisé" devient à son insu le larbin de celle qui a choisi son costume (en référence sans doute au valet de pied dont la livrée était justement de couleur verte) à savoir la belle Marian (Julie CHRISTIE) dont il est amoureux. Celle-ci va abuser de sa naïveté en manipulant ses sentiments pour transgresser les règles de son milieu et avoir une liaison avec le très séduisant et sensuel métayer du coin, Ted Burgess (Alan BATES) qui met également l'enfant dans sa poche lorsqu'il comprend comment il peut s'en servir. Bien sûr, Marian et Ted sont à la fois bourreaux et victimes (de leur condition sociale et pour Marian, de son genre, tout cela étant montré lors de scènes éloquentes), leur échappée sans issue les condamnant tous deux à un sort sinistre. Mais lorsque la génération des parents, symbolisée par la mère (Margaret LEIGHTON) rétablit brutalement l'ordre, elle brise également l'enfant qui perd son innocence, ses illusions et sa confiance en l'humanité. De façon très habile, Joseph LOSEY renverse le principe du flashback en faisant du passé le présent de son film alors que le présent qui se situe cinquante ans plus tard n'apparaît que par d'énigmatiques plans-éclairs fantomatiques, à l'image du gâchis de la vie des personnages. Car en procédant ainsi, il montre combien ce passé reste présent et continue à les hanter. Que ce soit Marian qui vit dans la nostalgie de cet amour qu'elle a idéalisé voire sacralisé, son petit-fils avec lequel elle ne peut pas plus communiquer qu'elle ne le faisait avec Ted ou Léo qui est resté sous son emprise en s'empêchant de vivre. Emprise dont il lui est donné une dernière fois de se défaire.

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Temps sans pitié (Time Without Pity)

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1957)

Temps sans pitié (Time Without Pity)

" Depuis des siècles, nous torturons et pendons. En quoi cela nous a-t-il avancés? Qu'avons-nous appris?" Un film qui se pose de telles questions ne peut que susciter mon approbation. Se débarrasser des criminels n'a jamais fait progresser l'humanité, c'est juste un moyen de se défausser du problème sans rien faire pour le résoudre (ça me fait penser à l'insupportable phrase de Manuel Valls sur le fait qu'il ne fallait pas chercher à expliquer les attentats djihadistes, expliquer c'était déjà excuser, ah ah ah, elle est bien bonne celle là!) En effet, outre que la peine de mort n'est qu'un commode exutoire servant à masquer les questionnements que chacun peut se poser sur la part d'ombre qui est en lui, le risque d'erreur judiciaire (les institutions créés par l'homme étant aussi imparfaites que lui) devrait à lui seul empêcher cet acte indigne de toute société dite "civilisée".

C'est justement le sujet du "Temps sans pitié" de Joseph LOSEY: une course contre la montre pour sauver la tête du jeune Alec, accusé à tort du meurtre de sa petite amie (pour impliquer au maximum le spectateur, on connaît l'identité du meurtrier dès la première séquence) et condamné à la pendaison dans les 24h. Une condamnation du même type que celle de l'Affaire Dreyfus, c'est à dire basée sur des préjugés: un alcoolique fils d'alcoolique ne peut faire qu'un coupable idéal. Mais le père d'Alec refuse cette fatalité. Bien qu'atteint au dernier niveau par son addiction, il va se battre pour faire innocenter son fils.

Ce qui m'a frappé dans ce film, c'est sa façon très osée (même aujourd'hui) de mettre en pièces l'institution familiale patriarcale. Il fallait oser faire du personnage principal, David Graham, le père d'Alec (Michael REDGRAVE) une épave humaine à peine capable de tenir sur ses deux jambes et aussi jusqu'au-boutiste dans l'autodestruction que le héros de "The Wrestler" (2008) de Darren ARONOFSKY (même s'il ne se fait pas au final rejeter de la même manière). Il fallait oser faire de la respectable Honor Stanford, épouse typique de l'American way of life (Ann TODD) une femme tyrannisée par son mari et attirée par un homme qui pourrait être son fils (certes, leur relation reste platonique mais elle affirme tout de même son désir et l'embrasse: c'est beaucoup déjà). Il fallait aussi oser faire du mari, Robert Stanford (Leo McKERN) un tyran infidèle et un criminel incapable de contrôler ses nerfs, aussi misérable que David Graham. Il fallait oser enfin faire de leur fils adopté Brian (Paul DANEMAN) le "traître" de ses parents.

