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Articles avec #fantastique tag

Tokyo!

Publié le par Rosalie210

Michel Gondry, Leos Carax, Bong Joon-ho (2007)

Tokyo!

D'ordinaire, je n'aime pas les films à sketchs, collectifs ou individuels. La fragmentation en plusieurs moyens métrages est frustrante, à peine entré dans une histoire qu'il faut déjà passer à autre chose sans que rien ne puisse être approfondi. Mais dans ce cas précis, la réunion de trois grandes pointures du cinéma d'auteur autour de la capitale japonaise fait des étincelles. D'ailleurs les trois segments sont de qualité à peu près équivalente (ce qui est un exploit) et entretiennent entre eux des relations plus étroites qu'il n'y paraît autour de l'exclusion et de la folie, en dépit du style très différent de leurs réalisateurs respectifs.

- Le premier volet "Interior design" signé de Michel GONDRY dépeint le mal-être d'une jeune fille qui ne parvient pas à trouver sa place à Tokyo. Un surprenant virage fantastique lui fait subir une cruelle métamorphose qui résout son problème existentiel et donne son sens au titre. Peut-être le moins (relativement) abouti des trois parce qu'il faut attendre la fin pour qu'il déploie tout son potentiel.

- Le second, signé Leos CARAX, prototype de l'une des séquences les plus célèbres de "Holy Motors" (2012) est intitulé "M. Merde". Une immonde créature surgie des égouts (de l'inconscient) jouée par Denis LAVANT sème le chaos dans la ville la plus policée du monde en multipliant les gestes puis une fois arrêtée, les propos iconoclastes. Le résultat est décoiffant et plus subversif que dans "Holy Motors" qui recherche davantage au travers du même personnage un résultat esthétique ("la belle et la bête") plutôt que politique. On reconnaît en M. Merde un avatar des créatures bestiales fantastiques nocturnes qui hantent le cinéma de Carax (le gorille de Dieu, Nosferatu...)

- Enfin le troisième segment, réalisé par BONG Joon-ho et intitulé "Tokyo shaking" établit un parallèle entre les tremblements de terre et les ébranlements du coeur de son protagoniste principal qui est tellement allergique au changement et au contact humain qu'il est devenu hikikomori c'est à dire reclus volontaire. Ce repli sur soi semblable à l'autisme (le refus du social et même simplement du contact visuel avec autrui, la compulsion de répétition routinière, d'accumulation d'objets, empilés ou alignés avec un perfectionnisme maniaque) est montré au final comme un fléau collectif: lorsque le héros se décide à sortir, il se retrouve dans une ville dont les espaces publics ont été désertés par leurs habitants. Quant à la jeune fille dont il est amoureux, on ne sait pas si elle est de nature humaine ou mécanique. Le résultat est étrangement hypnotique et poétique.

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Onésime horloger

Publié le par Rosalie210

Jean Durand (1912)

Onésime horloger

Jean DURAND, ex-journaliste et dessinateur satirique a débuté chez Pathé en 1908 puis la Lux avant de passer à la Gaumont en 1910 où il réalise notamment des séries de courts-métrages burlesques autour des personnages de Calino (interprété par Clément Mégé), Zigoto (interprété par Lucien Bataille) et Onésime (interprété par Ernest Bourbon). Dans sa troupe d'acteurs-acrobates (les "Pouittes"), on trouve une future vedette, Gaston MODOT (le garde-chasse jaloux poursuivant Carette dans "La Règle du jeu" (1939) de Jean RENOIR, c'est lui!). Le style de ses courts-métrages préfigure celui des comédies de Mack SENNETT et de ses Keystone cops et il est bien dommage que son nom soit aujourd'hui oublié.

