Overblog
Suivre ce blog Administration + Créer mon blog

Articles avec #drame tag

L'Invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1956)

L'Invraisemblable vérité (Beyond a Reasonable Doubt)

L'intrigue de "L'invraisemblable vérité", le dernier film américain de Fritz LANG semble truffée d'invraisemblances et en partie cousue de fil blanc. Je dis bien "semble" car à la réflexion (et la réflexion avec un tel film est indispensable), cette impression est sans doute voulue pour susciter un maximum de confusion, le film n'étant qu'une gigantesque manipulation des personnages les uns envers les autres mais aussi de Fritz LANG vis à vis du spectateur. Au départ, l'histoire se présente comme un plaidoyer contre la peine de mort. A la manière de l'armée dans l'Affaire Dreyfus mais pour la "bonne cause", Austin Spencer (Sidney BLACKMER), le directeur d'un grand journal propose à son futur gendre, le romancier Tom Garrett (Dana ANDREWS) de fabriquer de faux indices pour se faire passer pour coupable dans une affaire de meurtre tout en fabriquant en même temps de vraies preuves le disculpant. L'idée est de faire juger et condamner Tom afin de prouver que la machine judiciaire peut envoyer un innocent à la mort. Mais il se pourrait que démêler le vrai du faux ne soit pas aussi simple. Aucun des deux hommes n'est animé d'intentions philanthropiques. Spencer souhaite se faire de la publicité pour augmenter ses ventes en se payant la tête du procureur Roy Thompson (Philip BOURNEUF) qui se montre impitoyable avec les accusés pour mieux servir son ambition de devenir gouverneur. Quant à Tom Garrett, personnage insondable, le spectateur se demande longtemps pourquoi celui-ci accepte aussi facilement de se mettre dans une situation inconfortable voire dangereuse. Il se demande aussi pourquoi il laisse toutes les preuves de son innocence dans les mains de Spencer. On se dit, et s'il lui arrivait quelque chose? Et si les preuves disparaissaient? Evidemment cela ne manque pas d'arriver et cela paraît bien gros aux yeux du spectateur qui se dit qu'il en aurait au moins gardé une sur lui comme "assurance-vie". Sauf que rien de ce que nous avons cru voir ne correspond à la vérité et qu'une fois celle-ci dévoilée lors d'un twist final à la "Usual suspects" (1995), ces "preuves" prennent un tout autre sens, proche de celui du précédent film de Fritz LANG, "La Cinquième victime" (1956) avec lequel "L'invraisemblable vérité" forme un diptyque particulièrement sombre et amer en forme de bilan sans appel sur la gangrène qui ronge la société américaine (et que Fritz LANG quittera bientôt comme il avait fui l'Allemagne au début des années 30). Ces preuves d'innocence pourraient bien être des indices de culpabilité, des sortes de selfies flattant le narcissisme morbide du criminel. Tom Garrett a beau avoir une apparence respectable et un flegme à toute épreuve, il ne cesse de commettre des actes manqués, comme celui de revenir sans cesse sur les lieux du crime. Ou de laisser tout ce qui pourrait l'innocenter entre les mains d'une seule et fragile vie humaine. Ou de lâcher au plus mauvais moment un prénom compromettant. Et le spectateur floué d'en arriver à souhaiter sa mort c'est à dire d'être excité dans ses bas instincts, mis dans la peau du lyncheur de base. Bref, un film peut-être un peu trop froid et intellectuel mais diaboliquement intelligent et qui demande un certain recul pour en apprécier toute la portée. 

Voir les commentaires

La Cinquième Victime (While the City Sleeps)

Publié le par Rosalie210

Fritz Lang (1956)

La Cinquième Victime (While the City Sleeps)

" La tonalité de ce film est peut-être un aperçu du film que je souhaite entreprendre maintenant, cette critique de notre vie contemporaine, où personne ne vit sa vie personnelle. Chacun est toujours soumis aux obligations de son travail qui sont très importantes pour lui. Après tout, l'argent c'est très important"