L'histoire de Joseph LOSEY, obligé de s'exiler hors des USA à cause de ses sympathies communistes explique sans doute beaucoup l'aspect subversif et engagé de son film (le premier tourné en Europe qu'il signe sous son vrai nom). Mais en plus de toutes ces qualités, c'est un thriller haletant dans lequel un homme au bout du rouleau consume ce qui lui reste d'existence pour faire en sorte que son fils ne le suive pas dans la tombe. Soit exactement l'inverse des familles toxiques dans lesquels les enfants sont tués par leurs parents (et tout particulièrement par celui qui a le plus de pouvoir, le père). Là ce sont les pères coupables qui meurent pour leurs enfants, soit un monde enfin remis à l'endroit.

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M

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1951)

M

En dépit du changement d'époque, du changement de lieu, du changement de contexte par rapport à "M le Maudit" (1931) réalisé vingt ans plus tôt, "M", son remake réalisé par Joseph LOSEY, montre que l'histoire se répète. On assiste en effet dans les deux cas à la montée en puissance du fascisme dans une société démocratique, avec un intense climat de paranoïa propice à la délation, à la chasse à l'homme et au lynchage avec une persécution des artistes trop libres, n'ayant bien souvent que le choix de l'exil. Peu de temps après avoir tourné "M", Joseph LOSEY est en effet contraint de quitter les Etats-Unis pour l'Europe afin d'échapper à la chasse aux sorcières du maccarthysme qui l'avait blacklisté en raison de ses sympathies communistes. Il est d'ailleurs étrange que Fritz LANG qui n'appréciait pas l'idée que son chef d'oeuvre fasse l'objet d'un remake n'ait pas vu le parallélisme entre sa situation au début des années 30 et celle de Joseph LOSEY au début des années 50. Dommage pour lui.

Toujours est-il qu'après avoir été longtemps éclipsé par son illustre aîné, "M" a aujourd'hui refait surface et c'est tant mieux. En effet la version de Losey, tout aussi sinon même plus contrainte par la censure que celle de Lang parvient néanmoins à l'égaler en puissance tout en s'inscrivant dans un cadre plus réaliste et plus moderne dans la lignée des films noirs américains et non plus dans celle de l'expressionnisme allemand. Les personnages évoluent en effet avec la fluidité des plans-séquence dans les décors naturels de la ville de Los Angeles qui sont remarquablement utilisés pour isoler le tueur du reste de la ville ou au contraire lui permettre de s'y fondre. L'influence de la psychanalyse a aussi un impact sur le portrait qui est fait du tueur qui apparaît moins comme un dément incapable de comprendre l'origine de ses pulsions que comme une victime passe-partout de ses parents dans son enfance et d'une société normative qui cautionne les violences infra-familiales tant qu'elles servent à maintenir l'ordre. Car oui, "M" a beau dater des années cinquante, son aspect le plus intimiste est lui d'une brûlante actualité lorsqu'on écoute la confession finale d'un tueur qui est ramené au niveau de ses victimes. En effet en ces temps de libération de la parole, il est plus que jamais nécessaire de comprendre que c'est le déni des violences subies dans l'enfance qui fait le lit des violences de l'âge adulte.

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Deux hommes en fuite (Figures in a Landscape)

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1970)

Deux hommes en fuite (Figures in a Landscape)