"Onésime horloger" qui fait partie d'une série de 56 films réalisés entre 1910 et 1914 est parfaitement représentatif de ce style et de cette époque dans laquelle les deux pays s'influencent mutuellement pour construire un genre qui sera l'un des piliers de l'âge d'or du cinéma muet. Avec en plus ici un caractère expérimental autour de la manipulation du temps, l'horloge qui s'affole devenant le cinéma lui-même, formidable machine à voyager dans le temps par le procédé des images accélérées (effet spécial que l'on retrouve dans d'autres Onésime mais pas sur les trois-quarts du film comme ici). Comme quoi Luc BESSON avec sa "Lucy" (2006) n'a rien inventé (sauf qu'elle remontait le temps alors qu'Onésime lui le descend à toute vitesse). Le résultat est un enchaînement frénétique de gags entraînant un vertige métaphysique, soit par la répétition mécanique des mêmes mouvements dans le monde urbain moderne confinant à l'absurde (certains passages préfigurent la célèbre séquence du travail à la chaîne de "Les Temps modernes" (1934) elle-même inspirée par "À nous la liberté" (1931) qui démontre une fois de plus comment la France et les USA se sont mutuellement influencés), soit par la métamorphose avec la séquence du mariage express, suivi de la croissance non moins rapide d'un enfant qui se révèle être Gaston MODOT!

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Le Tambour (Die Blechtrommel)

Publié le par Rosalie210

Volker Schlöndorff (1979)

Le Tambour (Die Blechtrommel)

" Il était une fois un peuple crédule qui croyait au père noël mais en réalité le père noël était le préposé au gaz".

Cette phrase digne d'un conte grinçant symbolise le nazisme vu à hauteur d'enfant et ce d'une manière autrement plus dérangeante que dans le gnan-gnan "Jojo Rabbit". En effet, Oskar, le personnage principal et narrateur du film (qui est l'adaptation partielle du roman de Gunther Grass) met mal à l'aise tant il est difficilement identifiable. Officiellement âgé de 3 ans lorsqu'il décide de ne plus grandir, sa taille est celle d'un petit garçon (plutôt de 5-6 ans) mais son visage, son regard perçant et son comportement sont en discordance avec son apparence. Même s'il n'en a pas toutes les caractéristiques (David Bennent alors âgé de 12 ans souffrait de troubles de croissance), Oskar est plus proche du nain que de l'enfant et sa difformité renvoie à la monstruosité mais aussi au grotesque du nazisme dont il incarne ce qu'il rejette, à savoir le sous-homme. L'une des meilleures scènes du film illustre parfaitement la discordance entre la doctrine et la réalité. Oskar que sa petite taille permet de se glisser partout fait dérailler une cérémonie nazie dont il finit par changer la nature (de rectiligne et phallique, elle devient circulaire et féminine) en émettant des fausses notes sur son tambour. Son autre arme est sa voix qui lui permet de briser les objets en verre et par là même, de semer le chaos. Un écho assez évident au pogrom de "La Nuit de Cristal" de 1938 qui est relaté dans le film au travers du saccage de la boutique de l'ami d'Oskar, Markus le vendeur de jouets (interprété par Charles Aznavour). Enfin, le choix du lieu n'est pas anodin et permet de relier petite et grande histoire: de même que Dantzig est écartelé entre l'Allemagne et la Pologne, Oskar a deux pères et ne sait pas lequel est son géniteur. Le premier est le cousin et l'amant polonais de sa mère et l'autre est son mari, un commerçant allemand qui lui assure la sécurité matérielle. Mais Oskar qui refuse de devenir adulte* les renvoie dos à dos et précipite leur perte à tous deux. Il n'est pas plus tendre avec sa mère puisqu'il aurait voulu ne pas naître (il se réfugie souvent sous les jupes de sa grand-mère) ce qui donne lieu aux scènes les plus dérangeantes autour du détraquement de la nourriture**, du sexe, de la gestation et de la filiation. On peut également souligner que le film lui-même oscille entre deux genres, le film historique et le conte baroque surréaliste à tendance horrifique lorgnant vers le "Freaks" de Tod Browning, le "Huit et demi" de Federico Fellini ou certaines oeuvres de Luis Bunuel. Bref "Le Tambour" est une oeuvre très riche sur le fond et décapante sur la forme, sans doute la meilleure de son auteur.