Cette citation de Fritz LANG extraite d'un entretien qu'il a accordé à propos de la "Cinquième victime" à Jean DOMARCHI et Jacques RIVETTE dans les Cahiers du cinéma donne effectivement le ton du premier volet de son ultime diptyque américain: ironique et sans pitié. "La cinquième victime" est une satire au vitriol d'un microcosme journalistique gangrené par l'arrivisme. A travers lui c'est l'obsession de la société américaine pour la réussite matérielle (c'est à dire l'argent et le pouvoir) qui est épinglée. Aucun personnage n'est épargné dans cette histoire, tous apparaissant comme des coquilles vides courant après des désirs mortifères:
- Le fils du patron Walter Kyle (Vincent PRICE) est un héritier aussi nul que dégénéré qui jouit de son pouvoir en inventant un petit jeu pervers: faire miroiter à trois de ses sous-chefs un poste pour lequel ils se boufferont le nez.
- Sa femme Dorothy (Rhonda FLEMING) le cocufie avec l'un des trois sous-chefs pour mieux assoir son propre petit pouvoir. Tout comme la chroniqueuse mondaine Mildred Donner (Ida LUPINO) elle est vénale et manipulatrice. Toutes deux ne se départissent jamais de leur masque à rictus sardonique tout au long du film. Mildred a seulement l'avantage sur Dorothy d'être très drôle avec un sens de la répartie qui rappelle la screwball comédie en milieu journalistique "La Dame du vendredi" (1940) de Howard HAWKS, tiré de la pièce de Ben HECHT, "The Front Page".
- Les trois chefs de service dévorés par l'ambition sont prêts à tout pour gagner la compétition. Chacun a sa technique pour l'emporter: sexe, argent, informations. Harry Kritzer (James CRAIG) espère arriver en se faisant recommander par Dorothy dont il est l'amant. Mark Loving (George SANDERS abonné aux rôles de salaud), séducteur/harceleur est prêt à lyncher sur la place publique un pauvre innocent qui était là au mauvais endroit au mauvais moment (thème langien par excellence) pour faire croire qu'il a résolu l'énigme du tueur au rouge à lèvres avant les autres. Seule la crainte d'être poursuivi en diffamation le fait reculer. Enfin Jon Griffith (Thomas MITCHELL) utilise la vedette du journal TV Edward Mobley (Dana ANDREWS) qui se sert de sa propre fiancée Nancy Liggett (Sally FORREST) comme appât pour attirer le tueur. Pas très joli-joli tout ça.
- Le tueur enfin (John BARRYMORE Jr.) est comme dans "M le Maudit" (1931) le symptôme de cette société malade. Avec une justesse visionnaire il est dépeint comme accro à la célébrité médiatique. Fritz LANG montre comment à chaque nouveau crime il prend de plus en plus de risques, laissant des indices permettant de le reconnaître. On pense notamment aux mises en scène sur les réseaux sociaux. Ironiquement, son "double" médiatique est Edward Mobley qui le provoque en direct à la TV et comprend tellement bien son fonctionnement qu'il ne peut être lui-même qu'une âme de serial killer en puissance. Car les médias sont dépeints comme des vampires assoiffés de sang, les tueurs leur fournissant le carburant dont ils ont besoin et vice versa.

Voir les commentaires

Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)

Publié le par Rosalie210

Hiromasa Yonebayashi (2014)

Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)
Souvenirs de Marnie (Omoide no Mânî)


"Souvenirs de Marnie" est sans doute le film des studios Ghibli que je préfère avec "Si tu tends l'oreille" (1995) de Yoshifumi Kondo en dehors de la filmographie des deux monstres sacrés que sont Hayao MIYAZAKI et Isao TAKAHATA. Le film a été assez sous-estimé lors de sa sortie parce qu'il a été jugé trop plan-plan comparativement aux fulgurances formelles des fondateurs du studios. Pourtant il s'agit d'une œuvre bien moins sage qu'elle ne le laisse paraître et qui se situe dans la continuité du studio (adaptation d'un classique de la littérature jeunesse britannique transposé au Japon, héroïnes et univers féminin). Le film se situe dans un entre-deux très inconfortable propice à l'ambiguïté. Celle-ci affecte l'espace-temps, l'intrigue se déroule entre deux rives et pendant les heures bleues, celles qui se situent entre chien et loup. Elle met en contact plusieurs niveaux de réalité, celle de l'instant présent et celle de la mémoire qui fait ressurgir les fantômes du passé dans le présent. Pendant une grande partie du film, une ambiguïté supplémentaire nous donne à croire que cette mémoire n'existe pas et qu'il ne s'agit que d'un simple rêve. Il faut attendre la découverte de vestiges du passé (le journal, le tableau) pour que cette piste se referme. Le film met en vedette deux adolescentes du même âge qui fonctionnent en miroir. L'adolescence est un âge marqué par l'instabilité, l'impermanence, y compris des sentiments. La relation entre les deux jeunes filles est donc particulièrement trouble d'autant que l'une, Anna est un garçon manqué et l'autre à l'inverse, une poupée blonde aux yeux bleus portant des anglaises et des robes à fanfreluches. Sans que nous nous en rendions compte d'emblée (puisque nous croyons au départ que les deux filles existent sur un même plan spatio-temporel) Anna réécrit en fait la vie de Marnie en se projetant en rivale de l'amoureux de cette dernière, Kazuhiko. Dans la scène du silo, lieu phallique par excellence qui s'oppose à la maison des marais plus féminine, elle se substitue même complètement à lui dans un dispositif qui fait en peu penser à celui de "Huit et demi" (1963) de Federico FELLINI. Une comparaison qui se renforce lorsqu'on découvre le lien filial qui unit Marnie et Anna, la grand-mère/la petite-fille et l'amoureux/l'amoureuse finissant par avoir le même visage.

