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Articles avec #horreur tag

Les Oiseaux (The Birds)

Publié le par Rosalie210

Alfred Hitchcock (1963)

Les Oiseaux (The Birds)

L'une des grande force de ce chef d'œuvre de Alfred HITCHCOCK, c'est son dépouillement. Aucune explication, aucun flashback, aucune enquête, un paysage austère et des cris d'oiseaux pour seule bande-son sur fond de silence post-apocalyptique. La mise en scène créé une atmosphère d'angoisse diffuse qui finit par exploser en scènes de violence proprement cauchemardesques. On pense en particulier à la célèbre scène où Mélanie (Tippi HEDREN) attend près de la porte de l'école pendant que les oiseaux se regroupent dans son dos à son insu. Alfred HITCHCOCK en profite pour promener le spectateur, le mettant partiellement dans la confidence pour maintenir son intérêt mais pas suffisamment pour qu'au moment où Mélanie découvre avec horreur l'apocalypse prête à se déchaîner, il ne soit pas lui aussi saisi d'effroi. Du grand art!

Les "Oiseaux" peut tout à fait s'appréhender dans le sens d'une illustration du passage de "L'introduction à la psychanalyse" où Freud évoque les trois découvertes scientifiques qui ont remis en question les représentations que l'homme se faisait de lui-même et de sa place dans l'univers: "La première fois, ce fut lorsqu'elle a montré que la terre, loin d'être le centre de l'univers, ne forme qu'une parcelle insignifiante du système cosmique dont nous pouvons à peine nous représenter la grandeur. Cette première démonstration se rattache pour nous au nom de Copernic, bien que la science alexandrine'ait déjà annoncé quelque chose de semblable. Le second démenti fut infligé à l'humanité par la recherche biologique, lorsqu'elle a réduit à rien les prétentions de l'homme à une place privilégiée dans l'ordre de la création, en établissant sa descendance du règne animal et en montrant l'indestructibilité de sa nature animale. Cette dernière révolution s'est accomplie de nos jours, à la suite des travaux de Ch. Darwin, de Wallace' et de leurs prédécesseurs, travaux qui ont provoqué la résistance la plus acharnée des contemporains. Un troisième démenti sera infligé à la mégalomanie humaine par la recherche psychologique de nos jours qui se propose de montrer au moi qu'il n'est seulement pas maître dans sa propre maison, qu'il en est réduit à se contenter de renseignements rares et fragmentaires sur ce qui se passe, en dehors de sa conscience, dans sa vie psychique."

En effet les "Oiseaux" s'apparente à une revanche (ou selon une lecture religieuse, à une punition) des forces de la nature sur la prétention des hommes à vouloir dominer leur environnement et leurs émotions. La scène finale montre un paysage saturé et contrôlé par les volatiles, un paysage que les hommes vaincus doivent abandonner, chassés de leurs maisons (non sans qu'auparavant, ceux-ci ne leur ait fait sentir ce que cela fait d'être en cage). Plusieurs scènes parmi les plus terrifiantes montrent Mélanie se faire attaquer par les volatiles alors qu'elle est confinée dans un espace clos dont elle ne peut pas sortir (une cabine téléphonique, un salon puis une chambre). Mélanie est perçue comme une intruse dont l'arrivée à Bodega Bey perturbe l'équilibre qui y régnait. Pour Lydia (Jessica TANDY) la mère de Mitch (Rod TAYLOR), elle est une dangereuse rivale qui menace de lui voler son fils d'autant qu'elle lui ressemble en plus jeune. Pour Annie (Suzanne PLESHETTE) l'institutrice qui a renoncé à Mitch tout en ne parvenant pas à se séparer de lui, elle est une projection de la séductrice idéale (d'autant que Annie est brune et Melanie blonde). Les attaques dont est victime Mélanie peuvent donc être vues comme celles de l'inconscient de ces femmes. Mais l'inverse est également vrai car elles sont également toutes deux attaquées par les oiseaux.