* Bien que se situant à l'opposé de "Le Tambour" quant à son public (il est interdit aux moins de 16 ans), "Kirikou et la sorcière" partage un certain nombre de similarités qui d'ailleurs permettent de mieux comprendre le film de Volker Schlöndorff qui peut paraître nébuleux à première vue. C'est un conte ou on trouve un enfant qui s'enfante tout seul (Oskar hésite à naître puis décide de ne plus grandir), qui est d'une taille minuscule mais d'une sagacité bien supérieure à celle des adultes et qui de ce fait est en marge de sa communauté.

** Il faudrait que Blow Up, l'émission d'Arte consacre un numéro à l'anguille au cinéma, surtout quand celle-ci permet d'avoir la Palme d'Or.

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Thelma

Publié le par Rosalie210

Joachim Trier (2017)

Thelma

"Thelma" m'a fait beaucoup penser à "Morse" (2008) qui lui-même n'est pas sans rapport avec les adaptations cinématographiques des romans de Stephen King, "Carrie au bal du diable" (1976) et autres "Shining" (1980). Un enfant persécuté par ses parents et/ou la société développe des pouvoirs paranormaux qu'il peut utiliser pour se défendre, se venger ou bien se libérer. C'est cette dernière variante qui est à l'honneur dans "Thelma", film fantastique certes mais qui colle de près aux tourments psychiques d'une jeune fille sous emprise paternelle qui cherche à s'émanciper. La scène introductive résume parfaitement les enjeux du film: Thelma enfant observe un poisson évoluer sous la glace (son inconscient prisonnier du carcan religieux de ses parents mais bien vivant), métaphore récurrente qui trouve son achèvement dans une scène de chasse où elle est prise pour cible par son propre père qui faute de pouvoir totalement contrôler cet inconscient dangereux (pas seulement par l'endoctrinement mais aussi par la douleur et la terreur) est tenté par sa suppression pure et simple. Après une ellipse de quelques années, on retrouve Thelma étudiante dans un plan en plongée qui souligne combien elle reste en dépit de son autonomie apparente sous l'emprise de ses parents. En effet ceux-ci continuent à la surveiller à distance, contrôlant ses faits et gestes, exigeant de tout savoir et ne lui laissant aucun centimètre carré d'intimité. A moins que ce ne soit l'inconscient de Thelma qui travaille, lui qui a intégré les tabous de son éducation puritaine lorsqu'elle se retrouve confrontée aux interdits, et par-dessus tout celui de la découverte de son (homo)sexualité. Le conflit qui en résulte fait le lit d'une belle névrose, laquelle se traduit par des crises d'hystérie dans la plus pure tradition du XIX° siècle, les conséquences paranormales en plus. Conséquences qui servent de prétexte au retour de Thelma chez ses parents où elle se retrouve séquestrée et droguée par son père plus menaçant que jamais. La lutte mentale qui s'engage alors avec lui acquiert une dimension qui dépasse le simple récit d'émancipation individuelle. Il s'agit d'une lutte plus globale contre le patriarcat et ses valeurs. En reprenant le contrôle de sa propre vie, Thelma découvre l'existence de sa grand-mère paternelle internée à l'asile et apprend aussi à utiliser positivement son pouvoir pour délivrer sa mère de son fauteuil roulant et redonner la vie dans une série de plans la reliant à la nature qui font penser à Lars von TRIER, autre réalisateur nordique fasciné par la figure de la sorcière en lutte contre les fanatiques religieux (est-ce un hasard si le feu est central dans la lutte de pouvoir entre Thelma et son père?).

