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Articles avec #eastwood (clint) tag

Impitoyable (Unforgiven)

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (1992)

Impitoyable (Unforgiven)

"Impitoyable" c'est le western désenchanté par excellence, celui qui enterre tout un pan du genre dans un magnifique contre-jour funèbre sur fond de coucher de soleil. Les "héros" (?) y sont vieux et fatigués. Leurs idéaux, inscrits sur une pierre tombale ou sur un panneau à l'entrée d'une petite ville y tombent en lambeaux. Le biographe (chantre?) ironiquement chargé d'écrire l'histoire de quelques légendes de l'ouest dans la plus pure tradition de John FORD se retrouve bien en peine de tirer quelque chose de glorieux de la sordide et pathétique réalité qui se déroule devant ses yeux. Celles de cowboy, (ex) hors la loi, chasseur de primes ou shérif qui ont renié leur rôle et sombré dans l'impuissance c'est à dire dans la violence. Dès les premières scènes, on est prévenus: la violence surgit à la suite du rire d'une prostituée devant la taille ridicule de "l'engin" que l'homme exhibe devant elle. Défigurée pour avoir osé transgresser un système fondé sur le virilisme, elle est qui plus est victime d'une autre forme de violence par le biais du shérif qui croit régler le problème par une transaction compensatrice envers le proxénète en laissant totalement de côté la victime considérée comme une marchandise endommagée qui logiquement devant ce déni d'humanité et de justice crie vengeance. Voilà comment en quelques scènes, Clint EASTWOOD règle ses comptes avec la mythologie du genre ainsi qu'avec son image de réac misogyne voire facho sur les bords forgée notamment au contact des films tournés avec ses mentors, Sergio LEONE et Don SIEGEL ainsi que dans ses premières réalisations. Son point de vue est en effet à la fois très humain et très critique. Très humain car ses personnages n'ont rien de héros, ils sont plein d'imperfections pour ne pas dire souvent totalement pathétiques (Munny aussi fiévreux que ses porcs qui se traîne au sol sous les coups du shérif par exemple ou Ned qui s'avère incapable de tirer). Très critique car tout le monde en prend pour son grade à commencer par le shérif, brillamment interprété par Gene HACKMAN dont les méthodes barbares ébranlent sa fonction de représentant de la loi et de l'ordre à l'image de sa maison mal construite ou le tueur English Bob (Richard HARRIS) qui tombe méchamment du piédestal qu'il tentait de faire forger à la gloire de ses exploits. Lesquels se résument encore et toujours à un concours de bites. Quant aux exécutions, elles sont volontairement ramenées à leur niveau le plus crade, le plus écoeurant avec tel homme qui n'en finit plus d'agoniser en criant, le bide transpercé ou tel homme qui se fait tirer dessus en pleine défécation. Histoire d'empêcher qu'une nouvelle légende puisse pousser sur le tas de merde semble nous dire Clint EASTWOOD.

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Pale Rider-Le Cavalier solitaire (Pale Rider)

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (1985)

Pale Rider-Le Cavalier solitaire (Pale Rider)

Le générique de "Pale Rider", le troisième des quatre westerns réalisés par Clint EASTWOOD* alors que le genre était moribond est un modèle d'épure cinématographique en plus d'être un film sur les origines de l'Amérique. Dès le générique, alors qu'aucun mot n'a encore été prononcé, le spectateur a déjà saisi l'enjeu principal du film à savoir celui de la lutte entre deux conceptions opposées du monde grâce au principe du montage alterné. D'un côté, une communauté de petits prospecteurs qui vit en harmonie avec la nature ce que souligne une bande son paisible. De l'autre, le bruit et la fureur des mercenaires envoyés par le magnat Coy LaHood (Richard DYSART) pour terroriser les villageois et les faire partir afin que ce dernier puisse faire main-basse sur leurs terres. C'est l'histoire de la lutte entre les petits entrepreneurs indépendants et les trusts qui en dépit des lois votées par les gouvernements dans la deuxième moitié du XIX° pour tenter de les dissoudre ont largement façonné le capitalisme américain. Une lutte sociale bien sûr mais aussi une lutte écologique. L'entreprise de Coy LaHood est montrée comme prédatrice aussi bien sur les hommes (les raids sur le village, la tentative de viol sur Megan par le fils LaHood joué par Chris PENN) que sur la nature: paysages défoncés, eaux détournées, pollutions etc.

