Les Oiseaux (The Birds)
Alfred Hitchcock (1963)
L'une des grande force de ce chef d'œuvre de Alfred HITCHCOCK, c'est son dépouillement. Aucune explication, aucun flashback, aucune enquête, un paysage austère et des cris d'oiseaux pour seule bande-son sur fond de silence post-apocalyptique. La mise en scène créé une atmosphère d'angoisse diffuse qui finit par exploser en scènes de violence proprement cauchemardesques. On pense en particulier à la célèbre scène où Mélanie (Tippi HEDREN) attend près de la porte de l'école pendant que les oiseaux se regroupent dans son dos à son insu. Alfred HITCHCOCK en profite pour promener le spectateur, le mettant partiellement dans la confidence pour maintenir son intérêt mais pas suffisamment pour qu'au moment où Mélanie découvre avec horreur l'apocalypse prête à se déchaîner, il ne soit pas lui aussi saisi d'effroi. Du grand art!
Les "Oiseaux" peut tout à fait s'appréhender dans le sens d'une illustration du passage de "L'introduction à la psychanalyse" où Freud évoque les trois découvertes scientifiques qui ont remis en question les représentations que l'homme se faisait de lui-même et de sa place dans l'univers: "La première fois, ce fut lorsqu'elle a montré que la terre, loin d'être le centre de l'univers, ne forme qu'une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine'ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l'humanité par la recherche biologique, lorsqu'elle a réduit à rien les prétentions de l'homme à une place privilégiée dans l'ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l'indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s'est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace' et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique."
En effet les "Oiseaux" s'apparente à une revanche (ou selon une lecture religieuse, à une punition) des forces de la nature sur la prétention des hommes à vouloir dominer leur environnement et leurs émotions. La scène finale montre un paysage saturé et contrôlé par les volatiles, un paysage que les hommes vaincus doivent abandonner, chassés de leurs maisons (non sans qu'auparavant, ceux-ci ne leur ait fait sentir ce que cela fait d'être en cage). Plusieurs scènes parmi les plus terrifiantes montrent Mélanie se faire attaquer par les volatiles alors qu'elle est confinée dans un espace clos dont elle ne peut pas sortir (une cabine téléphonique, un salon puis une chambre). Mélanie est perçue comme une intruse dont l'arrivée à Bodega Bey perturbe l'équilibre qui y régnait. Pour Lydia (Jessica TANDY) la mère de Mitch (Rod TAYLOR), elle est une dangereuse rivale qui menace de lui voler son fils d'autant qu'elle lui ressemble en plus jeune. Pour Annie (Suzanne PLESHETTE) l'institutrice qui a renoncé à Mitch tout en ne parvenant pas à se séparer de lui, elle est une projection de la séductrice idéale (d'autant que Annie est brune et Melanie blonde). Les attaques dont est victime Mélanie peuvent donc être vues comme celles de l'inconscient de ces femmes. Mais l'inverse est également vrai car elles sont également toutes deux attaquées par les oiseaux.
L'acharnement des oiseaux sur les enfants peut s'expliquer comme une punition divine cherchant à priver l'homme de sa descendance afin que la nature reprenne ses droits comme le montre la prise de possession des oiseaux sur la maison de Mitch. Mais il est aussi un reflet des carences parentales subies dans l'enfance par Mélanie abandonnée par sa mère et par Mitch dont la mère se comporte en petite fille ou en amante jalouse (quant au père, il est inexistant pour Mélanie et décédé chez Mitch). Les hommes sont ainsi vus comme des oiseaux contre-nature qui au lieu de couver leurs oeufs les dévorent. Il est d'ailleurs significatif que le film se dénoue sur l'adoption de Mélanie par la mère de Mitch. Une Mélanie dépouillée de sa carapace et redevenue une petite fille démunie à la suite des traumatismes infligés par les oiseaux alors qu'au contraire Lydia y trouve un accomplissement, se sentant plus forte et plus indispensable.