A Man (Aru Otoko)
Kei Ishikawa (2024)
C'est le tableau de René Magritte qui m'a donné envie d'aller voir "A Man". Parce que chaque tableau de ce peintre qui me fascine depuis l'adolescence est un poème visuel, une invitation au voyage, au mystère, à l'aventure, intérieure le plus souvent. Et comme le film, les tableaux de Magritte, faussement simples sont des énigmes qui se dérobent à une interprétation univoque. "La reproduction interdite" fait partie d'une série de tableaux dans lesquels le visage, siège de l'identité, est occulté. Et c'est l'un des plus puissants puisque l'on voit un homme de dos qui se regarde dans le miroir mais ne parvient pas à y voir autre chose que ce que nous-même voyons, comme s'il ne pouvait accéder à lui-même. Ce tableau qui ouvre et ferme le film se mêle à un sujet de société proprement japonais: celui des johatsu ou disparus volontaires qui étaient déjà évoqués dans "Quartier lointain" (2008), le film réalisé d'après le manga éponyme de Jiro Taniguchi. C'est une coïncidence, mais le disparu volontaire se nomme Daisuke Taniguchi dans le film. Et on découvre peu à peu qu'il a échangé son identité avec celui que l'on croit longtemps être lui et qui a porté avant Taniguchi deux autres patronymes. Un troisième homme joue un rôle fondamental dans l'histoire, Akira (Satoshi TSUMABUKI), l'avocat de la veuve du faux Daisuke Taniguchi chargé de l'enquête destinée à démasquer sa véritable identité. Cet avocat pourtant parfaitement intégré, né au Japon et ayant la nationalité japonaise est sans cesse renvoyé aux origines coréennes de ses grands-parents ce qui est l'une des facettes de l'insupportable rigidité de la société japonaise. Et pas seulement vis à vis des descendants d'étrangers mais également vis à vis des enfants de parents criminels ou vis à vis des familles monoparentales et recomposées (je ne sais si c'est également une coïncidence mais la mère veuve est jouée par Sakura ANDO qui interprétait le même personnage dans "L'innocence" (2023) où ce thème était également central). La disparition volontaire et le changement d'identité sont donc un moyen d'échapper à l'opprobre social où à des rôles aliénants. Si l'on accepte le rythme heurté du film et les changements de ton voire de genre (cela commence comme une romance, se poursuit comme un thriller et se termine sur une méditation existentielle), le jeu de miroirs entre les trois hommes et leurs identités problématiques (auxquels on peut rajouter le fils de la veuve de Daisuke qui ne sait plus quel nom de famille adopter) s'avère tout à fait pertinent.