Ce travail de brouillage des repères produit un effet paradoxal: il nous montre une histoire qui se répète et en même temps, il est porteur d'espoir. Marnie, Emily (le chaînon générationnel manquant) et Anna se transmettent les mêmes maux: abandon familial, manque d'amour, perte d'estime de soi, isolement, maladie/mort prématurée. Le retour de Marnie dans la vie d'Anna a un effet réparateur. Au Japon, monde "flottant", il n'y a pas de franche rupture entre le monde des morts et celui des vivants et les deux peuvent donc communiquer et mutuellement s'influencer. On peut imaginer Marnie enfin en paix et Anna allant de l'avant, même si la fin du film est un peu trop précipitée à mon goût.

Voir les commentaires

Les Quatre filles du Dr March (Little Women)

Publié le par Rosalie210

Gillian Armstrong (1994)

Les Quatre filles du Dr March (Little Women)

Depuis les origines du cinéma, on compte au moins une version cinématographique ou télévisuelle des "Quatre filles du docteur March" par génération. Celle de Gillian ARMSTRONG qui date des années 90 était la plus récente du moins au cinéma jusqu'à la nouvelle adaptation de Greta GERWIG attendue pour janvier 2020. On peut souligner qu'il s'agit dans les deux cas de versions réalisées par des femmes ce qui est la moindre des choses avec un roman écrit par une femme sur des femmes (Le titre en VO est d'ailleurs "Little Women"). S'il a fallu attendre si longtemps, c'est que la transposition s'est effectuée dans une forme d'art longtemps monopolisée par les hommes. Comme le dit la regrettée pionnière Agnès VARDA dans "Visages, villages (2017)", "Une femme pour 78 hommes [dans la réalisation au cinéma], c'est à peu près la proportion, oui". La "grande" littérature a elle aussi été longtemps accaparée par les hommes contrairement à la littérature dite "de genre/de gare" considérée comme moins prestigieuse qui a laissé plus de place aux femmes que ce soit par exemple le roman champêtre (George Sand), le roman policier (Agatha Christie, Patricia Highsmith, Elizabeth George, Fred Vargas, Mary Higgins Clark etc.), le romantisme gothique/horrifique (Daphné du Maurier) ou encore la littérature jeunesse (Enid Blyton, la Comtesse de Ségur, JK Rowling, Frances Hodgson Burnett etc.) genre dans lequel s'est également illustré Louisa May Alcott. La version de Gillian ARMSTRONG atténue au maximum les aspects les plus obsolètes du roman (la morale judéo-chrétienne béni oui oui) pour mettre le plus possible en valeur ce qu'il a de définitivement et d'inaltérablement moderne: la quête d'identité et de reconnaissance de jeunes filles qui veulent vivre, penser et se définir par elles-mêmes. Jo est bien évidemment la figure de proue de ce féminisme combatif avant la lettre. Double de l'auteur, elle se heurte à un monde de l'édition masculin qui veut la cantonner aux magazines féminins ou aux sous-genres pré cités. Ce rôle en or est bien servi par la fougue de Winona RYDER et face à elle, les personnages masculins sont particulièrement bien écrits. Laurie (Christian BALE qui l'interprète comme un jeune blanc-bec) est englué dans les conventions propres à son milieu et débite des platitudes sentimentales ce qui donne au refus de Jo tout son relief. Ce qu'elle refuse, c'est justement une vie dictée par les conventions. A l'inverse le professeur Bhaer joué de façon remarquable par Gabriel BYRNE est pétri d'humanité et il fait tout pour que Jo se réalise, quitte à s'effacer du paysage. C'est d'ailleurs cette attitude humble qui touche le cœur de Jo. Il faut dire qu'à l'inverse de Laurie, Bhaer n'est pas un héritier, il est même sans le sou ce qui le complexe. C'est Jo qui est l'héritière d'une maison qu'elle veut transformer en école et qui lui propose un travail à ses côtés en même temps que le mariage. Une approche très moderne! Les 3 autres personnages féminins sont en revanche moins bien mis en valeur. Meg l'aînée (Trini ALVARADO) est des quatre filles la plus formatée socialement et donc la moins intéressante. C'est la seule qui n'a d'ailleurs pas de violon d'Ingres. Il est donc logique qu'elle soit un peu sacrifiée, comme dans les autres versions. Claire DANES dans le rôle de Beth joue avec beaucoup de sensibilité mais son physique de belle plante s'accorde mal avec l'aspect souffreteux du personnage qui disparaît faute de trouver sa place dans le monde. Enfin Amy jeune est formidablement interprétée par Kirsten DUNST mais comme celle-ci n'avait que 12 ans au moment du tournage, elle est remplacée pour la deuxième partie de l'histoire par Samantha MATHIS qui n'a pas le même charisme.