Pour arbitrer cette lutte entre deux directions possibles pour une Amérique alors en construction propre à la mythologie du western, Clint EASTWOOD choisit non pas une dimension civique comme l'aurait fait John FORD mais une dimension mystique. Son personnage énigmatique est un fantôme revenu d'entre les morts à la suite de la prière de Megan (Sydney PENNY) dans la forêt qui demande qu'un miracle vienne la sauver, elle et l'ensemble des villageois. Le caractère biblique du personnage ne fait pas de doute, il apparaît aux yeux de Megan et de sa mère alors que la première récite un extrait de l'Apocalypse: " Et voici que parut un cheval d'une couleur pâle. Celui qui le montait se nommait "la Mort", et l'enfer l'accompagnait." Cette figure d'ange de la mort provient également des légendes païennes convoquées par la prière de Megan dans la forêt tout comme le "prêcheur" (nouvel avatar de "l'homme sans nom") s'avère être un impitoyable justicier qui règle des comptes personnels tout en insufflant aux villageois la force qui leur manque pour tenir tête à leurs adversaires corrompus. Sur un plan plus intime, il travaille de même à souder Hull Barrett (Michael MORIARTY), Sarah (Carrie SNODGRESS) et Megan en se servant du désir qu'il suscite auprès de ces deux dernières. J'aime beaucoup cette ambivalence du sauveur, son aspect très masculin mais son apparition due à la magie féminine, son comportement individualiste et en même temps le fait qu'il prend la défense des plus faibles et de la nature, son détachement vis à vis des passions terrestres et en même temps la caractère impitoyable de ses actes. L'économie de gestes, l'économie de mots, le hiératisme de la haute figure du prêcheur lui confèrent un charisme directement héritée des films de Sergio LEONE qui renforce sa dimension surnaturelle.

* Que beaucoup considèrent comme se situant dans la continuité des précédents voire de toute sa carrière dans le western et comme une relecture moderne de "L'Homme des vallées perdues" (1953) à qui il emprunte la plupart de ses thèmes et motifs mais auxquels il donne une direction différente.

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Mystic River

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (2003)

Mystic River

J'aime beaucoup Clint EASTWOOD en tant que réalisateur mais j'avoue ne pas être au diapason des louanges qui accompagnent "Mystic River" depuis sa sortie et en ont fait un film culte. Peut-être parce que c'est un film très froid, mettant en scène des personnages dévitalisés voire vraiment glaçants. La tragédie initiale qui frappe l'un d'entre eux a un caractère déterministe étant donné que tout ce qui advient après semble en découler: Jimmy est devenu un mafieux adepte de la justice privée (Sean PENN), Sean s'est engagé dans la police (Kevin BACON) et Dave, est restée l'éternelle victime, le bouc émissaire de tous les maux de la société (Tim ROBBINS). Quant à la notion d'amitié, si elle a existé dans leur enfance, elle n'est plus ce qui définit leurs interactions basées sur la méfiance, l'indifférence ou la violence. Si l'on rajoute des conjointes tout aussi effrayantes, chacune dans leur genre (l'une qui se fait la complice des meurtres de son mari, l'autre qui semble terrorisée par les agissements du sien au point de le trahir et la troisième qui est ectoplasmique), il m'a été d'autant plus difficile d'adhérer à ce sado-masochisme généralisé. De plus l'intrigue policière est très classique dans son déroulement voire se traîne par moments et son dénouement semble noyer le poisson dans une culpabilité collective ce qui est une façon de prôner au final l'irresponsabilité de chacun. Il faut dire que je ne crois pas à la fatalité (sauf dans les histoires mettant en scène des héros ou des demi-dieux) bien pratique pour ne pas assumer les conséquences de ses actes mais plutôt au libre-arbitre. Comme ce n'est pas réalisé par un manche et que c'est très bien joué, je mets quand même la moyenne mais il est clair que ce n'est pas ma tasse de thé.

