Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #erotique tag

Le Grand sommeil (The Big Sleep)

Publié le par Rosalie210

Howard Hawks (1946)

Le Grand sommeil (The Big Sleep)

J'ai beaucoup traîné des pieds avant de revoir "Le Grand sommeil" car le souvenir que j'en avais était de n'y avoir rien compris. Mais il n'y a rien (d'important) à comprendre en fait dans cette histoire alambiquée qui l'aurait été (peut-être, pas sûr) un peu moins si les fourches caudines du code Hays n'avaient pas sabré ici et là les passages les plus sulfureux (faisant allusion à l'homosexualité et à la pornographie notamment). Mais peu importe au final l'accumulation de truands et de jolies filles interchangeables. Car ce que l'on retient, c'est à quel point Philip Marlowe (Humphrey BOGART dans l'un de ses rôles les plus mythiques de privé aussi cynique qu'intègre) ne cesse tout au long du film de nager dans les eaux troubles d'Eros (toutes les filles qu'il croise sont sexy et mûres juste à point pour tomber dans ses bras) et de Thanatos (avec l'accumulation des cadavres autour de lui et sa propre peur de la mort). Mais ce qui fait tout le sel du film réside dans ce qui circule entre Howard HAWKS dont le cinéma se situe toujours à hauteur d'homme et le couple alors en train de se former constitué de Humphrey BOGART et de Lauren BACALL. Ils s'étaient rencontrés deux ans auparavant sous l'oeil de sa caméra (dans "Le Port de l'angoisse") (1944) et les premières images en ombres chinoises du "Grand Sommeil" rappellent combien cela avait "matché" entre eux. Les jeux de regard et les joutes verbales savoureuses du duo sont pleines de tension érotique* et rappellent que Howard HAWKS est également un maître de la screwball comédie. Simplement dans "Le Grand sommeil", les (d)ébats érotiques sont rehaussés par la proximité de la mort. Le final dans lequel Marlowe doit affronter un dernier obstacle sur la route de sa fusion avec Vivian est particulièrement émouvant car on peut voir sa main tenant le flingue légèrement trembler, ce simple détail renvoyant à la vulnérabilité de son personnage qui exprime à plusieurs reprises sa lassitude, sa fatigue et sa peur. Du cinéma à hauteur d'homme quoi!

* La scène à double sens où ils parlent de la meilleure manière de monter un cheval est tout simplement grandiose.

Voir les commentaires

Les Innocents (The Innocents)

Publié le par Rosalie210

Jack Clayton (1961)

Les Innocents (The Innocents)

Fantômes et fantasmes. Puritanisme et débauche. Sexualité (réprimée) et mort. Noir et blanc. Fleurs et reptiles. Statues et insectes. Images et sons. Enfants et adultes. Ces couples ne fonctionnent pas dans l'opposition mais selon le principe des vases communicants dans le film néo-gothique de Jack CLAYTON qui constitue l'adaptation la plus brillante du roman de Henry James, "Le Tour d'écrou" en parvenant à traduire cinématographiquement son ambiance oppressante et ses zones d'ombre. La réalisation, fondée sur la suggestion, le trouble, distille un malaise croissant alors que selon la dynamique de la contamination qui est à l'oeuvre durant tout le film, les "innocents" le paraissent de moins en moins. Ainsi le comportement de Miss Giddens (Deborah KERR, surdouée de l'interprétation des "vierges folles") face aux visions démoniaques qui l'assaillent se dérègle de plus en plus au point de devenir suspect. Cette vieille fille de pasteur encore désirable (et désirante à son corps défendant) mais corsetée, à l'image de la société victorienne devient un danger pour les enfants qu'elle est chargé de protéger. Enfants auprès desquels on pense qu'elle se réfugie comme un rempart contre sa peur du monde adulte mais manque de chance: ces enfants-là ont été corrompus. Sous le vernis policé de leur éducation aristocratique rôdent des pulsions de sexe et de mort inquiétantes qui se "matérialisent" sous la forme de spectres hantant les recoins du manoir, ceux de la gouvernante et du valet qui étaient chargés de les "éduquer" mais qui forniquaient dans tous les coins tout en se détruisant*. A cet endroit précis réside la principale zone d'ombre du livre et du film mais sa nature ne fait aucun doute. Le comportement séducteur de Miles (Martin STEPHENS), sa franchise déroutante qui révèle que le monde adulte n'a aucun secret pour lui et ses paroles en décalage complet avec son apparence de petit garçon de dix ans suscite un trouble croissant chez Miss Giddens dont le comportement se dérègle de plus en plus (tics nerveux, visage qui se couvre de sueur, vision troublée etc.) La religion s'avère impuissante à contenir ses pulsions. Le couple pervers la hante. Si consciemment elle veut sauver les enfants en les exorcisant, nul doute qu'inconsciemment elle veut prendre la place de Miss Jessel, l'ancienne gouvernante en chassant Flora à travers laquelle elle semble encore vivre pour mieux se retrouver seule avec Peter Quint le valet qui parle à travers la bouche de Miles. La dernière scène, magistrale, à la fois mortifère et orgasmique, se clôt sur un summum de malaise et d'ambiguïté.