Voir les commentaires

Les Disparus de Saint-Agil

Publié le par Rosalie210

Christian Jacque (1938)

Les Disparus de Saint-Agil

"Les Disparus de Saint Agil" sorti à la fin des années 30 appartient à un genre qui faisait fureur à l'époque dans le cinéma français, celui du film de pensionnat (pour n'en citer que quelques uns: "Zéro de conduite" (1933), "Merlusse" (1935), "La Cage aux rossignols" (1944) etc.). Ici cependant, le pensionnat devient la la métaphore d'une France xénophobe et repliée sur elle-même. Les professeurs ont des attitudes plus rances les unes que les autres, résumées par celui qui proclame que "Bons ou mauvais, c'est toujours avec les étrangers que nous auront la guerre" (le film est rempli de punchlines bien senties écrites mais non signées d'un certain Jacques PRÉVERT dont les idées antimilitaristes et antifascistes imprègnent le film). Bien que l'action se situe à la veille de la première guerre mondiale, il est évident que le film fait allusion à l'imminence d'un nouveau conflit ce que nul ne pouvait plus ignorer en 1938. Et ce qui est remarquable, c'est que le réalisateur Christian JAQUE prend parti pour l'étranger et contre les français comme s'il avait senti que le sauvetage de la France ne viendrait pas pour l'essentiel de ses habitants de souche mais de l'extérieur. Comme s'il avait le don de prédire l'avenir, il rend hommage dans son film à la fois aux Etats-Unis et aux réfugiés allemands anti nazis alors qu'il n'est pas difficile de deviner que les enseignants du pensionnat sont de futurs collaborateurs en puissance. Il y en a même un, Lemel joué par Michel SIMON qui annonce bien la couleur brune avec sa petite moustache et sa frustration de peintre raté ^^^^.

L'hommage de Christian JAQUE est aussi bien dans le contenu du film que dans sa forme. Les trois membres de la société secrète des "Chiche-Capons", Baume, Sorgue et Macroy ne rêvent que de s'échapper du pensionnat pour aller aux Etats-Unis. En attendant de s'évader pour de bon, ils quittent leur lit la nuit pour aller conspirer dans la salle de sciences naturelles sous l'orbite bienveillante du squelette Martin ^^. Il n'est guère étonnant que le quatrième membre de cette petite contre-société en rupture de ban devienne le professeur Walter qui bien qu'enseignant l'anglais symbolise l'Allemagne à travers son interprète, Erich von STROHEIM. Celui-ci est (ô surprise) la bête noire des autres professeurs et tout spécialement de Lemel. Dans une scène-clé, Walter propose aux enfants une dictée basée sur le livre de H.G. Wells "L'Homme invisible", métaphore de celui qui est rejeté par la société. Mais contrairement à Lemel qui est aigri et paranoïaque, Walter a conservé son âme d'enfant. Il est le seul membre de l'équipe à être capable de se mettre à leur place et à prôner des méthodes éducatives moins coercitives ce qui le fait encore plus mal voir des autres en le rendant décidément "inassimilable". En rejoignant les enfants, il choisit l'avenir alors que l'équipe professorale représente le passé gangrené par la haine et la corruption. Et Christian JAQUE d'appuyer cet hommage en situant son film à la lisière du fantastique avec des apparitions/disparitions inexpliquées qui donnent notamment au personnage joué par Robert LE VIGAN un caractère spectral (l'homme invisible, c'est lui!). La mise en scène suggère l'aspect quasi surnaturel de ces disparitions ainsi que les éclairages expressionnistes tout droit sortis des films muets allemands des années 20 qui rendent le pensionnat inquiétant et mystérieux, son prolongement étant le moulin dans la forêt, proche des contes de fées. D'autre part, le caractère policier de l'intrigue le rapproche aussi des films noirs américains qui étaient réalisés à la même époque.