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Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County)

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (1995)

Sur la route de Madison (The Bridges of Madison County)

"Sur la route de Madison" est un film d'interstices. Ceux par lesquels Francesca (Meryl STREEP) observe Robert Kincaid (Clint EASTWOOD) lorsqu'elle l'accompagne sur le pont couvert de Roseman qu'il s'apprête à photographier. L'histoire non conventionnelle de Francesca et de Robert, deux amants d'âge mûr, est elle-même un interstice entre les fondations de l'Amérique profonde WASP, blanche et puritaine des années 60 dont le film est une subtile critique. L'espace de 4 jours, Francesca entrevoit un autre possible à travers sa morne vie de desperate housewife de l'Iowa. Son american Dream s'est mué en désillusion, celle d'une vie sans perspectives autre que celle de la dissolution de son individualité dans le devoir conjugal et familial. Une vie cloîtrée passée à servir mari et enfants pour lesquels la mère se confond avec les murs de la maison. Une vie à rêver d'un ailleurs impossible, incarné par le voyageur et observateur infatigable et bienveillant du monde qu'est Robert Kincaid et à travers lui Clint EASTWOOD. Car le film est aussi une brèche dans son intimité. A des années lumières de son image masculiniste, on découvre l'homme libre, ouvert d'esprit, contemplatif, sensuel bref féminin. Cette part de féminité jusque là enfouie s'incarne aussi bien dans la manière de magnifier les paysages filmés en lumière naturelle que dans le surgissement de la musique noire alors même que la ségrégation était toujours en vigueur. Et enfin dans le personnage de Francesca qui incarne à lui seul l'amour que Clint EASTWOOD porte aux femmes. Ronde et sensuelle jusqu'au bout des ongles, Francesca est indissociable de la nature (lumière, vent, eau) dont elle est habituellement coupée. Cet instant de grâce durant lequel elle retrouve sa puissance perdue à un parfum d'éternité. Le fait qu'elle y renonce pour retourner à son esclavage est symbolique des tares de l'american way of life alors que Clint EASTWOOD incarne l'artiste marginal qui l'a révélée à elle-même. Révélation qu'elle lègue à sa mort à ses enfants, deux quadragénaires dévitalisés, en espérant sans doute quelque peu faire changer les choses alors que le passage du temps n'entraîne que la reproduction du même triste modèle.

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Gran Torino

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (2008)

Gran Torino

Les apparences sont trompeuses et les "Mein Kampf de l'ouest" (pour reprendre une expression employée à propos de "L'homme des hautes plaines") ne sont pas ceux que l'on croit. D'un côté de jeunes réalisateurs branchés peuvent faire passer leurs positions troubles comme une lettre à la poste. Je pense par exemple à "Whiplash" sur lequel j'ai eu tout récemment une discussion fort animée avec deux de ses ardents défenseurs. Pour mémoire dans le film, un jeune batteur jugé par son prof de musique trop tendre doit endurer toute une série de sévices physiques et psychologiques pour extirper la "tarlouze sodomite" qui est en lui et devenir le meilleur en son domaine ce qu'il finit par atteindre lors d'une scène finale en apothéose qui valide les idées et les méthodes de ce prof. Pourtant jamais "Whiplash" n'a été jugé fasciste ni même homophobe.