* Je n'ai pu m'empêcher de penser à "The Servant" (1962) de Joseph LOSEY qui date de la même époque, histoire d'une subversion sociale et sexuelle dans laquelle le valet finit par posséder le maître à tous les sens du terme. Flora et Miles sont filmés comme des menaces dans "Les Innocents" notamment par le jeu de la contre-plongée, qu'ils le soient réellement ou seulement dans l'imagination de Miss Giddens.

Voir les commentaires

Mademoiselle (Ah-ga-ssi)

Publié le par Rosalie210

Park Chan-Wook (2016)

Mademoiselle (Ah-ga-ssi)


PARK Chan-wook devrait méditer la phrase de Mme de Merteuil dans "Les Liaisons dangereuses" selon laquelle l'amour et la vanité sont incompatibles. "Mademoiselle" veut en effet jouer sur les deux tableaux ce qui le rend au final étrangement bancal. D'un côté une mise en scène calculée au millimètre près, un scénario manipulateur avec retournements de situation et une complaisance prononcée pour la violence insoutenable et les scènes de sexe lesbien (qui même si elles sont filmées avec plus de sensualité et ont plus de sens que chez Abdellatif KECHICHE proviennent du même fond bassement commercial). De l'autre, les élans spontanés des deux actrices, toutes deux formidables, particulièrement KIM Tae-ri dans le rôle de la fougueuse servante Sook-hee. Toutes les scènes où elle rue dans les brancards sont justes formidables avec en point d'orgue la destruction de la bibliothèque perverse du tyran tortionnaire Kouzuki (CHO Jin-woong) et sa fuite dans les champs avec la "princesse" Hideko libérée de son esclavage sexuel doré (KIM Min-hee). Mais à l'image du tyran Kouzuki, cet élan est presque aussitôt coupé par des scènes sanglantes et sordides totalement gratuites même si quelques touches d'humour bien senties viennent alléger l'ensemble. Visiblement le créateur veut garder le contrôle de sa créature jusqu'au bout et castre ainsi son récit. C'est dommage car le beau récit d'émancipation féminine qu'aurait pu être "Mademoiselle" dont on a à juste titre souligné les nombreuses qualités formelles (la photographie notamment sans parler des décors et des costumes grandioses) est parasité par toute cette perversité, les contradictions des deux femmes tiraillées entre leur calcul initial et la passion qui les anime devenant celles du film lui-même. Je terminerai cette critique avec deux citations issues d'autres avis que je rejoins complètement: "je préfère les cinéastes intègres aux cinéastes escrocs" et "féministe et racoleur mais surtout racoleur". Hélas.

Voir les commentaires

In the Cut

Publié le par Rosalie210

Jane Campion (2003)

In the Cut

"In the Cut" est un polar urbain très travaillé sur la forme, peut-être trop d'ailleurs parce qu'il y a une distorsion entre l'ambition affichée et le rendu final. L'ambition affichée consiste comme le titre et le début du film l'indiquent à plonger dans les entrailles du mystère féminin écartelé par l'éducation traditionnelle entre rêverie romantique et désirs sensuels. On a donc une alternance entre le blanc virginal des fiançailles idéalisées sur la glace et le rouge du sexe incarné par des objets phalliques et en particulier un phare écarlate où se dénoue l'action. L'impossible unification entraîne une autre dichotomie, celle d'Eros (scènes torrides à l'appui) et de Thanatos (d'atroces meurtres de femme en série dans un New-York bien glauque nageant dans un flou artistique). L'héroïne, Frannie (Meg Ryan bien connue pour ses rôles dans des comédies romantiques et qui joue ici à contre-emploi) est coincée dans une période d'abstinence sexuelle jusqu'au jour où elle voit ses désirs inconscients remonter à la surface lorsqu'en se rendant aux toilettes d'un bar elle surprend une scène pornographique entre un homme et une femme dont elle ne peut détacher son regard. Mais peu de temps après la femme est retrouvée assassinée et démembrée avec une bague au doigt et l'enquêteur arbore le même tatouage au poignet que celui qui se faisait faire une gâterie dans les toilettes. Il devient très vite l'amant de Frannie mais celle-ci a en même temps peur de lui, ce qui stimule son désir.