Voir les commentaires

Dans la ville blanche

Publié le par Rosalie210

Alain Tanner (1983)

Dans la ville blanche

"Dans la ville blanche" est un film essentiellement contemplatif, un film en "creux" propice aux réflexions et aux déambulations. On y voit un homme, Paul, mécanicien sur un bateau qui lors d'une escale à Lisbonne met sa vie entre parenthèses. Il déserte le navire, prend une chambre d'hôtel, et décide de se mettre en retrait du monde. Son impuissance éclate lors les rares événements qui l'affectent tel le vol de son portefeuille, son agression ou la disparition de Rosa qu'il est condamné à subir. Le rôle a été écrit spécifiquement pour Bruno GANZ et il est vrai qu'on reconnaît dans cette errance, cette introspection et cette crise existentielle nombre de films des années 80 où il a tourné depuis "Le Faussaire" (1981) jusqu'aux "Les Ailes du désir" (1987).

Il se dégage une certaine poésie de ce film notamment lorsque le réalisateur et son personnage filment les pulsations et les méandres de la ville, l'un en 35 mm et l'autre avec une caméra super 8. Mais son intérêt reste tout de même limité tant le travers de l'ego trip occidental masculin viril (comme dans "Le Faussaire") (1981) a tendance à tout recouvrir. Il y a un effet "posture" désagréable dans ce film où le personnage principal se regarde beaucoup trop filmer et s'écoute beaucoup trop penser. Paul est même un avant-gardiste du selfie et de la sex tape. Un personnage qui veut vraiment se perdre entre dans un pays "sans langage" comme le dit Travis dans "Paris, Texas" (1984)". Sans langage et sans miroirs. De ce point de vue, Paul échoue sur toute la ligne. Si Rosa prend le large en comprenant qu'elle n'a rien à attendre d'un homme indécis qui se laisse dériver sans but en contemplant son petit nombril, on plaint sa femme restée au pays qui n'est pour lui que le réceptacle de ses lettres et vidéos où il étale ses "réflexions" et "expériences" souvent à caractère sexuel sans tenir compte de ce que peut ressentir son destinataire (qui est furieuse mais le film survole le personnage). On comprend pourquoi il n'a guère envie de revenir chez lui et de se confronter au réel où il ne sera plus son propre centre (il casse d'ailleurs son miroir et vend ses enregistreurs vidéo juste avant de quitter son hôtel). Le film laisse percevoir cette dimension mais il n'a aucune vraie dimension critique, dommage.

Voir les commentaires

Green Book: Sur les routes du sud (Green Book)

Publié le par Rosalie210

Peter Farrelly (2018)

Green Book: Sur les routes du sud (Green Book)