De l'autre il y a des réalisateurs qui parce qu'ils ont la tête de l'emploi, des positions politiques conservatrices et ont joué du flingue au cinéma ont subi durant tout ou partie de leur carrière des accusations réitérées de machisme, de fascisme et de nazisme. Evidemment Clint Eastwood est de ceux-là, sa personnalité ayant été assimilée à celle de l'homme sans nom des films de Léone et encore plus avec celle de l'inspecteur Harry. Or les films qu'il a réalisé plaident pour une tout autre version du bonhomme. Prenons l'exemple de "Gran Torino" qui est l'un des films de lui que je préfère.

Dans un premier temps, Clint Eastwood s'y moque de lui-même ou plus exactement de l'image réac que l'on a de lui. Il va donc l'exagérer en campant un vieux con misanthrope, aigri, chauvin, raciste et bas been qui passe plus ou moins son temps à cracher, astiquer sa Gran Torino et ses armes (deux symboles de l'Amérique conservatrice) et maugréer contre ses voisins asiatiques qu'il ne peut pas souffrir et traite de tous les noms. Ce sens de l'autodérision atteint son sommet lorsque l'un de ses fils vient lui proposer des objets pour personnes âgées et des brochures pour des maisons de retraites.

Dans un second temps, il va déconstruire cette image point par point. Il prend sous son aile Thao, le fils de ses voisins Hmong*, un adolescent peu sûr de lui et harcelé par ses cousins qui font partie d'un gang qui veut imposer sa loi à sa famille matriarcale. La transmission filiale est un thème cher au cinéaste, lui qui se situe dans une continuité certaine avec le classicisme hollywoodien tout en conservant une farouche indépendance d'esprit ce qui lui donne d'autant plus la liberté de tendre la main à des jeunes exclus du système. Ensuite, dans ce qui est un film avant tout testamentaire, il reprend tous les codes du vigilante movie auquel il a été si souvent associé pour mieux les déjouer lors d'un acte final sacrificiel rédempteur christique devenu culte. Le portrait de cet ancien combattant de la guerre de Corée ayant travaillé un demi-siècle chez Ford, bref celui de l'américain modèle travailleur et patriote aboutit paradoxalement à une vision désenchantée de l'Amérique: il est hanté par les crimes de guerre qu'il a commis, voit le quartier de Détroit où il a toujours vécu se transformer en ghetto, ne parvient pas à communiquer avec sa famille biologique et la religion chrétienne ne lui est d'aucun secours. Bref il ne peut s'appuyer sur aucune des institutions fondatrices de l'Amérique traditionnelle. En revanche il trouve du réconfort dans la convivialité de ses voisins et le chaman local parvient sans difficulté à le percer à jour ce qui le bouleverse. C'est à ce moment précis qu'il comprend qu'il a bien plus de choses en commun avec les Hmong qu'avec sa propre famille américaine. Enfin le personnage clé de Sue, la grande sœur de Thao reflète assez bien l'amour teinté d'estime voire d'admiration que le cinéaste porte aux femmes en total décalage là encore avec son image de macho. Des femmes fortes, déterminées à s'en sortir, pleine de perspicacité dont il prend toujours la défense et avec lesquelles il établit une relation de tendre complicité. Sue l'appelle presque aussitôt Wally en dépit de son comportement d'ours mal léché parce qu'elle est la première à le percer à jour, c'est d'ailleurs elle qui l'introduit dans sa famille, lui sert de médiatrice culturelle et de traductrice et enfin lui met Thao dans les jambes, persuadée qu'elle lui a trouvé le père idéal qui saura l'aider à s'intégrer et à trouver sa voie. Et pour cause puisque Walt se range aux côtés des femmes contre le gang qui dénie à Thao toute possibilité de libre-arbitre. La seule manière d'être un homme selon eux, c'est d'être avec eux. Quant aux femmes, ils les brisent comme le montre le sort qu'ils réservent à Sue qui pourtant est leur propre cousine. Vision terrifiante de la loi du plus fort contre laquelle se dresse le Gandhi le plus improbable qui soit.