Tout cela forme un programme très intéressant et pourtant cela ne fonctionne pas vraiment. Déjà parce que le moins que l'on puisse dire c'est que le propos de Jane Campion manque de subtilité (rien n'est tout blanc ou tout rouge ^^) et ensuite parce que la forme étouffe le fond. Les personnages sont bâclés, parfois à peine esquissés et manquent d'humanité. Bref "In the Cut" se veut brûlant et dérangeant alors qu'il s'agit d'un film complètement cérébral. Si Jane Campion voulait montrer la réconciliation d'une femme avec elle-même, et bien c'est raté.

Voir les commentaires

Les Valseuses

Publié le par Rosalie210

Bertrand Blier (1974)

Les Valseuses

Aujourd'hui c'est un film culte. A sa sortie c'était un énorme coup de pied aux fesses de la France profonde, conservatrice et catholique incarnée à l'époque par la présidence de George Pompidou mais que l'on a pu retrouver plus récemment dans les discours clivants d'un Nicolas Sarkozy abonné aux "Valeurs actuelles" c'est à dire tournant le dos aux acquis de mai 1968 et fustigeant les racailles face "à la France qui se lève tôt". Faire des héros deux glandeurs qui s'amusent à narguer les autorités, ignorent manifestement le droit de propriété et fonctionnent à l'instinct en prenant leur plaisir où ils le trouvent sans se poser de question était une véritable provocation. Les faire interpréter par deux jeunes chiens fous alors inconnus mais bourrés de talent était un coup de génie. De même que les entourer d'une pléthore d'actrices d'âge différent mais toutes de premier ordre (ou appelées à le devenir!) Face à ce casting flamboyant, mordant et épatant de naturel (la scène au bord du canal est "renoirienne" et les dialogues sont prononcés avec une telle gourmandise qu'on en redemande des "On est pas bien là"!!), la France pompidolienne apparaît d'autant plus sinistre et dévitalisée avec ses logements de masse, ses gardiens du temple de la consommation de masse, ses villes-fantômes du tourisme de masse ou ses agriculteurs de la PAC rivés à leur outil de production de masse. C'est souvent en se positionnant à la marge que l'on comprend le mieux le fonctionnement du monde et c'est ce décalage qui rend le film si pertinent encore aujourd'hui. Si pertinent, si vivant et si audacieux dans son discours, y compris aujourd'hui vis à vis de la sexualité. Certes le contexte post-soixante-huitard se fait ressentir dans un film qui a des points communs avec celui de Agnès VARDA "Lions Love" (1969) qui est centré sur un ménage à trois et où la nudité est érigée en mode de vie ou encore avec "Easy Rider" (1968) pour le road-movie libertaire dans un monde de ploucs. Dans le film de Bertrand BLIER, le triolisme est donc la règle étant donné que Jean-Claude et Pierrot font tout ensemble mais leur comportement misogyne n'est qu'une façade derrière laquelle sont abordées des problématiques sexuelles intimes qui restent encore souvent mal ou peu traitées comme l'impuissance, l'homosexualité, la frigidité/soumission au désir masculin et l'affirmation du désir féminin (le personnage joué par MIOU-MIOU effectue le même parcours libérateur que celui de Andie MacDOWELL dans "Sexe, mensonges & vidéos") (1989), la relation entre sexualité/allaitement (rôle dévolu à Brigitte FOSSEY en femme faussement "respectable") le vieillissement annihilateur (avec le personnage joué par Jeanne MOREAU qui ose en plus parler des règles) ou à l'inverse la première fois (rôle dévolu à la toute jeune Isabelle HUPPERT dans un rôle court mais tout aussi marquant que celui de Brigitte FOSSEY).