Comme ses héros en mouvement, Peter FARRELLY ne sait pas rester à la place qui lui a été assignée. Après avoir réalisé pendant quinze ans des comédies délirantes et provocantes avec son frère mettant en scène Jim CARREY ou Ben STILLER, le voilà qui se lance en solo dans le drame humaniste, un cheminement qui peut faire penser en France à celui de Albert DUPONTEL. Mais bien qu'ayant changé de genre, Peter FARRELLY ne renonce pas à son humour très physiologique. Rien de tel qu'une bonne dose de subversion pour déjouer (du moins en grande partie) les pièges du film à grand sujet pétri de bons sentiments. Dans cette nouvelle histoire d'Intouchables tirée d'une histoire vraie, tous les repères sont inversés. le (petit) blanc, Tony Lip est un prolétaire brutal confiné dans son ghetto rital du Bronx et son ignorance crasse. Mais il a envie d'aller voir ailleurs et son appétit est sans borne (il est champion de concours de hot-dog ^^). Et Viggo MORTENSEN, inattendu dans ce rôle, d'enfiler continuellement des tonnes de junk food en y initiant son patron tout en recrachant avec mépris les canapés servis dans les grandes maisons bourgeoises. Le reste est à l'avenant: siège avant transformé en poubelle, flingue à la ceinture, billets de banque bien en évidence dégainés au moindre problème, tendance à confondre sa poche et celle des autres, langue bien pendue et poings prompts à partir. Derrière lui, son employeur, le Docteur Shirley (Mahershala ALI) se définit par ce qu'il n'est pas "pas assez noir, pas assez blanc, pas assez homme". Cette identité par soustraction varie selon les lieux où il passe. A New-York, il est surtout un grand bourgeois raffiné et un pianiste virtuose proche des cercles du pouvoir. Dans le sud profond du début des années 60 où il décide courageusement de se produire, il n'est plus aux yeux des blancs qu'un "nègre" qui se prend de plein fouet la violence de la ségrégation et de la discrimination raciale, ceux-ci ne l'acceptant comme l'un des leurs que dans le cadre étroit de la salle de concert. Pour aggraver son malheur, il ne peut pas davantage se fondre dans la masse de ses "congénères" (comme ne cesse de lui dire Tony Lip dont le racisme essentialisant est partagé par les bourgeois se voulant ouvert d'esprit, persuadés que tous les noirs aiment le poulet frit), car il est trop différent d'eux. Il est donc condamné à rester seul et à se faire rejeter de tous les côtés. Ou presque, la cohabitation avec le remuant Tony Lip dans l'habitacle de la voiture s'avérant au final un havre de douceur et de délicatesse comparée aux grandes maisons de maître et aux commissariats du sud. De quoi décoincer un peu le si guindé et snob Docteur Shirley alors que sous sa direction, Tony Lip se met à articuler et à écrire du Shakespeare à sa femme ("putain, c'est romantique!" ^^). Il y a même une scène où Tony, surprenant son patron dans une situation délicate révèle des trésors de tact alors qu'il aurait pu verser (et Peter FARRELLY avec lui) dans la lourdeur.

Voir les commentaires

Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock)

Publié le par Rosalie210

Peter Weir (1975)

Pique-nique à Hanging Rock (Picnic at Hanging Rock)

"Pique-Nique à Hanging Rock", le deuxième film de Peter WEIR a conservé intact plus de quarante ans après sa sortie son pouvoir d'envoûtement et son mystère. Le dépoussiérage du film en 1999 (deuxième partie raccourcie, étalonnage neutre au lieu de la teinte jaunâtre d'origine, remixage du son en Dolby stéréo) a contribué à lui garder toute sa fraîcheur. Il a été souvent comparé à un autre chef d'oeuvre du cinéma fondé sur une énigme métaphysique "2001, l'odyssée de l'espace" (1968). Mais à titre personnel, c'est à un autre film de Stanley KUBRICK qu'il me fait penser, "Shining" (1980). L'Australie, comme les Etats-Unis se sont fondés sur l'appropriation du territoire des indigènes dont la culture a été détruite et la population en grande partie massacrée. Hanging Rock comme le cimetière sur lequel a été construit l'hôtel Overlook sont des sites indigènes sacrés immémoriaux transformés par les colons européens en vulgaires espaces de loisirs au XIX° ou au début XX° après que la population locale en ait été chassée. Mais la mémoire des lieux, elle, demeure, et peut ressurgir à tout moment. Les flots de sang jaillissent de l'ascenseur de l'hôtel (en référence à tous les crimes commis en ce lieu depuis son origine), le grondement de la terre fait entendre sa voix et les rochers semblent animés de vie. Les êtres humains qui s'en approchent de trop près finissent non par les posséder mais par être possédés au son d'une ensorcelante flûte de pan. Dans l'un et l'autre cas, on assiste à une sorte de vengeance des lieux (des Dieux?) ainsi bafoués. Dans "Pique-Nique à Hanging Rock", l'offense faite aux indigènes se double en effet d'une offense faite à la nature. Ceux-ci avaient intuitivement ressenti un épicentre spirituel dans le site volcanique de Hanging Rock ce que les colons anglo-saxons qui se prennent pour le centre du monde nient. Et ce d'autant mieux qu'ils se sont coupés de la nature en se barricadant dans des vêtements corsetés et des bâtiments fortifiés pour mieux refouler leurs instincts et leurs émotions. "Pique-nique à Hanging Rock" est une parfaite illustration des pires travers de la civilisation occidentale anti-nature qui a conquis le monde durant les révolutions industrielles. Certes, le film ne montre pas de désastre écologique mais il montre ce qui le rend possible: des êtres humains dont on s'ingénie à nier la nature animale, le siècle victorien en étant en quelque sorte l'acmé. Les jeunes filles de bonne famille du pensionnat d'Appleyard apprêtées comme de fragiles bibelots anciens semblent aussi déplacées dans le bush australien qu'un éléphant dans un magasin de porcelaine. Jusqu'à ce que plusieurs d'entre elles faussent compagnie à leurs chaperons et s'aventurent au cœur des méandres du chaos rocheux (un parcours labyrinthique qui n'est pas sans rappeler là encore celui de "Shining" (1980), l'aspect géométrique en moins). Plus elles s'approchent de l'épicentre du rocher, plus leur corps se libère du carcan qui l'oppresse. Après les gants et les chapeaux, elles enlèvent leurs chaussures, leurs bas et (hors-champ) leurs corsets, libérant la sensualité et l'érotisme qui font défaut à tant de films occidentaux faute de lien avec les forces de la nature. Comme si elles étaient sous hypnose (hypothèse renforcée par le fait que les survivantes sont amnésiques), on les voit s'engouffrer dans une ouverture dont elles ne ressortiront plus: une fin tragique car quelle que soit la croyance en ce qu'il y a derrière, la plénitude de la vie ne peut s'accomplir dans l'ici et le maintenant qui conditionne le futur. Ajoutons que le même phénomène touche indifféremment les femmes et les hommes, les jeunes et les vieux. Parce que c'est sur elles que s'exerce le plus le contrôle social étouffant de la période victorienne, l'histoire est focalisée sur des adolescentes en plein éveil amoureux, sensuel et sexuel. Mais leur professeure plus âgée dont les tourments inavouables sont révélés à la fin du film subit le même sort. Et plus tard, il arrivera la même chose à Michael (Dominic GUARD), un jeune anglais amoureux de Miranda (Anne-Louise LAMBERT), la Vénus Boticellienne du pensionnat que sa beauté rayonnante prédestinait à être engloutie par le rocher. Parti à sa recherche, on le voit également se défaire des vêtements qui l'engoncent et se perdre jusqu'aux limites de la démence dans les défilés rocailleux. Le film réussit à distiller sa troublante ambiguïté en se situant toujours à la frontière du réalisme et du fantastique, de l'art et de la vie, de la nature et de la culture, du charnel et de l'éthéré sans jamais basculer de manière décisive dans l'une ou l'autre de ces dimensions mais en brouillant au maximum les frontières.

