"La concierge du grand magasin" est le premier film de Yoshimi ITAZU, animateur sur "Paprika" (2006)" de Satoshi KON ou "Le vent se leve" (2013) de Hayao MIYAZAKI, mais aussi directeur de l'animation sur "Wonderland, le Royaume sans Pluie" (2019) et "Miss Hokusai" (2015) tous deux de Keiichi HARA.
Le film, très court (1h10) se compose de petites saynètes se déroulant à l'intérieur d'un grand magasin dans lequel les clients sont tous des animaux anthropomorphisés appartenant à des espèces disparues: grand pingouin, loup de Honshu, Lion de Barbarie, Vison de mer, Mammouth etc. L'autre personnage important est celui de la jeune concierge Akino dont c'est la période d'essai et qui se plie en quatre pour tenter de les satisfaire mais aussi pour satisfaire sa hiérarchie qui l'espionne et la met sous pression. Personnellement, je n'ai pas adhéré au film. D'abord, je ne suis pas fan du découpage d'un long-métrage en petites tranches de vie façon film à sketches. Et puis contrairement à Hayao MIYAZAKI qui anime une nature sauvage et libre et des personnages féminins qui le sont tout autant (des dirigeantes, des guerrières, des sorcières), Yoshimi ITAZU montre exactement l'inverse: une nature domestiquée, vivant sous cloche, aliénée par l'homme au point de copier ses comportements consuméristes les plus outranciers. Et une jeune femme soumise, n'ayant pour désir que de faire plaisir qui passe son temps à faire des courbettes quand ce n'est pas à genoux devant des employeurs sadiques ou des clients tyrans qui l'humilient. Les espèces qui ont disparu ont justement été sacrifiées sur l'autel de la consommation de luxe. Les recréer pour leur faire acheter du parfum, des foulards ou des bijoux ou contempler les vitrines de noël relève d'un mode de pensée figé au XIX° siècle. D'ailleurs le grand magasin se présente comme un temple de verre et d'acier au milieu de la forêt, le véritable milieu de vie des animaux, une forêt étrangement vide, l'homme ayant absorbé l'animal au lieu de vivre avec lui.
Film-somme, "Le Garçon et le Héron" sort dix ans après "Le vent se leve" (2013) qui était annoncé alors comme le dernier film de Hayao MIYAZAKI. Nul aujourd'hui n'oserait pronostiquer la fin de sa carrière car il est peu probable que le maître de l'animation japonaise aujourd'hui octogénaire s'arrête tant qu'il sera en capacité de réaliser des films. "Le Garçon et le Héron" commence comme un récit de guerre réaliste et traumatique quelque part entre "Le vent se leve" (2013) et "Le Tombeau des lucioles" (1988) avant de bifurquer vers un monde parallèle qui synthétise ceux de ses précédents films, de "Le Chateau dans le ciel" (1986) à "Ponyo sur la falaise" (2008) en passant bien sûr par "Le Voyage de Chihiro" (2001) dont il approfondit les thèmes. Un monde parallèle plus que jamais influencé par le roman de Lewis Caroll "Alice au pays des merveilles" et que beaucoup voient comme une métaphore des studios Ghibli eux-mêmes avec à leur tête un vieil homme incapable de passer la main sans faire s'écrouler le domaine. A cette succession patriarcale impossible répond la quête initiatique du jeune Mahito dans les couloirs de l'espace-temps pour faire le deuil de sa mère disparue et retrouver le goût de vivre. Ses aventures constituent un hommage au film-matrice de Miyazaki, "Le Roi et l'Oiseau" (1979) et ne sont pas sans rappeler également l'oeuvre symboliste de Maurice Maeterlinck, "L'Oiseau bleu". Déjà parce que le monde parallèle à multiples dimensions est marin et peuplé d'oiseaux, principalement des pélicans et des perruches géantes, le tout dominé par le guide de Mahito, un héron cendré au plumage blanc et bleu dissimulant dans son gosier un bizarre petit homme disgracieux. Ensuite parce que Mahito est amené à rencontrer les formes primitives des enfants à naître, les warawara qui rappellent les noiraudes et les kodamas. A l'autre bout de la chronologie, il rencontre l'une des vieilles servantes travaillant au service de sa nouvelle famille, redevenue une jeune femme intrépide au pied marin. Les grands-mères plus que jamais jouent le rôle de figures tutélaires protectrices. Enfin il est amené à rencontrer sa propre mère adolescente sous la forme d'une fille du feu ainsi que sa belle-mère laquelle s'avère n'être autre que la petite soeur de sa mère. Celle-ci est sur le point d'accoucher mais une menace plane sur elle et l'enfant à naître que Miyazaki fait ressortir de plusieurs façons, teintant son long-métrage de sentiments contrastés, entre espoir et désespoir.