En ayant revu le film, j'ai été également très sensible à la maîtrise du récit et à la précision de la mise en scène. Rien n'est en effet laissé au hasard, chaque scène, chaque détail compte, des premières jusqu'aux dernières images. Un simple briquet par exemple.

* Comme l'explique Sue à Walt, les Hmong sont les vietnamiens qui ont pris parti pour les américains pendant la guerre du Vietnam et ont dû ensuite quitter le pays pour trouver refuge ailleurs, notamment aux USA. L'équivalent en quelque sorte des harkis pendant la guerre d'Algérie.

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Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo)

Publié le par Rosalie210

Sergio Leone (1966)

Le Bon, la Brute et le Truand (Il buono, il brutto, il cattivo)

"De tout temps j'ai pensé que le bon, le mauvais et le violent ne pouvaient pas exister dans un sens absolu et total". Cette citation de Sergio LEONE éclaire le sens du troisième volet de la "trilogie du dollar" qui en constitue l'apothéose, au point d'être devenu l'un des films les plus célèbres et les plus étudiés de toute l'histoire du cinéma. Car par delà les séquences d'anthologie telles que le célébrissime générique sensoriel d'Ennio MORRICONE rempli de coups de feu et de hurlements de coyote ou la grandiose chorégraphie baroque du triel dans l'arène, il s'agit du film le plus engagé, le plus politique de la trilogie et au final celui qui nous en dit le plus sur la personnalité de son réalisateur.

La conception relativiste du bien et du mal était déjà bien affirmée dans "Et pour quelques dollars de plus (1965)" où un salaud absolu se confrontait à deux salauds relatifs qu'on pouvait également considérer comme deux anges déchus, cette réversibilité étant au coeur du projet de Sergio LEONE: "J'ai une vieille chanson romaine gravée en mémoire, une chanson qui me semble pleine de bon sens : Un cardinal est mort. Il a fait le bien et le mal. Il a bien fait le mal et il a mal fait le bien. Voilà en gros la morale que je souhaitais glisser dans le film." Le choix d'illustrer son exemple par un cardinal n'a rien d'anodin car son rejet du manichéisme se nourrit d'une colère anticatholique très semblable à celle des anarchistes espagnols. Les célèbres phrases binaires du film (par exemple "Dans le monde il y a deux sortes de gens: ceux qui ont un pistolet chargé et ceux qui creusent") peuvent d'ailleurs être entendues comme des allusions ironiques au manichéisme chrétien. "Et pour quelques dollars de plus (1965)", montrait déjà de façon ironique le colonel Mortimer (Lee Van CLEEF) plongé dans une Bible. "Le Bon, la Brute et le Truand" va plus loin. Une scène clé du film en totale rupture de ton avec celles qui précèdent et celles qui suivent montre une confrontation entre Tuco le "truand" (Eli WALLACH) et son frère Pablo (Luigi PISTILLI) qui est prêtre. Alors que ce dernier se fourvoie dans des sermons typiques de la morale catholique à base de jugements de valeur ("tu ne fais que le mal") et de culpabilisation ("Tu n'as n'a pas assisté à la mort de nos parents"), Tuco dénonce son sentiment de supériorité et son inaptitude à l'empathie qui le renvoient à la solitude et au déracinement. A la suite de cet échange, on comprend mieux l'aspect chaplinesque du personnage que son apparence de bouffon italien dissimulait jusque-là.

Outre cette critique de la morale religieuse, l'autre aspect engagé du film réside dans son antimilitarisme affirmé. La guerre de Sécession n'est pas un décor, elle est l'occasion de dénoncer une boucherie inutile dont les soldats chair à canon sont les premières victimes. Les membres du trio étant d'irrécupérables hors la loi amoraux respectivement chasseur de primes, tueur à gages et délinquant multirécidiviste, ils évoluent en marge de la guerre voire en subvertissant ses codes comme ceux de toutes les autres institutions. Mais Blondin (Clint EASTWOOD) le Clown blanc et Tuco l'Auguste étant des salauds relatifs (On pourrait croire que Sentenza est un salaud absolu mais il est également relatif par le fait que pour Lee Van CLEEF il s'agit d'un contre-emploi), ils manifestent de temps à autre des gestes de solidarité et d'humanité envers les soldats, même si cela va aussi dans le sens de leur intérêt.