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Huit et demi (Otto e Mezzo)

Publié le par Rosalie210

Federico Fellini (1963)

Huit et demi (Otto e Mezzo)

"Huit et demi" est un monument du cinéma, un film matriciel (je l'ai découvert à travers "Brazil" (1985) dont le premier titre était "1984 et demi" et les films qui y font référence sont légion, de "Stardust Memories" (1980) à "Youth") (2015) mais il faut le dire aussi, un film assez difficile d'accès. Il épouse en effet le mouvement intérieur chaotique d'un créateur (que l'on devine être le double du réalisateur puisque le titre est une référence à sa filmographie alors constituée de 6 films et 3 "demis-films" soit 7 films 1/2 avant le tournage de celui-ci) en panne d'inspiration qui soigne sa crise existentielle dans une station thermale de luxe. Le problème, c'est qu'il ne parvient pas à y trouver le repos tant il est assailli de demandes diverses et variées de la part de son équipe au sujet de son prochain film sans parler de sa situation personnelle compliquée. La mise en scène plutôt frénétique et les travellings jouant sur l'arrière et l'avant-plan suggèrent particulièrement bien cette pression voire cette surenchère permanente autour d'un cerveau en surchauffe ce qui l'empêche de se poser et d'y voir clair: par exemple l'image de son épouse (Anouk AIMÉE) sur laquelle il tente de se concentrer afin de trouver une issue à sa crise conjugale est rapidement cachée derrière des visages lui aboyant diverses injonctions sur un rythme épuisant. On comprend la fatigue profonde qui habite Guido (Marcello MASTROIANNI qui après "La Dolce vita / La Douceur de vivre (1960) trouve un second rôle majeur dans sa carrière auprès de Federico FELLINI) symbolisée par ses yeux cernés. La musique, très expressive renforce d'une part la frénésie baroque qui habite l'oeuvre (par exemple avec "La danse du sabre" de Khatchatourian ou l'ouverture de l'opéra de Rossini "Le Barbier de Séville") mais a également un caractère ironique salutaire. En effet les passages mondains ou les fantasmes misogynes mis en scène comme des parades sont moqués soit avec une musique grandiloquente décalée ("La Chevauchée des Walkyries" de Wagner) soit implicitement comparés à un grand cirque. Encore que la scène de farandole de fin sur la piste avec tous les personnages de la vie de Guido acquiert un autre sens plus positif, relatif à l'enfance (comme dans le sublime et chaplinesque "La Strada") (1954). Tout au long du film, Guido aspire en effet à l'évasion et à l'élévation hors des contingences terrestres qui l'étouffent (la scène onirique introductive est programmatique du film) mais plutôt que d'opter vers un scénario extra-terrien chimérique à la Elon Musk, il finit par renouer le fil de sa propre vie et redécouvrir la joie qui en émane au travers de l'univers du cirque, art qui joue le même rôle salvateur que le théâtre chez Ingmar BERGMAN. Ces deux artistes ont d'ailleurs en commun d'être tiraillés par des forces contradictoires, d'un côté le plaisir et la bohème et de l'autre l'autorité religieuse castratrice (la scène de le prostituée fellinienne assimilée au diable par les curés). Il est d'ailleurs possible que cette farandole finale soit un hommage au réalisateur du "Le Septième sceau" (1957).

"Huit et demi" est ainsi bien plus qu'un simple méta-film, même si les critiques de cinéma portent aux nues ce type d'oeuvre que l'on peut juger nombriliste. Il s'agit surtout d'un film intimiste à la forme éblouissante, comparable à celle d'un ballet baroque et qui comme toutes les grandes oeuvres joue sur toute la gamme des émotions, du désespoir à la joie en reliant comme jamais enfance et création.

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La Chrysalide et le papillon

Publié le par Rosalie210

Georges Méliès (1901)

La Chrysalide et le papillon

Derrière ce beau titre, un tour de magie cinématographique de Georges MÉLIÈS en forme de conte oriental doublé d'une histoire de métamorphose. Le scénario s'inspire du numéro de magie de 1885 de Buatier de Kolta Le Cocon, ou Le Ver à Soie . Dans celui-ci, de Kolta a dessiné un ver à soie sur papier ; le papier s'est cassé pour révéler un cocon, qui s'est ouvert pour révéler la femme de Kolta habillée en papillon. Georges MÉLIÈS a mélangé des techniques du spectacle de magie (les machineries de scène) et des trucages cinématographiques pour réaliser le film.