Voir les commentaires

Talons aiguilles (Tacones lejanos)

Publié le par Rosalie210

Pedro Almodovar (1991)

Talons aiguilles (Tacones lejanos)

Après "Femmes au bord de la crise de nerfs", "Talons aiguilles", le dixième long-métrage de Pedro Almodovar a marqué un nouveau tournant dans sa carrière en lui ouvrant les portes de la reconnaissance internationale. "Talons aiguilles" est un film de transition entre ses œuvres de jeunesse transgressives et kitsch et les films de la maturité plus sombres et mélancoliques. C'est aussi un film qui fusionne plusieurs genres, notamment le mélo sirkien et le thriller hitchcockien (une image extraite du générique de "Vertigo" est d'ailleurs insérée dans le générique) avec une esthétique de télénovela et une identité LGTB affirmée. Ainsi le "body trouble" de l'histoire est un juge barbu le jour qui devient transformiste la nuit en imitant le personnage interprété par Marisa Paredes (la performance de Miguel Bosé est assez hallucinante). A cela il faut ajouter le thème central des relations compliquées entre Becky (Marisa Paredes) une mère narcissique et distante qui a tout sacrifié à sa carrière (le titre en VO est "Talons lointains") et qui cherche à se racheter et sa fille Rebeca (Victoria Abril) que le manque d'amour et la soif de reconnaissance conduit à s'accaparer et/ou à assassiner les amants de sa mère puis à tomber dans les bras de celui qui se fait passer pour elle. Si l'ensemble n'est pas complètement abouti (on sent que Almodovar se cherche encore à travers les références qu'il cite, notamment Bergman), le film est tout de même suffisamment généreux en scènes fortes, émouvantes, jubilatoires, sensuelles ou érotiques avec quelques séquences musicales d'anthologie ("Piensa en mi" chanté par Luz Casal est devenu un hit) pour demeurer l'un des films importants de son réalisateur.  

Voir les commentaires

La Leçon de piano (The Piano)

Publié le par Rosalie210

Jane Campion (1993)

La Leçon de piano (The Piano)

"La Leçon de piano" est à ce jour le seul film réalisé par une femme à avoir obtenu la Palme d'or à Cannes. En plus de son prix, le film a été un grand succès international, entrant ainsi dans le club des œuvres réunissant critiques et public. La musique composée par Michael NYMAN, d'un lyrisme débridé est devenue un classique incontournable mais ne peut expliquer à elle seule l'aura qui entoure le film.

"La Leçon de piano" n'est pas que l'histoire d'une passion, c'est avant tout l'histoire d'une femme qui s'éveille au désir et à la sensualité ou plutôt qui découvre son désir jusque-là brimé par les mœurs patriarcales. L'histoire se déroule durant l'ère victorienne mais elle nous parle de la femme d'aujourd'hui. Celle qui cherche à s'affranchir des diktats masculins pour trouver sa voie propre. Sa VOIX propre. Cette voix, inhabituelle, lui fait peur au début parce qu'ayant été longtemps réduite au silence, elle ne l'a jamais entendue. Il en va de même avec le désir. Au début, il lui fait peur, puis elle l'apprivoise. Ce désir, elle ne peut longtemps l'exprimer que dans la musique. Jusqu'à ce que deux hommes vivant en Nouvelle-Zélande alors colonie britannique ne s'en emparent. Le premier, son "mari officiel" qui la fait émigrer en Nouvelle-Zélande (Sam NEILL) est un être frustré et complexé incapable d'abandon et de communication. Il se ferme, se braque contre l'instrument et son interprète qu'il veut museler et dominer. La scène du doigt coupé n'est que son ultime tentative pour castrer sa femme, une excision symbolique. Dans la réalité, ce féminicide en puissance n'aurait pas abandonné Ada (Holly HUNTER) aux mains d'un autre homme, mais c'est la magie du cinéma de pouvoir basculer d'un certain réalisme à une atmosphère de conte. Baines (Harvey KEITEL) est tout ce que le mari d'Ada n'est pas. Tout en lui est ouverture. Il fait corps avec la nature et donc avec les indigènes. Il se laisse envahir par la musique et comprend ce qu'elle exprime. Dans un premier temps, il tente de s'approprier l'instrument et le corps de sa propriétaire mais c'est un homme trop instinctif pour ne pas comprendre qu'il détruit ainsi ce qu'il cherche à obtenir. Alors il lâche prise et c'est ce lâcher prise qui est l'élément décisif dans l'éveil d'Ada. Celle-ci réalise que sans le désir de Baines, son piano est comme mort. C'est donc librement qu'elle retourne vers lui et se libère de tous ses carcans comme elle se libère de ses vêtements victoriens austères et contraignants pour révéler sa nature profondément sensuelle. A la fin, l'instrument est devenu inutile, il finit au fond de l'eau avec d'autres choses mortes.