Enfin la discrimination raciale aux USA, toujours d'actualité dans les années 1960 alors qu'à l'époque du film, l'esclavage existait encore est évoquée brièvement mais de façon percutante au détour d'une petite phrase bien sentie. Lorsque les innombrables méfaits de Tuco sont égrenés avant son énième pendaison, on entend dans la version en VO qu'il y a deux poids et deux mesures dans la gravité du crime selon la couleur de la peau: "Viol d'une vierge de race blanche, détournement de mineure de race noire." Le viol de la vierge de race blanche étant la plus grande peur des racistes blancs (pour qui le métissage est l'infâmie absolue), on appréciera d'autant plus la portée de cette phrase qui nous ramène encore une fois au manichéisme chrétien, surtout lorsqu'il est interprété par les suprémacistes blancs du KKK "Dieu n'a pas créé les races blanche et noire pour qu'elles se mélangent".

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Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in più)

Publié le par Rosalie210

Sergio Leone (1965)

Et pour quelques dollars de plus (Per qualche dollaro in più)

Comme une mise en abyme involontaire et ironique, c'est à cause d'une histoire de gros sous que le premier western de Sergio LEONE est devenu une trilogie. Le succès international inattendu de "Pour une poignée de dollars (1964)" eut l'effet paradoxal d'entraîner un procès avec Akira KUROSAWA qui estimait à juste titre que le film était un plagiait de "Yojimbo - Le Garde du corps (1960)". Akira KUROSAWA gagna le procès et obtint les droits de distribution du film de Sergio LEONE pour l'Extrême-Orient. La société de production américaine qui avait financé "Pour une poignée de dollars (1964)" se remboursa en privant Sergio LEONE de salaire: il ne toucha pas un centime sur son premier film. C'est ce qui le poussa à fonder sa propre société de production et à mettre en chantier un second opus en tous points supérieur à son prédécésseur.

En effet là où "Pour une poignée de dollars (1964)" faisait figure d'esquisse en raison notamment d'un budget et d'un scénario limités, "Et pour quelques dollars de plus" fait figure d'œuvre achevée. Sergio LEONE y affirme son style opératique, baroque et flamboyant, toujours aussi bien épaulé par la musique d'Ennio MORRICONE tout en développant un scénario beaucoup plus étoffé. Certes, il reprend le motif du méchant joué par Gian Maria VOLONTÉ dont les actes criminels particulièrement ignobles (viol et assassinat de femme et d'enfant) font passer les deux chasseurs de prime à la gâchette pourtant facile joués par Clint EASTWOOD et Lee Van CLEEF pour des saints. Une conception relative du bien et du mal très asiatique là où les occidentaux en ont une conception absolue et manichéenne ("Tu ne tueras point, point."). Mais la nouveauté réside justement dans le dédoublement de la figure du "héros" leonien. Clint EASTWOOD reprend les habits de "L'Homme Sans Nom" et joue peu ou prou le même rôle d'observateur-justicier-arbitre cynique et détaché que dans le film précédent. Mais Sergio LEONE lui adjoint Lee Van CLEEF dans un rôle qui préfigure celui de Charles BRONSON dans "Il était une fois dans l'Ouest (1968)". Le film y gagne en densité dramatique et humaine avec le thème de l'amitié virile et intergénérationnelle ainsi que celui de la vengeance. La scène finale dans l'arène préfigure quant à elle le film suivant "Le Bon, la brute et le truand (1966)". Sergio LEONE déploie un langage visuel souvent chargé d'une ironie jouissive. Le colonel Mortimer lisant la Bible alors qu'il va toucher la prime de l'homme qu'il vient de tuer en est un parfait exemple. Le vol du coffre-fort de la banque d'El Paso réputée imprenable en est un autre: le réalisateur insiste sur le très lourd dispositif mis en place dans la partie avant de la banque pour empêcher les malfaiteurs de s'emparer du coffre puis il montre que ceux-ci n'ont qu'à faire sauter le mur arrière pour s'en emparer.