Je continue mon exploration de la filmographie de Joseph LOSEY avec ce méconnu et brillant "Deux hommes en fuite" qui montre que celui-ci est aussi à l'aise pour filmer des affrontements physiques et psychologiques dans des lieux clos et étroits que dans les grands espaces tout en conservant à ceux-ci l'allure d'une prison (mais à ciel ouvert). Le caractère volontairement abstrait du film qui voit deux fugitifs lutter contre un hélicoptère qui les traque sans répit m'a fait penser autant à "Duel" (1971) qu'à "La Mort aux trousses" (1959) (pas seulement à cause de la scène de l'avion mais aussi par le caractère géométrique des paysages filmés d'en haut). Si "Deux hommes en fuite" est antérieur au film de Steven SPIELBERG, nul doute que le contexte de guerre froide dans lequel se situe celui de Alfred HITCHCOCK l'a inspiré. Car bien que n'étant jamais contextualisé (on ne connaît ni l'époque, ni les lieux de l'action, ni les raisons qui ont conduit les protagonistes a être privés de liberté, ni comment ils se sont évadés), l'imaginaire collectif ne peut absolument pas manquer le fait que les paysages traversés et les scènes d'action spectaculaires se réfèrent à l'histoire des guerres menées par les USA telles qu'elles ont été illustrées par le cinéma. C'est particulièrement frappant dans les premières scènes qui se réfèrent au western crépusculaire que dans celle où les deux hommes rampent au sol au beau milieu d'une végétation enflammée par leur ennemi, scène qui nous immerge en pleine guerre du Vietnam. La fin, glaciale, fait penser aux échanges d'espions de la guerre froide avec cette frontière au milieu d'un versant de montagne enneigé derrière laquelle se déploient des soldats armés qu'on est en droit d'identifier à l'URSS.

Par ailleurs, le paradoxe du film de Joseph LOSEY c'est que tout en confinant à l'abstraction, il met en scène plus que jamais l'instinct animal de l'homme. Les deux fugitifs (joués par Robert SHAW et Malcolm McDOWELL), tels des bêtes traquées sont engagées dans une lutte à mort qui semble sans issue pour leur survie immédiate mais aussi pour leur avenir. Leurs dissensions liés à l'âge, au milieu social, à leurs différences de valeurs (on apprend quand même quelques éléments de leur vie à travers leurs conversations) ne sont tout de même pas assez fortes pour les séparer et alors qu'au début ils étaient dans une vulnérabilité totale par rapport à leur poursuivant et ses sbires, ils acquièrent peu à peu des armes qui leur permettent de donner le change à ce monstre qui les surplombe et les écrase.

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La Bête s'éveille (The Sleeping Tiger)

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1954)

La Bête s'éveille (The Sleeping Tiger)

Oublions l'emballage de série B, les invraisemblances, l'identité secrète de Joseph LOSEY qui chassé des USA par le maccarthysme réalise son premier film britannique sous le nom de Victor HANBURY, "La Bête s'éveille" est un film puissant qui m'a pris aux tripes comme peu de films l'ont fait depuis bien longtemps, je ne peux que souscrire à la critique qui qualifie ce drame "d'incandescent". Et au titre en VO bien sûr, encore plus parlant qu'en VF qui est résumé ainsi dans le film "En chacun d'entre nous sommeille un tigre qui ne demande qu'à s'éveiller" (une variante bien connue est la devise de la saga Harry Potter "Ne jamais chatouiller un dragon qui dort"). En effet de quoi parle "La Bête s éveille" (1954)? De pulsions refoulées rugissant derrière les barreaux des cages sociales et morales qui ne demandent qu'à être libérées. Et quand elles le sont... et bien on oublie que le film date de 1954. Il pourrait dater de 2021, cela serait pareil. Car celui qui décide d'ouvrir la cage aux tigres est un psychiatre avant-gardiste (Alexander KNOX) qui se prend un peu pour Dieu le père ou le docteur Frankenstein. Autrement dit il pense pouvoir jouer avec le feu (la loi, l'ordre mais aussi les désirs) en gardant le contrôle de la situation, sans s'y brûler les ailes. En fait il ne se les brûle pas tant que ça (les ailes) et apparaît plus manipulateur que père bienveillant (il occupe toujours une position de supériorité agaçante genre donneur de leçons, affiche un masque de froideur distancié en toutes circonstances et observe son (ses?) sujet(s?) comme un entomologiste observerait des insectes). En revanche ce qui se passe entre le petit voyou qu'il accueille chez lui et son épouse dont la façade bourgeoise bien-pensante cache des tourments inavouables est assez dévastateur. Une scène résume bien l'ambiance, celle où Glenda (Alexis SMITH) embarque Frank (Dirk BOGARDE dont c'est la première collaboration avec le cinéaste) dont elle est passionnément éprise dans des courses-poursuites effrénées avec les forces de la loi et de l'ordre dans lesquelles elle joue non avec le feu mais avec la mort. On pense à "La Fureur de vivre" (1955) d'autant que bien qu'ayant une personnalité bien différente de James DEAN et étant plus âgé, Dirk BOGARDE donne beaucoup d'intensité à son personnage.