L'acharnement des oiseaux sur les enfants peut s'expliquer comme une punition divine cherchant à priver l'homme de sa descendance afin que la nature reprenne ses droits comme le montre la prise de possession des oiseaux sur la maison de Mitch. Mais il est aussi un reflet des carences parentales subies dans l'enfance par Mélanie abandonnée par sa mère et par Mitch dont la mère se comporte en petite fille ou en amante jalouse (quant au père, il est inexistant pour Mélanie et décédé chez Mitch). Les hommes sont ainsi vus comme des oiseaux contre-nature qui au lieu de couver leurs oeufs les dévorent. Il est d'ailleurs significatif que le film se dénoue sur l'adoption de Mélanie par la mère de Mitch. Une Mélanie dépouillée de sa carapace et redevenue une petite fille démunie à la suite des traumatismes infligés par les oiseaux alors qu'au contraire Lydia y trouve un accomplissement, se sentant plus forte et plus indispensable.

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Le cabinet du docteur Caligari (Das Cabinet des Dr. Caligari)

Publié le par Rosalie210

Robert Wiene (1920)

Le cabinet du docteur Caligari (Das Cabinet des Dr. Caligari)

Avec le temps, les souvenirs que l'on a des films s'estompent voire disparaissent à l'exception des éléments qui nous ont vraiment marqué. Du "Cabinet du docteur Caligari", vu il y a très longtemps je n'avais retenu qu'une chose: le décor. C'est dire s'il occupe une place centrale dans ce film matrice du cinéma fantastique à tendance horrifique de Friedrich Wilhelm MURNAU à Tim BURTON en passant par James WHALE et Fritz LANG qui avait été d'ailleurs pressenti pour le réaliser. On peut également dresser une autre filiation avec le cinéma du dédoublement souvent à forte teneur psychiatrique de "Docteur Jekyll et Mister Hyde (1941)" de Victor FLEMING à "Shutter Island (2009)" de Martin SCORSESE en passant par "Psychose (1960)" de Alfred HITCHCOCK.

Le décor est l'incontestable star du film, il imprime la rétine et reste en mémoire bien après le visionnage. Un décor de toiles peintes tout en perspectives forcées, lignes brisées, obliques, angles aigus, proportions tronquées, trompe l'œil. Un décor tordu, tourmenté, torturé comme sorti d'un esprit malade. Celui du personnage principal et narrateur, Francis (Friedrich FEHER) dont la confusion entre cauchemar et réalité entretient celle du spectateur. Son ami Alan (Hans Heinrich Von TWARDOWSKI) et la jeune fille dont il est amoureux Jane (Lil DAGOVER) ne sont pas plus lucides ni plus équilibrés. Dans deux scènes emblématiques du film, ils sont surpris dans leur sommeil par Cesare (Conrad VEIDT), la marionnette du docteur Caligari (Werner KRAUSS) qui est fort justement surnommé le "somnambule". De très belles scènes vampiriques expressionnistes qui préfigurent celles de "Nosferatu le vampire (1921)" de Friedrich Wilhelm MURNAU. Toute la jeune génération est en fait sous l'emprise d'un personnage qui va devenir emblématique du cinéma muet allemand: le criminel diabolique qui contrôle les esprits à distance. Caligari préfigure en effet le Mabuse de Fritz LANG comme 1919 annonce 1933. Ce climat d'effondrement spirituel et moral, de chaos et de forces obscures reflète de façon saisissante la déliquescence de l'Allemagne d'après-guerre et l'hypnose collective d'une société sous l'emprise d'un gourou criminel qui allait suivre. 

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Le Labyrinthe de Pan (El Laberinto del Fauno)

Publié le par Rosalie210

Guillermo del Toro (2006)

Le Labyrinthe de Pan (El Laberinto del Fauno)

"Le labyrinthe de Pan" (traduction infidèle à l'original qui est "Le labyrinthe du faune") est un film hybride. Et comme beaucoup de films hybrides, il a pu susciter à sa sortie de l'incompréhension et du rejet, d'autant qu'il n'a pas été "vendu" pour ce qu'il était réellement: un conte de fée horrifique ou un film d'horreur onirique. Bien que très différent par sa forme du "Brazil" de Terry Gilliam, il partage sur le fond un même principe fondamental, celui de l'échappée imaginaire au coeur d'une réalité terrifiante, les deux univers entretenant des rapports de plus en plus étroits au fur et à mesure de la progression du film.