Mais raconter le film n'en épuise ni le sens (multiple), ni la beauté. Celle-ci est toujours au sommet. Le style artisanal (de la 2D à l'ancienne qui rend ses films intemporels et quelques touches de 3D judicieusement placées pour faire ressortir tel ou tel élément) et perfectionniste de Hayao MIYAZAKI se reconnaît à sa précision, à sa fluidité, à ses mille et un détails enchanteurs et nous offre en prime un prisme extrêmement coloré ou bien par contraste des images de cauchemar comme l'incendie où tout est rouge et noir où les sons sont assourdis et où les traits deviennent informes.
Tout d'abord, j'ai dû vérifier avant d'emprunter le titre à la médiathèque que je ne n'avais pas fait de confusion avec une autre comédie horrifique, "Le Croque-mort s'en mele" (titre video) (1963) réalisé la même année, avec le même trio d'acteurs et par la même société de production, l' AIP American International Pictures mais avec un autre réalisateur, Jacques TOURNEUR. Je n'avais pas trouvé ce dernier terrible d'ailleurs. J'ai préféré "Le Corbeau" de Roger CORMAN en dépit d'évidentes limites budgétaires (relatives car si Roger CORMAN est célèbre pour ses tournages à l'économie, il a bénéficié de moyens confortables pour ses films adaptés de Edgar Poe), esthétiques (effets spéciaux datés qui piquent parfois les yeux) et dans la direction d'acteurs qui part dans tous les sens.
Le film est un peu envers le poème de Edgar Poe ce que "La Folie des grandeurs" (1971) est à la pièce de théâtre "Ruy Blas" de Victor Hugo, à savoir une parodie qui transforme la tragédie en une comédie pleine de dérision. Si tous les gags sont loin de faire mouche, le surjeu d'un Vincent PRICE inconsolable devant la dépouille de sa défunte finit par faire sourire quand on découvre la nature vénale de celle-ci, un remède sans faille au romantisme noir. Le corbeau qui jure comme un charretier et veut son vin avant de révéler un Peter LORRE en roue libre, agaçant au possible un Boris KARLOFF dont la prestance et la diction parfaite révèle à quel point il aurait été à sa place chez Shakespeare étonne. Sauf que leurs duels infantiles ont pour enjeu non "to be or not to be" mais "qui est le plus fort" (et le sort que réserve le Dr Scarabus à la baguette du Dr Bedlo fait très "concours de bistouquettes"). Enfin si "Le Corbeau" est la cinquième adaptation de l'oeuvre de Edgar Poe par Roger CORMAN qui lui a consacré un cycle de films ayant influencé de près ou de loin nombre de réalisateurs (entre autres Mario BAVA, Dario ARGENTO, George LUCAS, Tim BURTON et Francis Ford COPPOLA, assistant-réalisateur sur plusieurs d'entre eux), c'est aussi sa deuxième collaboration avec le jeune Jack NICHOLSON (26 ans) qui bien qu'étant censé jouer les jeunes premiers montre lors d'une scène son côté sombre avec un visage grimaçant qui deviendra célèbre près de vingt ans plus tard dans "Shining" (1980).