Voir les commentaires

Hantise (Gaslight)

Publié le par Rosalie210

George Cukor (1944)

Hantise (Gaslight)

George CUKOR est surtout connu pour ses comédies."Gaslight" réalisé pendant la guerre révèle une autre facette de son talent. Il s'agit d'un sommet du thriller psychologique et gothique qui doit absolument être redécouvert tant pour sa valeur intrinsèque que pour l'influence qu'il a exercé par la suite. Il est passionnant d'analyser par exemple la relation étroite qu'il nourrit avec les films de Alfred HITCHCOCK situés dans la même période. Comme "La Corde" (1948), l'histoire est tirée d'une pièce de théâtre de Patrick Hamilton qui avait déjà été adaptée au cinéma par les anglais en 1939. La résidence lugubre et hantée ainsi que la servante maléfique rappellent "Rebecca" (1939) alors que le comportement du mari fait penser à " Soupçons" (1941). Mais à l'inverse, "Les Amants du Capricorne" (1949) découle du film de George CUKOR. Tout d'abord parce que l'on retrouve dans les rôles principaux Ingrid BERGMAN et Joseph COTTEN et ensuite parce que des thèmes, des images voire des scènes entières font écho à "Gaslight": la femme malade et cloîtrée, la connivence entre la servante et le mari, les gros plans sur le visage apeuré de Ingrid BERGMAN, la séquence mondaine qui tourne au fiasco par la faute du mari. Quant au thème de la demeure victorienne hantée et maléfique, il se prolonge bien au-delà des années 40. "Psychose" (1960) toujours de Alfred HITCHCOCK en est l'exemple le plus évident (le plan de l'ombre de la mère qui passe devant la fenêtre est repris d'ailleurs de "Gaslight") mais beaucoup plus récemment dans le domaine littéraire, la sinistre demeure londonienne des Black située au 12 Square Grimmaurd dans la saga "Harry Potter" de JK Rowling est la copie conforme du 9 Square Thorton de "Gaslight".