"Le labyrinthe de Pan" est aussi un grand film sur le choix. Il rappelle que même dans les situations les plus terribles (comme le contexte de terreur franquiste du film), c'est ce que l'être humain conserve de plus précieux. L'héroïne Ofelia est pourtant de par son âge et son genre dans une situation de dépendance et de vulnérabilité absolue. Et pourtant c'est elle qui incarne les bons choix (et au final la figure sacrificielle du sauveur) face à sa mère qui incarne les mauvais choix. Celle-ci renonce en effet à son indépendance d'adulte en échange d'une illusoire protection auprès de celui qui lui paraît être le plus fort (il y a de quoi méditer, même aujourd'hui à ce sujet). De ce fait non seulement elle régresse en redevenant une petite fille impuissante et dépendante (comme le symbolise le fauteuil roulant) mais elle nous montre toute l'étendue de sa soumission face à un mari misogyne qui la rabaisse (encore le symbole du fauteuil roulant), la tient à distance et est prêt à la sacrifier pour accéder à l'immortalité (à travers le fils qu'elle lui donnera et qui sera son miroir comme lui est le miroir de son propre père: bel exemple de narcissisme qui nie l'altérité.)

Logiquement, la dualité et le conflit sont le moteur du film (homme contre femme, enfant contre adulte, rêve contre réalité, choix contre renoncement fataliste, bleu contre orange). Si on reste sur l'exemple développé un peu plus haut, Carmen, la mère veut que sa fille se soumette à l'ordre franquiste auquel elle s'est elle-même soumise. Mais Ofelia résiste avec toutes les forces de son esprit. Son premier contact avec le capitaine Vidal consiste à serrer ses livres contre elle comme un bouclier et à lui tendre la main gauche, une déclaration de guerre (la main gauche est associée au diable). Les trois épreuves qu'elle affronte sont le reflet de cette résistance. La première qui rappelle fortement "Alice au pays des merveilles" mais aussi "Mon voisin Totoro" la voit affronter et triompher d'un énorme crapaud (son beau-père) qui stérilise un arbre creux (symbole utérin du féminin) dont elle sort couverte de boue. Ainsi elle échappe au dîner où sa mère voulait qu'elle paraisse en petite fille modèle pour plaire à son beau-père. La deuxième épreuve la met aux prises d'un ogre attablé devant un festin et dont le comportement sanguinaire évoque le tableau de Saturne dévorant ses enfants peint par Goya. L'allusion à Vidal est transparente puisqu'il détient sous clé un énorme stock de vivres qu'il utilise comme arme de guerre. Ofelia va jusqu'à le provoquer en touchant au festin et en refusant de se plier au temps qu'il veut lui imposer (Vidal se prend en effet pour le maître des horloges). Plutôt que de sortir par la porte qu'il contrôle à l'aide d'un sablier, elle trace sa propre porte à la craie, une belle manifestation de libre-arbitre devant laquelle il est désemparé (incapable d'empathie, Vidal ne comprend aucun autre choix que les siens). La troisième épreuve, la plus cruciale consiste au prix de son sacrifice à arracher son petit frère des griffes du monstre pour briser le cercle vicieux de la reproduction du même.

Pour conclure, le capitaine Vidal (joué de façon magistrale par Sergi Lopez) est certes le monstre de l'histoire mais Guillermo del Toro pointe tout autant du doigt ceux et celles qui nourrissent la bête tout en se défaussant de leur responsabilité d'adulte. C'est d'ailleurs pourquoi Ofelia finit par se choisir une mère de substitution dans la résistance, la gouvernante Mercedes.

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Nosferatu, fantôme de la nuit (Nosferatu: Phantom der Nacht)

Publié le par Rosalie210

Werner Herzog (1979)

Nosferatu, fantôme de la nuit  (Nosferatu: Phantom der Nacht)
Nosferatu, fantôme de la nuit  (Nosferatu: Phantom der Nacht)
Nosferatu, fantôme de la nuit  (Nosferatu: Phantom der Nacht)

Comme Wim Wenders, Werner Herzog appartient à la génération du nouveau cinéma allemand des années 70. Comme ce dernier, il est hanté par la nécessité de combler l'immense vide laissé par la génération des parents. Comme il est impossible de partir de zéro (comme l'a si bien démontré Rossellini), ces réalisateurs se tournent naturellement vers la dernière génération d'allemands ayant accouché de grands cinéastes, celle des grands-parents pour reconstruire leur filiation ou bien ils se tournent vers de nouvelles familles d'adoption (Wenders fait les deux, un pied en Europe, l'autre aux USA).