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Accident

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1967)

Accident

Avoir vu quasiment à la suite "The Servant" (1962) et "Accident" (1967) tous deux fruits de la collaboration du réalisateur Joseph LOSEY du dramaturge et scénariste Harold PINTER et de l'acteur Dirk BOGARDE m'a permis d'en voir les évidentes continuités: le huis-clos, étouffant; les pulsions réprimées et "médiatisées" par le ménage à trois (voire plus, j'y reviendrai); la précision de la mise en scène qui à chaque plan nous parle par la composition de l'image; Celle de la bande-son qui exacerbe encore la tension palpable et les non-dits (pas de gouttes d'eau qui s'écoule d'un robinet comme dans "The Servant" (1962) mais des sonneries de téléphone et des tic-tac d'horloge qui soulignent la pesanteur des silences sans parler du bruit du crash que l'on entend dans un parallélisme de plan parfait au début et à la fin sans rien en voir). Pour résumer, les deux films me font penser à une étude entomologique du désir. C'est d'ailleurs aussi souvent ce qui peut gêner dans le cinéma de Losey. Un cinéma brillant mais aussi froid qu'une table de dissection fait sur-mesure pour un Alain DELON (évidemment je fais allusion à "Mr. Klein") (1976). Mais dans "Accident", c'est pour la quatrième fois Dirk BOGARDE qui prête son intériorité tourmentée et pleine de contradictions au personnage du professeur Stephen pris au piège de la toile d'araignée que tisse autour des hommes la séduisante Anna (Jacqueline SASSARD). Pour filer la métaphore du titre, cet homme rangé des voitures qui évolue dans une micro-société corsetée voit un jour l'une d'elles venir se fracasser dans son jardin. A l'intérieur, son étudiant et secrètement rival William (Michael YORK), tué sur le coup et Anna, intacte et commotionnée mais à qui il prête des intentions meurtrières. Il faut dire que jusque là, c'est Anna qui a toujours mené le bal et lui qui n'a jamais réussi à s'y insérer, observant en bouillant de frustration celle-ci se faire sauter sous son propre toit (on reconnaît bien là la perversion du ménage à trois de "The Servant") (1962) par Charley (Stanley BAKER), l'un de ses collègues nettement plus téméraire et donc plus chanceux dans la vie. Mais voilà, après l'accident, Anna est en position de faiblesse et à sa merci et le loup qui sommeille en Stephen pourrait bien se réveiller derrière son attitude de pauvre victime de l'amour.

Construit sur un flashback qui s'entremêle avec le présent, "Accident" établit également un pont, volontaire ou non avec le cinéma de Alain RESNAIS. Delphine SEYRIG, l'une des égéries des premiers films du réalisateur français illumine de sa présence le film de Losey alors que Dirk BOGARDE ira traîner ses guêtres dix ans plus tard dans "Providence" (1977).

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Pour l'exemple (King & Country)

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1964)

Pour l'exemple (King & Country)

"Pour l'exemple" de Joseph LOSEY est systématiquement comparé au film de Stanley KUBRICK "Les Sentiers de la gloire (1957). Mais bien qu'abordant le même sujet (les soldats condamnés à mort et fusillés "pour l'exemple" par leur propre camp en 1917) il est dommage qu'il soit autant dans l'ombre de son illustre prédécesseur. Il est en effet bien différent. Plus froid, plus clinique avec ses nombreux passages d'arrêts sur image montrant des corps se dissolvant dans la boue, condamnés à l'anéantissement et à l'oubli. Et surtout, il est bien plus dur.

Dans le film de Stanley KUBRICK, le colonel Dax joué par Kirk DOUGLAS qui est l'avocat des soldats condamnés pour "lâcheté devant l'ennemi" ne parvient pas à sauver leur tête mais il s'en tire avec les honneurs en gardant toute son intégrité. Un réflexe très américain. Rien de tel avec le capitaine Hargreaves qui se fait l'avocat du soldat Hamp (Tom COURTENAY) accusé de désertion.

