Le goût de la cerise (Ta'm-e gilās)
Abbas Kiarostami (1997)
La première fois que j'ai vu "Le goût de la cerise" de Abbas Kiarostami, palme d'or ex-aequo avec "L'Anguille" au festival de Cannes, j'ai eu l'impression de passer à côté. J'ai d'ailleurs oublié l'intrigue. Mais je me suis aperçue avec le recul du temps qu'un image revenait à ma mémoire à chaque visionnage d'un film aux caractéristiques similaires: celle du véhicule qui serpente dans un paysage de collines arides comme une métaphore du chemin qu'emprunte l'existence jusqu'au moment où elle s'arrête. Ce que j'avais en revanche oublié, c'est l'ambiguïté de la scène inaugurale où l'on voit un homme aborder des inconnus depuis sa voiture pour les convaincre de monter à bord. Puis, pour ceux qui acceptent, la proposition "d'un travail bien payé" dont il refuse de dévoiler la nature. C'est franchement trouble et je pense que c'est l'effet recherché. Car on ressent particulièrement bien le malaise du premier des trois passagers, le jeune soldat qui croit d'abord que l'homme va juste le déposer à sa caserne et se sent au fil des minutes pris au piège au fur et à mesure que le véhicule s'en éloigne et que l'homme dévoile ses intentions après un interrogatoire de plus en plus intrusif. Même si ce que souhaite M. Badii n'est pas ce à quoi l'on pense, il s'agit bien d'un tabou dans la théocratie iranienne, quoique la condamnation du suicide soit commune à la plupart des doctrines religieuses qui font l'apologie de la vie et de la soumission à Dieu. Par conséquent l'idée de demander de l'aide à un séminariste ne peut mener qu'à une impasse, les divergences de point de vue étant irréconciliables. Cependant l'atmosphère du film change avec le troisième passager qui travaille au Museum d'histoire naturelle. Déjà parce qu'il a accepté la proposition de M. Badii lorsqu'on le découvre à la suite d'une ellipse mais aussi parce qu'il lui demande de bien réfléchir avant et de mesurer tout ce qu'il va perdre. La quête change alors de direction. Il ne s'agit plus de trouver quelqu'un pour mourir mais d'accomplir ou pas le geste fatal. Et en parfaite symbiose avec l'ode à la vie prononcée par le vieil homme, le paysage traversé se fait verdoyant, coloré et de l'eau apparaît. Le fait également que les trois hommes pris par M. Badii soient étrangers (un kurde, un afghan, un turc) n'est certainement pas innocent. Son choix final n'est pas montré, le film laissant la fin ouverte en bifurquant au dernier moment dans une tout autre direction, celle de son tournage, filmé en vidéo comme un album de famille. Une ultime dérobade qui laisse le spectateur seul avec ses questionnements.