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Articles avec #giannoli (xavier) tag

Marguerite

Publié le par Rosalie210

Xavier Giannoli (2015)

Marguerite

Revoir (et écouter) "Marguerite", adaptation très libre de la vie de Florence Foster Jenkins par Xavier GIANNOLI (cantatrice américaine richissime chantant horriblement faux qui a peu de temps après fait l'objet d'un autre film par Stephen FREARS) fait réaliser à quel point il annonce "Illusions perdues" (2019) que ce soit au niveau des écrits journalistiques ou du personnage payé pour faire la claque. Les deux films dissèquent un monde du spectacle (social comme scénique, c'est du pareil au même et la mise en abyme est évidente) fait de mensonges et de dissimulations dans lequel la vérité des sentiments ne peut qu'être mise à mort comme le taureau dans une corrida. Le film joue donc avec les paradoxes. Marguerite Dumont a acheté le titre de son mari et chante comme une casserole mais elle s'avère d'une telle authenticité dans son besoin d'amour et de beauté qu'elle se laisse dévorer par ces passions qui lui sont inaccessibles. La tragique illusion qu'elle se fait de son talent et son besoin d'exister aux yeux de son mari servent de révélateur (de vérité) aux lâchetés, hypocrisies, calculs d'intérêts de son entourage qui ne cesse de lui renvoyer un miroir trompeur dans lequel elle se complait d'autant plus jusqu'à ce qu'elle se confonde tant avec lui que toute tentative de retour au réel ne peut que l'anéantir. Mais les prestations de Marguerite, filmées frontalement non pour se moquer d'elle mais pour provoquer le malaise ont aussi le pouvoir d'arracher les masques. Si Catherine FROT offre une prestation mémorable, le film est une galerie de portraits passionnants car tous plus ambivalents les uns que les autres. Le mari négligent (André MARCON) qui a épousé Marguerite pour sa fortune et la trompe se retrouve de plus en plus accablé par la honte et la culpabilité, observant cette femme s'enfoncer toujours plus loin dans sa folie sans parvenir à la protéger. Son domestique Madelbos (Denis MPUNGA) qui par ses talents de photographe la transforme en icône et l'histoire de sa vie en roman-photo brûle ensuite ce qu'il a adoré et la vampirise de son voyeurisme jusqu'à son dernier soupir. Son professeur (Michel FAU) ancienne gloire sur le déclin voit à travers elle un miroir de sa déchéance ce qui provoque en lui des bouffées de haine et d'amertume. Enfin les artistes-journalistes comme Lucien (Sylvain DIEUAIDE) qui espèrent se servir d'elle comme produit d'appel pour leurs happenings dadaïstes ou comme tiroir-caisse pour écouler leurs productions sont confrontés à leurs regrets d'avoir gâché leur amour et leur talent. Le miroir en effet fonctionne dans les deux sens et si Marguerite vit dans l'imposture, la société qui l'entoure n'est qu'une sinistre farce. Quand la vérité éclate, elle est dévastatrice.

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Illusions perdues

Publié le par Rosalie210

Xavier Giannoli (2021)

Illusions perdues

J'étais sûre quand je l'ai vu dans "Eté 85" (2019) que Benjamin VOISIN irait loin, grâce à son talent. Et il en faut du talent pour porter sur ses épaules le personnage de l'un des romans les plus importants de la Comédie humaine de Honoré de Balzac. L'adaptation passionnante de Xavier GIANNOLI est centrée sur l'histoire de Lucien de Rubempré, poète talentueux mais sans le sou, naïf et faible de caractère. Originaire d'Angoulême et monté à Paris avec de grandes ambitions comme Rastignac mais rapidement grisé par le succès de l'argent et le pouvoir facile que peut lui rapporter sa plume et obsédé par le désir d'effacer ses origines roturières en se faisant anoblir, il multiplie les faux pas jusqu'à la chute fatale. Le jeune homme veut concilier ce qui est inconciliable. Comme le disait Mme de Merteuil dans "Les liaisons dangereuses", "l'amour et la vanité sont incompatibles" et son incapacité à choisir ainsi que sa naïveté et sa méconnaissances des codes sociaux propres aux milieux qu'il fréquente causeront sa perte. Les précédents longs-métrages de Xavier GIANNOLI que j'ai pu voir présentent le même type de personnage imposteur dont le caractère tragique naît du fait qu'il croit en ses propres mensonges, encouragé par le miroir déformant que lui renvoie la société jusqu'à ce que celui-ci se brise, brisant alors le personnage avec lui tant celui-ci a finit par se confondre avec son illusion (Marguerite et sa voix fausse, Paul et sa fausse entreprise).