Comme "Les Dents de la mer" (1975), "L'Exorciste" (1972) est un film dont j'avais vu des bribes tant il a infusé dans le cinéma et au-delà. L'ouverture de l'album "Tubular Bells" de Mike OLFIELD, l'affiche inspirée du tableau surréaliste de René Magritte "L'Empire des Lumières" où s'affrontent le jour et la nuit d'où se détache l'ombre de la haute silhouette de Max von SYDOW ou encore les plans de contorsions physiques du personnage de Regan (Linda BLAIR) instaurent une familiarité avec un film qu'aujourd'hui pourtant peu ont réellement vu. Un film que ses images les plus célèbres sont loin d'épuiser tant il contient de mystères et de symboles dont nous n'avons pas forcément la clé (ou une clé simpliste) comme l'escalier, la vierge profanée, les flashs mentaux ou le rêve du père Karras (Jason MILLER). Pour ma part, le film m'inspire quelques réflexions:
- L'importance que joue le "retour du refoulé" dans le film. Ce n'est pas par hasard si la première séquence qui se déroule en Irak montre des fouilles archéologiques menées notamment par le père Merrin (Max von SYDOW) qui aboutissent à l'exhumation d'une statue de démon. L'Irak est l'un des berceaux de l'humanité, aussi ces fouilles peuvent être interprétées comme un retour aux sources et ce retour aux sources s'accompagne de la redécouverte du mal et de tout ce qui lui est associé, chassé de la civilisation occidentale par la religion chrétienne mais aussi par le rationalisme scientifique, lui-même très lié à la philosophie des Lumières. Est-il alors surprenant que le film montre des représentants de ces deux institutions (l'Eglise et la Science) face au retour en force de ce mal, insidieusement suggéré par la rengaine obsédante de "Tubular Bells"?
- La nature de ce mal est forcément le négatif de tout ce que n'est pas la Science, la Raison et la Religion. Elle relève de l'inconscient (ultra-présent dans le film qui fonctionne comme un long cauchemar) c'est à dire toutes les forces obscures et incontrôlables tapies en l'homme qui ne sont ni rationalisables par la Science ni moralisables par la Religion. C'est bien pour cela qu'elles représentent "l'altérité" dans un monde que ces pensées rendent binaires et manichéen: l'Orient contre l'Occident mais aussi l'homme contre la femme. Car les institutions fonctionnent selon le modèle du patriarcat et c'est justement son délitement au niveau familial dans les années 70 (la mère de Regan est séparée du père et élève sa fille seule) qui ouvre une brèche dans lequel le mal va s'engouffrer. La femme (puissante sexuellement) associée au démon dans le christianisme l'est aussi dans la médecine en tant qu'être irrationnel (c'est à dire sensible aux émotions) face à un homme qui ne serait que raison. Ainsi l'hystérie est intrinsèquement lié au féminin par le langage puisque hystéra signifie utérus en grec.
- Il y a donc un parfait continuum dans le film entre le supplice qu'inflige la médecine à Regan et celui que lui inflige la religion: une véritable crucifixion. "L'Exorciste" décrit de façon clinique puis sataniste l'acharnement thérapeutique vain des institutions patriarcales sur une très jeune fille dont il n'aura échappé à personne qu'elle est à la veille de sa puberté, donc de ses règles et de son éveil sexuel. Tout cela étant refoulé au profit de la vision puritaine (seule acceptable) de la jeune fille -dont la statue de la Vierge est l'émanation avant sa profanation éloquente - cela se manifeste d'une manière monstrueuse. Un monstre qui ne peut être vaincu que de deux façons: en tuant Regan (l'autre) ou en laissant entrer le monstre en soi. Car si "L'Exorciste" est si puissant, il ne le doit pas seulement a ses moments-chocs mais aussi à l'étirement extrême des séquences de "traitement", mettant au supplice le spectateur à qui il n'épargne aucun détail.