Voir les commentaires

Jane Eyre

Publié le par Rosalie210

Susanna White (2006)

Jane Eyre

Parmi les nombreuses adaptations à l'écran du roman de Charlotte Brontë, celle de la BBC, véritable Mecque de la mini-série de qualité, est tout simplement géniale. Sa longueur (4 épisodes de près d'une heure) permet d'être relativement fidèle au livre. Néanmoins, l'adaptation privilégie surtout la relation entre Jane Eyre et Edward Rochester qui est analysée aussi bien sous son angle romantique, mythologique et spirituel que dans ce qu'elle a de résolument moderne voire de révolutionnaire, même de nos jours où la force morale exceptionnelle de l'héroïne pourtant seule et pauvre et à l'inverse la vulnérabilité cachée puis révélée de celui qu'elle aime qui a pourtant en apparence tous les attributs du "mâle dominant" finissent par mettre sans dessus dessous ^^ les repères traditionnels du rapport de couple (adossés sur des inégalités elles-mêmes issues d'assignations/représentations de genre aliénantes mais qui ont la vie dure parce ce que rassurantes). C'est aussi une version extrêmement sensuelle où la nature joue un rôle prépondérant.

Si l'enfance de Jane est un peu trop rapidement expédiée (sauf pour souligner son caractère indomptable et indépendant ce qui fait qu'on la considère dès son plus jeune âge comme "habitée par le diable") dès que celle-ci (merveilleusement jouée par une Ruth Wilson 100% nature) atteint l'âge adulte, le récit se pose et entre véritablement dans un état de grâce. Tout prend harmonieusement sa place. Le décor de Thornfield Hall, protagoniste à part entière de l'histoire fait penser aux tableaux de paysages romantiques qui expriment les états d'âme. Le lien chamanique qui unit Jane et Rochester (issu d'ancestrales croyances celtiques retravaillées par le romantisme) se matérialise sous la forme d'une rivière au courant impétueux. A contrario se dresse toute en verticalité la forteresse lugubre du château, véritable prison avec son monstre à l'intérieur. Le flux de la vie s'écoulant en toute liberté à deux pas du sarcophage contenant les pulsions indésirables réprimées jusqu'à la folie. Un château qui symbolise également la domination sociale des hommes (riches et bien nés de préférence) sur les femmes (a fortiori si elles sont pauvres). Mais ce n'est qu'un décor derrière lequel se noue en eaux profondes un lien horizontal, puissant, indéfectible entre deux solitaires qui ont aussi peur l'un de l'autre qu'ils sont attirés l'un par l'autre. Outre la bestialité bien peu aristocratique qui se dégage de Rochester (Jane évoque sa "crinière" de fauve mais il y a aussi en lui un ours mal léché et parfois aussi un serpent tentateur évoluant sur une musique hypnotique et de lourdes vapeurs, toute une atmosphère de décadence qui suggère le vertige de la chute), celui-ci se joue dans un premier temps des sentiments de Jane comme d'un mécanisme de défense le protégeant d'une femme qu'il sent d'instinct beaucoup plus forte que lui. La scène-clé de la rencontre lorsque Rochester tombe de cheval pour ne pas percuter Jane de plein fouet a ainsi une signification sexuelle. Le cheval est une métaphore de la virilité et Jane commence par le désarçonner: pas étonnant qu'il la traite d'emblée de "sorcière" car c'est le premier coup de boutoir de cette force de la nature contre sa si fragile forteresse intérieure ^^. D'ailleurs cette scène dit déjà tout puisqu'il est ensuite obligé de s'appuyer sur Jane pour remonter à cheval après avoir découvert qu'il s'était foulé le pied. La suite ne fait en effet que confirmer que le courant passe entre eux à un niveau qui renverse tous les codes et toutes les barrières établies. La scène où Jane sauve Rochester endormi dans son lit en flammes est un renversement complet par rapport au schéma traditionnel où la femme attend dans sa tour/dans son lit que son prince charmant vienne la délivrer/la réveiller. C'est aussi une scène trouble