Je m'étais déjà aperçue avec son précédent film, "Pupille" (2018), qu'il y avait beaucoup d'humanité et d'empathie dans le cinéma de Jeanne HERRY. Une approche documentaire sans pour autant renoncer à la fiction. Une envie de soigner les maux de la société qui dans "Je verrai toujours vos visages" s'applique à faire connaître et reconnaître le travail de la justice restaurative ou réparatrice. Une justice à hauteur d'individus dont l'application en France est relativement récente (moins de dix ans) mais dont l'existence remonte aux origines de l'humanité et qui s'est maintenue de façon informelle en dépit de sa prise en charge (ou de sa confiscation) par les Etats. Les principes en sont très simples: réintroduire de la parole en lieu et place de la violence à l'aide de un ou plusieurs médiateurs afin d'aider ceux qui sont pris dedans à sortir du statut de bourreau ou de victime qui les aliène. Deux déclinaisons de cette pratique sont montrées alternativement: un cercle de parole composé de trois victimes de vols avec violences (joués par MIOU-MIOU, Leila BEKHTI et Gilles LELLOUCHE), trois auteurs de délits du même ordre et autant d'accompagnants, tous volontaires. Et un processus plus intimiste, plus âpre et plus délicat concernant une rencontre entre une jeune femme ayant été victime d'inceste (jouée par Adele EXARCHOPOULOS) et son frère qui en a été l'auteur (joué par Raphael QUENARD), un dossier pris en charge par une seule personne (jouée par Elodie BOUCHEZ). Dans ce dernier cas, il ne s'agit aucunement de restaurer une relation de toute manière détruite mais de permettre à Chloé, l'ancienne victime de reprendre son destin en main et de parvenir enfin à se protéger de son agresseur, lequel s'effondre durant la confrontation après des années de déni. L'autre dispositif au contraire créé des liens entre d'un côté des victimes qui racontent leur calvaire et le traumatisme qui s'en est suivi et des délinquants assez peu conscients de la gravité de leurs actes. Cette partie bien que très bien interprétée est un peu plus survolée et convenue, sans doute en raison du trop grand nombre de personnages. Il est également important de se détacher du caractère immersif du film pour en mesurer la principale limite: seuls ceux qui le veulent vraiment peuvent parvenir à tirer quelque chose de bon de ce dispositif. Autrement dit il y a aussi bien du côté des victimes que de celui des auteurs des gens qui ne pourront jamais se parler. Peut-être que cela aurait été bien aussi de montrer cette réalité là.
"Pupille" fait partie de ces films qui vous agrippe dès les premières images et ne vous lâche plus ensuite. Et ce alors qu'il ne s'agit même pas d'un thriller mais d'un drame social transcendé par les interprètes d'une chaîne humanitaire d'autant plus lumineuse que la mise en scène ne sacrifie pas les personnages au sujet. Le sujet, c'est la distorsion entre le désir (d'enfant) et une réalité biologique parfois cruelle qui prive certaines femmes ayant envie d'être mère de la possibilité d'enfanter alors que d'autres qui ne sont pas prêtes ou s'y refusent doivent subir une grossesse non désirée. Les maillons de la chaîne ont pour but de corriger cette distorsion en prenant en charge l'enfant dans les meilleures conditions possibles entre le moment de son abandon et celui de son adoption. Coup de génie, avoir réussi à incarner des fonctions telles que celles d'assistantes sociales, éducatrices spécialisées, assistants familiaux au travers de figures humaines particulièrement fortes. Après "Le grand bain", Gilles Lellouche creuse encore plus loin la part de féminité qui est en lui pour offrir un portrait assez saisissant d'un homme qui a choisi d'inverser les rôles en assumant d'être homme au foyer responsable d'enfants en difficulté qu'on lui confie provisoirement pendant que sa femme travaille à l'extérieur. Il est tellement crédible que l'on comprend que Karin (Sandrine Kiberlain, très juste aussi) l'éducatrice spécialisée en pleine crise de couple craque pour lui et l'aide à reprendre foi en son travail en lui confiant Théo, le bébé sous X hypotonique en dépit des réticences de l'administration. La relation tendre qu'il noue avec lui est a elle seule un vibrant plaidoyer pour une autre manière d'investir la paternité. A l'autre bout du spectre, il y a cette assistante sociale (Olivia Côte) très cash qui se bat pour que Alice (Elodie Bouchez) qui est divorcée puisse concrétiser son rêve d'enfant sans lui cacher les difficultés inhérentes à l'adoption. Comme Gilles Lellouche, Elodie Bouchez (qui n'avait pas trouvé un rôle aussi fort depuis très longtemps) transcende son rôle tant son jeu sensible est mis en valeur par la caméra. Même de plus petits rôles touchent juste comme celui de l'assistante sociale (Clotilde Mollet) sommée de prendre ses responsabilités face à un bébé en souffrance ou d'une sage-femme (Stéfi Selma) qui au contraire outrepasse son rôle et offre ainsi une clé de résilience à Théo. Car le film est aussi l'illustration dont les professionnels de la petite enfance dans les sociétés occidentales considèrent le bébé depuis une quarantaine d'années: comme une personne avec laquelle on doit communiquer directement et franchement (un concept issu de Thomas Berry Brazelton et non de Françoise Dolto comme on le croit trop souvent). Jeanne Herry (la fille de Miou-Miou qui a également un petit rôle dans le film) s'avère donc être une excellente directrice d'acteurs en plus d'avoir une capacité à épouser le moindre de leurs mouvements intérieurs. Chapeau!
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.