"Le film de Thomas CAILLEY bouscule le cinéma français": c'est le moins que l'on puisse dire! Car même en connaissant vaguement le synopsis, jamais je n'aurais pensé qu'un jour, un cinéaste français allait réaliser en prises de vues réelle un film aussi proche de ce que j'ai pu voir et ressentir devant les plus grands films d'animation japonais pour lesquels la métamorphose, particulièrement celle de l'adolescence n'a aucun secret. Alors, bien sûr que l'on pense à Hayao MIYAZAKI qui dans toute son oeuvre a analysé la relation entre l'homme et la nature. On pense tout particulièrement à "Princesse Mononoke" (1997) parce que l'histoire se déroule dans une grande forêt peuplée d'esprits en lutte contre une micro-société humaine et que par-delà tout manichéisme, la question que pose "Le Règne animal" est fondamentalement la même: comment cohabiter? Mais il y a un film qui ressemble encore plus à "Le Règne animal", c'est "Les Enfants Loups : Ame & Yuki" (2012) de Mamoru HOSODA. Le film raconte l'histoire d'amour clandestine entre une jeune femme et un homme-loup qui disparaît rapidement et la nécessité pour elle par la suite de partir à la campagne, près de la forêt afin d'élever leurs enfants, tous deux hybrides et qui en grandissant doivent choisir entre la condition d'homme et celle de loup. Dans "Le Règne animal", c'est le père, François (Romain DURIS) qui est humain et sa femme, Lana qui s'est transformée, comme d'autres humains, en créature hybride que la société, dépassée, ne sait gérer que par la violence et la camisole chimique. Le film montre de manière frappante ce que le géographe François Terrasson appelait "L'Apartheid de la nature" c'est à dire la séparation totale entre la société humaine et la forêt avec une frontière hérissée de barrières entre deux mondes étanches qui ne communiquent pas. Le seul qui y parvient est Emile (Paul KIRCHER), le fils de François et de Lana parce que c'est un adolescent en pleine transformation et que celle-ci emprunte le chemin de l'hybridation. C'est lui que l'on suit et qui nous permet de basculer dans l'autre monde, peuplé de créatures fantastiques plus vraies que nature et plus humaines que les humains. Il y a Fix (Tom MERCIER), l'homme-oiseau qui fait penser à une gueule cassée et a bien du mal à prendre son envol. Il y a aussi la petite créature qui le suit partout et qui à l'approche de la menace humaine adopte le camouflage du caméléon. Il y a enfin la mère, Lana que Emile ne peut retrouver qu'en liberté. Les effets spéciaux, eux-mêmes hybrides sont une réussite ainsi que la conception des créatures (élaborées avec l'aide de l'auteur de BD, Frederik Peeters qui est un disciple de Moebius lui-même grand fan de Miyazaki). Le fait d'avoir tourné en décors naturels est également un élément clé de la réussite du film. Jamais la forêt des Landes (pourtant à l'origine une plantation d'arbres 100% d'origine humaine!) n'a paru aussi mystérieuse, ni aussi "naturelle". Et la scène de chasse à "l'homme-animal" en nocturne dans les champs de maïs avec des hommes à échasses est particulièrement puissante. Les quelques scories du film (Adele EXARCHOPOULOS dans un rôle qui sonne faux et qui est inutile par exemple) n'enlèvent rien à la beauté, la force d'évocation du film et à la richesse des réflexions qu'il suscite.