Parallèlement au destin très romanesque du jeune homme, Honoré de Balzac dresse dans le roman un portrait féroce de son époque (la Restauration) et en particulier du milieu journalistique qu'il connaissait très bien pour y avoir travaillé et qu'il détestait. Xavier GIANNOLI fait particulièrement bien ressortir ce qu'il y a de commun entre l'époque de Balzac et la nôtre. Et pour cause: les années qu'il décrit sont celles de l'arrivée de la première révolution industrielle en France (évoquée à travers l'exemple de la rotative dans le film qui permet la naissance de la presse à grand tirage même si celle-ci ne deviendra un média de masse qu'avec la III° République et la généralisation de l'instruction primaire à la fin du siècle) et avec elle, du capitalisme et sa logique du profit maximal. L'information est donc dévoyée par la marchandisation et la corruption, que ce soit dans la presse libérale où Lucien fait ses gammes ou bien dans la presse royaliste à qui il se vend lorsqu'il espère ainsi obtenir son titre de noblesse. Le parallèle avec la prostitution est d'ailleurs montré de façon flagrante lorsque l'illusion de l'amour se dissipe et que le mécénat de sa première maîtresse se concrétise de manière sonnante et trébuchante en échange de faveurs sexuelles. Le summum de la supercherie est atteint avec le portrait d'éditeurs analphabètes comme Dauriat (Gérard DEPARDIEU, plutôt sobre) ou de mercenaires payés pour faire applaudir ou au contraire faire huer un spectacle (Jean-François STÉVENIN dans l'un de ses derniers rôles). Quant aux recettes pour "faire le buzz", on découvre que l'ère numérique ne les a absolument pas inventées. C'est Vincent LACOSTE dans le rôle de Lousteau, un rédacteur en chef qui est chargé d'initier Lucien (et le spectateur) aux ficelles des requins de la presse-finance et on se régale avec des répliques assassines sur l'art d'écrire un article de mauvaise foi ("si l'article est intelligent il est complaisant, s'il est émouvant, il est larmoyant, s'il est drôle, il est superficiel, classique, il est académique" etc.) Le tout est emballé avec une grande vivacité d'interprétation et de réalisation sans pour autant que cela ne paraisse confus.

Si le personnage de Nathan (joué par Xavier DOLAN) vient apporter un peu de hauteur au coeur de toute cette fange, la version de Xavier GIANNOLI avec la mise à mort de la jeune compagne-actrice de Lucien, Coralie (jouée par Salomé DEWAELS) fait nettement pencher la balance en faveur du cynisme, de la noirceur et de l'amertume. Et si toute la corruption et la malhonnêteté intellectuelle dépeintes sont plus que jamais d'actualité (d'ailleurs cela m'a bien éclairé sur certains comportements de journalistes dont on sent les réflexes idéologiques ou la complaisance vis à vis des réseaux influents par le pouvoir et l'argent plus que la volonté de transmettre des sentiments authentiques sans parler de l'origine du mot "canard" pour qualifier les journaux dont j'ignorais qu'il qualifiait les "fausses rumeurs" et donc aujourd'hui les "fake news" puisque les anglicismes se sont imposés dans toute l'économie), il n'en reste pas moins que le "quatrième pouvoir" (expression que l'on doit d'ailleurs à Balzac) est indispensable à la démocratie. Il est dommage que la tentative de Charles X pour restaurer l'absolutisme en faisant notamment museler la presse (ce qui entraîna la révolution de 1830) soit juste montrée comme une opération "mains propres" vis à vis de personnages n'ayant aucune déontologie (il faut voir comment l'expression "liberté de la presse" résonne dans la bouche de Lousteau). C'est pourquoi un visionnage de "Les Hommes du Président" (1976) me paraît indispensable pour montrer qu'il existe plusieurs formes de journalisme et que l'opposition ne se réduit pas comme le montre le film (qui dépeint aussi la vision exécrable que Balzac entretenait avec les journalistes) entre l'art et la "putapresse".

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