Comme d'autres films gothiques de la même période tels que "Dragonwyck" (1946) de Joseph L. MANKIEWICZ, "Gaslight" est une remarquable description des mécanismes de l'emprise conjugale. Tellement remarquable que le terme "gaslighting" a pris un nouveau sens après le film: celui d'une technique de manipulation consistant à faire douter la victime de sa propre santé mentale. Grégory, le personnage du mari manipulateur joué de façon remarquable par Charles BOYER commence par fondre sur sa proie et ne plus la lâcher. George CUKOR nous fait comprendre dès le départ qu'il s'agit d'un prédateur. Lorsque Paula (Ingrid BERGMAN) lui demande de lui laisser faire un voyage seule pour prendre le temps de décider si elle l'épouse ou non il fait semblant d'acquiescer mais au moment où elle sort du train, on voit soudain sa main surgir dans le cadre et l'agripper par le bras. On comprend alors qu'il ne lui laissera aucun répit. Lors de leur lune de miel, Cukor filme Grégory au premier plan comme une silhouette noire floue et de dos, contemplant tel un oiseau de proie sa future victime vêtue de blanc dormir dans le fond du champ. La manipulation peut commencer. Grégory obtient sans difficulté de Paula d'aller vivre dans la maison où dix ans plus tôt la tante de cette dernière a été assassinée. Il s'ingénie à la couper de l'extérieur et à lui faire perdre confiance en elle et en ses facultés mentales. Il lui fait croire qu'elle a des visions, qu'elle perd la mémoire, qu'elle a des absences. Il souffle sans arrêt le chaud et le froid pour mieux la déstabiliser et l'affaiblir, le tout avec la complicité de Nancy, la servante dévergondée avec laquelle il joue un jeu de séduction assez pervers (pour son premier rôle à seulement 17 ans, Angela LANSBURY future héroïne de la série "Arabesque" crève l'écran). On flirte avec le fantastique suggéré par l'atmosphère expressionniste et le fait que Grégory et Paula rejouent l'histoire de Boris et d'Alice dix ans plus tôt dont ils sont les "réincarnations". L'un joue sur sa double identité, l'autre est la nièce de la défunte et lui ressemble trait pour trait comme Brian (Joseph COTTEN, l'admirateur d'Alice et le sauveur de Paula) le lui fait remarquer. Néanmoins cet aspect de l'histoire n'est que survolé et sera beaucoup mieux exploité par... Alfred HITCHCOCK, encore lui dans "Vertigo" (1958).

Voir les commentaires

Philomena

Publié le par Rosalie210

Stephen Frears (2013)

Philomena

"Philomena", comme "The Magdalene Sisters" (2001) s'appuie sur la tragédie vécue par des milliers de jeunes irlandaises. Du début du XX° siècle jusqu'en 1996, elles furent cloitrées et réduites en esclavage par des institutions religieuses catholiques avec la complicité de leur propre famille et de la société toute entière. Leur crime? Avoir "provoqué" le "péché de chair" (parce que dans l'Eglise catholique, le sexe est un "péché" et c'est toujours la femme la "tentatrice") et devoir l'expier par le travail et les souffrances, notamment de l'enfantement pour celles qui donnèrent naissance à des enfants hors-mariage.

Rien qu'à lire ce préambule, on mesure la terrifiante emprise de cette institution sur les esprits, diabolisant un instinct vital et faisant de la femme son bouc-émissaire tout cela dans un but de domination. Car la répression sexuelle sert toujours les intérêts d'argent et de pouvoir ce que démontre très bien "Philomena". L'exploitation des "pécheresses" s'est étendu en effet à leurs enfants qui ont fait l'objet d'un trafic lucratif avec de riches couples d'américains en mal de progéniture. Pour camoufler leurs activités mafieuses criminelles, les institutions religieuses ont ensuite détruit les preuves. L'emprise du couvent de Roscrea sur Philomena perdure dans le temps et s'étend à son fils ce que le film montre très bien lorsqu'il évoque les efforts infructueux de l'un et de l'autre pour se retrouver, les obligeant à toujours revenir à Roscrea et se heurtant toujours aux secrets et mensonges savamment entretenus par les religieuses du couvent. Le journaliste "cynique" qui accompagne Philomena dans sa quête est en réalité le double du réalisateur, témoin indigné devant ce gâchis humain provoqué sciemment. Il doit cependant accepter le choix de Philomena qui est celui du pardon dont on ne sait s'il est libre ou lié à l'imprégnation de son éducation religieuse qui lui a imposé le silence durant 50 ans. Cependant le film de Stephen FREARS échappe au pathos et à la lourdeur grâce à l'interprétation remarquable de Judi DENCH et de Steve COOGAN (également auteur du scénario et coproducteur du film qui est une idée de lui à l'origine) ainsi qu'au dosage savant entre drame et comédie. La relation piquante qui s'établit entre deux êtres que tout oppose mais qu'une même humanité réunit fournit un contrepoint salvateur à la gravité du thème abordé par le film.

Voir les commentaires