J'avais lu que pour "Le Labyrinthe de Pan" (2006), Guillermo DEL TORO s'était inspiré de "L'Esprit de la ruche" (1973). Mais cette influence comme celle de "La Nuit du chasseur" (1955) est tout aussi évidente dans "L'échine du diable", son troisième film réalisé cinq ans auparavant. Du film de Victor ERICE comme de celui de Charles LAUGHTON émerge le thème de l'enfance face au mal, lequel prend une double forme. Celui de la guerre d'Espagne avec l'image de l'obus fichée en plein coeur de la cour de l'orphelinat où est emmené Carlos. Mais aussi celui du monstre phallique séducteur, cupide et sanguinaire qui terrorise les enfants avant de révéler l'étendue de sa folie meurtrière et de tout détruire autour de lui. S'y ajoute une atmosphère oppressante lié au fait que le film se déroule dans le huis-clos d'un orphelinat qui en dépit des propos rassurants de sa directrice Carmen (Marisa PAREDES) ressemble à une prison d'où il s'avère impossible de s'échapper. La porte ouvre sur une route hostile et déserte sur des dizaines de kilomètres, le ciel est envahi d'avions fascistes et nazis et le sous-sol semble contenir des fantômes. Un plus précisément, celui d'un petit garçon qui détient un sombre secret et semble résider au fond d'un bassin (des images qui préfigurent "La Forme de l'eau") (2017). S'y on ajoute les foetus qui baignent dans l'alcool, l'atmosphère est plus qu'anxiogène. Néanmoins ce n'est pas d'elle que vient la menace mais bien du réel. Aussi comme dans ses autres films, face à la violence du monde qu'ils se prennent de plein fouet, les enfants apprennent à apprivoiser leurs peurs et à s'entraider. Ainsi Carlos qui est au départ un peu le souffre-douleur va par son courage, sa générosité et sa curiosité d'esprit finir par fédérer les autres membres du groupe autour de lui contre la véritable source de leurs tourments. Par ailleurs si les adultes bienveillants sont défaillants (Carmen souffre d'une infirmité, Casarès est impuissant et Conchita comme Carmen se sont laissé abuser par Jacinto qui possède tous les traits des terrifiants mâles alpha développés dans les films ultérieurs de Guillermo DEL TORO), ils ne sont pas tout à fait absents. Les lingots cachés par Carmen s'avèreront être des alliés inattendus. De même, l'esprit de Casarès veille sur les enfants survivants.
"All that jazz" est l'avant-dernier film de Bob FOSSE qui a obtenu la palme d'or à Cannes en 1980. Il m'a fait penser à une version musicale, flamboyante et sombre de "Le Testament d'Orphee" (1959) de Jean COCTEAU. D'autres le comparent à "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Parce que Joe Gideon (Roy SCHEIDER), c'est Bob FOSSEqui sent venir sa fin prochaine et décide de faire un dernier tour de piste avant de tirer sa révérence. Alors dans "All that jazz" ("Tout ce tralala"), il y a du très bon, du surprenant mais aussi de l'agaçant. Le très bon, c'est l'élaboration d'un spectacle "sexe, drogue and rock and roll" fait pour choquer les producteurs conservateurs et qui atteint parfaitement son objectif. Quelques chorégraphies plus intimistes avec la compagne, l'ex-femme et la fille de Gideon fonctionnent aussi très bien. Le surprenant est la juxtaposition d'Eros et de Thanatos. Evoquer en musiques et en images à l'aide d'un montage percutant et d'une musique entraînante la vie à cent à l'heure, l'opération chirurgicale et la mort est inhabituel: d'un côté les corps nus, chauds, vibrants de désir de l'autre la viande saignante et froide. Enfin pour ce qui est de l'agaçant, le bilan d'une vie tourne parfois trop à l'exercice de style narcissique où le "moi moi moi" supplante le chorégraphe de talent. Il faut dire que Gideon est un être excessif, travailleur acharné mais aussi jouisseur et coq de basse-cour, trônant en majesté au milieu de ses danseuses, des coups d'un soir pour la plupart au milieu desquelles se détachent son ex-femme, sa maîtresse et sa fille. L'exercice d'introspection penche ainsi vers l'autocélébration complaisante (même la mort prend la forme d'une jeune et jolie femme: Jessica LANGE) et si Bob FOSSE peut se le permettre étant donné son talent, cela coupe l'émotion.