C'est exactement dans cette démarche que se situe "Nosferatu, fantôme de la nuit". C'est un pont jeté entre le cinéma allemand du passé et celui du présent destiné à retricoter les fils d'une histoire brisée par l'entreprise d'anéantissement que fut le nazisme. Herzog est en effet très fidèle à l'original de Murnau, au point de reproduire certains plans avec une exactitude maniaque tout en étant capable de construire une vision profondément personnelle de cette oeuvre. On est frappé par l'extrême passivité des personnages qui subissent les assauts du mal sans pouvoir le contrecarrer comme s'ils étaient écrasés par le poids de la fatalité. Herzog a d'ailleurs modifié la fin. Loin d'être une délivrance, elle devient par son caractère cyclique un éternel recommencement faisant de Nosferatu un être immortel. Pour son plus grand malheur d'ailleurs. Nosferatu ne cesse de dire en effet que ne pouvoir mourir est cruel car son immortalité le condamne à subir à jamais le pire des tourments: la solitude, l'absence d'amour (le vide béant laissé par les ravages du nazisme). Klaus Kinski, remarquablement dirigé donne une interprétation introvertie toute de douceur et de douleur enfouie. Il ne désire pas d'ailleurs que Lucy, la femme de Jonathan, il désire l'amour fusionnel qui unit ce couple si bien qu'il ne fait pas de différence entre l'un et l'autre et les désire tous les deux (les scènes du substitut sexuel qu'est la morsure sont filmées exactement de la même façon). Bruno Ganz et Isabelle Adjani sont d'ailleurs parfaitement assortis et tous deux d'un romantisme enfiévré aux limites de la folie (qui renvoie à des interprétations antérieures: "La Marquise d'O" pour Ganz, "L'Histoire d'Adèle H" pour Adjani). Ce casting remarquable est complété par Roland Topor dans le rôle de Renfield qui s'intègre très bien dans un film qui se situe aux confins du surréalisme.

Herzog adapte brillamment l'expressionnisme à la couleur et au son. Visuellement, le film, tourné en décors réels, est profondément pictural. Tantôt on est chez Brueghel (l'orgie de la ville détruite par la peste), tantôt chez les romantiques allemands comme Caspar David Friedrich. Les visages eux-mêmes ont un caractère iconique. L'atmosphère est brumeuse, fantomatique et elle contraste avec les passions exacerbées qui s'emparent des personnages. Et la musique de Popol Vuh et de Wagner joue un grand rôle dans la construction de cette atmosphère, compensant largement ce que le film peut perdre d'onirisme visuel par rapport à l'œuvre de Murnau.

Au final, Herzog nous livre une vision poétique et romantique extrêmement forte et personnelle qui parvient à se hisser au niveau de l'original. Mission accomplie.

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Perfect Blue (Pafekuto Buru)

Publié le par Rosalie210

Satoshi Kon (1997)

Perfect Blue  (Pafekuto Buru)

"Qui es-tu?" Mima voudrait bien choisir ce qu'elle voudrait être. Mais cette jeune fille sans histoire, sans aspérité n'y arrive pas, prisonnière des images que les autres façonnent, prisonnière de leurs fantasmes et de leurs projections. Progressivement, elle se perd dans ce labyrinthe d'images jusqu'aux limites de la folie alors qu'autour d'elle, les cadavres s'accumulent dans la pure tradition du thriller hitchcockien et de son héritier, celui de Brian de Palma.

Film culte et visionnaire, le premier long-métrage de Satoshi Kon l'est assurément puisqu'en 1997, la révolution numérique n'avait pas encore envahi les foyers. Pourtant Mima découvre que sur Internet, quelqu'un tient un blog en se faisant passer pour elle. Ce vol d'identité numérique n'est que le dernier avatar d'une longue chaîne d'illusions véhiculées par les médias (presse, affiches, photos, TV, cinéma). La première Mima que nous voyons, c'est la pop idol, ces jeunes chanteuses kleneex véhiculant une image fraîche, gaie et innocente fabriquées par une industrie du divertissement qui les médiatise à outrance durant quelques années avant de les rejeter pour en prendre d'autres. Dans l'espoir d'échapper à ce destin, Mima décide d'arrêter en pleine gloire pour saisir l'opportunité qu'on lui propose de devenir actrice et mannequin. Elle tombe ainsi dans un autre système d'exploitation d'images, sauf que celui-ci la sexualise à outrance, la faisant poser nue et la soumettant à une scène de viol. Mais l'ancienne Mima maintenue en vie par ses fans otakus les plus acharnés ne veut pas périr et revient tel un fantôme harceler la nouvelle Mima et massacrer ceux (des hommes évidemment) qui l'ont créé. De façon significative, le tueur crève les yeux de ses victimes pour les punir de leur transgression. Chez Kon, tout est affaire de mise en abyme. Au Japon, les poils pubiens sont un véritable tabou culturel, or Satoshi Kon n'hésite pas à l'exploser en montrant ceux de Mima ce qui le place dans une position très provocatrice, susceptible de provoquer des réactions violentes à son égard. Une vraie note d'intention pour son cinéma.