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Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari)

Publié le par Rosalie210

Sergio Leone (1964)

Pour une poignée de dollars (Per un pugno di dollari)

"Pour une poignée de dollars" sorti en 1964 et devenu par la suite le premier volet de la "trilogie du dollar" est une petite bombe cinématographique. D'abord parce qu'il marque la naissance d'un nouveau genre: le western italien longtemps affublé du méprisant sobriquet de "spaghetti" (relent nauséabond d'une époque révolue mais pas si lointaine ou France et USA persécutaient leurs immigrés italiens qu'ils surnommaient les "macaronis"). Mais le qualifier d'italien est en réalité impropre. Ce nouveau western (ou plutôt renouveau, le genre étant alors moribond) est le fruit d' influences variées dont la mise en scène de Sergio LEONE réalise l'alchimie avec brio:

- Américaine pour le scénario inspiré d'un roman policier de Dashiell HAMMETT, "La Moisson rouge" sans parler du fait que le western est un genre enraciné dans l'histoire et la géographie des USA.

- Japonaise par le fait que "Pour une poignée de dollars" est le remake du film d'Akira KUROSAWA Yojimbo - Le Garde du corps (1960) lui-même inspiré du livre de Dashiell HAMMETT. Tous les western de Sergio LEONE sont imprégnés de l'esthétique des films japonais: la stylisation (le générique d'ombres animées en est un exemple frappant), une narration plus visuelle que dialoguée, la dilatation des plans, le poids des silences, le hiératisme des personnages, les gros plans sur leurs visages semblables à des masques.

-Italienne pour les baroquismes, la démesure opératique et l'influence de la commedia dell arte sur les personnages incarnés par des gueules plus grotesques les unes que les autres.  Les westerns de Leone se caractérisent par leur amoralité et leur sauvagerie, celles-ci étant toutefois tempérées par la bouffonnerie et l'humour noir. "Pour une poignée de dollars" est toutefois sobre, sec et épuré comparativement aux deux autres volets de la trilogie, plus lyriques et flamboyants. 


"Pour une poignée de dollars" doit également son identité reconnaissable entre mille à Clint EASTWOOD alors peu connu et qui impose une nouvelle icône archétypique universelle de héros/antihéros charismatique à poncho mexicain et bout de cigarillo au coin des lèvres, taiseux mais doté d'un regard perçant et dont la nonchalance laisse place à une rapidité d'exécution foudroyante. Un héros ambigu, cynique, cupide, éliminant froidement ses adversaires mais qui n'est pas dénué d'humanité ni de faiblesse (surtout en comparaison de ses adversaires). Surgissant de nulle part, n'allant nulle part, sans aucune attache ni identité (grâce au surnom gagné lors de la promotion américaine du film "l'Homme Sans Nom"), il est entouré de mystère et a également quelque chose de christique et de surnaturel. En témoigne la célèbre scène où il se relève après avoir été criblé de balles, révélant sous son poncho un gilet pare-balles improvisé ou le sadisme avec lequel il se fait lyncher pour avoir sauvé les victimes des Rojos. La dégaine classieuse de Clint EASTWOOD, le contraste marqué entre sa beauté solaire et son expression taciturne, son magnétisme et sa minéralité font que l'on ne peut imaginer d'autre acteur dans le rôle.