Avant-dernier film de Ernst LUBITSCH (il décèdera quatre ans plus tard), le seul en couleur, "Le ciel peut attendre" est une oeuvre testamentaire dont le maître-mot est une fois de plus l'élégance. Car en plus d'être une étude de moeurs assez piquante sur le couple, "Le ciel peut attendre" est aussi un film sur la mort. "La vie est une entreprise de démolition" disait Fitzgerald et le fait est que le temps est un protagoniste à part entière du film. Les anniversaires de Henry Van Cleve (Don AMECHE) qui scandent le film apportent avec eux de plus en plus de mélancolie et de gravité au fur et à mesure que les pertes s'accumulent et qu'avec le temps "tout s'en va" (la jeunesse, la santé, le pouvoir de séduction, les êtres chers et finalement la vie) alors que son environnement aristocratique est condamné à disparaître avec lui "autre temps, autres moeurs". Néanmoins, si le film reste une comédie, c'est que cette gravité est compensée par la légèreté de moeurs de Henry Van Cleve, coureur de jupons invétéré dont le désir pour le beau sexe durera jusqu'à sa mort comme le montre la séquence de l'échange des infirmières. Une légèreté elle-même tempérée par les sentiments qu'il éprouve pour son épouse Martha (Gene TIERNEY) qui n'est elle-même pas avare de paradoxes. Derrière son apparence de jeune femme rangée, bonne épouse et bonne mère, n'est-elle pas littéralement allergique aux conventions régissant la conjugalité bourgeoise (incarnées par le parfaitement ennuyeux Albert, cousin de Henry ainsi que par ses propres parents, englués dans une guerre domestique sans fin), lui préférant le frivole, amoral et aventureux Henry dont elle n'est jamais dupe? Le délicieux grand-père de Henry (impayable Charles COBURN) est la figure tutélaire unissant le couple (la mise en scène le place souvent entre Henry et Martha, en chair et en os puis en portrait), encourageant les frasques de Henry tout en étant profondément attaché à Martha. Laquelle a compris que "pour rendre son mari heureux" (ou plutôt son ménage heureux), il fallait accepter qu'il soit traversé par "le tourbillon de la vie". Sa tendre indulgence vis à vis de son "petit Casanova" est bien sûr mise à l'épreuve dans un cadre qui semble aujourd'hui bien obsolète (monsieur trompe, madame se tient à carreau pour deux et pardonne). Il n'en reste pas moins que par sa franchise et sa tolérance, Martha échappe aux conventions au point qu'avec un peu de malice, on peut imaginer qu'elle vit par procuration. Dans ses oeuvres pré-code, les femmes sont libres de leurs désirs et envoient valser la morale aussi bien que ne le fait Henry. Le jugement final du diable, qui est le double de Ernst LUBITSCH ne laisse guère de doute sur ce qu'il pensait du puritanisme chrétien.
"The Fury" n'est pas le film le plus connu de Brian de Palma encore que sa fin explosive soit devenue culte et ait vraisemblablement inspiré Cronenberg pour "Scanners". Si le scénario de "Furie" manque de rigueur et parfois de crédibilité, la réalisation remarquable relève le niveau sans parler de la qualité de la musique signée par John Williams qui nous plonge d'emblée dans une atmosphère ténébreuse. Pourtant le film commence de façon détendue, au soleil, sur une plage que l'on devine être située dans l'Etat d'Israël. Mais quelques minutes plus tard, l'atmosphère change du tout au tout et on entre dans le vif du sujet qui croise deux genres en vogue à cette période: le thriller d'espionnage paranoïaque et le fantastique horrifique avec pouvoirs paranormaux et jaillissements sanguinolents dans la continuité de "Carrie au bal du diable". Mais contrairement à Carrie, le sujet du film ne réside pas dans un personnage mais bien dans la soif de contrôle des débordements de fureur (et d'hémoglobine ^^) de deux jeunes gens liés entre eux par des pouvoirs parapsychiques. Ces deux jeunes en quête d'identité, Robin (Andrew Stevens) et Gillian (Amy Irving) passent peu à peu de la lumière à l'ombre au fur et à mesure qu'ils perdent le contrôle de leur vie et deviennent des rats de laboratoire au service de l'Etat. Une trame qui fait penser à celle de "Orange Mécanique" ou des enfants-cobaye de "Akira" d'autant que logiquement, les manipulations dont Robin et Gillian font l'objet détraquent leur psychisme et finissent par les rendre dangereux pour eux-mêmes et pour les autres. A ce duo de jumeaux maléfiques malgré eux correspond un duo d'agents secrets antinomiques. Peter, joué par Kirk Douglas qui se retourne contre l'Etat pour sauver son fils Robin ainsi que Gillian devient un fugitif traqué qui connaît une trajectoire tragique dans laquelle ses actes se retournent contre lui. Son âme damnée, est jouée par John Cassavetes qui reprend quasiment à l'identique le rôle du diable qu'il incarnait dix ans plus tôt dans "Rosemary's Baby". Enfin comme je le disais plus haut, la réalisation virtuose compense l'aspect parfois boiteux du scénario et certains effets kitsch. La fuite de Gillian, l'emballement du manège contrôlé par la pensée de Robin ou la fin constituent autant de séquences marquantes alors que l'accumulation de ces vies broyées finit par prendre à la gorge.