Que pèsent au final les limites techniques face à une réflexion aussi vertigineuse et une mise en scène aussi brillante? On ne se pose pas la question lorsqu'il s'agit de films live utilisant des effets spéciaux datés, pourquoi cela devrait-il pénaliser exclusivement les films d'animation? En tout cas celui à qui cela n'a pas posé de problème, c'est Darren Aronofsky qui s'est largement inspiré de "Perfect blue" pour réaliser "Black Swan" jusqu'à reprendre à l'identique des plans entiers.

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Paprika (Papurika)

Publié le par Rosalie210

Satoshi Kon (2006)

Paprika (Papurika)

Les films de Satoshi Kon inspirent les cinéastes américains. Son premier long métrage "Perfect Blue" a fourni à Darren Aronofsky la trame de "Black Swan". Son quatrième "Paprika" a inspiré à Christopher Nolan son film "Inception". Dans l'un comme dans l'autre, on navigue (chez Kon on peut même dire qu'on flotte) entre plusieurs niveaux de rêves et de réalité comme dans un millefeuille. Le film de Kon nous présente une galerie de personnages mal dans leur peau. Tokita, un scientifique obèse et boulimique, sa collègue thérapeute Atsuko Chiba stricte et cérébrale et son patient, le détective Konakawa qui est traumatisé par une scène de meurtre. Tokita a mis au point la DC Mini, un appareil qui permet d'entrer dans l'esprit d'un patient malade pour sonder son inconscient et enregistrer ses rêves. Atsuko y évolue sous la forme d'un avatar aux antipodes de sa personnalité, Paprika. Mais un jour plusieurs de ces appareils sont dérobés permettant de pirater le psychisme d'un nombre croissant de personnes comme un virus informatique.

Le monde des rêves et celui, virtuel du numérique se confondent. Il en est de même entre les rêves et le cinéma. Le détective est un cinéaste raté qui voyage dans ses rêves comme dans les genres cinématographiques. La scène de l'ascenseur (reprise par Nolan) le montre en Tarzan, en héros romantique, en victime d'un meurtrier dans un polar... La DC Mini est une caméra qui enregistre l'activité onirique comme si celle-ci était un film projetable sur un écran.

La débauche visuelle autour des séquences oniriques est impressionnante. Et ce sans que le spectateur ne se perde car chaque personnage a un rêve récurrent et interfère dans celui des autres. Celui du voleur est central, il s'agit d'un défilé de symboles culturels et d'objets de consommation hétéroclites dans lequel ses victimes sont embarquées. Cette parade délirante et cauchemardesque symbolise le "viol des foules" contemporain lié au matraquage publicitaire (et plus largement médiatique). Le détective rêve qu'il se tue lui-même à cause de ses ambitions artistiques avortées. Morio Osanai, un scientifique corrompu rêve que son corps est absorbé par celui du président de la société qui est le cerveau du vol des appareils (et à qui il a vendu son âme). Il éprouve également du désir pour Atsuko ce qui débouche sur une séquence suggérant un viol assez éprouvante. Quant à Atsuko, elle se rêve délurée et libre de ses désirs. Ceux-ci la portent vers son énorme collègue prisonnier de son corps qu'elle veut sortir de sa cage.

Bref, tant visuellement que scénaristiquement, "Paprika" est une oeuvre complexe et nuancée. Plusieurs visionnages sont nécessaires pour en apprécier toute la richesse.