dans laquelle Jane joue (déjà) avec le feu en s'approchant d'aussi près d'un homme qui pourrait bien l'entraîner avec lui en enfer (même -et c'est très important- si elle reconnaîtra plus tard que le puritanisme de St John est autrement plus effrayant que l'aura sulfureuse de Rochester). Plus tard, toujours sous les coups (symboliques) portés par Jane qui finit par exprimer du fond de tout son être son droit à la dignité, à la liberté et à l'égalité, on voit à plusieurs reprises le masque de Rochester craquer grâce à la finesse de jeu de Toby Stephens, acteur à l'expressivité phénoménale, pouvant exprimer simultanément différentes facettes contradictoires du si complexe personnage de Rochester (le machisme/la vulnérabilité, l'assurance/la détresse, la tendresse/la séduction etc.) passant en un éclair de la figure sombre et autoritaire ou bien séductrice et carnassière au déchirement le plus poignant, la voix rauque ou bien défaillante d'émotion jusqu'à finir avec le visage complètement défait du petit garçon perdu. Plus tard encore, lorsque la tension (sexuelle) entre eux atteint son paroxysme après le mariage raté pour cause de petit problème de polygamie ^^, on voit Jane au terme d'un corps à corps aussi sensuel qu'éprouvant résister à la tentation de devenir sa maîtresse (notamment par le fait qu'elle continue à l'appeler "sir" ou "M. Rochester" même dans la plus grande proximité physique, le mettant ainsi mentalement à distance) alors que lui a tellement peur d'être abandonné qu'après avoir tout fait pour la faire "craquer" (en jouant avec les limites autorisées de l'époque ce qui augmente considérablement le niveau d'érotisme de la scène), il tente de la convaincre qu'ils peuvent rester ensemble en mettant la sexualité de côté (c'est tellement crédible qu'elle s'enfuit aussitôt). Elle ne revient vers lui que lorsqu'elle l'a décidé c'est à dire une fois qu'il a retrouvé son intégrité morale et fait du ménage dans sa vie ce qui passe par l'acceptation de sa vulnérabilité (et la délivrance de ses peurs: d'être dominé, abandonné, trompé, repoussé etc.), laquelle s'inscrit dans son corps désormais définitivement diminué. Entre temps, elle a évolué elle aussi, elle a pris de l'assurance, gagné son indépendance financière et c'est elle qui prend désormais les initiatives. Ayant entre temps rencontré un autre homme (St John Rivers dont elle a failli accepter la proposition de mariage), elle peut lui raconter son expérience (et le rendre jaloux ^^) ce qui rééquilibre symboliquement toutes les scènes où elle a écouté sans broncher les histoires de ses anciennes liaisons (qui se terminaient toutes cependant par une humiliation, renforçant à chaque fois un peu plus son amertume vis à vis des femmes du monde* dont on peut avoir un aperçu en miniature avec le personnage d'Adèle). Et, après lui avoir fait avouer que son plan d'autrefois qui consistait à "vivre comme frère et sœur" était des plus fumeux puisque elle et lui n'étaient définitivement pas du genre platonique (non, vraiment? ^^), summum du rééquilibrage et de l'horizontalité, elle finit par s'assoir puis s'allonger sur lui qui s'abandonne dans un grand éclat de rire partagé et libérateur, prenant ainsi sa revanche sur la scène de la chambre où il l'emprisonnait de son corps en faisant pression de tout son poids sur elle. C'est en effet à ce moment là, quand cela coule de source, qu'elle l'appelle spontanément par son prénom. Chose qu'il avait tenté d'obtenir en vain durant toute leur histoire. Une belle illustration de la liberté et de l'égalité (et de l'effet contre-productif des pressions) ^^. Et bien sûr cela ne peut se passer qu'au bord d'une rivière au cours désormais apaisé, présage de jours heureux.

* Il les surnomme les « oiseaux exotiques » à cause de leurs plumes dans les cheveux. Quant à Jane il la surnomme « l’hirondelle » parce qu’elle part et revient librement ce qui est une source d’angoisse pour lui. 