L'intérêt de ce court-métrage, outre sa poésie visuelle réside dans son troublant télescopage entre la figure du charmeur de serpents dont la magie provient du pouvoir qu'il prétend exercer sur la nature et celle d'un processus naturel qui échappe au contrôle humain (la chenille géante qui devient une femme-papillon après être entrée dans une chrysalide qui ressemble à un oeuf gigantesque). Le charmeur de serpents tente d'ailleurs de la capturer en lui coupant les ailes mais c'est elle qui aura le dernier mot en le faisant retourner à l'état larvaire.

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Arizona Dream (The Arrowtooth Waltz)

Publié le par Rosalie210

Emir Kusturica (1993)

Arizona Dream (The Arrowtooth Waltz)

La seule chose que j'avais retenu de ce film, c'était sa BO que j'avais énormément écouté à l'époque et que je connais par coeur. Mais le film en lui-même, je l'avais oublié et pour cause: le scénario, extrêmement faiblard est décousu et répétitif et les personnages sont parfaitement creux. D'ailleurs ils se ressemblent tous. Les jeunes sont des losers paumés assez pathétiques quand ils ne sont pas carrément suicidaires alors que leurs parents qui se comportent en grands enfants vivent dans le déni de leur âge en transgressant les barrières générationnelles. Elaine (Faye DUNAWAY) croque les jeunots pendant que Leo (Jerry LEWIS) épouse une jeune fille qui a le presque le même âge que son neveu, Axel (Johnny DEPP) qui est aussi l'amant d'Elaine, au grand dam de sa belle-fille, Grace (Lili TAYLOR) qui se consume de désespoir pour cet homme qu'elle ne peut pas avoir. Emir KUSTURICA superpose maladroitement leurs rêves (s'envoler, s'évader) avec ceux qui ont fondé la civilisation des USA (la Cadillac, le western, le voyage lunaire et bien sûr le cinéma qui est abondamment cité, de "Autant en emporte le vent" (1938) à "La Mort aux trousses" (1959), "Le Parrain, 2e partie" (1974) et "Raging Bull") (1980). Tout cela fonctionne en autarcie sans guère de lien avec la réalité (le métaphore du ballon est assez explicite) et ne mène nulle part sinon à la mort. Même les quelques effets spéciaux paraissent datés. Bref c'est l'exemple d'un film qui a marqué son époque mais qui avec le temps a révélé sa vacuité.

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Belle (Ryū to sobakasu no hime)

Publié le par Rosalie210

Mamoru Hosoda (2021)

Belle (Ryū to sobakasu no hime)