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Faust, une légende allemande (Faust - Eine deutsche Volkssage)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1926)

Faust, une légende allemande (Faust - Eine deutsche Volkssage)

Tout est question de dualité dans ce film, l'un des plus célèbres de Murnau: bien et mal, archange et diable, salut et damnation, ciel et terre, bouffonnerie et terreur, amour sacré et amour profane, jeune et vieux, sainte et catin, ingénuité et cupidité, plaisirs et souffrances. Chacun des personnages principaux est double et que ce soit dans la première partie mystique ou dans la deuxième plus romantique, chaque action possède son miroir inversé ou déformé.

Par conséquent, l'expressionnisme par son jeu d'ombres et de lumières est une traduction parfaitement adéquate de cette dualité à l'œuvre dans tout le film. La lumière sculpte les images d'un film composé de tableaux vivants extraordinairement expressifs que ce soit dans les scènes de groupe ou dans les portraits. Murnau avait une formation en histoire de l'art et son film est pétri d'influences picturales telles que Rembrandt, Vermeer, Georges de la Tour ou encore Jérôme Bosch. Les effets de clair-obscur et de brumes, remarquables, servent un récit imprégné de surnaturel. Et de spiritualité.

"Faust" a beau être l'adaptation de la célèbre pièce de Goethe elle-même tirée d'un conte populaire germanique, il s'agit d'un film dans lequel Murnau injecte sa propre personnalité. Le calvaire de Marguerite clouée au pilori, rejetée de partout, accusée d'infanticide et brûlée sur le bûcher symbolise le sort de ceux qui aiment hors du carcan imposé par la société. Filmée tout au long de son martyre comme une madone, Marguerite connaît finalement l'assomption par l'amour et son sacrifice permet aussi le rachat de celui qu'elle aime. Néanmoins ni elle, ni Faust, ni leur enfant n'ont de place sur terre et restent à la porte de l'église alors que le ciel ouvre les bras à l'amour, sans limites ni jugement.

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Dracula (Bram Stoker's Dracula)

Publié le par Rosalie210

Francis Ford Coppola (1992)

Dracula (Bram Stoker's Dracula)


Un film est inséparable du contexte dans lequel il a été réalisé. L'adaptation du "Dracula" de Bram Stoker par Francis Ford Coppola, aussi déroutante que fascinante a la force d'une évidence. Se déroulant en 1897, date de la sortie du livre, elle lui est extrêmement fidèle narrativement tout en exacerbant la dimension romantique et sexuelle du mythe vampirique. Le sexe et la mort y sont d'autant plus inextricablement liés que l'époque s'y prête. Les maladies vénériennes du XIX° couvrent l'angoisse de l'épidémie de sida qui fait rage au début des années 1990 lorsque sort le film. D'où l'importance donnée aux maladies du sang, à la contamination et aux plans anachroniques montrant des globules.

Mais le film n'a rien de clinique, bien au contraire, il se singularise par sa mise en scène digne d'un opéra baroque, surchargée d'effets somptueux parfois à la limite du kitsch. Nombre d'entre eux proviennent du cinéma muet auquel Coppola rend un hommage appuyé au détour d'une scène qui montre la projection des vues Lumière. Mais c'est surtout à l'expressionnisme qu'il se réfère. L'ombre démesurée du comte qui se meut de façon autonome rappelle le film de Murnau, de même que le plan menaçant du navire qui contient le mal dans ses flancs, prêt à se répandre. Les ornements et superpositions rappellent quant à eux la mise en scène de Peter Greenaway ainsi que les costumes extravagants.

Toute cette flamboyance est mise au service du thème de la passion qui est centrale dans le film. La scène inaugurale en ombres chinoises montre le chevalier Vlad tournant le dos à la passion religieuse et guerrière des chrétiens trucidant les Ottomans et se damnant par amour pour son épouse Elisabetha qui en se suicidant a été excommuniée. La passion amoureuse a fait de lui un vampire condamné à aspirer l'énergie vitale des vivants pour l'éternité. C'est pourquoi seule une réincarnation de son épouse défunte peut briser la malédiction en l'aidant à mourir en paix. Et à la différence de Murnau (où elle se sacrifie) et de Stoker (où elle est agressée), Mina tombe passionnément amoureuse de Dracula et réciproquement. C'est cette dimension qui m'a particulièrement marquée. Ce n'est pas pour rien que l'on dit de quelqu'un qui tombe amoureux qu'il est "mordu". En effet quel contraste entre la fiancée prude de Jonathan Harker (dont la fadeur est liée également à l'interprétation peu expressive de Keanu Reeves) et l'amante enflammée et luxurieuse de Dracula, semblable à ses maîtresses vampires. Winona Ryder nous offre là l'un de ses plus beaux rôles. Il en est de même pour Gary Oldman, lui aussi tout en dualités et métamorphoses. Vieux papy cynique et desséché, singe en rut, rats, ombre et vapeur, toutes ces apparences soulignent son inhumanité. Mais en retrouvant son amour perdu, il devient un jeune dandy au charme envoûtant dont la délicatesse et la mélancolie touchent au coeur.