Certes, sa plaidoirie est tout aussi humaniste que celle du colonel Dax. Elle est tout aussi vouée à l'échec dans cette logique impitoyable de la guerre dans laquelle les hommes doivent tenir coûte que coûte, aucune défaillance n'étant tolérée mais tous les coups étant permis sous un vernis parfaitement légal. Légalité s'accompagnant d'ailleurs du mensonge d'Etat lorsque la missive parvenant à la famille indique que le soldat Hamp est mort au combat.

Mais en plus du verdict impitoyable, Joseph LOSEY démonte tous les mythes propagandistes autour des "héros" de guerre et autres concepts de "guerre propre". Non la guerre n'est jamais propre et l'ensemble du film nous le rappelle. Au sens propre puisque les hommes végètent du début à la fin sous une pluie battante dans la boue au milieu des rats, des cadavres et de leur propre merde (le pauvre Hamp est ravagé par la dysenterie) mais également au figuré. Il n'y a ni héros, ni méchant sur le front mais des hommes embarqués sur le même bateau qui sont là avant tout pour obéir aux ordres de supérieurs bien planqués qui consistent à assassiner leurs ennemis mais aussi parfois leurs propres camarades. Le capitaine Hargreaves ne fait pas exception à la règle. Il faut dire que celui-ci est joué -je devrais dire habité!- par l'expert en zones d'ombres et autres ambivalences humaines qu'est Dirk BOGARDE*. Son jeu exceptionnellement riche et nuancé superpose deux couches de sens qui rendent son personnage inoubliable. Hargreaves est un homme de devoir. Il s'avère donc aussi qualifié pour effectuer une plaidoirie vibrante d'humanisme en faveur du déserteur que pour l'achever. Mais il n'est pas uniquement un être de représentation ou un pantin exceptionnellement doué. Tout indique par son regard, par le ton de sa voix un être intérieurement tourmenté, tiraillé entre une éducation psychorigide et sa conscience qui vient de temps à autre le hanter. On peut aussi penser qu'à un moment donné, il a cru que son éloquence allait le tirer de cet enfer et que son réveil lorsqu'il apparaît avec les mains noires de boue -des mains sales- n'en est que plus douloureux.

* Co-scénariste et lui-même ancien soldat de l'armée britannique durant la seconde guerre mondiale.

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Le Garçon aux cheveux verts (The Boy with Green Hair)

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1948)

Le Garçon aux cheveux verts (The Boy with Green Hair)

Premier film de Joseph LOSEY, "Le Garçon aux cheveux verts" n'a rien perdu de son actualité. Le contexte a changé, le jugement social sur les petits garçons aux cheveux différents de la norme non. Par exemple, les cheveux longs et bouclés qui ne semblent pas poser problème quand ils sont portés par des petites filles deviennent étonnamment suspects quand ils le sont par des petits garçons, surtout à partir de l'entrée à l'école. Outre le trouble sur le genre qu'ils induisent et qui dérange on les accuse de transmettre des poux et on agite alors la menace de la tondeuse. Et c'est ainsi que la pression sociale normative continue à s'exercer en toute impunité dans une société dite "moderne".

Peter (Dean STOCKWELL alors enfant-acteur à la présence déjà remarquable) n'a pas les cheveux longs mais un matin, il découvre qu'ils sont devenus naturellement verts. Cette simple différence de couleur lui vaut la curiosité malsaine puis l'ostracisme et enfin l'hostilité de la petite ville américaine dans laquelle cet orphelin de guerre (le film date de 1948) pensait avoir trouvé un foyer. Outre sa beauté et sa mélancolie, le film offre un édifiant portrait de la gent humaine qui renvoie aux comportements racistes et antisémites observés pendant la seconde guerre mondiale. Le harcèlement vécu par Peter à l'école, les pressions exercées par le laitier qui craint que le changement de couleur des cheveux du garçon ne soit associé à son lait et ne lui fasse mettre la clé sous la porte, la docilité servile du coiffeur ou encore la lâche trahison du tuteur de Peter d'apparence si tolérant et qui plus est magicien. Rien de tel que la confrontation avec la différence pour révéler les tricheurs de tous bords, y compris ceux qui se drapent dans des oripeaux de vertu ou d'ouverture d'esprit.