"Rubber" est un film inclassable qui raconte l'odyssée d'un objet, en l'occurence un pneu prénommé Robert qui par la grâce du cinéma prend vie dans une décharge au milieu du désert quelque part dans l'ouest américain. Tel un nouveau-né, on le voit se dresser, tomber, avancer en vacillant, tomber à nouveau, se relever et finir par partir explorer le monde en roulant sur lui-même. Puis on découvre qu'il s'agit d'un objet "pulsionnel" qui détruit instinctivement tous les obstacles qu'il rencontre sur sa route. Preuve qu'il s'agit d'un film construit, réfléchi, ces obstacles montent en puissance comme dans "L'homme aux cercles bleus" de Fred Vargas. D'abord des objets ou bestioles qu'il peut écraser, puis des objets durs qu'il peut pulvériser à distance par télépathie, puis des animaux et enfin des humains dont il fait exploser la tête selon le même procédé (une référence à "Scanners" de Cronenberg). Gare à ceux qu'il croise sur sa route et particulièrement ceux qui le malmènent, l'objet est particulièrement susceptible. On découvre aussi avec la superbe Sheila (Roxane Mesquida) qu'il a une libido, avec la scène du miroir, qu'il a des souvenirs et avec celle du crématoire à pneus qu'il a soif de vengeance. Ce n'est pas le moindre exploit d'arriver à nous faire croire que cette chambre à air a une "âme", même si l'animation est l'ADN du cinéma, et se marie bien avec le nonsense, le thriller et l'épouvante. Ainsi "Rubber" m'a fait penser (comme "Fumer fait tousser") à "Téléchat" de Roland Topor qui bien qu'étant une émission pour enfant distillait un léger malaise avec ses animaux et ses objets parlants et névrosés mais aussi à "Christine", la voiture serial-killer de John Carpenter. Mais le film de Quentin Dupieux se caractérise par son aspect dépouillé qui en fait un road-movie existentiel proche du "Duel" de Steven Spielberg (où le camion semblait agir de façon autonome) ainsi que que par sa réflexivité. En effet le film a un caractère méta affirmé dès les premières images avec le lieutenant Chad (Stephen Spinella) expliquant face caméra que le cinéma comme l'existence est fondé sur l'absurde avant qu'un jeu ne s'instaure entre un aéropage de spectateurs largués dans le désert et ce flic qui est à fois de leur côté et dans le film qu'ils regardent (hormis l'introduction au "no reason" devenue culte, pas l'aspect de "Rubber" le plus mémorable toutefois, il a tendance à alourdir le propos).
Analyse de classiques et de films récents par une passionnée du 7eme art. Mes goûts sont éclectiques, allant de la nouvelle vague française au cinéma japonais (animation incluse) en passant par l'expressionnisme allemand et ses héritiers et le cinéma américain des studios d'Hollywood aux indépendants.