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La Forme de l'Eau (The Shape of Water)

Publié le par Rosalie210

Guillermo del Toro (2017)

La Forme de l'Eau (The Shape of Water)

"La Forme de l'Eau" mérite sa réputation par sa richesse narrative et formelle nourrie de multiples références sans que pour autant le film n'y perde en originalité et en personnalité. La filiation avec "Le Labyrinthe de Pan", l'œuvre phare de Guillermo Del Toro est très forte. Le fantastique et l'atmosphère onirique de conte servent dans les deux cas à protéger une innocente de la brutalité de la guerre et de ses suites (espagnole dans "Le Labyrinthe de Pan", froide dans "La Forme de l'Eau"). Celle-ci est incarnée à chaque fois par un ogre terrifiant, incarnation la plus brutale du mâle alpha tueur et tortionnaire. Dans les deux cas aussi, l'eau enveloppe et protège comme à l'intérieur d'un ventre maternel (de manière littérale dans "La Forme de l'Eau", symbolique dans "Le Labyrinthe de Pan" où l'héroïne s'appelle Ofelia) alors que le corps des ogres est mutilé (les doigts putrescents de Strickland équivalent à la joue entaillée de Vidal avec l'élément liquide en plus). Ces différents niveaux de réalité sont représentés spatialement de façon verticale (surface/monde souterrain dans "Le Labyrinthe de Pan", premier étage où flottent en apesanteur Elisa et son voisin/cinéma au rez-de-chaussée qui nourrit l'imaginaire/laboratoire bunkerisé qui contient les forces obscures qui nourrissent l'imaginaire en surface).

"La Forme de l'Eau" bien que se situant dans les années 50-60 au temps de la guerre froide nous parle d'une guerre bien actuelle. Guillermo Del Toro est d'origine mexicaine et son film est traversé par la barda. Il s'offre la jouissance (et nous la offre) de la revanche des opprimés sur l'oppresseur. D'un côté les minorités ethniques latinos et noire, les handicapés, les homosexuels, les femmes et même un espion soviétique déserteur réunis sous la bannière du dieu "freak" homme-poisson. De l'autre le mâle wasp, incarnation aux USA du blanc dominateur qui affirme que dieu est humain et a un visage proche du sien. Celui qui tue, torture, harcèle, humilie mais qui incarne en surface l'american way of life bien propre sur lui avec sa maison, sa femme, ses enfants et sa Cadillac. C'est par l'objet de sa puissance phallique et destructrice qu'il nous est présenté, la première rencontre avec Elisa se fait dans les toilettes lorsqu'il pose son gourdin-taser sur le lavabo (principe masculin contre principe féminin). Sa bouche carnassière concassant des bonbons est aussi un leitmotiv marquant. C'est aussi toute sa faiblesse qui nous est montrée lorsqu'il s'avère incapable de concevoir qu'il s'est fait rouler dans la farine par ces femmes de ménage qu'il méprise. Son incapacité à sonder le mystère et la grandeur de l'autre lui est fatal.

Jean-Pierre Jeunet a récemment accusé Guillermo Del Toro d'avoir copié des séquences entières de "Délicatessen" dans "La Forme de l'Eau". Les ressemblances sautent en effet aux yeux. Le visuel de "La Forme de l'Eau" en tons bleu-vert-jaune comme à l'intérieur d'un aquarium et l'esthétique rétro rappellent "Délicatessen", du moins chez Elisa et son voisin. La scène où leurs pieds dansent en rythme avec la TV alors qu'ils sont assis sur le canapé existe à l'identique dans "Délicatessen" de même que celle de l'inondation de la salle de bain pour se créer une bulle d'amour avec l'âtre aimé face à l'hostilité du monde extérieur. Mais outre qu'il devrait être flatté d'être une source d'inspiration, lui-même n'est pas parti de rien comme le disait un article du magazine Utopia consacré à "Délicatessen" et daté de 1991 "C'est tout pompé sur l'immense Brazil! Mais c'est bien pompé, ça c'est sûr!". Guillermo Del Toro était d'ailleurs le premier à rappeler tout ce que lui et Jeunet devaient à Terry Gilliam, l'initiateur de cette esthétique rétro-futuriste et de ce ton à la fois romantique, onirique et joyeusement désespéré.