Voir les commentaires

La Reine Kelly (Queen Kelly)

Publié le par Rosalie210

La Reine Kelly (Queen Kelly)

Erich von Stroheim (1929)

Tous ceux qui aiment Billy Wilder et en particulier "Boulevard du crépuscule" connaissent forcément "Queen Kelly". "Boulevard du crépuscule" fait en effet référence à cette production inachevée qui fut engloutie par l'arrivée du parlant. Gloria Swanson qui joue un rôle autobiographique, celui d'une star déchue du muet se regarde en effet jouer dans un extrait de "Queen Kelly" alors que son majordome (et ex-mari) est joué par le réalisateur du film, Erich von Stroheim. Les rôles de "Boulevard du crépuscule" respectent la relation hiérarchique entre Gloria Swanson et Erich von Stroheim. La première n'était pas seulement l'actrice principale de "Queen Kelly", elle était également à la tête de sa propre société de production, la "Gloria Swanson Pictures Corporation" en association avec son amant de l'époque, Joseph Kennedy (le père de John à qui il a visiblement transmis son goût pour les stars). Erich von Stroheim était donc son subordonné.

"Queen Kelly" fut son dernier film en tant que réalisateur. Comme la plupart des autres, c'était un "monstre" qui devait durer à l'origine cinq heures, coûter une fortune et comporter plusieurs scènes jugées scandaleuses. C'est pour toutes ces raisons que la production fut stoppée en plein tournage, Erich von Stroheim licencié et la sortie du film repoussée à 1932, assortie d'une fin bâclée tournée par un autre réalisateur (visible dans les bonus du DVD). Il existe aujourd'hui plusieurs versions dont une qui ne contient que le prologue d'une heure et onze minutes (la seule partie achevée du film) et une autre qui ajoute à ce prologue une vingtaine de minutes de bobine retrouvée dans les années 60 racontant des événements ultérieurs se déroulant en Afrique. Des photos et des intertitres relient prologue et partie africaine et résument la conclusion que souhaitait Erich von Stroheim.

En dépit de ce charcutage, les séquences qui nous restent sont tellement saisissantes qu'elles impriment la rétine et le cerveau mieux n'importe quel film insipide complètement achevé. Mélange détonnant de conte de fée, de romantisme, d'érotisme et de décadence, le film sent le souffre dès ses premières images avec sa reine dégénérée (Seena Owen) déambulant ivre et nue dans les couloirs du palais. Une dominatrice indissociable de sa cravache dont elle cingle quiconque ose lui déplaire, à commencer par son fiancé attitré, le prince Wolfram (Walter Byron) un libertin notoire qui n'est autre que son cousin (un abus de mariages consanguins est nocif pour la santé si j'en juge par la paupière tombante de la reine ^^). Arrive alors la rencontre torride entre le prince noceur et Kitty (ou Patricia selon les versions) Kelly (Gloria Swanson), pensionnaire d'un couvent qui perd (littéralement) sa culotte devant lui avant de la lui jeter à la figure, comme quoi Madonna n'avait rien inventé ^^^^. Toutes ces scènes "hot" se déroulent devant une assemblée hilare et voyeuriste histoire de rajouter au malaise. Mais entre la maîtresse SM et cette orpheline "culottée" ^^, il n'y a pas photo pour le prince et on comprend ainsi que Kelly ne va pas rester bien longtemps dans son couvent ^^. Le passage le plus dingue reste cependant celui du bordel africain. Un passage particulièrement malsain avec le mariage forcé entre Kelly et le tenancier du bordel, Jan (Tully Marshall), un boiteux syphilitique si lubrique qu'on plaint non seulement Kelly mais aussi Gloria, obligée de se laisser peloter de longues minutes par ce personnage répugnant toujours en train de se pourlécher les babines. Erich von Stroheim a un talent incroyable pour filmer en gros plan et celui du visage crispé de Kelly avec le visage de Jan à demi-enfoui dans son voile de mariée (fabriqué à partir d'un voile de lit recouvert de poussière) reste l'un des plus puissants qu'il m'ait été donné de voir. Gloria Swanson a fait couper la partie africaine et arrêter la production sans doute parce qu'elle a pris peur devant le caractère incontrôlable de Erich von Stroheim qui l'entraînait sur des chemins de plus en plus tortueux qu'elle n'était pas prête à emprunter.