Enfin le troisième homme sans lequel les westerns de Sergio LEONE n'auraient pas la même saveur c'est le compositeur Ennio MORRICONE dont l'osmose avec le réalisateur produit une série de BO exceptionnelles à base de sifflements, de chœurs, de coups de feu, de guitare électrique. Ennio MORRICONE fait subir aux codes de la musique de western le même genre de détournement que Leone avec sa mise en scène pour le plus grand plaisir du spectateur.

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Chasseur blanc, coeur noir (White Hunter, Black Heart)

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (1990)

Chasseur blanc, coeur noir (White Hunter, Black Heart)

En 1950 Peter Viertel avait collaboré au film « African Queen » de John Huston, qui voyait s’affronter Humphrey Bogart (Charlie Allnutt) et Katharine Hepburn (Rose Sayer). De cette expérience, il a tiré un livre « White Hunter, Black Heart », chronique partielle et romancée du tournage où John Huston devenait John Wilson, un cinéaste excentrique que seul intéresse la mise à mort d’un éléphant.

C’est ce roman que Clint Eastwood a porté à l’écran avec le même Peter Viertel comme coscénariste. La reconstitution est convaincante: en tant que cinéphile, on a plaisir à reconnaître les paysages africains du film ainsi que les personnages, joués par des acteurs aussi proches que possible des interprètes originaux.

Mais en réalité, le roman est plutôt un prétexte. Eastwood parle surtout de lui dans ce film. Le cinéaste qu'il interprète est exigeant, entêté, en conflit ouvert avec le système hollywoodien, ses conventions et ses préoccupations mercantiles. Eastwood intente même au-delà un procès à la civilisation occidentale présentée comme antisémite, raciste, vaniteuse et prédatrice. Tout se passe comme s'il avait des comptes à régler avec son passé d'acteur jouant des rôles un peu fascistes sur les bords. Avec les mots, avec les poings et à travers son obsession meurtrière (tuer un éléphant revient à commettre un crime contre l'Afrique et le prix à payer pour cette folie sera une culpabilité à vie), il n'en finit plus de tuer Harry, encore et encore jusqu'à se purger de lui et à renaître dans la peau d'un autre homme.

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J. Edgar

Publié le par Rosalie210

Clint Eastwood (2011)

J. Edgar

Je n'avais pas envie de voir ce film pour deux raisons: je ne suis pas spécialement fascinée par les hommes de pouvoir et je n'aime pas particulièrement Léonardo Dicaprio. Mais en dépit de sa photographie très (trop) sombre, ce film est en réalité une bonne surprise grâce au regard intelligent du réalisateur. Loin d'être une reconstitution poussiéreuse et désincarnée, le film est intimiste et dissèque avec une humanité inattendue une psychologie particulièrement torturée, celle de J. Edgar Hoover, inamovible patron du FBI durant près d'un demi-siècle. Paranoïaque obsédé par la peur de la contamination (des rouges, des truands, des roses, puis des noirs), éternel petit garçon bégayant sous la coupe d'une mère castratrice (Judi Dench), Hoover possède de nombreux démons intérieurs qui expliquent d'autant mieux son autoritarisme, son besoin de contrôle et sa mythomanie. Son homosexualité refoulée (toujours d'après le film à cause de sa mère qui ne supporte pas qu'il soit "de la jaquette") le contraint à vivre une relation aussi forte qu'entravée avec son adjoint Tolson. Paradoxalement les plus belles scènes du film émanent de cet amour (réel ou extrapolé, la nature de la relation entre les deux hommes n'ayant jamais été tirée au clair). Ainsi on voit cet homme qui ne supporte pas que l'on touche aux scènes de crime et qui s'essuie la main après l'avoir serrée, se tamponner le visage avec un mouchoir tenu un instant auparavant par Tolson puis réclamer toujours plus de proximité avec lui tout en se dérobant sans cesse. Cette contradiction donne lieu à une deuxième lecture assez bouleversante de la lettre révélant les amours saphiques d'Eleanor Roosevelt.

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