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Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens)

Publié le par Rosalie210

Friedrich Wilhelm Murnau (1922)

Nosferatu le vampire (Nosferatu, eine Symphonie des Grauens)

Toute vie commence dans le sang qui accompagne la naissance et lorsque la mort est violente, elle se termine aussi dans le sang. Le sang symbolise à la fois la vie et la mort, le bien et le mal, la pureté et la souillure, le sacrement et le crime, il réunit dans une union étrange tous les contraires. Le sang est comme la couleur rouge, ambivalent : rouge clair, il est la vie, la force, le jour, l’action, la libération, rouge sombre, il prend le visage de la mort, du mystère, de la nuit, de la passion et de l’oppression.

Le plus puissant des mythes lié au sang est celui du vampire. Son origine remonte à la nuit des temps mais ses caractéristiques modernes ont été fixées par le livre de Bram Stoker, "Dracula" paru en 1897. Celui-ci ajoute en effet à toutes les ambivalences liées au sang celle de l'espèce, thème alors central dans la (pseudo)science du XIX°. Dracula est en effet mi-bête assoiffée de globules rouges, mi-aristocrate au "sang bleu". Et le film de Murnau, jalon essentiel de l'histoire du cinéma en est l'une des illustrations les plus fidèles même si pour une question de droits les noms et les lieux ont été changés. Quoique dans la version française en noir et blanc, les noms et lieux d'origine ont été depuis rétablis (sauf que l'épouse de Jonathan s'appelle Nina et non Mina).

La version de Murnau de 1922 n'est pas la première de l'histoire du cinéma mais c'est la plus ancienne qui a été conservée. Elle a tellement marqué les esprits que "Nosferatu" est devenu aussi célèbre que "Dracula" et a eu droit à un remake spécifique par Werner Herzog en 1979. Ce mot désigne en ancien slave "celui qui apporte la peste" (le terme de vampire serait lui apparu au XVIII° en Serbie et signifie chauve-souris, d'où l'équivalence fréquente avec cet animal). Car le vampire de par son pouvoir de contamination est celui qui propage la maladie, surtout lorsque celle-ci empoisonnait le sang (la peste bubonique débouchait sur une septicémie dans la plupart des cas). C'est ce qui conduira à la réactivation du mythe au temps du sida avec le "Dracula" de Francis Ford Coppola, très proche de Stoker et de Murnau. Et ce d'autant mieux que le vampire symbolise aussi bien la mort que le désir sexuel, la morsure étant un déplacement de l'acte sexuel lorsque celui-ci ne peut être montré directement. Chez Murnau qui était homosexuel, ce thème est sous-jacent mais bien présent étant donné que son vampire se repaît surtout de sang frais masculin (notamment celui des marins).

En distordant la réalité par un jeu d'ombres et de lumière, des accélérations et des ralentis quasi hypnotiques, des images positives et négatives, des filtres jaunes et bleus (dans la version allemande), Murnau nous immerge dans ce festival d'ambivalences. Son film appartient au courant expressionniste et exprime le surnaturel mais il a aussi quelque chose de naturaliste. Il est claustrophobique lorsqu'il nous enferme dans le manoir du comte ou sur le bateau (convoyeur bien connu de la peste). Et en même temps, il s'ouvre sur des horizons plus large et même dans une dimension cosmique. Les règnes animaux et végétaux ressentent l'approche du mal et le reproduisent. Le comte symbolise les ténèbres mais il est tué par la lumière symbolisée par Nina-Ellen, l'épouse de Jonathan-Hutter qui se sacrifie pour établir l'équilibre du monde menacé par les forces obscures. Murnau comme le reste de la société allemande a été traumatisé par l'hémorragie de sang jeune et vigoureux provoquée par la première guerre mondiale alors qu'une nouvelle peste se profilait, le parti nazi ayant été fondé en 1920 soit deux ans avant la sortie du film.

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