Après "Le Garçon et la Bête", Mamoru Hosoda nous propose une version 2.0 de "La Belle et la Bête" qui rend hommage à la version Disney dont Hosoda est fan mais qui s'en éloigne cependant sensiblement ainsi que du conte d'origine pour se rapprocher de ses thèmes fétiches: la dualité (tant des univers que des personnages), l'altérité, l'animalité. Très riche graphiquement et narrativement, n'hésitant pas à jouer sur des ruptures de ton, le film possède plusieurs trames et plusieurs niveaux de lecture. Au premier abord, on a l'impression d'une redite de "Summer Wars" car la scène d'introduction est quasiment identique: l'exposition d'un gigantesque monde virtuel nommé U (dans "Summer Wars", il s'appelle Oz) où chaque membre possède un avatar qui le définit par rapport à sa personnalité intérieure (on pense aussi forcément à "Ready Player One" et à l'OASIS). Cependant si "Summer Wars" insistait surtout sur les dangers de l'IA pour le monde réel, "Belle" en montre au contraire les possibles bienfaits. Le monde virtuel devient une extension de soi et s'apparente autant à un réseau social qu'à une oeuvre d'art en mouvement. Le style graphique en 3D fait ressortir formes et couleurs et s'apparente par moments à une toile abstraite ou surréaliste alors que le monde réel en 2D est dans l'ensemble naturaliste. Néanmoins, Mamoru Hosoda n'hésite pas à brouiller les frontières du réel et du virtuel et à déjouer nos attentes. D'abord parce que le virtuel a des retombées concrètes dans le monde réel. Ainsi Suzu, l'héroïne (alias "Belle" dans le monde virtuel) est appelée à revivre la situation traumatique dans laquelle elle a perdu sa mère sauf que c'est désormais elle qui se retrouve dans le rôle du sauveur et du protecteur au lieu d'être dans celui du témoin impuissant. Mais pour cela, elle doit tomber le masque qui lui permettait de s'affirmer dans le monde virtuel (dans un rôle de pop idol qui m'a fait penser quelque peu aux films de Satoshi Kon, "Perfect Blue" et "Paprika"). Ensuite parce qu'à l'inverse, la fille dont elle s'est inspirée pour créer son avatar dans U s'avère être en réalité peu sûre d'elle lorsqu'il s'agit d'aborder l'élu de son coeur, un garçon un peu bizarre qui n'est pas un parangon de beauté. Cela donne lieu à une scène franchement burlesque en plan fixe basée sur des entrées et sorties de champ qui est en rupture par rapport au style réaliste du film dans le monde réel. Enfin un des enjeux du film est la révélation de la véritable identité de la Bête (surnommée "Le Dragon" dans U) qui lorsqu'elle survient donne au récit une tournure d'une gravité et d'une profondeur inattendue. Contrairement à ce que j'ai pu lire dans certaines critiques superficielles, les super-héros chargés de faire la police dans U en révélant la véritable identité des avatars pour ensuite les expulser ne sont pas de simples commodités. Ce sont des figures de justiciers sorties d'un système de valeurs réactionnaire (patriarcal et manichéen) que Suzu va battre en brèche, parallèlement au fait qu'elle va dévoiler l'hypocrisie d'un père qui donne de lui une belle image en société mais dont le vrai visage ne se révèle que dans l'intimité du foyer. Cela montre l'ambivalence des outils technologiques qui dépendent de l'usage que l'on en fait: Big Brother peut se muer en lanceur d'alerte. Et on pense au rôle capital joué par les photos, les vidéos et les enregistrements sonores dans la révélation de malversations et de crimes, à échelle individuelle ou collective.  

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After life (Wandafuru raifu)

Publié le par Rosalie210

Hirokazu Kore-Eda (1998)

After life (Wandafuru raifu)

Très beau film que ce deuxième long-métrage de Hirokazu Kore-Eda (après "Maborosi") qui m'a moins rappelé "Le Ciel peut attendre" de Ernst Lubitsch que "Le Testament d'Orphée" de Jean Cocteau. C'est sans doute une question de décorum et de sens poétique. Les deux films ont pour cadre un bâtiment vétuste dans un no man's land austère qui rappelle les écoles d'autrefois ou les bureaux administratifs. De plus les défunts en transit vers l'au-delà sont accueillis dans ces limbes par de drôles d'émissaires aux allures de fonctionnaires qui les soumettent à un interrogatoire. Celui-ci est le support d'une belle mise en abyme du travail de cinéaste qui consiste à capturer des instants de vie afin de les fixer pour l'éternité ou bien de les reconstituer. En effet les défunts doivent choisir dans leur passé leur plus beau souvenir ce qui s'apparente à un travail scénaristique. Celui-ci sera ensuite mis en scène sur un plateau de tournage et le film obtenu sera projeté en salle, permettant à son auteur de partir dans l'au-delà avec pour seul souvenir de sa vie terrestre, celui qu'il aura choisi. Ceux qui ont perdu la mémoire ou qui hésitent peuvent revoir des morceaux choisis de leur vie sur autant de cassettes vidéos que d'années vécues (alors que les souvenirs reconstitués sont eux filmés sur pellicule et mis en bobine) mais ils n'ont que trois jours pour se décider, sous peine de rester coincé dans les limbes et de devoir accueillir à leur tour les défunts. Le cycle doit en effet être terminé en une semaine afin de pouvoir recommencer le lundi suivant avec de nouveaux morts et le film est scandé par le rythme des journées qui s'égrènent du lundi au dimanche. 

