L'Invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt)
Fritz Lang (1956)
L'intrigue de "L'invraisemblable vérité", le dernier film américain de Fritz LANG semble truffée d'invraisemblances et en partie cousue de fil blanc. Je dis bien "semble" car à la réflexion (et la réflexion avec un tel film est indispensable), cette impression est sans doute voulue pour susciter un maximum de confusion, le film n'étant qu'une gigantesque manipulation des personnages les uns envers les autres mais aussi de Fritz LANG vis à vis du spectateur. Au départ, l'histoire se présente comme un plaidoyer contre la peine de mort. A la manière de l'armée dans l'Affaire Dreyfus mais pour la "bonne cause", Austin Spencer (Sidney BLACKMER), le directeur d'un grand journal propose à son futur gendre, le romancier Tom Garrett (Dana ANDREWS) de fabriquer de faux indices pour se faire passer pour coupable dans une affaire de meurtre tout en fabriquant en même temps de vraies preuves le disculpant. L'idée est de faire juger et condamner Tom afin de prouver que la machine judiciaire peut envoyer un innocent à la mort. Mais il se pourrait que démêler le vrai du faux ne soit pas aussi simple. Aucun des deux hommes n'est animé d'intentions philanthropiques. Spencer souhaite se faire de la publicité pour augmenter ses ventes en se payant la tête du procureur Roy Thompson (Philip BOURNEUF) qui se montre impitoyable avec les accusés pour mieux servir son ambition de devenir gouverneur. Quant à Tom Garrett, personnage insondable, le spectateur se demande longtemps pourquoi celui-ci accepte aussi facilement de se mettre dans une situation inconfortable voire dangereuse. Il se demande aussi pourquoi il laisse toutes les preuves de son innocence dans les mains de Spencer. On se dit, et s'il lui arrivait quelque chose? Et si les preuves disparaissaient? Evidemment cela ne manque pas d'arriver et cela paraît bien gros aux yeux du spectateur qui se dit qu'il en aurait au moins gardé une sur lui comme "assurance-vie". Sauf que rien de ce que nous avons cru voir ne correspond à la vérité et qu'une fois celle-ci dévoilée lors d'un twist final à la "Usual suspects" (1995), ces "preuves" prennent un tout autre sens, proche de celui du précédent film de Fritz LANG, "La Cinquième victime" (1956) avec lequel "L'invraisemblable vérité" forme un diptyque particulièrement sombre et amer en forme de bilan sans appel sur la gangrène qui ronge la société américaine (et que Fritz LANG quittera bientôt comme il avait fui l'Allemagne au début des années 30). Ces preuves d'innocence pourraient bien être des indices de culpabilité, des sortes de selfies flattant le narcissisme morbide du criminel. Tom Garrett a beau avoir une apparence respectable et un flegme à toute épreuve, il ne cesse de commettre des actes manqués, comme celui de revenir sans cesse sur les lieux du crime. Ou de laisser tout ce qui pourrait l'innocenter entre les mains d'une seule et fragile vie humaine. Ou de lâcher au plus mauvais moment un prénom compromettant. Et le spectateur floué d'en arriver à souhaiter sa mort c'est à dire d'être excité dans ses bas instincts, mis dans la peau du lyncheur de base. Bref, un film peut-être un peu trop froid et intellectuel mais diaboliquement intelligent et qui demande un certain recul pour en apprécier toute la portée.