Voir les commentaires

Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1975)

Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock)

"Pique-Nique à Hanging Rock", le deuxième film de Peter WEIR a conservé intact plus de quarante ans après sa sortie son pouvoir d'envoûtement et son mystère. Le dépoussiérage du film en 1999 (deuxième partie raccourcie, étalonnage neutre au lieu de la teinte jaunâtre d'origine, remixage du son en Dolby stéréo) a contribué à lui garder toute sa fraîcheur. Il a été souvent comparé à un autre chef d'oeuvre du cinéma fondé sur une énigme métaphysique "2001, l'odyssée de l'espace" (1968). Mais à titre personnel, c'est à un autre film de Stanley KUBRICK qu'il me fait penser, "Shining" (1980). L'Australie, comme les Etats-Unis se sont fondés sur l'appropriation du territoire des indigènes dont la culture a été détruite et la population en grande partie massacrée. Hanging Rock comme le cimetière sur lequel a été construit l'hôtel Overlook sont des sites indigènes sacrés immémoriaux transformés par les colons européens en vulgaires espaces de loisirs au XIX° ou au début XX° après que la population locale en ait été chassée. Mais la mémoire des lieux, elle, demeure, et peut ressurgir à tout moment. Les flots de sang jaillissent de l'ascenseur de l'hôtel (en référence à tous les crimes commis en ce lieu depuis son origine), le grondement de la terre fait entendre sa voix et les rochers semblent animés de vie. Les êtres humains qui s'en approchent de trop près finissent non par les posséder mais par être possédés au son d'une ensorcelante flûte de pan. Dans l'un et l'autre cas, on assiste à une sorte de vengeance des lieux (des Dieux?) ainsi bafoués. Dans "Pique-Nique à Hanging Rock", l'offense faite aux indigènes se double en effet d'une offense faite à la nature. Ceux-ci avaient intuitivement ressenti un épicentre spirituel dans le site volcanique de Hanging Rock ce que les colons anglo-saxons qui se prennent pour le centre du monde nient. Et ce d'autant mieux qu'ils se sont coupés de la nature en se barricadant dans des vêtements corsetés et des bâtiments fortifiés pour mieux refouler leurs instincts et leurs émotions. "Pique-nique à Hanging Rock" est une parfaite illustration des pires travers de la civilisation occidentale anti-nature qui a conquis le monde durant les révolutions industrielles. Certes, le film ne montre pas de désastre écologique mais il montre ce qui le rend possible: des êtres humains dont on s'ingénie à nier la nature animale, le siècle victorien en étant en quelque sorte l'acmé. Les jeunes filles de bonne famille du pensionnat d'Appleyard apprêtées comme de fragiles bibelots anciens semblent aussi déplacées dans le bush australien qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Jusqu'à ce que plusieurs d'entre elles faussent compagnie à leurs chaperons et s'aventurent au cœur des méandres du chaos rocheux (un parcours labyrinthique qui n'est pas sans rappeler là encore celui de "Shining" (1980), l'aspect géométrique en moins). Plus elles s'approchent de l'épicentre du rocher, plus leur corps se libère du carcan qui l'oppresse. Après les gants et les chapeaux, elles enlèvent leurs chaussures, leurs bas et (hors-champ) leurs corsets, libérant la sensualité et l'érotisme qui font défaut à tant de films occidentaux faute de lien avec les forces de la nature. Comme si elles étaient sous hypnose (hypothèse renforcée par le fait que les survivantes sont amnésiques), on les voit s'engouffrer dans une ouverture dont elles ne ressortiront plus: une fin tragique car quelle que soit la croyance en ce qu'il y a derrière, la plénitude de la vie ne peut s'accomplir dans l'ici et le maintenant qui conditionne le futur. Ajoutons que le même phénomène touche indifféremment les femmes et les hommes, les jeunes et les vieux. Parce que c'est sur elles que s'exerce le plus le contrôle social étouffant de la période victorienne, l'histoire est focalisée sur des adolescentes en plein éveil amoureux, sensuel et sexuel. Mais leur professeure plus âgée dont les tourments inavouables sont révélés à la fin du film subit le même sort. Et plus tard, il arrivera la même chose à Michael (Dominic GUARD), un jeune anglais amoureux de Miranda (Anne-Louise LAMBERT), la Vénus Boticellienne du pensionnat que sa beauté rayonnante prédestinait à être engloutie par le rocher. Parti à sa recherche, on le voit également se défaire des vêtements qui l'engoncent et se perdre jusqu'aux limites de la démence dans les défilés rocailleux. Le film réussit à distiller sa troublante ambiguïté en se situant toujours à la frontière du réalisme et du fantastique, de l'art et de la vie, de la nature et de la culture, du charnel et de l'éthéré sans jamais basculer de manière décisive dans l'une ou l'autre de ces dimensions mais en brouillant au maximum les frontières.

Voir les commentaires

<< < 1 2 3 4 > >>