Cependant le film de Hirokazu Kore-Eda est avant tout humaniste et cette réflexion sur la mort est aussi une réflexion sur la vie. On constate d'abord le primat des sens dans les souvenirs comme l'a si bien immortalisé Proust dans sa recherche du temps perdu: la vue (une couleur vive, la forme des nuages), le toucher (la sensation de la brise sur la peau), le goût (les boulettes de riz) ou encore l'ouïe (le bruit d'un tram, une chanson) sont déterminants. Ensuite le cheminement des défunts renvoie ceux qui n'ont pas réussi à partir à leurs propres interrogations sur la mort (c'est à dire en réalité sur le sens de leur propre vie), leur permettant éventuellement d'avancer dans la connaissance d'eux-mêmes et donc de franchir le pas. Mais tous les choix sont possibles et également respectables. Certains ont d'excellentes raisons de rester dans l'entre-deux des limbes. Par exemple Satoru (joué par Susumu Terajima, pilier des films de Takeshi Kitano) explique qu'il ne partira définitivement que lorsque sa fille sera adulte, afin de l'accompagner même s'il ne peut la rencontrer que le jour des morts. On remarque à ce propos la similitude des croyances sur les connexions entre vivants et morts dans nombre de sociétés traditionnelles puisque cet argument est à la base du film "Coco" de Lee Unkrich pour les studios Pixar qui s'appuie sur la culture mexicaine*. "After life" aboutit d'ailleurs au même résultat qui est d'apprivoiser (et de dédramatiser) la mort, de la rendre plus douce et de la considérer non comme en rupture mais comme en continuité avec la vie, le début d'une nouvelle aventure plutôt que la fin de tout.

* On peut également penser à la saga Harry Potter où les morts restent très présents sous différentes formes dans la vie des vivants et où il existe également un monde de limbes, celui des fantômes.

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The Innocents

Publié le par Rosalie210

Eskil Vogt (2021)

The Innocents

"The Innocents" est le deuxième long-métrage de Eskil Vogt, le fidèle collaborateur de Joachim Trier, pour qui il a co-écrit les scénarios de ses longs métrages et qui a été présenté dans la section Un Certain Regard du festival de Cannes. Il s'agit d'un thriller fantastique à la sauce norvégienne c'est à dire stylisé et minimaliste. Les protagonistes en sont quatre enfants dotés de pouvoirs surnaturels (télépathie et télékinésie) plus ou moins livrés à eux-mêmes dans une cité désertée au coeur de l'été. Pour accentuer leur étrangeté, l'une des enfants, Anna est autiste et une autre Aisha souffre d'un vitiligo. Mais le plus inquiétant est Benjamin, d'origine immigrée qui vit seul avec sa mère et est le souffre-douleur d'un adolescent à l'allure 100% nordique.

Si les mouvements de caméra, aériens, sont particulièrement beaux ainsi que l'esthétique, froide et géométrique, le film est étiré au-delà du raisonnable et sa progression dramatique est poussive à cause de nombreuses redondances. De plus, sa manière d'envisager les enfants comme de petits sadiques en puissance n'est pas vraiment progressiste. Alors que dans les faits, ce sont eux les victimes des adultes, le film les montre dotés de super-pouvoirs et cette toute-puissance est mise au service du mal (tortures, manipulation et meurtres). Enfin, le fait d'avoir fait d'un enfant d'origine immigrée (du genre pakistanais) l'incarnation du diable m'a paru plus que douteux alors que Ida et Anna, les deux norvégiennes blondes de souche qui ont leurs deux parents sont les seules à s'en sortir. Bref que ce soit volontaire ou pas, j'ai trouvé que le message du film était complètement réactionnaire.

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