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Articles avec #kahn (cedric) tag

Le procès Goldman

Publié le par Rosalie210

Cédric Kahn (2023)

Le procès Goldman

Le dernier film de Cedric KAHN est d'une puissance peu commune. La bande-annonce le laissait deviner. Le film le confirme. Presque entièrement réalisé dans le huis-clos d'un tribunal aux dimensions d'une scène de théâtre, il ne met pas seulement aux prises un homme brûlant (le mot est faible) d'en découdre avec la justice, la police et la société française mais il montre les fractures résidant au sein de cette même société d'une manière saisissante, nous renvoyant en miroir notre situation actuelle. Le public dans la salle ne s'y est pas trompé, interagissant avec celui du film comme s'il était dans la salle et comme si le procès avait lieu ici et maintenant, notamment lorsque les témoins soi-disant sûrs d'eux se trahissent sous l'effet de la peur ou de la colère.

Au coeur du procès, un homme donc, Pierre Goldman dont je ne savais rien avant de voir le film (même pas qu'il était le demi-frère de Jean-Jacques, incarné par un jeune acteur anonyme assis avec ses parents dans la salle), interprété avec une force de conviction impressionnante par Arieh WORTHALTER. C'est bien simple, chaque mot, chaque phrase sortie de sa bouche semble provenir du plus profond de son être, animé de puissantes émotions. Charismatique et d'une grande complexité, le personnage ne peut que fasciner. Difficile voire impossible de démêler le vrai du faux dans ses propos, d'ailleurs la justice n'y parviendra pas et Cedric KAHN se garde bien de prendre parti. L'intérêt du film est ailleurs: dans les déchirures de la société française que sa présence provoque comme je l'ai déjà évoqué avec une ambiance électrique dans le prétoire, dans le travail de mémoire que son histoire oblige à effectuer, dans ses relations tourmentées avec son principal avocat de la défense enfin. Pierre Goldman est d'abord le fruit d'un passé trop lourd à porter: enfant de polonais communistes juifs et résistants réfugiés en France, il n'a jamais trouvé sa place en son sein ni ailleurs et a erré entre désir de suivre la glorieuse trace de ses parents en tant que militant d'extrême-gauche et pulsions suicidaires liées à son incapacité à s'accomplir. Cet "enfant terrible" sans attaches, sinon celles créées avec d'autres "damnés de la terre" latinos et antillais n'est jamais parvenu à devenir adulte. Cela est particulièrement frappant dans son comportement d'écorché vif, régulièrement recadré en coulisses par son avocat, maître Kiejman (Arthur HARARI) qui est son "double inversé". Double car issu de la même histoire, inversé car aussi retenu, calme et posé que Goldman est provocateur et emporté. Les relations entre les deux hommes sont d'ailleurs tendues, Goldman ayant qualifié Kiejman de "juif de salon" et ayant voulu le dessaisir de l'affaire. Pourtant la défense de Kiejman et le film tout entier mettent en lumière l'absence de preuves matérielles et la fragilité de témoignages souvent effarants. Le comportement de la police visant par exemple à intimider les témoins à décharge ou au contraire à orienter ceux à charge est interrogé. Un passage ressemble trait pour trait au documentaire "Un coupable ideal" (2003) sur l'affaire Brenton Butler accusé à tort de meurtre: celle où témoins et jurés croient reconnaître Goldman sur photo alors qu'il ne s'agit pas de lui. Mais avec "sa gueule de métèque, de juif errant, de pâtre grec", il fait figure d'épouvantail et quelques mots malheureux lâchés ici et là par les policiers et les témoins, "mûlatre", "crouille" suffisent à nous renseigner sur les origines historiques du délit de faciès.

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La Prière

Publié le par Rosalie210

Cédric Kahn (2018)

La Prière

"C'est Depardieu en 1900" aurait confié Cédric KAHN à propos de Anthony BAJON qu'il a révélé dans "La Prière" où celui-ci a reçu l'Ours d'argent du meilleur acteur (à seulement 23 ans, égalant ainsi Leonardo DiCAPRIO). J'avais aperçu sa bouille candide dans "Les Enfants de la chance" (2016), "Au nom de la terre" (2019) et sur l'affiche de "Teddy" (2020). Une carrière démarrée en fanfare avec donc "La Prière" où il crève l'écran en jeune toxicomane qui entreprend une cure de désintoxication dans une communauté de frères (eux aussi anciens toxicomanes) perdue dans les montagnes. Un chemin ardu qui est aussi une dernière chance: ceux qui y renoncent n'en reviennent pas. Thomas fait pourtant partie des très nombreux novices qui flanchent dès les premières semaines tant le régime imposé fait penser à celui d'une prison: surveillance permanente, pas de contacts avec l'extérieur, pas d'effets personnels, travail et prière pour seul menu. Entre les crises de manque et le devoir d'humilité pris comme une offense, Thomas décide de faire demi-tour. Mais sur son chemin, il y a la belle Sibylle (Louise GRINBERG) qui l'encourage à persévérer. Leur rencontre a quelque chose de l'évidence et désormais, on ne sait plus trop si ce qui guide Thomas relève de la découverte de la foi ou de celle de l'amour. Les deux se rejoignent dans la reconstruction des liens dont Thomas était privé, la religion étant également une forme de lien (avec Dieu) lui permettant de reconstruire sa confiance en lui-même et en la vie.

Cependant, si le parcours de Thomas est lumineux, le regard à la fois mystique et naturaliste* que pose le réalisateur sur la communauté est nuancé. Si elle redonne tout son sens à la notion de fraternité, d'autant que le dépouillement et la rudesse de la vie quotidienne pousse à nouer des liens essentiels, il montre également que celle-ci n'est qu'un sas de décompression hors du monde qui ne propose pas de solution, chaque jeune doit la trouver par lui-même. La conséquence est que plusieurs d'entre eux s'y retrouvent enfermés par manque de perspectives ou peur de replonger.

* Cédric KAHN a fait ses gammes comme stagiaire sur le tournage de "Sous le soleil de Satan" (1987) (d'où sans doute le rapprochement entre Anthony Bajon et Gérard DEPARDIEU) et a interrogé de nombreux jeunes toxicomanes au cours de la préparation du film qui a été longuement réfléchi.

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