Mais le film n'est pas qu'une fable sur la différence car celle-ci est signifiante. Peter porte bien malgré lui la mémoire de tous les enfants victimes de la guerre et la couleur de ses cheveux qui le rend visible est un moyen d'obliger les adultes à ne pas se dérober à leurs responsabilités présentes et futures pour que cela ne recommence jamais. Le film de Joseph LOSEY est donc humaniste et engagé et plus dérangeant que convenu en dépit des apparences. D'ailleurs celui-ci et ses collaborateurs subiront le sort de Peter en étant blacklisté par Hollywood au moment de la chasse aux sorcières.

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The Servant

Publié le par Rosalie210

Joseph Losey (1963)

The Servant

Très grand film se situant au confluent du social et de l'intime, "The Servant" est l'histoire d'une relation d'emprise d'un valet sur son maître, nourrie de revanche sociale, de sadomasochisme et d'homosexualité refoulée. Comme l'époque interdit d'être explicite, ce sont le décor, l'agencement de l'espace et la mise en scène qui vont "parler" bien mieux que les propos des personnages. La première scène, programmatique, dit déjà à peu près tout. Un homme tiré à quatre épingles, impeccable d'élégance mais qui n'est pourtant qu'un domestique de niveau supérieur -un majordome en somme- entre chez son futur maître pour se faire embaucher. Mais en lieu et place du haut standing attendu, il découvre un lieu vide et décrépi et un homme endormi dans un laisser-aller total qui fleure bon l'esprit faible et décadent. Les yeux froids et intelligents de Barrett n'ont pas perdu une miette du spectacle (immense Dirk BOGARDE dont la fausse impassibilité cache une intériorité de plus en plus terrifiante) alors que la caméra le filme en contre-plongée, au-dessus du corps endormi de sa future victime. D'emblée, c'est Barrett qui domine, c'est lui qui rénove la maison selon ses propres directives et c'est lui qui va n'avoir de cesse d'en prendre possession, ainsi que du corps et de l'esprit de son propriétaire. Tâche d'autant plus facile que celui-ci n'offre que bien peu de résistance aux assauts de plus en plus violents de son bourreau dont les manières si parfaites cachent des trésors de perversité. Car Tony (James FOX, trente ans avant de rejouer les aristocrates dévoyés chez James IVORY) ne maîtrise rien de se qui se passe en lui et n'est qu'une chiffe molle sans volonté, rapidement vidée de toute substance. Il y a bien la fiancée de Tony, Susan (Wendy CRAIG) qui a flairé le piège et tente de reprendre prise sur l'espace et sur l'homme (l'enjeu des fleurs, des coussins etc.) mais le problème pour elle est que les instincts profonds de Tony sont contre elles et avec Barrett*. Ce dernier incarne de façon perverse un Figaro écrasant l'ADN supposé supérieur par sa seule intelligence. On a beaucoup parlé à propos du film de la dialectique du maître et de l'esclave et à juste titre tant celui-ci souligne notamment à travers la métaphore de la traversée des miroirs la dépendance infantile du maître à son domestique qui comble ses besoins et exerce un contrôle total sur lui mais celle-ci se double d'une attirance et fascination sexuelle tout à fait semblable à celle de "Furyo" (1982) ou de "Reflets dans un oeil d'or" (1967). Est-ce un hasard si les deux hommes ne se retrouvent sur un pied d'égalité que lorsqu'ils évoquent avec nostalgie l'époque de la "camaraderie" du régiment?

* Joseph LOSEY utilise exactement le même procédé que Basil DEARDEN dans "La Victime" (1961) pour révéler l'homosexualité refoulée de son personnage principal: des photos d'hommes érotisées accrochées au mur de sa chambre. C'est "La Victime" (1961) qui a révélé la vraie personnalité de Dirk BOGARDE et donné l'idée à Joseph LOSEY et à Luchino VISCONTI de l'employer.

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